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Lettres sur le communisme (première partie : 1 à6)

un intellectuel communiste témoigne et réagit

samedi 30 octobre 2010, par Jean-Pierre Combe

première lettre : pourquoi ai-je écrit les présentes lettres ?

- le 9 juin 2008, au lecteur
- Bien sà»r, tu n’es pas forcément communiste. Mais j’ai voulu que tu puisses lire ces lettres que j’ai rédigées pour des communistes : pour cela, je les ai ouvertes.
- La raison en est que les problèmes que j’y aborde ne se posent pas seulement aux membres d’un parti communiste ou d’autres formations communistes :

- ils se posent àtous les citoyens de ce pays qui tiennent àrester des citoyens et qui se refusent pour cette raison àjeter aux oubliettes l’histoire de la chute du royaume de France, l’histoire de l’émergence qui a fait de la Nation l’acteur de la souveraineté française en lieu et place du Roi, l’histoire de la naissance de la République et, en même temps, l’histoire de la première formulation du principe que l’on a appelé, plusieurs décennies plus tard, le principe de laïcité des institutions républicaines.
- Depuis les premiers balbutiements du communisme, qui ont eu lieu en Allemagne pendant les évènements révolutionnaires consécutifs àla chute de l’empire de Napoléon Bonaparte, dit Napoléon premier, et que plusieurs raisons me conduisent àreconnaître en France dans l’activité révolutionnaire de Gracchus Babeuf, bien qu’il n’ait guère employé ce mot, depuis lors, donc, les communistes, en France et pas seulement en France, comme en témoignent certains textes importants de Marx, d’Engels et de Lénine, se sont toujours revendiqués de cette fidélité au sens fort donné àla République par la Révolution française, àl’essence de la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen, àla Liberté, àl’Egalité, àla Fraternité.
- Et pour ma part, parce que je suis communiste, c’est dans la fidélité àcette tradition républicaine et révolutionnaire que je traite les problèmes qui se posent au communisme.
- Ces problèmes se posent àpartir de deux séries d’évènements.
- Les plus urgents procèdent de l’évolution actuelle de notre société : ce qui la caractérise est l’alourdissement incessant et rapide de l’exploitation capitaliste, consécutif àl’abrogation de fait des règles que le mouvement ouvrier, par son action revendicative, avait réussi àimposer àla bourgeoisie capitaliste, et renforcé par les autres mesures que prennent les états capitalistes pour libérer et renforcer le mouvement capitaliste de l’exploitation.
- Pour les travailleurs français, les conséquences de cet alourdissement sont dramatiques :

  • stagnation des salaires, traitements, retraites et autres pensions, ainsi que des revenus de précarité, pendant que les prix des denrées nécessaires àla vie quotidienne ne cessent d’augmenter, ces dernières années de plus en plus vite, et pendant que la pression au travail pour augmenter la productivité de chaque minute atteint des sommets tels que le travail lui-même devient pathogène (c’est-à-dire qu’il devient une cause de maladies)...
  • fermetures d’hôpitaux, de bureaux de services publics, de lignes de chemin de fer, délabrement délibéré des communes, fermetures de classes et d’écoles communales, fermetures, restructurations et délocalisations d’entreprises, diminution de l’emploi salarié aboutissant àfaire tomber la part qu’occupent les salaires dans le PIB àmoins de la moitié (depuis lors, l’économie française paye moins de salaires que de revenus commerciaux, de dividendes, de jetons de présence, de parachutes dorés et d’autres rémunérations capitalistes !) ;
  • augmentation du chômage, de l’emploi précaire et de l’emploi dit assisté au détriment des emplois salariés ;
  • etc...

- La situation de ceux qui ne peuvent vivre qu’en vendant leur force de travail est toujours plus difficile àsupporter, et dans le peuple monte la condamnation de ceux qui ont conduit notre pays dans cette impasse et de ceux qui l’y maintiennent en engageant sa destruction. Mais la formulation de cette condamnation manque de justesse et de précision.
- C’est qu’il manque ànotre peuple la formation, le parti politique capable de faire l’analyse politique de cette situation, de la faire du point de vue du travailleur prolétaire, c’est-à-dire de celle ou de celui qui ne possède rien que ses bras, rien que son corps ; il manque le parti capable de mettre en évidence les causes de cette situation, ses profiteurs et parmi ceux-ci, ceux qui portent la responsabilité politique... : ce qui manque ànotre peuple, c’est un véritable parti communiste, un parti franchement communiste !
- Ici interviennent les problèmes procédant de la seconde catégorie d’évènements : il s’agit des effondrements qui se sont produits àl’est de l’Europe, et qui ont provoqué la disparition des états qui participaient de ce que nous appelions le camp socialiste, et la disparition du camp socialiste lui-même.
- Les bourgeoisies qui dominaient alors l’ouest européen et le monde capitaliste se sont emparées de ces effondrements, exploitant leur caractère soudain, inattendu et massif pour en saturer les moyens de communication idéologique, la presse écrite et télévisée et l’édition libraire, et pour tirer profit de cette saturation en imposant àtoute la population une représentation schématique, unilatérale, répugnante et grotesque de ce que fut la vie dans les pays du camp socialiste.
- Au sein de cette représentation, les mêmes idéologues bourgeois s’attachent àdémontrer que les gouvernements de ces pays, rebaptisés « régimes », y ont tout détruit et ont réduit la population àun véritable servage ; peu importe l’étendue des approximations qui leur sont nécessaires pour brosser ce tableau, il s’agit pour eux de disposer d’un argument grâce auquel ils espèrent pouvoir présenter le communisme lui-même comme criminel.
- Cette criminalisation du communisme, àbien y regarder, résume l’ensemble des obstacles qui procèdent des effondrements de l’est européen et s’opposent ànous, même ceux qui sont apparus dans le PCF lui-même : en effet, les abandons successifs des principes du communisme ont tous été argumentés par la direction de ce parti par la volonté de ne pas tomber sous le coup d’une accusation de crime de communisme ou de complicité de crime de communisme.
- Mais lorsque des militants communistes rappelaient aux dirigeants du PCF que nous avions, que nous avons, de très bonnes et très fortes raisons de réfuter la criminalisation du communisme, de dire publiquement que le communisme n’est ni criminel ni criminogène, de très bonnes et très fortes raisons d’en faire publiquement la preuve, les dirigeants du PCF écartaient ces arguments et écartaient les militants qui les portaient : c’est ainsi qu’ils ont achevé la préparation, la mise en condition du PCF, pour sa mutation qu’ils disaient alors communiste, mais qui était déjàsocial-démocrate.
- Ces problèmes forment aujourd’hui un brouillard opaque interposé entre la conscience des travailleurs et la réalité sociale dont procèdent leurs difficultés : ils font obstacle au développement de la réflexion communiste, c’est-à-dire àl’étude quotidienne de la revendication économique des prolétaires et des autres travailleurs et àl’élaboration quotidienne de la politique qui procède de cette revendication économique et qui a pour objet de créer les conditions politiques et sociales nécessaires àsa satisfaction durable, notamment et d’abord en socialisant (c’est la même chose que nationaliser) les grands domaines terriens, les mines, les usines, les maisons de commerce, les banques et les assurances qui appartiennent aux grands bourgeois capitalistes.
- Cet obstacle, il faut le détruire : c’est pour y contribuer que j’ai rédigé les lettres ouvertes ci-après.

Deuxième lettre : sur l’« opposition interne »

- Des délégués des sections du PCF àl’assemblée générale de décembre 2007 ont manifesté leur volonté de maintenir le PCF en tant que parti communiste. Leur déclaration a été mise en ligne sur le site « altercommunistes.org » le 22 décembre 2007, et vient d’attirer mon attention. C’est un texte intéressant qui m’a semblé appeler une réponse de ma part. Voici donc ma réponse :
- le 30 mars 2008, aux délégués des sections du PCF signataires de la déclaration diffusée sur « altercommunistes.org »
- Ayant été poussé hors du PCF, voici plus d’une décennie, par ceux qui le dirigent aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de dire si la direction du PCF est ou n’est pas minoritaire. Cela étant, je suis d’accord avec vous pour constater qu’elle refuse de reconnaître ses responsabilités dans le déclin catastrophique que connaît le PCF ; àmes yeux, la politique de cette direction constitue un sabotage du communisme ; c’est précisément parce que je soupçonnais ce sabotage et que je disais mes soupçons àvoix haute que j’ai été poussé hors du PCF.
- Je suis d’accord avec vous pour voir les causes du déclin du PCF dans l’abandon de l’organisation révolutionnaire et dans le renoncement àl’analyse marxiste pour déterminer la politique du parti, ainsi que dans la préférence accordée aux politiques d’alliances au sommet et de course aux sièges au détriment de la politique de lutte de classe et d’union des forces populaires ; je marque pourtant une nuance : je relie l’abandon par le PCF de l’organisation révolutionnaire au fait qu’il a renoncé àrevendiquer de nationaliser (ou de socialiser, ce qui est la même chose) les principaux objets de la propriété capitaliste (banques, trusts et groupes d’entreprises, grosses entreprises).
- Je suis réservé aussi quand vous affirmez que le PCF est la seule formation politique anticapitaliste capable de mobiliser et de représenter un repère historique et idéologique de lutte : les élections municipales du printemps 2008 ont fait apparaître dans le bassin minier du Pas de Calais une formation communiste, le Pôle de Renaissance communiste en France, qui a, dans ce bassin, bien mobilisé la classe ouvrière et fait revivre le repère historique et idéologique de lutte que vous évoquez.
- Par contre, je reconnais que de nombreux jeunes ont adhéré au PCF dans le but de pousser son Assemblée Générale de décembre 2007 vers une orientation communiste affirmée.
- A mon sens, ce jeune courant pose deux questions :

  1. d’abord, qu’est-ce qu’une orientation communiste affirmée ?
  2. ensuite, le réformisme liquidateur de la direction du PCF, que vous dénoncez implicitement, mais avec juste raison, est-il compatible avec une orientation communiste affirmée ?

- Lors des négociations qui ont abouti àla rédaction du programme commun de gouvernement, certains membres des équipes formées par le PCF pour soutenir le travail de ses instances dirigeantes ont fortement poussé pour que le PCF réduise de beaucoup le contenu revendicatif et transformateur, révolutionnaire, qu’il avait donné àson projet de programme « Changer de cap », notamment sur la question des nationalisations. En 1981, les mêmes ont poussé le PCF àcesser toute pression revendicative non seulement sur les nationalisations àfaire, mais aussi sur la définition de l’autorité qui devait assumer la gestion des entreprises nationalisées : c’est alors que la revendication des Conseils d’Administrations tripartites, très forte dans « Changer de cap », a disparu de la littérature du PCF. Or, un peu plus tard, ce sont ceux-làque nous avons retrouvé assez solidement installés dans la direction du PCF pour initier, puis pour imposer la politique qui a causé son déclin.
- C’était pourtant depuis toujours, au moins depuis le « Manifeste communiste » de 1848, la caractéristique principale du communisme que de proposer aux peuples travailleurs de confisquer les biens (domaines terriens, mines, usines, banques,...) détenus par les capitalistes.
- A mes yeux, ces deux rappels prouvent que le réformisme de la direction du PCF est comme tout réformisme, incompatible avec une orientation communiste affirmée.
- Or vous déclarez, me semble-t-il, votre volonté d’imprimer au PCF une orientation communiste affirmée : si, comme je le souhaite, vous gardez cette volonté et agissez selon elle, vous allez rompre avec la direction réformiste du PCF. Vous ne me le demandez pas, mais je vous donne tout de même mon conseil fraternel : le plus tôt sera le mieux !
- Justement : vous amorcez cette rupture en rejetant la thèse de la direction réformiste du PCF selon laquelle l’histoire du mouvement communiste au vingtième siècle serait un boulet.
- Vous avez raison : le congrès tenu àTours en décembre 1920 par le Parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière a pris les décisions qu’il fallait prendre dans l’intérêt de la classe ouvrière et de la nation française : rompre avec le réformisme, fonder le parti communiste français pour qu’il soit un parti de classe et de masse revendiquant sans cesse de confisquer les biens des capitalistes ; tous les effets de ces décisions sur la lutte des classes ont été favorables àla classe ouvrière, ànotre peuple et ànotre nation, que ce soit dans la lutte contre le colonialisme, dans le mouvement populaire de 1936, dans la guerre d’Espagne, dans la Résistance, àla Libération...
- Je suis heureux de constater que nous sommes d’accord pour assumer notre histoire, car l’histoire du communisme en France est notre histoire, en recherchant la vérité au moyen de l’exigeante méthode critique matérialiste que mirent en Å“uvre les Soboul, les Soria, les Badia,... pour ne pas parler de Marx et d’Engels...
- C’est vrai : aucun de ceux qui luttent, qu’il soit un travailleur salarié, ou admis au travail àtitre précaire, ou exclu du travail, aucun ne nous reproche d’être communistes : c’est vrai, ils nous disent leur besoin d’un parti qui affronte vraiment Sarkozy et son parti, le PS, le MEDEF et les propriétaires des gros capitaux. Seul, un parti véritablement communiste peut faire cela : là-dessus, je suis d’accord !
- Je dois vous donner une information qui, logiquement, doit intéresser chacun d’entre vous : cet accord, précisément, est la base sur laquelle se sont rassemblés des communistes, dont certains étaient isolés et d’autres étaient membres du PCF, pour relancer le mouvement communiste d’organisation et d’action, dans le but de rendre ànotre peuple le parti véritablement communiste dont il a si grand besoin (j’en étais : après bien des tentatives, qui ont subi des sorts divers, nous avons créé le Pôle pour la Renaissance communiste en France, dont je suis membre).
- Nous avons donc vous et moi, la volonté de continuer la lutte communiste. Mais croyez-vous que les réformistes qui dirigent le PCF aient aussi cette volonté ? Quant àmoi, je ne le crois pas, et je ne suis pas seul de cet avis : le reproche qu’adressent les travailleurs au PCF et que vous entendez, c’est justement de ne pas vouloir de cette lutte ! Pour moi, la chose est claire : dans l’intérêt de la lutte de classe des travailleurs exploités, il faut rompre avec les réformistes qui dirigent le PCF !
- En 2008, je souhaite que nous fassions notre jonction sur le champ des luttes, parmi les travailleurs et contre l’exploitation capitaliste. Y parviendrons-nous ?
- Vous vous refusez àfaire disparaître le PCF.
- Nous, nous voulons rendre au peuple de France le véritable parti communiste qui lui fait si cruellement défaut.
- Nos objectifs ne sont pas forcément incompatibles : nous pouvons converger, et tant mieux si vous êtes majoritaires dans le PCF !
- Mais je veux dire quelques mots des tâches que vous vous assignez pour atteindre votre objectif.
- Vous voulez exprimer dans les luttes et les élections des positions communistes indépendantes clairement identifiables.
- En bonne logique, je comprends que de telles positions se placent « dans une orientation communiste affirmée ».
- Concrètement, cela implique :

  • la revendication de prélever sur les profits pour augmenter les salaires et les effectifs des travailleurs, diminuer la durée de la journée de travail, supprimer le travail précaire et le chômage ;
  • la revendication de nationaliser (ou de socialiser, c’est réellement la même chose) les banques, les commerces, les industries, les mines, les domaines terriens qui appartiennent aux propriétaires de gros capitaux, de telle manière que désormais, les travailleurs que ces entreprises exploitent et les autres membres de notre peuple, devenus collectivement les propriétaires de ces objets, en déterminent la gestion, ce qui réalisera pour la première fois en France la démocratie dans la vie de ces entreprises et dans l’économie.

- Il faut constater que lorsque les réformistes ont pris la direction du PCF, ils lui ont fait tourner le dos àces revendications ; cela doit nous convaincre que l’expression de positions communistes clairement identifiables constitue un acte de rupture avec le réformisme ; il est tout-à-fait nécessaire d’accomplir cet acte, j’en suis bien d’accord.
- Cette tâche pose un autre problème : dans quel sens faut-il comprendre le mot « indépendant » ? L’idéologie bourgeoise, qui nous domine tous, tend àle faire employer comme si l’indépendance pouvait exister dans l’absolu, comme si l’être humain individuel pouvait exister sans entretenir aucune relation avec la collectivité de ses semblables : c’est un piège ; si nous y tombions, nous parlerions pour ne rien dire !
- Quant àmoi, je pense et j’explique autour de moi que des positions communistes doivent être :

  • indépendantes de la bourgeoisie, sauf qu’il faut affronter la bourgeoisie sur le terrain politique et la vaincre ;
  • indépendantes des partis du centre, de la droite, de l’extrême droite, des partis socio-démocrates et de quelques autres, sauf qu’il faut dénoncer et combattre leur malfaisance et le service politique qu’ils apportent àla bourgeoisie capitaliste.
  • Mais il n’est pas acceptable que l’on déclare le parti communiste indépendant de la classe ouvrière, ou des travailleurs prolétaires (ceux qui ne possèdent ni moyen de produire, ni ressource àtransformer en richesse ou en bien de consommation) qu’ils soient salariés ou précaires, ou des autres travailleurs exploités (artisans, paysans, car il en reste encore quelques-uns), ou des chômeurs : au contraire, le parti communiste est le parti de la lutte contre l’exploitation, conduite jusqu’àfaire cesser l’exploitation de masses humaines par la minorité riche ; pour cette raison, le parti communiste appartient aux prolétaires et aux autres exploités qui s’allient avec eux dans la lutte de classes contre l’exploitation capitaliste : il dépend d’eux, et d’eux seulement.

- Cette liaison vitale, essentielle que le parti communiste maintenait avec constance et fidélité depuis sa fondation, la direction réformiste l’a rompue : cela lui a permis d’amarrer le PCF au PS et de permettre àcertains de ses dirigeants de se mettre carrément au service du grand capital dans les ministères.
- Il faut rompre avec la direction réformiste du PCF parce que la liaison essentielle du parti communiste est incompatible avec le réformisme.
- Chers camarades : avez-vous noté ce qui s’est passé dans le bassin minier du Pas de Calais, lors des élections municipales de cette année ? Les candidats présentés par le Pôle de Renaissance communiste en France ont renoué le lien communiste vital en montrant bien que le communisme n’est pas réformiste : c’est une raison importante du succès qu’ils ont remporté !
- Vous voulez aussi consolider et reconstituer des organisations de base, cellules et sections, notamment àl’entreprise.
- Cette tâche vous confrontera avec les statuts actuels du PCF, et plus précisément avec son processus financier : en effet, depuis l’an 2000, les cotisations au PCF ne sont plus encaissées par les cellules, mais par une association de financement du PCF, et avec cet argent, cette association finance les activités de la base du parti au gré de sa direction : le principe est que pour recevoir une partie des cotisations de ses membres, chaque cellule doit définir un projet d’activité agréé par la direction du parti.
- Croyez-vous que la direction réformiste du PCF tolèrera l’existence de cellules communistes dans ce parti qu’elle veut entièrement réformiste ?
- Non, elle ne laissera pas faire, et précisément, elle a institué le nouveau processus financier pour se donner les moyens de mettre fin àtoutes les cellules communistes dans le PCF !
- Il faut rompre avec la direction réformiste du PCF et concrètement, cela signifie qu’il faut dès àprésent poser en principe que les futures cellules communistes perçoivent elles-mêmes les cotisations de leurs membres et qu’elles gardent la part qui leur revient pour les besoins de leur activité, par devers elles, sans la remettre entre les mains de la direction.
- Vous voulez encore remobiliser les isolés et l’adhésion au PCF sur une base de lutte.
- Vous avez encore raison, parce que le lien essentiel qui unissait depuis le congrès de Tours les membres du parti communiste aux travailleurs s’éprouvait, se renforçait, se trempait dans les luttes, parce que la direction réformiste du PCF a rompu ce lien, et parce qu’elle maintient aujourd’hui cette rupture : c’est un fait, que pour replacer sur une base de lutte l’adhésion au parti communiste, il faut rompre avec la direction réformiste du PCF.
- Remobiliser les isolés : qui sont-ils ? Ce sont des milliers de communistes autrefois membres du parti communiste français ; ils ont été poussés hors du PCF contre leur gré, parfois violemment, et ils ont pourtant, presque toujours, veillé àne pas faire de vagues.
- Ceux qui les ont poussés dehors avaient le réformisme pour motivation majeure, mais l’ont longtemps soigneusement caché. Nous les avons retrouvés ensuite aux postes-clés de la préparation de la mutation, puis de la mutation elle-même, et ce sont encore eux qui dirigent le PCF aujourd’hui.
- Ces réformistes criaient haro sur les communistes qu’ils avaient acculés aux marges du parti ; ils allaient jusqu’àdéverser sur eux des torrents de calomnies sans nom, afin de couper tous les liens d’amitié que des camarades restés dans le parti auraient pu conserver avec eux.
- Chaque communiste victime de ces manÅ“uvres en garde des cicatrices souvent encore douloureuses, àcause desquelles il est vain d’attendre de leur part un geste de réadhésion au PCF, du moins aussi longtemps que les réformistes en garderont la direction : ils savent qu’une organisation àdirection réformiste ne peut être communiste ; il faut respecter ces camarades qui refusent de faire allégeance au réformisme.
- En vérité, tenter de relancer sur une base de lutte l’adhésion au PCF sans rompre avec sa direction réformiste conduirait àsceller pour longtemps la division des communistes : qui peut croire que cela pourrait faire progresser le communisme ?
- Les camarades que les magouilles réformistes ont isolés du parti reprendront leur place dans une organisation communiste quand ils la reconnaîtront : le problème est donc de relancer un véritable mouvement communiste d’organisation en fondant cette relance sur la recherche de l’unité des communistes qui ne peut avoir lieu que contre le réformisme de la direction du PCF : il faut pour cela rompre avec la direction réformiste du PCF.
- Enfin, vous voulez relancer la théorie révolutionnaire du PCF, la critique marxiste du capitalisme et dans le même moment, relancer la formation politique des militants.
- Làencore, c’est contre la direction réformiste du PCF que vous avez raison : c’est elle qui a mis fin en effet àtoute élaboration théorique révolutionnaire dans le PCF, ainsi qu’àla formation politique des militants (que nous appelions « Ã©ducation communiste ») : c’est encore une raison qui pousse àreconnaître que celui qui veut relancer ces processus doit rompre avec la direction réformiste du PCF.
- Mais examinons la situation d’un peu plus près : je rappelle qu’en faisant cesser la critique et l’élaboration révolutionnaire (marxistes), ceux qui préparaient, puis mettaient en Å“uvre la mutation du PCF n’en ont pas seulement éloigné de nombreux communistes : ils ont aussi créé les conditions d’une rupture définitive par laquelle le PCF se détournait d’eux, ce qui affermissait leur pouvoir de le diriger.
- Nous pouvons observer aujourd’hui le résultat de ces magouilles réformistes : la carence du PCF est totale en matière de théorie et de critique. L’effectif de ceux de ses membres qui ont l’expérience d’une pratique militante de haut niveau théorique est tombé très en-dessous du minimum nécessaire pour relancer l’activité critique et théorique du PCF dans une orientation communiste affirmée, et les théories que développent et publient les membres de la direction du PCF ne sont pas communistes, mais réformistes.
- Il suit de làque réaliser cette relance dans le PCF sans la relier aux travaux communistes de critique et de théorie produits hors du PCF reviendrait àfaire reculer les membres communistes du PCF sur le champ de la théorie de trente ans au moins.
- L’obstacle qui s’oppose àla relance du travail théorique dans le PCF est ainsi construit :
- La direction s’y oppose sans concession parce qu’elle est réformiste ; la plupart des communistes qui ont maintenu leur pratique militante àun haut niveau théorique avaient été poussés hors du PCF par la mutation, et la direction réformiste du PCF a mis le parti dans l’impossibilité de bénéficier de leurs travaux.
- Or, ces travaux ne sont pas négligeables : ils ont contribué en effet, ici ou là, àun début de reprise du mouvement communiste d’organisation : je cite le pôle de renaissance communiste en France (PRCF) parce que c’est l’exemple que je connais le mieux, et auquel je participe.
- Pour relancer véritablement et avec quelque chance de succès le travail théorique et critique communiste en France, il ne suffit donc pas de rompre avec la direction réformiste du PCF : il faut aussi revenir àl’unité des communistes, et faire en sorte que ce retour produise deux effets simultanés et corrélés, appuyés l’un sur l’autre : la relance du travail critique et théorique communiste et la reprise du mouvement communiste d’organisation. Il faut que tous les communistes, membres ou non membres du PCF, prennent en compte tous les travaux communistes réalisés depuis qu’a commencé la préparation de la mutation, que ce soit hors du PCF ou dans le PCF : je crois que les premiers pas d’un processus de reconstitution de l’unité des communistes créeraient un contexte favorable pour engager la relance du travail théorique et critique communiste au niveau qui permettra au mouvement communiste d’organisation de faire face aux nécessités d’aujourd’hui.
- Je pense que c’est indispensable : la relance du travail théorique communiste n’ira pas sans la reprise d’un mouvement unitaire d’organisation communiste conçu de telle manière que les communistes se rencontrent sur le champ des luttes manifestant la contradiction essentielle de notre société, qui est la lutte des classes, et s’unissent dans la prise du parti ouvrier pour mettre fin àl’exploitation capitaliste.
- Pour conclure ce courrier, je veux attirer votre attention sur une lettre que certains d’entre vous ont reçue de notre camarade Georges Hage. Par cette lettre, la Confédération d’Action communiste (CAC), àlaquelle adhère le PRCF, propose àtous les communistes d’accomplir une démarche commune pour mettre devant leurs responsabilités toutes les organisations qui ont appelé àvoter NON le 29 mai 2007, en leur proposant d’organiser une grande manifestation nationale afin que s’exprime l’aspiration des travailleurs àune lutte de masse cohérente contre l’ensemble de la politique de Sarkozy, du MEDEF et de l’Union européenne.
- Je soutiens cet appel de la Confédération d’Action communiste parce que je considère que l’accomplissement d’une telle démarche par les communistes a de bonnes chances d’initier une suite de rencontres de lutte au cours desquelles pourra renaître un mouvement pratique et théorique d’organisation et d’action qui mobilisera tous les communistes et appellera l’adhésion d’autres travailleurs qui deviendront bientôt autant de nouveaux militants.
- Ces raisons font que je souhaite sincèrement que vous participiez àla démarche proposée par la Confédération d’Action communiste.

Troisième lettre : sur la politique internationale

- 15 mai 2008, àDanièle Bleitrach
- Je viens de prendre connaissance des propositions pour une nouvelle politique internationale des communistes français que tu m’as adressées en même temps qu’àd’autres correspondants.
- Discuter entre communistes indépendamment de leur éventuelle adhésion au PCF ou àtel ou tel groupe de communistes est la démarche que j’ai adoptée depuis presque vingt ans ; elle est nécessaire pour une seule raison : les communistes inorganisés, n’adhérant ni au PCF ni àun autre groupe de communistes, se situant comme nous disons depuis fort longtemps « dans la nature », sont aujourd’hui plus nombreux que la réunion des communistes membres du PCF ou des autres groupes de communistes : tel est le résultat le plus clair de l’emprise croissante des réformistes, puis de leur prise du pouvoir, sur le PCF, et de la politique de mutation qu’ils lui ont imposée. Nous devons donc discuter entre communistes ; mais pour mettre les communistes en capacité d’intervenir dans cette discussion, il nous faut discuter publiquement. Donc, discutons : aujourd’hui, je vais te dire comment je réagis àtes propositions.
- Premier point : tu proposes trois critères pour établir notre politique propre (la politique des communistes français) : les intérêts des couches populaires françaises, notre indépendance nationale et la revendication d’un ordre international plus juste et respectueux des souverainetés. Je relève ici deux faiblesses :

  • D’abord, tu ne définis nulle part le mot peuple et ne discutes pas de son sens : or, ceux qui préparaient la mutation du PCF ont beaucoup fait pour que les communistes cessent d’employer ce mot ; ils faisaient mine de ne pas le comprendre, et prétendaient qu’il était sans relations avec la lutte des classes... Ils ont ainsi créé la situation actuelle qui interdit aux membres du PCF de discuter de ce qu’est le peuple, de préciser quelle sont les places relatives du peuple et de la classe ouvrière, du peuple et de la nation, de la classe ouvrière et de la nation ; nous voyons aujourd’hui que le résultat n’est pas brillant : entre autres exemples, la direction du PCF est impuissante devant la publication récente de livres de prétendus historiens qui reprennent certaines thèses nazies sur les pendus de Tulle alors que ces thèses ont été démenties et réfutées par toutes les recherches historiques documentées !
  • Ensuite, tu emploies le mot de souveraineté comme s’il n’avait pas besoin de précision ; tu ne dis pas quelle est la souveraineté que respectera l’ordre international que nous revendiquons : est-ce la souveraineté féodale, la souveraineté aristocratique, la souveraineté religieuse (c’est ce dernier cas que nous pose aujourd’hui la campagne d’agitation publique qui a pris pour objet le Tibet), ou la souveraineté nationale ? Cette insuffisance expose ton texte aux manipulations réactionnaires.

- Mon avis est que nous devons au moins éclaircir les choses en disant qu’un ordre international juste est celui qui respecte la souveraineté nationale et elle seule, et qu’il en est ainsi parce que la souveraineté nationale appartient au peuple, parce que les travailleurs occupent dans le peuple une place et des fonctions détrerminantes et parce que la justice exige que les puissants lui soient soumis.
- Oui, il faut interdire àceux qui se disent communistes de défendre àl’étranger les classes exploiteuses contre les travailleurs et contre les peuples qu’elles exploitent, même lorsque l’exploitation se couvre des oripeaux de la religion !
- Deuxième point : tu as raison de montrer la nécessité de rompre avec la politique atlantiste commune au PS, àla LCR et aux autres trotskistes, et tu fais bien de dénoncer la haine de Cuba et de la Chine qui anime cette politique : mais pourquoi ne pas constater que cette haine est véritablement une haine de classe qui frappe tout ce qui est le socialisme ou un fragment du socialisme ?
- C’est vrai ; il te faudrait alors montrer les ambiguïtés des évolutions de la société chinoise et celles de la politique antichinoise, et pour cela analyser les positions qu’occupent en Chine socialisme et capitalisme.
- Mais justement, je suis surpris que tu écartes cette question : est-ce que selon toi le respect des souverainetés justifie qu’elle soit écartée ? Ce serait tomber dans le piège qui consiste dans le fait de ne pas définir quelle souveraineté nous défendons : défendre en Chine cette souveraineté variable reviendrait (revient ?) àprendre le parti de la bourgeoisie chinoise si celle-ci parvenait (mais n’y parvient-elle pas ?) àprendre en Chine la totalité des pouvoir de gouverner ! Pouvons-nous accepter que le respect de la souveraineté nous conduise àrenoncer de la sorte àla solidarité internationaliste ? Je dis que non, et c’est pour moi une raison de plus d’exclure du champ de mes principes toute autre souveraineté que la souveraineté nationale.
- Troisième point : tout cela me conduit àsouligner une lacune de ton texte que j’estime essentielle : la lutte des classes en est absente, alors qu’elle est la réalité essentielle de (presque) toutes les sociétés du monde, et que la politique communiste consiste précisément àprendre le parti ouvrier dans les luttes de classes.
- La seule lutte de classes que tu mentionnes est celle créée au Népal et en Chine par l’existence d’une hiérarchie féodale et par l’existence de castes. Pour le reste du monde, tu ne mentionnes que l’exploitation, qui n’est que l’un des processus constituants de la lutte des classes (il est vrai qu’il domine). Mais la lutte contre l’exploitation est absente de ton analyse : pour cette raison, l’exploitation n’est pas un argument de ton développement, mais seulement une mention. Or, si la lutte des classes oppose et en même temps unit la classe ouvrière àla bourgeoisie (àla façon dont l’équitation unit le cheval àson cavalier), c’est parce qu’elle est composée de deux processus corrélés : l’exploitation et la lutte contre l’exploitation.
- C’est làune grave faiblesse de ton texte : peut-on comprendre en effet où sont les intérêts populaires, peut-on comprendre où sont les intérêts des nations sans faire l’analyse de la lutte des classes pays par pays ? Et si nous ne comprenons pas où sont les intérêts populaires et les intérêts nationaux, comment pouvons-nous espérer penser et suivre la réalité du développement des luttes libératrices, l’engagement des combats libérateurs ? Nous ne le pourrions pas !
- Faute d’avoir analysé concrètement les luttes des classes dont les Etats-unis d’Amérique sont le théâtre, tu ne vois pas qu’il faut reprendre l’habitude de distinguer dans chaque pays, dont le nôtre, le peuple du gouvernement, comme nous le faisions autrefois, en les mettant àpart l’un de l’autre dans nos analyses : cette distinction nous permettait de voir les intérêts de notre peuple en politique internationale et c’est grâce àelle que nous avons pu penser et réaliser, entre autres, le grand mouvement que fut, dans l’après-guerre de 1939-1945, le Mouvement de la Paix.
- Faute d’avoir analysé concrètement les luttes des classes, tu fais de la Chine, de l’Inde et du Brésil trois corps dont l’émergence actuelle serait essentiellement libératrice, sans voir que leur émergence même est diversement liée àl’action en leur sein des bourgeoisies en voie de mondialisation, qui investissent de très gros moyens pour contrôler ces sociétés, pour élargir et renforcer le prélèvement du profit sur l’ensemble du travail qui y est fait, c’est-à-dire pour appliquer l’exploitation capitaliste àl’ensemble du travail chinois.
- Que ce soit sur l’Inde, sur la Chine ou sur le Brésil, comment pourrions-nous accepter le développement de la mainmise capitaliste, alors que nous avons sous les yeux la misère que cette mainmise impose àleurs peuples ? Cette misère est souvent, notamment en Chine, pire que celle que décrit Zola !... Que les capitalistes qui encaissent les profits prélevés sur ces pays aient la peau blanche, noire ou jaune n’a rigoureusement ici aucune espèce d’importance !
- Faute d’avoir analysé concrètement les luttes des classes, tu restes muette sur les significations des attitudes différentes adoptées aujourd’hui par les gouvernements bolivien, brésilien, colombien, équatorien et vénézuélien, alors que ces différences sont autant de résultats des différences concrètes que présentent entre elles les luttes des classes de ces pays : pouvons-nous permettre que l’on délivre un certificat de bonne conduite au racisme, au fascisme paramilitaire qui, aujourd’hui, gouverne la Colombie ?
- Faute d’analyser concrètement les luttes des classes, tu crois que la propriété étatique transforme le capitalisme : mais les soixante dernières années écoulées de l’histoire économique de la France te démentent sévèrement sur ce point ; sois un peu logique : dans une propriété collective dominée par l’Etat bourgeois, qui détient le pouvoir ? Le profit cesse-t-il d’exister ? Et lorsqu’un plan encadre la gestion de cette propriété, fait-il obstacle au prélèvement du profit par les propriétaires du capital ?
- Sur toutes ces questions, l’expérience française est claire : seules les nationalisations opérées de 1945 à1947 ont diminué la domination de la bourgeoisie et le prélèvement du profit, mais ce ne fut pas grâce àla domination de l’Etat : ce fut grâce àun développement de la démocratie, qui a eu lieu dans tout le pays et qui a introduit, souvent au prix de dures luttes, un peu de République dans les entreprises nationalisées : ce progrès de la République et de la démocratie était consécutif àla victoire de la Résistance sur les forces de la collaboration avec l’occupant nazi-fasciste ; c’est l’élan libérateur de la Résistance populaire qui l’a réalisé contre la puissance qui était encore celle de l’Etat bourgeois après la défaite du pétainisme !
- Comparées aux nationalisations de la Libération, les « nationalisations » opérées après mai 1981 ne furent pas réellement des nationalisations, mais de simples étatisations ; la gestion capitaliste n’a nullement été limitée ni mise en cause dans ces entreprises, et les capitalistes ont continué d’y prélever le profit, prenant seulement parfois la précaution de changer la méthode du prélèvement ; quelques temps après, la privatisation de ces entreprises étatisées fut singulièrement facile, surtout comparée àcelle des entreprises nationalisées lors de la Libération.
- Nous voyons aujourd’hui que la gestion capitaliste de cette propriété àforme collective dominée par l’Etat a conduit aux privatisations, contribuant aux fermetures, aux restructurations, aux redéploiements, aux délocalisations, ..., àla désertification du pays français !
- Non ! Sauf exception, ce ne sont pas les Etats qui disputent aux multinationales les ressources énergétiques : ce sont les capitalistes qui se disputent ces ressources, et dans cette dispute de vautours, chacun emploie tous les moyens àsa disposition, les siens propres et ceux des Etats qu’il domine !
- Les exceptions, ce sont Cuba, grâce àla Révolution socialiste, le Vénézuéla, grâce àl’intervention bolivarienne des masses, lesquelles portent, aujourd’hui explicitement, une revendication de socialisme, et il semble bien que la Bolivie, animée par un mouvement analogue de ses masses populaires, suive de près. Pour ce qui est de la Chine, je ne peux vraiment pas dire aujourd’hui si elle fait partie des exceptions.
- Quant aux multinationales, la concurrence et les dominations intra-capitalistes les remodèlent au fur et àmesure du développement de la mondialisation, qui n’est rien d’autre que leur domination sur le monde : les présenter comme une référence durablement stable de l’économie mondiale est une faute. Ce qui est stable, aujourd’hui, c’est la domination qu’exercent leurs propriétaires sur le monde et notamment sur les Etats qu’elles dominent : mais la physionomie des multinationales, les formes de leur domination sur les Etats et leurs puissances relatives évoluent sans cesse !
- En somme, je pense que les propositions que tu fais sont très en-dessous de ce dont les communistes ont besoin.
- Pour conclure, je veux dire que les idées que j’ai exposées ci-dessus sont mes idées, et ne sont pas une ligne politique délibérée et arrêtée. Je les ai déjàexposées, sous d’autres formes et àdiverses occasions, dans le Pôle de Renaissance communiste en France, dont je suis membre. Je t’en fais part comme j’en fais part àd’autres communistes, parce que le PRCF n’est pas la chambre close àlaquelle ses membres devraient réserver leurs discussions.
- Mes idées sont donc en discussion avec celles des autres membres du PRCF, mais en même temps, nous entendons participer de plein droit et avec toute notre voix aux discussions des communistes, afin de contribuer àrendre ànotre peuple le véritable parti communiste qui lui manque aujourd’hui cruellement.
- Dans cet esprit, j’attire ton attention sur l’initiative prise par la Confédération d’Action communiste (CAC), formée àl’appel de notre camarade Georges Hage et àlaquelle adhère le PRCF, de proposer àtous les communistes d’accomplir une démarche commune pour mettre devant leurs responsabilités toutes les organisations qui ont appelé àvoter NON le 29 mai 2007, en leur proposant d’organiser une grande manifestation nationale afin que s’exprime l’aspiration des travailleurs àune lutte de masse cohérente contre l’ensemble de la politique de Sarkozy, du MEDEF et de l’Union européenne.
- Je soutiens cette initiative et je t’appelle, ainsi que tous les lecteurs de ce texte, àcontribuer àson succès.

Quatrième lettre : pour relancer la discussion des communistes

- 8 juin 2008, àun communiste qui croit encore devoir suivre la direction du PCF
- Depuis maintenant un demi-siècle, je participe consciemment au communisme dans notre pays. C’est dans le parti communiste français que je t’ai rencontré, et nous avons vécu ensemble bien des moments de son histoire.
- Mais voilà: depuis trop longtemps, la discussion entre nous piétine.
- Le contenu de l’Assemblée générale tenue par le PCF en décembre 2007, les élections du printemps 2008 et la perspective du congrès de décembre 2008 me conduisent àm’adresser àtoi encore une fois. Il s’agit pour moi de tenter, encore une fois, de sortir notre discussion du piétinement. Je le fais en mon nom personnel et àmon initiative ; sache pourtant je ne suis pas le seul communiste de mon avis.
- Le fait est que nous sommes quelques communistes àne pas supporter que la direction du PCF impose àce parti une politique réformiste tout en lui maintenant le nom de communiste.
- Quelques communistes, oui, mais les élections municipales de ce printemps ont montré, dans le Pas de Calais, que notre groupe de militants n’est plus négligeable : j’y vois un signe de ce que les résultats désastreux qui sont ceux du PCF depuis des années ont quelque lien avec le piétinement de notre discussion.
- Ce n’est pas la première fois que je tente d’en sortir : le fait est que tu as rejeté toutes mes autres tentatives, presque toujours en me reprochant d’attaquer la direction du PCF comme si le patronat capitaliste n’était plus mon ennemi.
- Je m’interroge sur cet emploi du mot attaquer. J’ai toujours regretté que tu ne me dises jamais en quoi consistait ce que tu appelais des « attaques » : cela n’a jamais rien eu d’évident, car les propos que tu désignais de ce mot n’étaient rien d’autre que des informations et des raisonnements par lesquels je démontrais que le réformisme avait pris une place de plus en plus grande, jusqu’àdevenir le caractère dominant, puis exclusif de la politique du PCF ; aujourd’hui, ces informations et ces raisonnements démontrent, selon moi, que la direction du PCF elle-même est réformiste.
- Dans le parti communiste, j’ai appris àécouter les informations, les raisonnements, les arguments, et j’ai appris àdiscuter en confrontant les arguments ; je te rappelle que de cette manière, nos discussions nous permettaient autrefois de poser ensemble les bonnes questions, d’approcher de la vérité, et parfois, ce n’était pas vraiment rare, de la faire éclater.
- Et puis une période est venue où je mettais en cause les mauvais aspects, les aspects réformistes qui encombraient déjàla politique du parti : je le faisais en continuant les discussions que nous avions eues auparavant, dans le même esprit ; mais toi, tu qualifiais d’« attaques » les propos que je tenais : de cette manière, tu te débarrassais des faits et des arguments que je te présentais : en fait, tu t’interdisais d’en prendre connaissance. Etait-ce pour t’épargner l’effort d’y répondre ? Je connais bien mes arguments, mes raisonnements et les faits sur lesquels je les fonde : tu m’as donné àpenser que tu redoutais d’apprendre ce que l’effort de discuter t’aurait appris. Je n’ai jamais compris ton refus de discuter, et je ne le comprends toujours pas !...
- Â« Attaquer », ce terme militaire désigne une manière d’engager un combat : nous savons que la guerre est un moment de la vie des sociétés au cours duquel la force prime toute espèce de droit : faire la guerre, c’est, pour l’agresseur, renier le droit en cessant d’écouter les arguments de l’autre, et pour le défenseur, constater que le droit ne vaut plus, les deux concluant àla confrontation violente de leurs forces.
- En m’accusant, en nous accusant d’attaquer la direction du PCF, tu rejettes sur nous la responsabilité d’avoir arrêté la discussion : il m’en reste l’évidence de l’injustice de ce jugement que vous portez sur nous, toi et les autres communistes qui suivez la direction du PCF.
- Il m’en reste aussi quelques questions auxquelles tu n’as jamais répondu, auxquelles tu ne me répondras peut-être pas avant longtemps, mais auxquelles tu ne pourras pas éviter de répondre en conscience :

  • Crois-tu vraiment qu’il n’y a rien de vrai dans notre démonstration que la direction du PCF est réformiste ?
  • Crois-tu vraiment qu’un parti communiste puisse être réformiste ?
  • Crois-tu vraiment qu’un parti réformiste puisse contribuer àabolir l’exploitation capitaliste des travailleurs ?
  • Crois-tu vraiment qu’un parti communiste qui borne sa politique de telle manière qu’elle s’inscrit dans le réformisme, en évitant toujours de mettre en cause la propriété privée du capital et l’appropriation privative du profit, crois-tu vraiment que ce parti puisse rester communiste ?

- Ce sont les évolutions que connaît le PCF depuis trois ou quatre décennies qui posent ces questions ; pour jalonner ces évolutions, je mentionnerai les évènements suivants :

  • quelques mois après le mouvement populaire de mai et juin 1968, la direction du PCF se ralliait aux « revendications qualitatives », ce qui affaiblit considérablement la revendication de meilleurs salaires, jusqu’alors première revendication du syndicalisme révolutionnaire (la CGT) en France ;
  • dès le lendemain de l’élection présidentielle de 1981, elle renonçait àla revendication d’exproprier les capitalistes, acceptant que les socialistes, qui dominaient largement le gouvernement, réduisent les nationalisations promises àde simples étatisations ;
  • depuis plus longtemps encore, elle a déserté la lutte quotidienne pour la laïcité et la démocratie en France ;
    dans la ligne de cette désertion, elle oublie de rappeler àpropos du Tibet que la théocratie est incompatible avec l’exercice des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
  • àpropos de Cuba et des mouvements progressistes qui animent plusieurs peuples de différentes parties du monde, elle renonce àproduire une politique communiste, et se satisfait de suivre le consensus réactionnaire de la bourgeoisie « de centre-gauche » ;
  • elle a rompu toutes les relations qu’entretenait autrefois le parti communiste français avec les autres partis communistes, renonçant ainsi àl’internationalisme et isolant le PCF des luttes progressistes mondiales.

- Chacun de ces évènements est un pas fait par le PCF dans le réformisme. Que lui reste-t-il aujourd’hui de révolutionnaire ? Rien d’essentiel en tous cas !
- C’est cette histoire qui m’apporte la preuve qu’aujourd’hui, la direction du PCF est réformiste.
- C’est pour son réformisme que je la condamne. Est-ce que cette condamnation de la direction condamne chacun de ses membres ? Non : je reconnais l’existence possible, d’ailleurs fréquente, de différences, en général variables, entre les positions individuelles des membres d’un collectif dirigeant et les décisions que prend ce collectif pour remplir sa mission de direction.
- Mais peut-on imaginer qu’un révolutionnaire reste longtemps membre de la direction du parti si cette direction oriente le parti dans le réformisme et l’y maintient ? La part de l’individu dans une direction collective est grande, mais ne va pas jusque là!
- Tu fais une différence entre Marie-George Buffet et les autres membres de la direction actuelle du PCF, et cette différence te fait espérer que les communistes qui sont actuellement « dans la nature » vont bientôt reprendre leur carte du PCF : il est vrai que depuis plusieurs mois, Marie-George Buffet s’attache àcomposer ses discours avec davantage de mots et d’idées qui nous semblent propres au communisme.
- Mais elle n’a pas annoncé la moindre volonté d’engager la lutte contre le réformisme ; mais encore, elle ne fait rien pour renouer avec l’internationalisme communiste, elle reste fidèle au parti de la Gauche européenne, qui est statutairement un parti réformiste droitier, et elle reste fidèle àl’Union européenne, qui est une construction capitaliste et ne peut être autre chose ; que peut signifier qu’elle a accepté de suivre Sarkozy au Liban ? Ce chef de l’Etat bourgeois est imbu d’un racisme d’Ancien Régime, c’est le plus raciste que nous ayons eu depuis Philippe Pétain ! Comment croire que ce voyage de Marie-George Buffet dans les bagages du chef de l’état bourgeois pourrait avoir la plus petite chance de contribuer au progrès d’une solution aux problèmes du Liban qui serait juste et équitable, démocratique et cohérente avec la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen ?... Non : quand Marie-George Buffet suit Sarkozy, c’est Sarkozy qui utilise la principale dirigeante du PCF au service de la politique réactionnaire par laquelle il prolonge le colonialisme et le néo-colonialisme en un axe principal de la mondialisation.
- En vérité, Marie-George Buffet ne pourra pas participer àla future organisation communiste si elle ne fait pas sur elle-même un très gros travail pour rompre avec tout ce que le réformisme a fait d’elle, et pour replacer dans l’essence de sa politique les deux revendications principales du mouvement ouvrier communiste : la revendication de salaires qui permettent aux salariés de vivre dignement, et celle d’exproprier les domaines terriens, les mines, les usines, les maisons de commerce et les banques appartenant àla bourgeoisie capitaliste, et de les soumettre àun régime social (ou national, c’est la même chose) de propriété tel que chaque travailleur aujourd’hui prolétaire participera concrètement àl’exercice de la propriété sur ces biens : je ne sais pas si Marie-George Buffet le veut, et je doute qu’elle en soit capable ; mais si elle le fait, j’aurai plaisir àle constater !...
- Voilàles arguments principaux et essentiels que j’oppose àla direction du PCF. Je m’étonne qu’ils puissent te donner l’impression, comme tu me l’as dit, que j’ai changé d’ennemi, que pour combattre le réformisme dans le PCF, je ne combats plus le patronat capitaliste.
- Je dois te rappeler un proverbe qui décrit très bien la logique élémentaire de l’amitié et de l’inimitié : il tient en quatre propositions : les amis de nos amis sont nos amis ; les amis de nos ennemis sont nos ennemis ; les ennemis de nos amis sont nos ennemis ; les ennemis de nos ennemis sont nos amis !
- Comment pourrions-nous combattre le patronat capitaliste si nous ne combattons pas en même temps ceux qui le servent ? Car la politique réformiste du PCF fait bien plus que de retirer le parti de la lutte contre le capitalisme : la politique réformiste consiste àaménager le capitalisme : l’aménager, cela lui permet de fonctionner encore ou de fonctionner un peu mieux, c’est-à-dire de prélever encore un peu plus de profit ; mais les travailleurs, ont-ils intérêt àde tels aménagements, qui les épuisent en les appauvrissant encore, et qui obscurcissent la perspective de la révolution ? Non, n’est-ce pas ? La direction du PCF, devenant réformiste, s’est faite la servante de la bourgeoisie capitaliste, et àplusieurs occasions, nous l’avons vue entraver le développement des luttes revendicatives les plus évidemment légitimes : peut-on combattre le système capitaliste sans combattre cette servante avec les autres valets et avec les maîtres ?
- Oui c’est vrai, d’autres communistes et moi-même, nous combattons le réformisme au sein du PCF, et pour cela, nous combattons la direction, devenue réformiste, du PCF : c’est une partie nécessaire de la lutte révolutionnaire pour abolir le capitalisme. Je te rappelle que lorsqu’elle a viré réformiste, la direction du PCF nous a imposé de cesser de revendiquer l’abolition du capitalisme : elle venait de découvrir qu’il suffit au réformisme de se proposer de le dépasser...
- Non, ni moi, ni les autres camarades qui nous efforçons de rendre ànotre peuple un véritable parti communiste n’avons cessé de combattre le système capitaliste d’exploitation de l’être humain par les plus riches !
- Je me pose une question, et c’est elle qui me fait t’écrire cette lettre : qu’est-ce qui nous sépare encore, qu’est-ce qui fait encore obstacle ànotre discussion ?
- En répondant l’autre jour au rappel que je faisais de la nécessité de la révolution, tu m’as dit que le monde avait changé, qu’il fallait en tenir compte, et tu me l’as dit comme si mes arguments ne tenaient pas compte des changements du monde !
- Mais crois-tu que les changements du monde aient rendu ou soient en train de rendre la révolution sans objet ? Il faudrait pour cela que le capitalisme change de telle manière que désormais, il assure une alimentation suffisante, saine et équilibrée, un habitat salubre et des habits bien conçus, bien coupés et protecteurs àchacun des habitants de notre planète, et qu’il cesse de limiter, d’encadrer et d’orienter leur accès àla culture : mais pour cela, il faudrait qu’il diminue la part de la plus-value du travail dont il fait son profit !
- Où as-tu observé de telles évolutions du système économico-politique qu’est le capitalisme ? Il n’y en a pas ! Ce qui change depuis toujours dans le capitalisme, c’est qu’il approfondit l’exploitation de l’être humain par les plus riches membres des classes bourgeoises, qu’il la perfectionne et qu’il l’étend jusqu’àla mondialiser aujourd’hui. Nous en voyons tous les jours les preuves concrètes et matérielles dans la misère àchaque heure plus profonde et plus étendue, et dans le refus populaire de la misère qui se radicalise en maints endroits pour devenir une lutte politique que les membres des classes pauvres engagent tant bien que mal contre l’empire capitaliste.
- Est-ce parce que nous maintenons notre parti pris pour ces luttes populaires contre l’exploitation capitaliste que tu crois voir en nous des soldats obéïssants et obstinés, campés droits dans leurs bottes et si bien tenus par le garde-à-vous qu’ils ne bougent même pas le petit doigt ? Et bien je te le dis, nous réfutons cette caricature absurde.
- Nous la réfutons d’abord parce que les exploités, où qu’ils soient dans le monde, n’ont rien àfaire de tels soldats !
- Nous la réfutons ensuite parce que cette caricature a été dessinée par la bourgeoisie et diffusée dans la presse àses ordres, et que si tu me l’opposes aujourd’hui, c’est parce que les réformistes l’ont reprise et en ont fait un argument au service de leur prise de pouvoir sur le PCF.
- Nous la réfutons encore parce que chaque jour, chaque heure de notre histoire militante dément qu’elle puisse nous être appliquée : la vérité est que nous, les communistes combattus par les réformistes, n’avons jamais cessé d’analyser le monde et ses changements pour en élaborer une représentation matériellement fiable, et que c’est dans cette représentation matériellement fiable que nous fondons notre politique.
- En résumé, nous réfutons cette caricature parce que la vie la dément depuis toujours !
- Pourquoi donc toi et les autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF persistez-vous àcroire àces mensonges de la vieille bourgeoisie ? A croire àce vieux bobard réactionnaire lancé comme un coup bas contre les communistes impliqués dans la lutte des classes ?
- Pendant toute la durée du processus qui a préparé et réalisé la mutation social-démocrate du PCF, les communistes respectaient tous les camarades régulièrement élus aux fonctions de responsabilités, aux bureaux et aux secrétariats des sections et des fédérations du parti, même les réformistes ; mais parmi ceux-ci, il s’en est trouvé pour relancer ce vieux bobard réactionnaire : les communistes le recevaient comme un coup bas qui s’ajoutait aux coups souvent matériels que nous portaient le patronat capitaliste et les hautes directions administratives de l’Etat bourgeois !
- Les réformistes qui portaient ce coup bas ont fait carrière : aujourd’hui, ils dirigent le PCF. Quant aux communistes, de recevoir de leurs dirigeants élus de tels coups bas les a conduits àse mettre en marge du parti ou àl’écart de ses directions.
- Mais ils voyaient alors le PCF abandonner la lutte sur les trois plans de la lutte des classes : celui de l’économie, celui de la politique et celui de la culture ; beaucoup de ces communistes mis àl’écart ont tenu àpoursuivre cette lutte : ils se sont efforcés de relancer un mouvement d’organisation et de continuer la théorie.
- Le mouvement, cela consiste àcontinuer l’Å“uvre révolutionnaire comme le font les communistes. L’immobilisme, c’est de se retirer de la lutte et de rallier le réformisme.
- La vérité, c’est que le bobard que nous adressent les réformistes du PCF (après l’avoir repris de la bourgeoisie exploiteuse) est un coup porté personnellement aux communistes, en même temps qu’une insulte qui leur est adressée : ce n’est rien d’autre qu’une arme dont se servent les carriéristes pour défendre leur plaçou !
- Dans ces conditions, que vaut ton attente que les communistes réadhèrent au PCF ?
- Je t’ai bien entendu : les évolutions récentes du discours de Marie-George Buffet te donnent le sentiment que « tout va mieux » ; mais comment peux-tu croire, en plus, que ces évolutions sont de nature àentraîner les communistes qui sont aujourd’hui « dans la nature », pour qu’ils réadhèrent au PCF ?
- Crois-tu donc que les seules différences entre un parti réformiste et un parti communiste soient dans le discours ? Et crois-tu que les communistes qui sont aujourd’hui « dans la nature » ou qui ont formé des ébauches d’organisation communistes n’aient rien àvous dire, àtoi et aux autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF, au moment de faire le premier pas d’un rapprochement ?
- En vérité, beaucoup d’entre nous souhaitons reprendre contact avec vous : mais je sais aussi que ce contact ne pourra entrer dans la réalité que si vous acceptez d’entendre ce que nous avons àvous dire, et pour ma part, je n’accepterai pas de passer l’éponge sur le réformisme de la direction du PCF, ni sur la présence d’une tendance réformiste dans le parti communiste.
- L’unité des communistes est possible dès aujourd’hui, et la forme que prendra le processus d’unification communiste n’est déterminée nulle part ; ce qui est déterminé, c’est une condition nécessaire et indiscutable : que tous les communistes rompent avec le réformisme, et j’insiste, avec toute espèce de réformisme !
- J’ai gardé, pour te les poser àla fin de cette lettre les deux questions dont les porte-plumes et les porte-voix de l’idéologie bourgeoise font l’usage le plus constant et depuis le plus long temps : toi, et les autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF, croyez-vous vraiment que les évènements qui se sont succédés dans l’ancien empire des Tsars, le détruisant, créant la Russie des Soviets, puis l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), marquant son histoire et conduisant àsa dissolution, croyez-vous vraiment que ces évènements puissent porter condamnation des actes dont la décision fut prise àTours en décembre 1920 par le congrès du parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, et condamnation de l’exécution de cette décision par les militants ouvriers français ?
- La décision prise àTours par le congrès du Parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière tenu àla fin de décembre 1920 fut d’adhérer àl’Internationale communiste, de donner au parti le nom de Parti communiste français Section française de l’Internationale communiste, et de lui assigner pour objet de porter au plan politique la revendication des prolétaires de ne plus subir l’exploitation, d’exproprier les bourgeois qui détiennent les plus gros capitaux de la terre, de l’industrie, du commerce et de la finance, et de soumettre ces capitaux àla propriété nationale afin que tous les travailleurs de ce pays en deviennent propriétaires de plein droit.
- Personne ne m’a encore donné une raison de croire que des évènements qui se sont produits après 1920 et àl’autre bout de l’Europe portent condamnation de cette décision : je considère comme nécessaire, indispensable, de rassembler cette décision et ses raisons, et de les confronter aux arguments avancés par ceux qui prononcent la condamnation ; au regard de la science historique, ne pas le faire est véritablement une faute méthodique.
- Pour quelles raisons le parti ouvrier a-t-il adhéré àl’Internationale communiste ? J’en citerai trois, dont les deux premières sont essentielles, et dont la troisième est circonstancielle.
- La première raison, c’est la tradition des luttes sociales, des luttes revendicatives ouvrières et paysannes, qui, dans les villes et les campagnes de France, opposaient àla bourgeoisie française les travailleurs conscients de leurs intérêts. Plus d’un siècle durant, ces luttes avaient ravivé et renouvelé les traditions populaires d’Ancien Régime des luttes contre la misère et pour la liberté, et celles des luttes révolutionnaires des Sans-Culottes pour la République, de 1789 à1794.
- Pendant le dix-neuvième siècle, les luttes populaires associaient la revendication économique àla revendication politique ; la revendication économique est première chez les prolétaires, ceux qui ne possèdent que leurs bras, que leurs corps ; quant àla revendication politique, ce fut d’abord, et pendant longtemps, le souvenir de l’espoir conçu par les membres du peuple lorsqu’ils discutèrent la constitution de l’an un de la République et qu’ils l’approuvèrent, et de la répression que la bourgeoisie appliqua àcet espoir, mettant aux oubliettes cette constitution, avant même la fin de la consultation populaire, au bagne ceux qui propageaient cet espoir, et imposant àla France neuf décennies d’empires et de royaumes, avant d’accepter une république de pure forme (la « troisième République »).
- Ce furent quatre-vingt-dix ans de luttes par lesquelles la classe ouvrière a pris conscience de la valeur politique de la revendication salariale ; elle l’a fait d’abord en prenant en mains, en formulant et en développant la revendication communiste, celle énoncée en 1848 par Marx et Engels dans le « Manifeste du Parti communiste », de mettre fin àla propriété capitaliste en expropriant la grande bourgeoisie et en soumettant domaines terriens, mines, usines, maisons de commerce et banques àun mode collectif, social, de propriété, grâce auquel les salariés seraient enfin propriétaires des entreprises. Ceux qui, dans le peuple de France, maintenaient la tradition des Sans-Culottes reconnaissaient facilement dans cette revendication une généralisation nécessaire de la revendication de nationalisation de la propriété terrienne formulée pendant la Révolution française par Gracchus Babeuf.
- Ce fut ensuite, àla fin du dix-neuvième siècle, de comprendre la nécessité de créer un parti politique de la classe ouvrière, grâce auquel la revendication communiste pourrait prendre toute son ampleur et embrasser non seulement le plan économique, mais le plan politique avec lui : le Parti ouvrier français, puis une série de petites formations politiques, enfin le parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière furent les premiers résultats des efforts nés de cette nécessité.
- La deuxième raison pour que le parti ouvrier adhère àl’Internationale communiste est, elle aussi, essentielle : fondée dans ces traditions des luttes sociales, la critique ouvrière, prolétarienne, des guerres s’est appliquée àla monstrueuse marche àla monstrueuse guerre impérialiste et àla monstrueuse guerre impérialiste elle-même, qui a éclaté àl’été de 1914.
- Les ouvriers et les autres membres du peuple mobilisés et envoyés dans les tranchées ont continué cette critique ; le peuple de France, et parmi ses membres les militants ouvriers, l’ont intégrée àla confirmation cruelle apportée par l’expérience de la guerre impérialiste, et ont confronté tout cela àla trahison des intérêts populaires et ouvriers commise par l’Internationale ouvrière en 1914, lorsque ses principaux dirigeants ont rallié les politiques impérialistes des bourgeoisies qui dominaient leurs pays : c’est làla deuxième raison de décider que le parti socialiste section française de l’Internationale ouvrière quitte l’Internationale ouvrière et adhère àl’Internationale communiste.
- La troisième raison est circonstantielle : c’est que l’appel àformer l’Internationale communiste avait été lancé par le parti ouvrier qui venait de renverser le gouvernement de l’empire tsariste, connu pour tenir une société dans des cadres àpeine sortis du Moyen Age, et dont, quatre décennies plus tôt, le peuple n’était sorti du servage que par une aggravation de sa misère. Que les Bolchéviks aient pu tirer le bénéfice de l’affaiblissement de l’empire directement provoqué par la guerre contre les Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) et prendre le pouvoir dans les deux capitales du Tsar (Pétrograd et Moscou), et qu’ils soient les auteurs de l’appel àformer l’Internationale communiste était pour les militants ouvriers de France comme de nombreux autres pays d’Europe, une circonstance heureuse et stimulante.
- Quelles raisons peut-on trouver dans les évènements qui se sont produits depuis 1917 dans l’ancien empire des Tsars, qui réduirait ànéant les raisons que je viens d’évoquer, ce qui permettrait de condamner la décision du congrès de Tours ?
- Le seul argument que les réformistes qui dirigent le PCF aient jamais énoncé devant moi est : « Tout cela a échoué en URSS ! » Ils n’ont jamais fait le moindre effort pour éclairer la réalité dont ils parlaient ainsi, ni pour définir en termes intelligibles ce qui a échoué en URSS : donner àcette seule affirmation le statut d’un argument définitif n’est pas vraiment un signe d’intelligence de leur part. Il est vrai que leur objectif était de prendre le pouvoir, pas de découvrir la vérité historique !...
- Je suis sévère : mais cela fait un bon quart de siècle qu’avec d’autres communistes, nous les talonnons pour échanger enfin avec eux, dans le parti, publiquement, nos arguments : ils s’y sont toujours refusés et s’y refusent encore ; le seul argument dont ils nous aient gratifiés, c’est, àma connaissance, celui-là!
- Â« Tout cela »... quoi, cela ? L’Å“uvre de Jaurès, la CGT, la Commune de Paris ? Quoi, cela ? Faut-il continuer àadmettre contre toute vraisemblance historique qu’àpartir du 7 novembre 1917, Lénine ait toujours obtenu du Conseil des Commissaires du peuple (ainsi se nommaient les premiers gouvernements soviétiques) les décisions exactes qu’il aurait élaborées par avance dans l’intimité de sa théorie personnelle ?...
- Â« A échoué en URSS »... Mais grands dieux : qu’est-ce que Jaurès a fait en URSS, et qui aurait échoué ? La CGT aurait eu des ramifications actives en URSS ? Et la Commune de Paris, quel décret a-t-elle pu édicter qui aurait été mis en vigueur àla lettre en URSS, et qui aurait échoué là-bas ? Et l’Å“uvre des bolchéviks est-elle seule cause des drames et des échecs de l’histoire de l’URSS ? Et la lutte des classes qui faisait la politique de l’ancien empire des tsars, et qui, àl’évidence, sévit actuellement sur ce territoire, avait-t-elle cessé le 7 novembre 1917 ?
- Mais grands dieux : libérés de l’empire des Tsars et conduisant d’abord leurs affaires au moyen d’un réseau de conseils populaires où prédominaient les travailleurs de l’industrie et de l’agriculture, les peuples soviétiques ont massivement appris àlire et àécrire, se sont dotés d’un système de santé publique qui fut l’un des meilleurs du monde et qui bénéficiait àchacun, ont fait de leurs pays une puissance industrielle de premier plan : est-ce un échec du communisme ?
- Mais grands dieux : l’Armée rouge des Ouvriers et des Paysans a réussi àrejeter les armées des racismes européens, les armées nazies et fascistes, des abords de Léningrad, de Moscou, de Stalingrad, des vallées du Caucase ; est-ce un échec du communisme ? L’Armée soviétique, qui l’a remplacée en février 1943, a repoussé les armées de l’empire raciste jusqu’àBerlin où elle a écrasé les dernières légions de SS et détruit les derniers pans de l’empire raciste : est-ce un échec du communisme ?
- Et le voyage de Youri Gagarine autour de la Terre, est-ce un échec du communisme ?
- Encore une question : toi et les autres communistes qui suivez encore les réformistes qui dirigent le PCF, estimez-vous que certains des crimes qui se sont produits en URSS puissent être imputés au communisme ? Les réformistes n’ont pas posé cette question dans le parti : je te la pose ici parce qu’en lançant le mot d’ordre : « franchement communistes », nous avons proposé aux communistes de combattre immédiatement la criminalisation du communisme, c’est-à-dire la propagande par laquelle la bourgeoisie s’efforce de faire passer le communisme lui-même pour un crime.
- Plusieurs années ont passé depuis, et nous pouvons constater que la lutte contre la criminalisation du communisme nous sépare radicalement d’avec les réformistes : c’est pure tactique s’ils n’en parlent jamais ; mais lorsque cette question se pose devant eux, ils se détournent ; ils sont prêts àqualifier le communisme de crime et d’ailleurs, Robert Hue et d’autres ont publiquement qualifié l’URSS de monstruosité. Sans jamais faire le moindre geste qui aurait incité les historiens àétudier de près leurs documents et ceux que les évènements de la fin du vingtième siècle rendaient accessibles. Que font aujourd’hui les réformistes contre les menées racistes, fascistes, nazies qui montent en Europe, dans le monde et en France même ?
- Oui, tout nous appelle àfaire preuve d’une grande sévérité àl’égard des réformistes qui dirigent le PCF ; ils ont tout fait pour que ces questions ne soient pas posées : leur soif d’exercer le pouvoir, même de l’exercer partiellement et petitement, leur a fait perdre tout souci de vérité historique !... Ils n’ont plus rien de communiste : il faut rompre avec eux !...
- Rompre avec le réformisme, avec toute espèce de réformisme, c’est la condition nécessaire : c’est elle qui permettra aux communistes de se retrouver dans l’action revendicative et de rendre au peuple de France le véritable parti communiste qui lui manque aujourd’hui cruellement !

Cinquième lettre : sur les présidentielles de 2007

- Le 3 juillet 2 007, àun militant communiste
- Je suis communiste depuis cinquante ans, et les résultats obtenus par la secrétaire nationale du PCF aux élections présidentielles de ce printemps, ainsi que ceux obtenus par les candidats du PCF aux élections législatives qui ont suivi, ont attiré mon attention : je ne doute pas qu’ils aient aussi attiré la tienne.
- Je considère que le résultat obtenu par Marie-George Buffet aux présidentielles est un véritable désastre, et que la très sensible diminution que marquent les résultats des candidats du PCF aux législatives de cette année sur les précédentes aggrave encore ce désastre. Cela m’a poussé àlire le rapport fait au Conseil national du PCF réuni le 22 juin dernier par sa secrétaire nationale.
- Oh, certes, je n’ai voté ni pour la candidate membre du PCF aux présidentielles, ni pour les candidats de ce parti aux législatives : depuis longtemps en effet, j’ai été frappé par les nombreux abandons des principes et des pratiques communistes que la direction du parti a opérés, avec, comme je l’ai constaté, un remarquable esprit de suite. Lorsque le PCF a refondu son processus financier, le nouveau processus qu’il a adopté m’est apparu de nature àpriver les organisations de base du PCF de toute autonomie, en fermant autour d’elles un carcan bien commode pour une direction autoritaire : j’ai identifié ce nouveau processus comme anticommuniste, et j’ai cessé de cotiser au PCF.
- Je n’ai pas cessé d’être communiste, et dans cette situation nouvelle pour moi, j’ai rencontré de nombreux autres communistes : dans toute la France, on peut nous compter par dizaines de milliers !...
- Les évènements de nos vies de militants qui nous ont conduits hors du PCF sont très divers et constituent pour chacun de nous une histoire singulière ; j’ai eu l’occasion d’en écouter plusieurs récits : plusieurs des camarades qui m’ont parlé ont vécu des choses que j’avais moi-même vécues au sein de comités de section ou de fédération : certains dirigeants, pas toujours les secrétaires, écartaient des discussions mes arguments et les questions que je posais sans les écouter, sans y répondre et sans permettre aux autres membres du comité de réagir ; les réunions terminées, ils agissaient au nom de la section ou de la fédération en interprétant les débats du comité d’une manière toujours unilatérale, ils ne tenaient compte ni de mes arguments, ni des questions que j’avais posées ni des réponses que parfois les membres des comités avaient réussi àapporter.
- Ce processus, évidemment contraire àtoute démocratie, nous en avons été les victimes ; c’est lui qui nous a rapidement rendu impossible la vie dans le PCF ; pour certains d’entre nous, il a pris l’allure d’une exclusion qui ne voulait pas dire son nom, mais pour la plupart, nous refusions d’y voir un processus d’exclusion ; le fait est que bien souvent, les membres de nos cellules auraient majoritairement voté contre l’exclusion si elle avait été demandée.
- En vérité, ce processus n’a pas seulement mis hors du PCF de nombreux communistes : lorsqu’il n’a pas détruit leurs cellules, il a certainement hâté leur fin.
- Mais c’est en mon nom que je parle.
- Dans le rapport de la secrétaire nationale, je cherchais comment elle réagit au désastre du parti ; voici ce que j’y ai lu :

  • dans la vie politique de notre pays, elle ne voit qu’un affrontement gauche-droite ; le PCF ne serait qu’une nuance de la gauche veillant àce que l’affrontement gauche-droite ne se transforme pas en un affrontement démocrates-républicains, et dont l’ambition serait de rassembler toute la gauche sur un projet de changer la vie.
  • Elle attribue son échec aux présidentielles àtrois causes majeures : deux sont externes, une hésitation de membres du PS consécutive àleur choix de la synthèse, et le refus de la candidature unique par la LCR ; la troisième est interne : le PCF aurait surestimé sa capacité àtransformer la dynamique du NON de 2005 en une adhésion populaire àun projet alternatif.

- De quel projet alternatif s’agit-il ? Nous le connaissons depuis la campagne référendaire de 2005 : c’est celui de rendre « antilibérale » ou « sociale » la constitution européenne.
- Dynamique pour dynamique : depuis 2005, le PCF ne se heurte-t-il pas àune autre dynamique, plus forte que ses analyses, celle des membres de notre peuple qui, accablés par les fermetures d’usines et d’ateliers, par les délocalisations d’entreprises, trouvent dans leur misère et leur accablement mille raisons de rejeter l’auteur de cette Å“uvre qui est le gouvernement de l’Europe supranationale, et avec lui, toutes les institutions que ce gouvernement actionne avant même d’avoir une existence officielle ? Mille raisons de rejeter la destruction de nos lois par la construction européenne àquoi nos députés acceptent de passer les quatre cinquième de leur temps de législateurs ? Mille raisons de rejeter ce que les technocrates et autres valets des grands capitalistes appellent l’Europe ?
- C’est ce que je pense, et je donne tort aux chefs mutants du PCF de militer pour l’Europe alternative ou pour l’Europe sociale : ils ne font qu’actionner un miroir aux alouettes planté juste àportée des coups que les maîtres du grand capital assènent aux peuples qu’ils veulent exploiter davantage.
- L’ambition que la secrétaire nationale assigne au PCF, est-elle àla hauteur de la lutte anticapitaliste nécessaire ? Que veut dire changer la vie, dans cette ambition ?
- Comment décrit-elle la situation dans laquelle est notre société ?
- Du point de vue social, elle dit que le modèle de l’emploi stable, du bon salaire, de la retraite digne, de l’accès àla santé n’a plus guère de cours aujourd’hui.
- Â« Le modèle » !? En employant ce mot, elle déverse une montagne d’inexactitudes et d’approximations sur ses auditeurs et sur ses lecteurs, mais il y a plus grave : elle efface le lien qui unit l’emploi, le salaire, la santé aux luttes du présent et àcelles du passé ; elle vide les luttes de l’avenir de toute signification réelle.
- Se plaçant en idéologie, elle exploite cette impasse en dénonçant sans frais le recul de deux idées : l’espoir de mieux vivre par l’action collective, et l’idée qu’il serait possible de changer le cours de l’économie et du travail.
Sans frais, c’est-à-dire en oubliant que les idées n’avancent ni ne reculent par elles-mêmes : lorsque ces idées avançaient, qui les portait ? Les communistes. Et depuis quand reculent-elles ? Depuis que le PCF ne les porte plus.
- En ce qui me concerne, je dénonce ici la responsabilité de membres de directions fédérales et de la direction nationale du PCF qui cédaient àla pression idéologique de la bourgeoisie au pouvoir et qui, de longue main, préparaient la mutation du parti comme j’en fus le témoin malheureux.
- A propos des luttes de notre peuple, la secrétaire nationale nous dit dans son rapport que depuis trente ans, les luttes de conquête sociale ont disparu, remplacées par des luttes de résistance et de défense d’acquis sociaux.
- Mais pourquoi n’analyse-t-elle pas la façon dont le PCF a modifié son discours et ses objectifs au cours de la même période ? Ici aussi, je dénonce la responsabilité de ces dirigeants du PCF.
- La secrétaire nationale énonce plusieurs caractères de l’évolution du travail en France : l’éclatement des lieux de travail, la précarité, un développement de certaines technologies et l’élévation de certaines qualifications en notant qu’il en est résulté des modifications dans les rapports entre salariés et dans le rapport du salarié au travail.
- Mais pourquoi ne dit-elle pas que c’est le patronat français, bien relayé et bien servi par tous les gouvernements français, qui a opéré dans l’intérêt des propriétaires de capitaux ces modifications de la division du travail ? Et pourquoi fait-elle de la précarité un sentiment, alors que c’est une nouvelle modalité du travail que la bourgeoisie capitaliste a définie et introduite dans la division capitaliste du travail ?
- Lorsqu’elle dénonce la progression des violences quotidiennes, individuelles et collectives, pourquoi oublie-t-elle l’exploitation des travailleuses et des travailleurs par les privilégiés du capital, qui est aujourd’hui la première des violences, celle qui les engendre toutes ?
- Les résistances àtoute cette misère, le maintien de luttes sociales de haut niveau, les luttes pour l’environnement et pour l’avenir de la planète, le féminisme, la revendication de l’école pour tous les enfants, du logement pour chaque personne, et d’autres, pourquoi les mentionne-t-elle sans les analyser, pourquoi les présente-t-elle, comme elle le fait àtort, comme surgies du néant ?
- En lisant cette partie de son rapport, je n’ai rien appris sur l’état de notre société, ni sur les luttes qui l’animent : ce sont les carences de son analyse dont j’ai pris connaissance.
- Raisonnant sur ces bases, que peut-elle bien dire aux membres du parti qu’elle dirige ?
- Interprétant les résultats des élections comme le ralliement, que la nouvelle division du travail aurait favorisé, des travailleurs au projet de la droite et du patronat, elle se propose de trouver de nouveaux moteurs d’unité des salariés.
- Mais elle pose d’abord une question préliminaire : le communisme, faut-il y voir un héritage de notre histoire, ou une visée d’émancipation humaine ?
- Cette question est un piège, car le communisme ne peut être assimilé ni àl’un, ni àl’autre.
- Le communisme, c’est une prise de parti d’agir concrètement dans le temps présent pour obtenir des effets réels et décisifs qui favoriseront les progrès de la classe ouvrière, les progrès du peuple travailleur tout entier, en vue de l’expropriation de la bourgeoisie capitaliste : la secrétaire nationale du PCF se sert de la question « histoire ou visée » pour écarter la réalité du communisme.
- L’ayant écartée, elle choisit la visée, ce qui écarte l’histoire.
- Ce qui reste, c’est une réponse idéaliste, une réponse que ne fonde aucun fait du monde réel, qu’elle impose aux membres de son parti et grâce àlaquelle elle encadre toute la discussion qui suit dans sa représentation idéaliste. Idéaliste, c’est-à-dire contraire au matérialisme, qui est la condition nécessaire àtout critère fiable de vérité. Par sa réponse préliminaire, elle a donc protégé le pouvoir qu’elle exerce sur le PCF contre tout démenti que pourrait lui opposer la vie réelle de ses membres : elle a brandi l’argument d’autorité contre les arguments fondés en réalité.
- L’objectif du PCF est àses yeux de dépasser le capitalisme. Mais cet objectif a été assigné au PCF assez récemment, par des dirigeants de sections et de fédérations dont certains devenaient alors des dirigeants nationaux ; ils s’appuyaient fortement sur le tintamarre médiatique par lequel la bourgeoisie exploitait l’effondrement du camp socialiste ; ils préparaient la mutation du PCF.
- Que pouvons-nous constater depuis lors ? Simplement qu’en s’efforçant de dépasser le capitalisme, le PCF l’a laissé libre de développer sa malfaisance. L’effort fait par le PCF pour dépasser le capitalisme a certainement contribué àce que grandisse l’influence politique des partis ouvertement capitalistes, dits « de droite » et « d’extrême-droite », et àce que le parti socialiste se tourne beaucoup plus clairement vers le service et l’aménagement du système capitaliste.
- L’objectif historique du communisme, pour lequel le congrès du parti socialiste SFIO réuni àTours en décembre 1920 a voté l’adhésion àl’Internationale communiste, est d’abolir le capitalisme.
- Abolir le capitalisme, cela suppose que l’on exproprie les grands capitalistes, en leur confisquant les biens dont ils sont propriétaires et qui leur confèrent le pouvoir exorbitant et illégitime qu’ils exercent ; cela suppose que l’on soumette ces biens àune propriété collective, véritablement nationale ! Il s’agit làd’actions concrètes portant sur la réalité de l’économie et du travail : le critère matérialiste de la vérité fonctionne très bien dans la conduite de ces actions, en permettant au peuple de prendre connaissance de l’évènement depuis son commencement jusque dans ses conséquences ultimes, et grâce àcela, il peut agir en sachant ce qu’il fait. Abolir le capitalisme est un objectif communiste.
- Dépasser le capitalisme, c’est se bercer d’illusions et renoncer àtoute révolution.

- Marie-George Buffet et ses amis qui assignent au PCF l’objectif illusoire de dépasser le capitalisme, et qui ont détourné ce parti de son objectif fondateur et révolutionnaire d’abolir le capitalisme, imposent en fait aux communistes de cesser d’être communistes. Sont-ils eux-mêmes encore communistes ?
- Cette question les travaille : déjàcertains d’entre eux, des plus connus, proposent depuis longtemps de changer le nom du PCF afin que n’y figure plus le mot communiste. Cédant comme ils le font très souvent àla pression de l’idéologie bourgeoise, ils voient dans le mot communiste un handicap : le rapport impute àce mot « le poids de l’échec du socialisme réel » ; le « socialisme réel », la chute du mur de Berlin sont seulement invoqués, et seulement pour décrire ce handicap en huit mots : le passé, un engagement sans avenir, une faillite économique, sociale et démocratique ; le rapport peut alors battre la coulpe du PCF qui n’aurait pas réussi àse dégager de cette expérience.
- Comment devrait-il le faire ? La secrétaire nationale rappelle les efforts déjàfaits pour cela : condamner le socialisme, et pour ce qui concerne le PCF, changer son idéologie, sa stratégie, sa démarche, son fonctionnement...
Des communistes auraient commencé par soumettre l’évènement àl’analyse critique et historique afin d’identifier les forces sociales qui s’affrontaient ; dès les lendemains des évènements, la matière nécessaire existait, fournie par les premiers travaux, même encore partiels, d’historiens communistes et par de nombreux témoignages àvaleur de documents pour l’histoire que nos journalistes recueillaient : où est, dans l’énumération que contient le rapport, l’examen qui aurait conduit àcette analyse ? Ce qui se montre là, c’est la carence des mutants qui dirigent le PCF en matière d’analyse des évènements économiques, sociaux et politiques.
- La secrétaire nationale ne saurait mentionner cet examen parce qu’elle-même et ses amis mutants ont soigneusement tenu ce chantier fermé et inaccessible aux militants, et parce qu’ils continuent de le faire.
- Dévoyé par ces dirigeants qui préparaient la mutation, le PCF a condamné sans prendre connaissance de la cause, et jeté l’enfant avec l’eau du bain.
- Après cela, c’est vrai, il était logique de changer les idées, la stratégie, la démarche, le fonctionnement, en somme, le parti !
- Et maintenant, il est logique de changer son nom.
- La secrétaire nationale n’est pas contre, mais elle voit encore une question préliminaire : dans son rapport, elle demande si un tel changement de nom serait le moyen de lever le handicap qu’elle dénonçait un peu avant. Certes, elle répond que ce changement ne résoudrait pas le problème d’identifier clairement la « visée communiste », ni celui de la pertinence, de la lisibilité de son projet et de la perception qu’en a le peuple. Elle précise en même temps qu’identifier clairement la « visée communiste » nécessite encore que le PCF se sépare des expériences du passé et prenne ses distances avec les expériences actuelles.
- En somme, elle veut s’assurer qu’elle en a bien fini non seulement avec le socialisme, mais avec sa revendication ; quant au communisme, elle veut fermer les fenêtres par lesquelles lui parvient la rumeur des peuples en lutte.
Mais pourquoi est-ce donc qu’elle s’inquiète ? Changer le nom du PCF n’est pas de nature àl’empêcher de résoudre ces deux problèmes dans le sens indiqué par son rapport.
- Pour ce qui est de notre société, la secrétaire nationale souhaite que le PCF n’apparaisse pas comme accompagnant le mouvement qui la tire vers le bas, mais se montre plutôt comme recherchant comment chacun peut trouver sa place et réussir en société.
- Mais pour se montrer ainsi, il faut que le PCF adopte une posture qui n’a de sens que dans une société dont ni les structures, ni la dynamique ne changent ni ne changeront : que peut être une telle posture si ce n’est celle de l’accompagnement ? En vérité, la secrétaire nationale voudrait que le PCF accompagne sans en avoir l’air une société qui écrase le peuple.
- Sur les questions de sécurité et d’immigration, elle aurait voulu que le PCF chemine àpartir du vécu et de l’opinion des femmes et des hommes qui l’entourent ; l’obstacle, c’est évidemment l’impuissance où est tombé le PCF par suite de ce qu’il a détruit les cellules, qui étaient la base active de son organisation.
- Comment peut-elle alors croire possible de remettre le PCF en capacité d’intervenir partout et en permanence ? Il faudrait pour cela refaire les cellules communistes et les remettre en fonction, ce qui est impossible sans le centralisme démocratique.
- D’où lui vient sa prétention de faire vivre la souveraineté des communistes en tirant le bénéfice de l’abandon du centralisme démocratique ? Car le centralisme démocratique, que le PCF a abandonné depuis quelques congrès, était tout àla fois la condition nécessaire àla souveraineté des communistes sur leur parti et le moyen efficace d’exercer cette souveraineté.
- Dans ces conditions, que vaut l’injonction de Marie-George Buffet de mettre immédiatement le PCF dans l’action ?
- L’action dont elle parle, elle la définit àpartir des mesures décidées ou annoncées par les gouvernements : le mouvement populaire de revendication n’en est pas la source. Elle propose de promouvoir l’activité et la prise de parole des femmes et des hommes de gauche, et de faire appel àdes spécialistes : que fait-elle des travailleurs et de leurs intérêts ? A lire son rapport, il semble bien qu’ils n’existent pas !
- Elle peut bien toujours appeler son parti àmaintenir l’idée de changement : je dois noter que pour tous ceux qui dirigent le PCF avec elle, il n’est plus, depuis longtemps, question de révolution.
- En fin de compte, c’est avec juste raison que la secrétaire nationale du PCF a refusé d’être candidate communiste aux élections présidentielles : elle-même n’est plus communiste, et ses amis qui l’ont approuvée dans ce refus ne le sont plus non plus !
- Sous leur direction, le PCF a vécu.
- Vive le parti communiste français fondé àTours en 1920 et organisateur inlassable du combat antifasciste, pour lequel il a pris les armes pour défendre en Espagne la République contre Franco et ne les a pas reposées avant la défaite des fascismes de 1945 : ce parti, les chefs de la mutation du PCF n’en sont pas membres...

Sixième lettre : sur l’affaiblissement du communisme en France, et sur sa possible relance

- 25 juillet 2 008, àtous les travailleurs de France
- Chaque semaine apporte son lot d’évènements qui prouvent que votre volonté de défendre votre droit de vivre dignement du travail de vos mains et de l’application de votre intelligence n’est pas vaincue : àbien suivre ces évènements, je suis gagné par le sentiment que le syndicat des exploiteurs (le MEDEF) et le gouvernement àson service, dont le chef est aujourd’hui Nicolas Sarkozy, ont l’espoir d’abattre votre volonté, mais que leur espoir peut être déçu.
- Même si les grèves et les manifestations n’ont pas trouvé la perspective de leur convergence, elles n’ont pas cessé : c’est un indice de ce que la combativité des travailleurs de notre pays exprime un besoin profond.
- Ces conditions posent encore àtous les communistes la même question concrète : que devons-nous faire pour dégager la perspective dans laquelle convergent les luttes des travailleurs et pour la mettre en lumière, en évidence ?
- En effet, cette question se pose aux communistes depuis que la revendication communiste a émergé en France : ce fut après le 9 thermidor an deux de la République (27 juillet 1794), lorsque la bourgeoisie française eut pris en mains tous les leviers de l’Etat, l’exclusivité de la direction politique du pays, qu’elle eut mis fin àla Révolution, qu’elle eut fait de l’Etat l’assurance de sa liberté de prélever le profit sur toute l’économie nationale, la garantie de son confort égoïste et mesquin ; ce faisant, la bourgeoisie française a précipité les prolétaires des villes et des campagnes dans une misère quotidienne pire que celle qu’ils subissaient sous l’Ancien Régime ; en interdisant de promulguer la constitution de l’an un de la République alors même que la consultation populaire organisée pendant l’été de cette année-làconduisait àson adoption, la bourgeoisie avait montré qu’elle voulait l’Etat pour se protéger contre la République ; ce sont alors les Amis de l’Egalité qui ont revendiqué la promulgation de la constitution de l’an un, et sous leur impulsion, le peuple a fait de la République sa revendication politique contre la misère.
- C’est dans l’héritage révolutionnaire de Gracchus Babeuf que nous pouvons lire la formation du mouvement communiste : avec les Amis de l’Egalité, il fit face au coup d’état de thermidor et àses suites en organisant tout ensemble deux revendications : celle du peuple que soit promulguée la constitution de l’an un de la République, et celle des prolétaires d’accéder aux moyens de vivre dignement ; ce que Babeuf et les Amis de l’égalité organisaient ainsi, c’est la conjonction de la revendication politique du peuple contre la bourgeoisie et de la revendication économique des prolétaires contre la misère que leur assurait le gouvernement bourgeois du pays ; cette conjonction n’est rien d’autre que l’émergence du mouvement auquel Karl Marx et Friedrich Engels ont ensuite donné le nom de communisme ; la tâche que définit la conjonction de ces deux revendications est toujours, aujourd’hui, celle du communisme.
- Par la suite, le communisme a grandi au sein des populations travailleuses, puissament stimulé par l’activité internationaliste et par les élaborations théoriques de Marx et d’Engels ; àla fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècles, dans l’empire des tzars de Russie, les écrits de Lénine animèrent les communistes russes qui devinrent majoritaires au congrès du parti social-démocrate de Russie ; la force acquise par le communisme en Russie lui permit de jouer un rôle essentiel dans les évènements révolutionnaires de 1905 et grandit ensuite assez pour que la première guerre mondiale, en détruisant les quatre empires qui encadraient l’est et le centre de l’Europe, donne aux bolchéviques (ce mot russe signifie majoritaires) l’opportunité de prendre le pouvoir en octobre 1917, puis en février 1918, dans les deux capitales de cet empire, Pétrograd et Moscou. C’est àl’occasion de tous ces évènements que se formèrent les partis communistes et leur fédération mondiale, l’Internationale communiste.
- Soixante-dix ans plus tard, les réformistes incrustés dans les directions du PCF tiraient profit des incertitudes provoquées par l’ignorance persistante des causes de l’effondrement du camp socialiste, et engageaient le processus qui allait conduire le PCF àsa mutation social-démocrate : pour le peuple français, la conséquence principale de la mutation du PCF est aujourd’hui que la tâche du communisme est vacante, au grand préjudice des travailleurs de France, et au grand dam de tous les communistes.
- Mais le communisme est un mouvement laïc et dont les principes d’action et de réflexion sont posés et définis hors des dogmes religieux, hors des religions : lorsqu’ils respectent leurs principes, les communistes ne se laissent enfermer dans aucune damnation.
- Une seule question se pose àeux : comment sortir du bourbier dans lequel la tendance réformiste a enlisé le communisme ?
- Â« Les communistes sont enlisés dans un bourbier. » Cette phrase, bien évidemment, ne représente pas directement la réalité : elle ne fait qu’en énoncer une analogie ; c’est une métaphore.
- Rappelons-nous que le raisonnement communiste est matérialiste : le matérialisme est son mouvement de vérité ; or, les métaphores font obstacle au mouvement matérialiste de la vérité, justement parce que leur représentation de la réalité consiste en une ressemblance, une analogie, et ne contient pas de description directe.
- Les communistes ne rejettent pas, ne censurent pas les métaphores : au contraire, ils en reconnaissent la valeur créatrice, poétique ; ils recherchent bien souvent la stimulation que les métaphores apportent àl’imagination, qui est le moyen de faire évoluer les représentations du monde ; mais ils n’oublient jamais que toute idée produite par une métaphore est incertaine, justement parce que la métaphore qui l’a produite a fait obstacle au critère matérialiste de la vérité : or, seul le critère matérialiste, qui consiste àmettre l’idée en relation directe, même lointaine, avec le mouvement de la matière, peut montrer si l’idée est vraie ou fausse.
- Il est vrai que beaucoup de communistes ont le sentiment d’être immobilisés et rendus incapables de faire un geste, comme s’ils étaient enlisés. Mais qu’est-ce qui leur a donné ce sentiment ?
- Le « rapport secret » fait par Nikita Serguéiévitch Khrouchtchev au vingtième congrès du PCUS, puis celui qu’il fit au vingt-deuxième congrès de ce parti, soulevèrent de nombreuses et importantes questions historiques et politiques ; il s’en suivit une série d’importants évènements qui approfondirent et aggravèrent ces questions : ce furent le soulèvement contre-révolutionnaire de Hongrie, les ruptures avec l’Albanie, avec la Chine ; ce fut aussi le rabibochage avec la Yougoslavie et le président Tito, qui rappelait et renouvelait d’autres questions posées antérieurement.
- Avec le recul, et sous réserve de ce que nous apprendront les études véritablement historiques de ces évènements, qui sont encore àvenir, je dois formuler l’hypothèse que le « rapport secret » au vingtième congrès du PCUS fut avant tout le moyen par lequel Nikita Serguéiévitch Khrouchtchev rassembla dans ses mains tous les pouvoirs de diriger ce parti et l’Union Soviétique, et que le rapport qu’il a fait au vingt-deuxième congrès, dans lequel il « en rajoutait une couche », une couche épaisse, sur les crimes imputés àStaline, lui a servi surtout àstabiliser le pouvoir qu’il tenait entre ses mains. Je suis conduit àformuler cette hypothèse par les développements dénigrants, diffamants, qui circulent de plus en plus nombreux alors qu’ils n’ont toujours pas d’autre fondement que ces seuls rapports : je doute en effet que les rapports lus par Nikita Serguéiévitch Khrouchtchev devant les congrès du PCUS aient fait toute la clarté scientifiquement requise sur l’histoire des pays alors soviétiques ; devant ce doute, que valent ces dénigrements diffamants ?
- Quoi qu’il en soit, ces ruptures et ce rabibochage étaient des circonstances extérieures au parti communiste français, extérieures àson histoire. Mais les questions que posaient ces circonstances ne portaient pas seulement sur le destin de camarades lointains, leur portée s’étendait jusqu’àla théorie, et pour cette raison, elles interpelaient et dérangeaient nombre de communistes français.
- Il en résultait que les communistes français adressaient àla direction de leur parti une grande et pressante demande d’information ; conditionnée par les habitudes de discussion qui étaient alors celles des militants communistes, cette demande ne pouvait trouver satisfaction que dans une discussion attentive et suffisamment longue avec les dirigeants nationaux, au cours de laquelle les militants leur poseraient eux-mêmes, et directement, leurs questions.
- Mais il était difficile aux militants d’admettre ce qui leur apparut àl’évidence dès les premières discussions qui suivirent le vingtième congrès du PCUS : le champ de ces questions dépassait de loin l’information dont disposait la direction du parti communiste français. Sur ces entrefaites se produisirent les ruptures mentionnées ci-dessus dans les relations entre partis communistes et entre pays socialistes, et les partis communistes concernés par ces ruptures ne restèrent pas sans réagir ; tout cela obscurcit encore les problèmes posés au parti communiste français et aggrava le manque d’information de ses militants.
- En même temps, le parti capitaliste qui gouvernait, et qui gouverne toujours la France, portait àun très haut niveau sa propagande, utilisant pour cela ses organisations variées, syndicats patronaux, cercles, officines, clubs, utilisant aussi les entreprises de publicité et de communication, la presse écrite, radiodiffusée et télévisée qu’il contrôlait, et qu’il contrôle toujours, utilisant encore les administrations de l’Etat, qui était et est toujours son Etat ; le but de cette campagne était de tirer profit du véritable état de manque d’information dans lequel se trouvaient les communistes, en saturant l’opinion publique au moyen des thèses et représentations anticommunistes que la bourgeoisie maintient depuis l’automne de 1917, et qu’elle renouvelle et renforce en toutes circonstances. La bourgeoisie avait bien vu que le vingtième congrès du PCUS lui ouvrait véritablement une belle occasion : elle a consacré àcette campagne de saturation beaucoup de moyens ; peu lui importait que nombre de ses thèses soient contradictoires au point de s’annuler lorsqu’on les met ensemble, ou carrément fausses : en idéologie, la vérité n’est pas le but de la bourgeoisie ; son but est de maintenir, de renforcer et d’étendre son pouvoir de prélever le profit ; le doute que les contradictions de ses thèses jettent sur ses campagnes n’est pas pour elle un obstacle ; la publicité est son moyen d’effacer ce doute.
- Ces évènements n’affaiblirent pas immédiatement le parti communiste français : sa capacité d’agir en politique française est restée au même niveau aussi longtemps qu’il a conservé son lien essentiel avec les travailleurs de notre pays. Ces évènements ont seulement affaibli sa capacité d’informer les travailleurs de notre pays sur l’évolution politique des pays socialistes : mais plusieurs années après les vingtième et vingt-deuxième congrès du PCUS, cet affaiblissement pouvait encore être compensé ou partiellement réparé, comme le montre l’activité par laquelle Waldeck Rochet, en 1967 et 1968, apportait la solidarité du parti communiste français aux travailleurs et aux communistes tchèques et slovaques engagés dans les évènements que nous appelons « le printemps de Prague », comme le montre aussi la position prise àla fin du mois d’aoà»t 1968 par le parti communiste français contre l’intervention des armées du pacte de Varsovie.
- Il y eut donc d’autres facteurs parmi les causes de l’« enlisement ».
- L’un, particulièrement important, est le processus suivant, que ma mémoire place après les évènements liés aux vingtième et vingt-deuxième congrès du PCUS : en grand nombre, des réunions de cellules du parti communiste français avaient lieu sans aboutir, sans servir àrien, parce que les directions de leurs fédérations ne tenaient aucun compte des débats qui s’y tenaient, ni des décisions politiques qui s’y prenaient, ou, pire, parce que les directions de leurs fédérations y déléguaient Untel ou Untel, qui s’efforçait de faire prendre aux cellules des décisions dont les militants ne voulaient pas.
- Le développement de ces pratiques de direction manifestait le développement de tendances dirigistes, autoritaires et formalistes dans les directions du parti communiste français ; mais ces pratiques sont beaucoup plus anciennes dans les autres institutions de notre pays et des pays voisins : ce sont celles des Jésuites et des monarchies de droit divin, que l’empire de Napoléon Bonaparte avait restaurées dans toute l’administration civile et militaire de notre pays ; un principe les résume : le chef dirige et commande, les autres lui sont subordonnés et exécutent les ordres qu’il donne. Jusqu’àce jour, ce principe régit le fonctionnement de toutes nos administrations ; et l’enseignement que dispensent nos collèges et nos lycées est structuré pour inculquer àleurs élèves une morale qu’il conditionne toute entière : quoi que puissent faire les enseignants progressistes, ce principe limite sévèrement l’esprit critique des bons élèves de notre système éducatif.
- La « Troisième République » n’a pas aboli ni même limité l’extension de la validité de ce principe administratif : elle en a seulement assoupli le fonctionnement au plus haut niveau des hiérarchies administratives, en semblant les diviser, et elle a permis la création de nouvelles institutions, les partis politiques, qui fonctionnent eux aussi selon ce même principe ; plus tard, la première guerre mondiale lui a conféré une force extrême, et après l’assassinat de Jaurès, la direction du parti socialiste SFIO s’y est entièrement soumise en se ralliant àl’Union sacrée : elle trahissait ainsi les revendications et les intérêts les plus profonds de la classe ouvrière et du peuple de notre pays.
- Il serait donc faux de croire que la direction dirigiste, autoritaire et formaliste serait une particularité du parti communiste. Au contraire, pour la majorité du congrès du Parti Socialiste SFIO réuni àTours en décembre 1920, la nécessité de mettre fin au mode administratif de direction du parti fut une raison importante de quitter l’Internationale ouvrière et d’adhérer àl’Internationale communiste. Après le congrès de Tours, il fallut réorganiser le parti afin de mettre fin aux handicaps que lui imposaient une grande part de ses traditions d’avant-guerre (le millerandisme en particulier), de mettre fin aux séquelles de sa trahison du temps de la guerre et en général, àtout ce qui, dans l’organisation du parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, faisait obstacle àl’expression, àl’initiative et àl’activité des militants. Cette réorganisation communiste mit fin au mode administratif de la direction : c’est délibérément alors et dans ce but que les communistes adoptèrent le centralisme démocratique comme processus unique de préparation, d’élaboration, de prise de décision ainsi que d’action du parti.
- Mais cela n’élimina évidemment pas ces pratiques administratives de la vie sociale des Français : il en résulta que le PCF fut depuis lors l’objet d’une pression idéologique incessante, multiforme, en grande partie non-dite et implicite, exercée sur lui par la société dans son ensemble et qui tendait ày restaurer la division entre dirigeants et exécutants.
- La totale incompatibilité entre centralisme démocratique et mode administratif de direction consiste en ceci :

  • le mode administratif de direction distingue le chef et les subordonnés en réservant la décision au chef et en soumettant les subordonnés àl’obligation d’exécuter les ordres du chef ; au sein du mode administratif de direction, le chef exerce sur ses subordonnés un pouvoir qui dépasse ses compétences ; s’agissant d’un parti politique, le mode administratif de direction met les membres de ce parti hors de son processus de décision politique ;
  • au contraire de cela, le centralisme démocratique fait participer tous les communistes àtous les moments de la prise de décision, de telle manière que dans l’action, ce sont ses propres décisions que chacun exécute ; il interdit àtous les responsables de faire faire aux communistes autre chose que ce que chacun de ceux-ci estime juste et sait pouvoir faire ; le centralisme démocratique est le résultat de la participation consciente, active et responsable de chaque communiste égal en droits àtous les autres communistes àchaque moment des processus de l’étude, de la décision et de l’action de son parti.

- Pour ces raisons, dès les débuts du parti communiste français, le centralisme démocratique servait àdeux fins : d’abord àson objet de réaliser la conduite du parti par tous ses adhérents, ensuite au refoulement hors du parti des pratiques dirigistes, autoritaires et formalistes de direction.
- A l’automne de 1939, le gouvernement français avait interdit le Parti communiste français : c’est le centralisme démocratique qui lui a donné la force de résister àl’interdiction en se rendant clandestin, puis celle d’animer la Résistance au racisme (au nazi-fascisme) de 1939 à1945 ; le rayonnement politique que les citoyens français reconnaissaient au parti communiste français lors des élections qui ont suivi la Libération en accordant àses candidats presque un quart des suffrages, c’est bien le centralisme démocratique qui le lui assurait.
- C’est encore le centralisme démocratique qui donnait àWaldeck Rochet l’autorité de faire ce qu’il fit àPrague et àMoscou en 1967 et 1968 pour les progrès du socialisme et du communisme, et c’est lui qui permit au parti communiste français de manifester aux travailleurs, aux membres du peuple et aux communistes tchèques et slovaques la solidarité des communistes et des travailleurs de France en prenant position àla fin du mois d’aoà»t 1968 contre l’intervention en Tchécoslovaquie des armées du pacte de Varsovie.
- Et c’est toujours le centralisme démocratique qui, l’année suivante, assurait au PCF le rayonnement que lui reconnaissaient les citoyens français en attribuant àJacques Duclos, candidat communiste àla présidence de la République, un cinquième de leurs suffrages.
- Une voie importante par laquelle s’exerçait la pression du dirigisme, de l’autoritarisme et du formalisme sur le parti communiste français était l’imprégnation morale que les nouveaux membres du parti communiste gardaient de l’enseignement des collèges, lycées, universités et grandes écoles par lesquels ils avaient pu passer. Quoi que fassent les enseignants progressistes, tous ces établissements imprègnent leurs élèves et étudiants, àdes degrés divers, d’une morale essentielle au mode administratif de direction ; de ce fait, chaque nouvel adhérent apporte au parti communiste les comportements que cette morale détermine : il acquiert difficilement la pratique de discuter d’égal àégal avec les autres communistes lorsque ceux-ci n’ont pas fait les mêmes études que lui ; par contre, il lui est facile de mettre sa « supériorité culturelle » en évidence et de fonder sur cette différence une prétention àavoir raison lorsqu’il discute avec les autres militants ; il n’est pas porté àcritiquer le discours d’un militant qu’il croit « plus gradé » que lui ; il ressent comme une contrainte la nécessité de se plier àla discipline du centralisme démocratique ; le fait est que c’est une contrainte, et qu’elle dure jusqu’àce que la vie militante et l’expérience concrète de la lutte politique de classe lui aient apporté la critique concrète de la morale essentielle au mode administratif de direction, et qu’elles lui aient montré le sens du centralisme démocratique.
- Devant le principe d’égalité des communistes en droits sur leur parti, il est juste que le parti communiste contraigne àla discipline du centralisme démocratique les « bons élèves » des lycées, des universités et des grandes écoles qui y adhèrent : cette discipline n’est en réalité que le respect de l’engagement collectif et réciproque que prennent ensemble les communistes pour organiser la revendication politique ouvrière de classe.
- Devant cette contrainte, contractuelle en réalité, les « bons élèves » se sont toujours divisés :

  • les uns l’acceptent : se pliant àla discipline du centralisme démocratique, ils militent d’abord dans leur milieu professionnel, làoù ils travaillent, pour mettre en évidence comment l’antagonisme de l’exploitation capitaliste et de la revendication ouvrière travaille cette profession et les personnes qui l’exercent, et pour développer le mouvement de ceux qui exercent cette profession en prenant le parti ouvrier ; ils mettent aussi leurs connaissances, ainsi critiquées par l’action militante, àla disposition des autres communistes afin que ceux-ci s’en rendent maîtres et les réinvestissent dans leur propre action militante ;
  • les autres la refusent : ils crient àl’injustice, renâclent devant la difficulté du travail politique dans leur propre profession, tentent de se faire désigner àdes fonctions internes au parti qui les dispensent de ce travail politique ; lorsqu’ils y sont parvenus, ils développent leurs pratiques de direction qui sont celles du mode administratif, ce qui les conduit àprendre le pouvoir sur les communistes : il leur est impossible de rester membres du parti communiste sans violer le centralisme démocratique.

- En fait, il se montre ici que le centralisme démocratique est le contrat d’organisation que passent entre eux les communistes lorsqu’ils constituent le parti communiste.
- Dans l’entre-deux guerres mondiales et encore quelques années après la seconde, ceux qui ne parvenaient pas àse plier au centralisme démocratique ne devenaient pas ou ne restaient pas membres du parti communiste : le plus souvent, ils le quittaient ou s’en éloignaient d’eux-mêmes ; certains étaient exclus, et parmi eux, quelques uns l’ont été avec quelque fracas.
- Mais plus tard, lorsque l’effort consacré par le parti àinstruire les nouveaux communistes eut faibli, ceux de ses membres qui avaient fait des études secondaires ou supérieures devinrent plus nombreux àressentir plus longtemps la discipline du centralisme démocratique comme une contrainte ; de ce fait, la proportion des membres du PCF qui ne comprenaient pas la nécessité ni le sens du centralisme démocratique s’accrut de beaucoup.
- Les conséquences furent une moins grande capacité du PCF de repousser et de combattre la propagande bourgeoise, ainsi que la formation au sein du PCF d’une opposition cohérente au centralisme démocratique, qui obtint finalement que ce parti renonce au centralisme démocratique.
- La conséquence directe et inévitable de ce renoncement fut la mutation, c’est-à-dire l’alignement du parti communiste sur le réformisme, opéré par sa direction. En vérité, le centralisme démocratique était la seule défense du PCF contre le dirigisme, l’autoritarisme et le formalisme, et plus généralement, contre les méthodes administratives de direction ; le renoncement au centralisme démocratique fut la cause et la source du processus inverse àcelui de la réorganisation communiste de l’ancien parti socialiste SFIO.
- Lorsqu’ensuite les directions du PCF acceptèrent de régler les alliances électorales au niveau des « Ã©tats-majors », les méthodes administratives de direction y étaient devenues dominantes ; les directions les ont mises en Å“uvre pour « faire passer » dans le parti communiste les accords que les « Ã©tats-majors » du PCF venaient de passer avec les états-majors du PS : c’est alors, et par ce processus, que les cellules furent dessaisies de la désignation des candidats communistes aux élections, qui était une de leurs prérogatives importantes ; ensuite, certains dirigeants du parti ont pris l’habitude de se servir des méthodes administratives de direction lorsqu’ils estimaient judicieux de maintenir les militants hors des discussions préparatoires àla prochaine décision àprendre, puis, lorsque la décision était prise, de les amener àl’appliquer sans la remettre en cause ; ces dirigeants ont développé un discours très adapté àcet usage, et c’est ensuite, àpartir d’eux, que ce discours est devenu majoritaire parmi les dirigeants des fédérations du PCF. La fin des cellules n’en fut que la conséquence inéluctable.
- Ce discours, comment fonctionnait-il ?
- Ceux qui l’ont mis en fonction étaient des dirigeants de sections, des dirigeants fédéraux et quelques dirigeants centraux appuyés par certains militants impliqués dans les « commissions de spécialistes » que réunissait le comité central.
- Ces dirigeants avaient interprété un accord électoral passé au niveau national entre le PS et le PCF, àl’occasion d’élections municipales, comme un mandat qu’ils auraient reçu de dresser avec leurs homologues du PS, au niveau des fédérations, des listes communes de candidats, et d’arrêter ces listes.
- Ils l’avaient fait le plus souvent sans tenir aucun compte de la particularité des communes les plus peuplées, dans lesquelles la règle électorale était le scrutin de liste avec répartition proportionnelle des sièges d’élus : or, cette règle rend pertinente, du point de vue démocratique, la présentation de listes séparées ; mais de le reconnaître aurait réduit àpresque rien le pouvoir sur le PCF que ces dirigeants s’arrogeaient en négociant d’abord avec le PS ; je vois aujourd’hui que ce pouvoir était alors un besoin essentiel de leur entreprise de faire muter le parti communiste français : s’ils ne s’arrogeaient pas ce pouvoir, ils n’y parviendraient pas ; c’est ma raison de les appeler ici « les dirigeants mutants » ou « les mutants ».
- Ayant signé leur accord national avec l’état-major du PS, ils agirent dans le parti communiste en deux phases successives, la première conduisant àarrêter avec leurs homologues départementaux du PS les listes communes des candidats aux élections prochaines, la seconde, àfaire passer ces listes dans le parti communiste pour qu’elles deviennent celles que présentait ce parti :

  • au cours de la première phase, ils conduisirent ces négociations sans réunir ni sections, ni cellules, et lorsque celles-ci se réunissaient, ils leur enjoignaient de parler d’autre chose en attendant le résultat des négociations ;
  • au cours de la seconde phase, il leur fallait obtenir l’aval des cellules ; il était encore nécessaire en effet que les cellules se déclarent en accord avec ces listes sans les modifier d’aucune manière ; mais en-dehors de cet aval, les cellules n’avaient plus rien àdécider.

- Seulement, pour que les communistes s’abstiennent de délibérer sur les prochaines élections et d’évaluer l’intérêt qu’aurait le parti communiste àce que tel ou tel d’entre eux soit candidat, il fallait obtenir de chaque communiste qu’il renonce àsa propre opinion, qu’il reconnaisse les compétences rassemblées dans l’« Ã©tat-major » de la direction fédérale comme supérieures aux siennes, et qu’il accepte l’existence dans le parti communiste de catégories distinctes, dont celle des candidats possibles, dont les listes seront gérées par les directions.
- En somme, il fallait obtenir que les communistes acceptent que leurs droits sur le parti communiste deviennent inégaux, et que le fonctionnement du parti soit désormais réglé sur cette inégalité.
- Cela peut sembler évident tant il est vrai que les méthodes administratives de direction ont pour essence l’inégalité en droits des membres de la société. Mais le communiste que je suis voit un véritable scandale dans le fait que le PCF ait ainsi évolué, en cessant de reconnaître àchacun de ses membres des droits égaux àceux de chacun des autres. Cette évolution du PCF fut d’ailleurs pour un très grand nombre de communistes une très forte raison de penser que le PCF cessait d’être leur parti et, par conséquent, de s’en éloigner.
- Le fait est que les dirigeants mutants inscrivaient constamment dans leurs discours le rétablissement de l’inégalité en droits parmi les membres du PCF. Ils le faisaient de deux manières :

  • d’une part ils donnaient une représentation obscure des problèmes de direction du parti, de préparation des décisions politiques, ainsi que des discussions qui se déroulent dans les organes réguliers de direction du parti : cette représentation était, et est toujours assez obscure pour être inaccessible aux militants communistes de base ;
  • d’autre part, l’information sur la société qu’ils inscrivaient dans leurs discours et textes ne provenait nullement de l’activité des cellules du parti, mais uniquement des sondages réalisés et publiés par les institutions idéologiques propres àla bourgeoisie ; de cette manière, ils faisaient disparaître la classe ouvrière de leurs discours ; en outre, ils y inscrivaient un processus obscurantiste, c’est-à-dire un processus qui en obscurcit le sens et obscurcit en même temps tous les sujets dont il traite ; ce processus obscurantiste était transposé des discours bourgeois ; dès lors aussi, il était pensé pour inhiber la critique des communistes.

- Afin d’inhiber la critique des communistes, ce discours emploie en grand nombre des mots considérés en France (àtort ou àraison) comme appartenant au vocabulaire de Marx et de Lénine, ainsi que de courtes, très courtes, citations de ces deux auteurs ; mais ces citations comme ces mots sont toujours sortis de leur contexte et pour cette raison, ils donnent lieu aux interprétations les plus contradictoires : dans les discours des dirigeants mutants, ils n’ont plus rien du sens que Marx ou Lénine leur avaient donné : ils sont làseulement pour renvoyer les militants de base àleur ignorance, àleur attente et même, si possible, àleur impuissance.
- La tentative d’inhiber la critique communiste est encore inscrite dans ces discours d’une autre manière : ils enjoignent aux communistes de se taire et d’obéïr. Cette injonction est venue confirmer que les dirigeants mutants du PCF niaient l’égalité des communistes en droits sur leur parti : pour nombre de communistes, cette injonction fut certainement une raison très forte de s’éloigner du PCF : elle heurtait leur pratique de la discipline communiste, qui n’est pas fondée sur l’obéïssance et qui ne s’exprime pas par l’obéïssance ; l’obéïssance en est totalement absente.
- La discipline des communistes est fondée sur :

  • l’étude scientifique de la situation politique, économique et culturelle réelle des nations,
  • l’engagement de la responsabilité individuelle dans l’étude et dans l’action ainsi que dans les discussions grâce auxquelles l’étude et l’action deviennent collectives,
  • la prise de parti d’abolir réellement l’exploitation des travailleurs de toutes catégories par les capitalistes et par tous les autres exploiteurs,
  • la volonté incessante de chaque communiste, qu’il fonde dans sa propre prise de parti communiste, de faire la révolution.

- L’aboutissement du processus porté par le discours des dirigeants mutants est ce que nous observons aujourd’hui : ce que nous pouvons voir comme un enlisement du PCF est l’incapacité des communistes qui en sont membres de décider et d’agir en politique ; cette incapacité résulte du processus qui a, au passage, détruit les cellules : nous pouvons constater que la direction mutante du PCF n’a que faire de l’avis et de l’activité des communistes, et aussi que lorsque les dirigeants discutent politique avec les communistes, le sens de leur discours est tantôt obscur, tantôt inexistant.
- La métaphore qui me vient àl’esprit n’est pas celle de l’enlisement, mais celle de l’enchanteur Merlin enfermé par la fée Viviane dans une tour de vent. C’est bien l’impression que me fait la direction du PCF : elle est enfermée dans une tour faite du vent que brasse son propre discours : ce discours la rend sourde àce que disent ou peuvent dire les communistes et l’aveugle sur la réalité matérielle de la vie des femmes et des hommes qui n’aspirent qu’àvivre dignement en France du travail de leurs mains et de l’application de leur intelligence !
- Cette tour de vent n’est que le discours réformiste qui dépolitise la politique parce que ceux qui le tiennent ont abandonné le matérialisme dialectique et renoncé au centralisme démocratique.

- Comment en sortir ?
- Les métaphores ne sont d’aucun secours : il s’agit de politique réelle, et les mots magiques dont les légendes illustrent les effets irrésistibles n’existent pas en politique réelle.
- C’est du communisme qu’il s’agit ici : il faut en effet restaurer les relations qu’entretenaient naguère les communistes entre eux et avec tous les autres travailleurs, et grâce auxquelles ils préparaient la révolution en assurant la pertinence, la légitimité et l’efficacité de leurs actions individuelles et de leur action collective. Ce qui compte ici, c’est la volonté de chaque communiste d’investir sa propre prise de parti politique dans son action réelle, et d’assurer la cohérence de son action individuelle avec l’action de chaque autre communiste.
- Faut-il croire que tout est joué, et que désormais nous serions gouvernés par la fatalité ?
- Chers camarades, je suis optimiste, et je pense qu’en France, les communistes peuvent décider de se remettre en un mouvement communiste cohérent : ils rendront ainsi ànotre peuple le véritable parti communiste qui manque aujourd’hui cruellement àceux qui ne peuvent vivre dignement que d’un travail digne de ce nom, et qui trop souvent ne trouvent pas ce travail.
- Deux questions se posent : pourquoi le faire, et comment le faire ?
- Pourquoi ? Les raisons de le faire ont été dites dans les développements qui précèdent ; mais il est bon de rappeler les plus importantes :
- La première de ces raisons est que l’exploitation capitaliste, tout comme les systèmes d’exploitation qui l’ont précédée mais àun niveau très supérieur, enrichit les exploiteurs en niant (ou en brisant, cela signifie la même chose concrètement) l’humanité des femmes et des hommes dont le travail est source de toute richesse.
- Un système économique fondé sur une telle inégalité que l’immense majorité de l’humanité est ravalée àune condition véritablement servile, et que la simple liberté humaine est le privilège de la minorité la plus riche, ce système peut-il être admis comme légitime et durable ?

  • Les privilégiés pensent qu’il doit en être ainsi et organisent toute la société, son économie, sa politique et sa culture pour que leurs privilèges soient reproduits de génération en génération.
  • Nous, communistes, nous le refusons : nous nous organisons et organisons les exploités pour renverser le pouvoir politique des privilégiés, abolir le système capitaliste d’exploitation, réorganiser toute la société, son économie, sa politique et par conséquent sa culture, pour établir, assurer durablement et reproduire de génération en génération l’égalité en droits de toutes les femmes et de tous les hommes.

- C’est en cela que consiste la révolution.
- Elle commence par l’expropriation des terres, des mines, des usines, des maisons de commerce, des banques et des assurances que les grands capitalistes ont placées sous leur propriété privée directe ou indirecte. S’il faut pour cela contraindre les plus jeunes de ces propriétaires àtravailler de leurs mains, nous les y contraindrons ; quant àceux qui ne sont plus en âge de participer au travail, ils devront se contenter d’une retraite.
- L’apropriation par les travailleurs de tous ces biens devra suivre immédiatement l’expropriation des capitalistes : l’étude critique des nationalisations de la Libération de 1945 et de celles de 1982 nous fait comprendre que l’apropriation par les travailleurs consiste àmodifier ensemble les structures technique et comptable de chaque entreprise de manière àassurer aux travailleurs eux-mêmes la maîtrise durable de l’outil de travail, de son entretien, de son fonctionnement, de sa maintenance, de son perfectionnement, de ses reconversions, de ses développements, ainsi que la maîtrise durable de l’objet du travail.
- Depuis que la bourgeoisie a pris en mains tous les pouvoirs et établi sa dictature sur notre pays, elle divise le travail en séparant comptabilité et production et en séparant conduite et exécution, de manière àprotéger toujours davantage la direction, qu’elle se réserve exclusivement, de toute interférence avec l’activité des ouvriers : àcette fin, elle déqualifie toujours davantage les tâches ouvrières, et c’est aussi àcette fin qu’elle inspire aux gouvernements àson service les réformes réactionnaires de notre système scolaire, qui ont toutes, depuis l’été de 1947, eu pour but d’assurer au patronat capitaliste que ses futurs salariés seront àl’avenir encore plus soumis àl’exploitation capitaliste qu’ils ne l’ont jamais été jusqu’àprésent.
- Mais les travailleurs sont des femmes et des hommes : ils sont capables de réagir, de refuser de se soumettre ; ils sont capables de prendre en mains individuellement et collectivement les tâches de leur poste de travail, de leur chaîne, de leur atelier, de leur usine, de s’unir aux autres exploités, de prendre en mains la division du travail et d’aboutir àassumer entièrement la production elle-même au mieux du progrès de l’humanité : dans cette révolte, ils libèreront leur intelligence.
- Que les privilégiés poussent des cris d’écorchés vifs àl’approche de cette révolution, cela se conçoit : elle sanctionnera l’échec global de leur système, de leur domination, de leur représentation du monde, de leur être.
- Mais surtout : la nécessité de cette révolution fut le motif de l’adhésion du congrès socialiste de Tours, tenu en 1920, àl’Internationale communiste : aujourd’hui, en l’an 2008, cette révolution est toujours nécessaire, et rien de ce qui s’est passé entre temps n’apporte un argument réel de nature àmontrer que les classes ouvrières devraient y renoncer, au contraire !
- Il faut donc que les communistes se remettent en un mouvement communiste cohérent.
- Comment peuvent-ils le faire ?
- Si l’exploitation capitaliste des travailleurs n’a pas cessé, par contre, en France, la lutte des travailleurs contre l’exploitation qu’ils subissent a reflué du plan politique et du plan culturel ; en conséquence elle a perdu sa cohérence, la conscience collective de classe a beaucoup reculé, et les travailleurs se sont divisés : ces raisons ont considérablement affaibli la lutte contre l’exploitation.

- Deux processus concourent àcet affaiblissement depuis quatre décennies :

  • Le premier est l’action de la bourgeoisie qui domine la France et exploite ses travailleurs, et notamment les progrès de cette action et ses résultats ; au nombre de ces progrès et de ces résultats, il faut citer :
    • la destruction des institutions républicaines de la France, et notamment :
      • la mise àmal des communes,
      • la diminution du rôle et des prérogatives des élus du peuple dans toutes nos collectivités territoriales et nationales,
      • la dégradation de la laïcité des enseignements de nos écoles, collèges, lycées, universités, et notamment l’effacement de l’enseignement des connaissances pratiques et théoriques nécessaires àla démocratie,
      • la destruction des services publics,
      • la privatisation des entreprises nationalisées ;
    • le renforcement de l’Etat bourgeois en France :
      • accroissement du poids, du rôle et des prérogatives des administrations et des structures corporatives du capital (syndicats d’exploiteurs, chambres consulaires), au détriment des élus du peuple,
      • création et développement d’administrations supranationales (européennes et mondiales), transfert vers elles de missions jusque làassumées par les administrations nationales et encadrement des administrations nationales par les administrations supranationales,
      • transfert àl’étranger d’importantes productions industrielles et agricoles, accompagné de la destruction des entreprises qui les assumaient,
      • destruction du salariat et réactivation des principes féodaux de l’assistance, de la précarité et de la corvée pour séparer le travail de sa rémunération.
  • Le deuxième processus s’est développé dans le PCF : c’est le réformisme lui-même qui a mis fin àla revendication politique communiste, aux processus d’étude propres au parti communiste, que ce parti proposait àses membres, et au bout du compte, qui a détruit dans le PCF la conscience communiste collective de la lutte des classes.

- Depuis ses débuts, l’action du réformisme qui se développe dans le PCF converge avec celle des partis réformistes de la nébuleuse « socialiste » : leur convergence a notamment permis àla bourgeoisie de renforcer sa domination idéologique sur l’enseignement des écoles, des collèges, des lycées, des universités, ainsi que sur les éditions du livre et de la presse écrite, parlée et télévisée, jusqu’àrendre cette domination totalitaire.
- Telles sont les évolutions du rapport des forces de classe en France, et telle est la situation politique qu’elles ont produite dans notre pays : ces conditions sont celles dans lesquelles les communistes doivent aujourd’hui se déterminer.
- Mon avis est que pour nous remettre en un mouvement communiste cohérent capable de donner lieu àl’activité d’un véritable parti communiste, il nous faut d’abord reprendre collectivement conscience de la lutte des classes : cela consiste àrecommencer d’analyser les luttes de classes et de fonder nos prises de positions politiques, dans tous les pays dont le nôtre, sur les intérêts qu’ont les peuples travailleurs dans les luttes économiques et politiques qui les opposent àleurs exploiteurs, lesquels s’organisent désormais autour de la classe bourgeoise, qui est dominante partout où sévit l’exploitation des travailleurs par ceux qui ne travaillent pas eux-mêmes.

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