La lutte des classes n’a pas changé : ce sont les conditions qu’elle fait à la prise de parti communiste qui ont été renouvelées. Il faut donc aujourd’hui que les communistes redéfinissent ce qu’est le parti ouvrier, contraire (opposé) au parti bourgeois dans la lutte des classes.
Sur le plan économique, l’affrontement des intérêts des ouvriers salariés d’une part et de ceux du ou des propriétaires capitalistes de l’entreprise d’autre part est direct et manifeste une contradiction antagonique : le propriétaire capitaliste prélève sur la plus-value qu’il escompte de l’entreprise les sommes de monnaie qui constituent les salaires qu’il doit au travailleur salarié : le salaire, c’est du profit en moins ; le patron capitaliste touchera d’autant plus de profits qu’il versera moins de salaires.
C’est aussi sur le plan économique que les ouvriers salariés constatent d’abord l’exploitation capitaliste : ce qu’ils voient, c’est que leur salaire suffit à peine à leur permettre de compenser ou de réparer la fatigue et l’usure que leur a causées le travail qu’ils ont fait pour le patron pendant le temps que ce salaire rémunère : c’est à partir de cette constatation qu’ils peuvent comprendre que le salaire qu’ils perçoivent ne leur suffit pas pour vivre ; et cette vérité est encore confirmée par le fait qu’en moyenne, les ouvriers qui atteignent l’âge auquel la retraite devient un droit n’en vivent que quelques mois, alors qu’en moyenne, les bourgeois chefs d’entreprise vivent de nombreuses années au-delà de cet âge.
En même temps, les ouvriers voient à l’évidence que le propriétaire de l’entreprise pour laquelle ils travaillent peut éviter les conséquences personnelles de ce que les syndicats capitalistes appellent « les difficultés de l’entreprise » : il lui suffit de faire « payer la note » aux travailleurs qu’il salarie, et au cours des quarante dernières années écoulées, nous avons vu assez d’exemples pour savoir que c’est bien ainsi que le syndicalisme capitaliste (le MEDEF après le CNPF) voit les choses, et que ses affiliés pratiquent.
Ces deux catégories économiques d’êtres humains, les ouvriers salariés et leurs familles d’une part, et les propriétaires capitalistes d’entreprises et leurs ayants droits d’autre part, ont donc des intérêts exactement opposés dans l’économie d’entreprise, et sont réunis par le fait que les membres de l’une de ces deux catégories ne peuvent exister si un rapport salarial ne les relie pas à des membres de l’autre catégorie : c’est l’économiste anglais Ricardo qui a découvert ces catégories quelques années avant que la révolution ne détruise le royaume de France, et qui les a nommées les classes sociales : l’une est la bourgeoisie, propriétaire des entreprises, des usines, des machines, des mines, des banques et des assurances ; l’autre est la classe ouvrière, ainsi nommée parce que ses membres ont la capacité de faire Å“uvre en transformant la matière pour en faire les biens et les richesses de la société ; les membres de la classe ouvrière méritent aussi d’être appelés les prolétaires, dans toute la mesure où ils ne possèdent rien d’autre que leurs mains et leur intelligence (leur corps), et que cela leur interdit de vivre autrement que du salaire qu’ils achètent au prix de leur temps de travail. Ce dénuement est la caractéristique qui définit les prolétaires.
Trois faits se montrent ici :
D’abord, la première revendication ouvrière, celle qui manifeste l’intérêt propre de l’ouvrier dans son rapport avec son patron capitaliste, c’est celle d’augmenter le salaire : mais si l’ouvrier revendique seul, il ne peut obtenir rien de concret.
Ensuite, si la revendication ouvrière devient collective, c’est-à -dire devient celle des ouvriers salariés de l’entreprise, elle peut obliger le propriétaire capitaliste à prélever sur les profits qu’il escompte la somme nécessaire à sa satisfaction ; il s’agit bien de contraindre le patron capitaliste, car le profit est son moyen d’exister : aux yeux du patron capitaliste, le profit est plus important que la vie des travailleurs qu’il salarie.
Enfin, la revendication ouvrière ne peut devenir collective que si les ouvriers organisent eux-mêmes et ensemble leurs revendications individuelles.
En France, ces trois faits formaient la base de la lutte des travailleurs contre l’exploitation capitaliste pendant tout le dix-neuvième siècle et pendant la plus grande partie du vingtième.
L’affaiblissement de la lutte contre l’exploitation capitaliste que nous observons au cours des trois dernières décennies écoulées, ainsi que les conséquences qu’a eues cet affaiblissement pour les membres de notre peuple, confirme encore leur importance : la revendication salariale reste la revendication de base de la classe ouvrière, et celle pour laquelle l’organisation revendicative de la classe ouvrière doit ( re- )commencer.
C’est la classe bourgeoise qui dresse les obstacles que rencontrent le mouvement de revendication ouvrière et le mouvement de revendication communiste : elle le fait pour protéger, maintenir, renforcer, perfectionner et étendre le prélèvement du profit ; elle le fait en faisant usage des objets qui sont sous sa propriété : les capitaux et les canaux de prélèvement et de circulation du profit. Cela non plus n’a pas changé depuis les débuts de la revendication communiste : par conséquent, la revendication fondatrice du mouvement communiste, de collectiviser (ou socialiser, ou nationaliser) la propriété des capitaux dominants de la terre, des mines, des usines, des maisons de commerce, des banques et des assurances, reste à l’ordre du jour des luttes de classes : c’est la revendication communiste de base, aujourd’hui comme lorsque Marx et Engels l’ont inscrite dans le Manifeste communiste de 1848.
Ce qui a changé, c’est :
- l’importance, le poids et la complexité de l’état au moyen duquel la bourgeoisie protège sa propriété,
- et la modification des structures de l’industrie bourgeoise.
En France, l’Etat bourgeois diffère de ce qu’il était quatre décennies plus tôt sur trois points essentiels :
- d’abord, les processus à forme républicaine qu’il contenait encore sont soit abolis, soit mis en sommeil, soit entravés dans les carcans construits autour et au-dessus d’eux sous prétexte d’Europe et de mondialisation : ces carcans sont des institutions nouvelles, supranationales, d’essence impériale ;
- ensuite, la bourgeoisie a multiplié et renforcé les administrations et autres structures verticales à caractère impérial, conçues dès le lendemain de la révolution, dès l’été de 1794, pour être insensibles aux mouvements populaires les plus légitimes et les plus nécessaires que la contre-révolution n’avait pu faire cesser : la bourgeoisie renforce les caractères impériaux de ces administrations et les place sous la dépendance des structures des empires européen et mondial en construction ;
- enfin, l’Etat bourgeois a divisé les sans-travail en plaçant diverses catégories d’entre eux sous divers régimes de travail précaire et d’assistance, tous placés sous son autorité directe ; elle réserve annuellement à ces régimes un grand nombre d’heures pour des travaux autrefois confiés à diverses professions : en vérité, ces différents régimes spéciaux de travail précaire et d’assistance sont pour elle un moyen d’augmenter le chômage, d’encadrer les chômeurs, et de créer de nouvelles catégories de sans-droits.
Quant aux moyens directs de l’exploitation des travailleurs (les chantiers, les usines, les ateliers, les boutiques, les parcs de machines et de camions), eux aussi ont changé :
de nombreuses usines ont fermé et leurs fabrications ont été transférées de diverses manières à l’étranger ; les unités de production restant sur notre sol sont de plus en plus nombreuses à avoir perdu les fonctions et les compétences les plus nécessaires aux entreprises, telles que les bureaux des méthodes, les bureaux d’études et même les services des ventes et prospections commerciales.
Des mines, parmi les plus importantes, comme par exemple les mines de fer et de charbon, ont été fermées.
Ce n’est ni le hasard, ni la poursuite de la rentabilité à court terme qui ont présidé à toutes ces fermetures : le fait est qu’elles ont mis fin à l’application en France du principe qui met en relation une nation avec l’économie de son territoire : une nation existe lorsqu’elle produit elle-même les conditions de sa propre vie dans le pays qu’elle habite au moyen de l’exploitation des ressources de son sol et de son sous-sol : l’existence de la nation se fonde en économie.
C’est encore un fait que ces fermetures ont été délibérées et décidées par la bourgeoisie : cesser d’extraire de notre sol et de notre sous-sol d’importantes ressources telles que le fer et le charbon, et dans le même temps développer l’importation de machines industrielles de toutes sortes alors que rien n’empêchait encore de les fabriquer en France, c’était pour la bourgeoisie le moyen de se réserver pour de très longues et nombreuses années l’exclusivité de la direction de l’économie de notre pays. Ces décisions imposées à la France sont un véritable sabotage de l’économie nationale : au cours des sixième et septième décennies du vingtième siècle, le parti communiste français était conscient de ce sabotage et dénonçait à juste titre la politique antinationale des gouvernements au service du grand capital.
Depuis quatre décennies, la bourgeoisie française a amplifié le sabotage de l’industrie française ; son but apparaît aujourd’hui au grand jour : c’est de priver la nation française de sa réalité économique, c’est-à -dire de détruire la nation française ; nous devons constater que les efforts qu’elle consacre à ce sabotage et ceux qu’elle met à construire les institutions de son empire européen sont en étroite corrélation : tous ces efforts convergent vers la dissolution de la France qui la fera disparaître dans l’empire européen.
C’est peu de temps après la fin de la première guerre mondiale, lorsqu’ils ont constaté les conditions dans lesquelles notre nation revenait à la paix, que les plus grands bourgeois français se sont prononcés contre la continuation de la France : de 1914 à 1918, la guerre mondiale avait certes bien affaibli notre pays, mais elle avait presque détruit les empires du centre et de l’est européen (l’allemand, l’autrichien-hongrois, l’ottoman et le russe).
Ruinant l’empire des Tzars, la guerre avait créé les conditions de la révolution qui, de février à octobre 1917, en avait détruit les institutions essentielles. La bourgeoisie française, de concert avec l’allemande, l’américaine, l’anglaise et la japonaise, y avait vu l’occasion de mettre la main sur ses immenses territoires et sur les ressources qu’ils contenaient : dans cette intention elle y avait envoyé des moyens militaires : une mission d’Etat-major à Varsovie, un corps expéditionnaire puissant retiré de la péninsule balkanique et débarqué à Odessa.
Mais marins et soldats français voulaient la paix et approuvaient « les Russes » d’avoir renversé le Tzar ; ils signifièrent leur volonté de paix en se mutinant : ils interdisaient ainsi à la bourgeoisie française de lancer l’armée et la marine françaises à l’assaut des territoires que bouleversait la révolution, et obligèrent le gouvernement français à rappeler en France le corps expéditionnaire.
Cette mutinerie et le bouillonnement qu’avait provoqué en France l’annonce faite en décembre 1917 de la révolution d’octobre 1917, ont instruit la bourgeoisie française : c’est la nation française elle-même, forte des traditions ouvrières de lutte de classe, forte aussi de la mentalité républicaine maintenue sous les drapeaux par la majorité des travailleurs, qui avait contrecarré ses projets criminels de guerre de conquête contre-révolutionnaire.
Ainsi instruits, les plus riches et les plus puissants des bourgeois français se mirent à considérer la nation française comme leur ennemie. Sans attendre, ils se mirent à étudier comment ils pourraient la détruire : Louis Renault, devenu immensément riche grâce aux commandes de tanks que lui passait le gouvernement, entra en relations d’affaire suivies avec le premier chef de grande entreprise qui avait apporté son soutien matériel à Adolf Hitler : John Ford, celui des automobiles Ford ; d’autres suivaient de près les activités criminelles des fascistes de Benito Mussolini, que Philippe Pétain admirait sans se cacher ; ces grands bourgeois voulaient donner à l’Etat bourgeois toute liberté de mettre en Å“uvre la politique de la grande bourgeoisie ; l’exemple de la violence sanglante exercée à partir de 1918 par la bourgeoisie allemande pour réprimer le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière allemande les inspirait très directement : ils concevaient d’assurer en France la liberté de la bourgeoisie en mettant à bas la République et s’il y fallait quelques crimes exemplaires, ils étaient prêts à les commettre.
La non-intervention en Espagne, c’est leur Å“uvre ; la débâcle de l’armée française, en 1940, l’occupation, la collaboration de l’Etat avec les autorités nazies et fascistes d’occupation, c’est la poursuite de leur politique.
Mais contre eux, le peuple, la classe ouvrière, les paysans travailleurs, ont su rendre vie à la nation : c’est la nation qui, en 1944, a brisé l’étreinte raciste (nazi-fasciste) imposée à la France, et c’est la nation qui a participé à la victoire de 1945.
La paix revenue, la grande bourgeoisie reste propriétaire du grand capital en France : le « grand frère » états-unien y veille. A partir de l’été 1947, elle met en Å“uvre un nouveau mode d’action, toujours à la poursuite du même objectif de réduire en France la nation à l’impuissance, de la détruire si possible ; la définition du projet d’« Union européenne » par ses porte-parole les plus connus, Robert Schumann et Jean Monnet, et sa poursuite incessante jusqu’à ce jour par tous les politiciens bourgeois en même temps que par les chefs bourgeois de l’économie française, ne sont que le cadre de long terme de cette politique.
En 2008, nous subissons le développement de cette politique, qui ne rencontre plus guère d’obstacle depuis que la dérive mutante a saisi le PCF.
On le voit : pour conduire cette lutte de classe, la bourgeoisie a mobilisé les objets de sa propriété que sont le capital et les entreprises qu’elle contrôle au moyen du capital, elle a aussi mobilisé son Etat, ceci n’étonnera personne, parce qu’elle a toujours considéré l’Etat comme sa propriété de classe ; dans ces luttes, son but a toujours été diviser le peuple et de le tenir dans l’incapacité de contrôler les ressources à travailler et les moyens de travailler. Ce but est ce qui donne le sens de toutes les réformes conduites par les gouvernements depuis l’été de 1947 ; la très timide exception de 1981 a été effacée en moins de deux ans.
Nous devons constater que cette politique a porté atteinte, dans notre peuple, aux intérêts de toutes les catégories liées au travail : lorsque la classe ouvrière de notre pays défendait efficacement ses droits et ses intérêts contre ceux de la bourgeoisie, toutes les autres catégories de membres de notre peuple en ont bénéficié ; c’est un fait que toute l’économie nationale en a bénéficié. Cela non plus n’a rien d’étonnant : le respect du principe économique qui relie la nation à son territoire conduit au plein emploi et à une économie équilibrée réalisant sur ce territoire une relation écologiquement saine de la nation avec le milieu naturel. Nous savons en effet que l’économie capitaliste n’exerce pas seulement sa violence sur ceux que les capitalistes exploitent, mais aussi sur la nature elle-même : la misère du peuple et l’empoisonnement du milieu naturel sont deux effets de la même violence. Le mouvement essentiel de l’économie capitaliste détruit le milieu naturel en même temps que la nation, et par les mêmes processus.
Ces constatations générales doivent conduire les communistes à rendre plus clairs les effets par lesquels l’appropriation ouvrière des entreprises et des ressources essentielles de notre sol permettra de satisfaire les revendications des membres de notre peuple qui n’ont d’autre ressource pour vivre dignement que d’échanger les produits de leur propre travail, quel que soit le statut sous lequel ils travaillent.
Pour y parvenir, il faut rompre avec le réformisme.
Ce n’est pas par ignorance de ces problèmes que ceux qui dirigent le PCF aujourd’hui ont pris le parti du réformisme : ils ont au contraire vu dans les évènements spectaculaires que ces contradictions ont engendrés l’occasion d’abandonner tout semblant d’orientation révolutionnaire dans la politique qu’ils imprimaient au parti ; ils se refusaient ainsi à affronter les difficultés, à les étudier, à faire avancer l’organisation communiste de manière à les réduire ; ils tentaient d’éviter ces difficultés, de les contourner, et, cédant devant les déferlements de la propagande bourgeoise, dont nous savons que la vérité n’est ni son essence, ni son but, ils ont renoncé à résoudre les problèmes que posaient ces difficultés, donc renoncé à faire la révolution.
Les communistes considèrent que la misère est un crime commis contre le peuple, aujourd’hui par la bourgeoisie comme autrefois par toutes les classes qui ont tiré avant elle, puis avec elle, le profit de l’exploitation du travail d’autrui : en renonçant à la révolution, les chefs mutants du PCF se sont rendus durablement complices de la bourgeoisie. Il faut rompre avec eux, rompre avec le réformisme.
Ce dont il s’agit, c’est de faire la révolution !
Les communistes doivent y contribuer en relançant le mouvement communiste d’organisation, afin qu’il engendre un parti communiste véritable.
L’objet de ce mouvement est :
- que le peuple prenne une connaissance directe de la réalité de la vie de ses membres et de toutes les modalités de l’exploitation que chacun subit, individuellement et collectivement ;
- que cette connaissance s’inscrive à tous les niveaux individuels et collectifs de la lutte pour abolir l’exploitation capitaliste directe et indirecte.
Les acteurs du mouvement communiste d’organisation sont les femmes et les hommes membres du peuple : ils subissent l’exploitation capitaliste, directement ou indirectement ;
Les propriétaires des gros capitaux et grands bourgeois ne sont pas des membres du peuple, mais des privilégiés ; ils ne peuvent pas unir leurs intérêts à ceux des membres du peuple dans la lutte contre l’exploitation capitaliste ; si des bourgeois contribuent à cette lutte, ce ne peut être qu’en trahissant la bourgeoisie, en trahissant leur classe : la contribution de membres de la bourgeoisie à la lutte pour abolir l’exploitation capitaliste est possible, mais ne peut être que marginale et accessoire.
L’objectif de la lutte pour laquelle le mouvement communiste s’organise est que le peuple prenne possession des moyens de travailler que possède directement ou indirectement la bourgeoisie capitaliste, en vue de redéfinir la division, les objectifs et les modalités du travail de telle manière que le travail ainsi redéfini satisfasse durablement les intérêts des travailleurs et de tous les membres du peuple.
Au nombre des moyens de travailler, il faut compter la connaissance, et plus précisément les processus qu’elle développe dans tous les domaines nécessaires à l’humanité tout entière : lire, écrire, compter, observer, réfléchir, mesurer, raisonner, étudier la nature ; et aussi les disciplines de l’étude de la nature que sont l’histoire naturelle (cette discipline comprend la géologie, la biologie et l’écologie), l’astronomie, la physique, la chimie, ainsi que les disciplines nécessaires à notre intelligence du monde que sont l’histoire, la géographie, les mathématiques et la philosophie,...
Il se montre ici que la revendication communiste, qui est une revendication politique, ne se limite pas à reprendre les revendications matérielles des seuls ouvriers salariés d’usine ; en réalité, elle est beaucoup plus diverse et beaucoup plus profonde que cela : elle prend en compte les revendications des ingénieurs et techniciens qui participent à la production matérielle, en tant que leur participation est nécessaire au déroulement de la production et qu’ils ne servent pas au prélèvement ni à la circulation du profit ; elle prend en compte les revendications de tous les membres du peuple qui accomplissent un travail de production matérielle, même s’ils ne travaillent pas sous le statut de salariés ; elle prend en compte les revendications des membres des professions médicales, en tant que ces femmes et ces hommes ne placent pas dans leurs intérêts de s’approprier une part du profit prélevé sur le travail, mais simplement une rémunération leur permettant de vivre eux-mêmes dignement en participant au maintien et au progrès de la santé des travailleuses, des travailleurs et de leurs familles ; elle prend en compte les revendications des enseignants, en tant que ces femmes et ces hommes ne courent pas après une part du profit prélevé sur le travail, mais revendiquent seulement une honnête rémunération de leur participation aux institutions par lesquelles les travailleurs développent leurs talents et font progresser leur propre force de travail, et par lesquelles leurs enfants acquièrent les connaissances qui font d’eux des citoyennes et des citoyens et développent toutes les aptitudes grâce auxquelles ils enrichiront leur avenir et celui de toute la société ; la revendication communiste converge avec les intérêts de nombreuses catégories de membres du peuple.
La revendication communiste n’est incompatible qu’avec les intérêts de ceux qui vivent du prélèvement du profit, en se l’appropriant et en l’incorporant au capital dont ils sont propriétaires directs ou indirects.
Cela conduit les communistes à poser, dans le cadre de la revendication générale de socialiser (ou nationaliser) les capitaux de la terre, des mines, de l’industrie, du commerce et de la finance, les revendications suivantes :
- A la campagne : réaliser la réforme agraire qui divisera les grands domaines capitalistes en exploitations à taille humaine et répartira ces exploitations de telle manière que cette répartition permettra à de nombreux sans-travail de se mettre au travail de la terre et d’en vivre dignement ; cela suppose de satisfaire en même temps la revendication de prix agricoles à la production permettant d’en finir avec l’aberration de l’agriculture subventionnée ; cela suppose aussi de briser le carcan industriel dont la bourgeoisie capitaliste a corseté l’agriculture ; cela suppose encore de relier concrètement le travail de la terre à la connaissance des processus naturels, et d’ouvrir aux paysans l’accès sans limites à la connaissance de notre environnement minéral, végétal et animal, ainsi qu’à la recherche scientifique dans l’ensemble de ce domaine.
- A la mer : rendre aux marins pêcheurs le contrôle de la pêcherie industrielle et artisanale, de l’armement pour la pêche, du mareyage, ouvrir aux marins l’accès sans limites à la connaissance du monde marin et à la recherche océanographique.
- Dans les villes : réformer les conditions de l’exercice des métiers artisanaux de l’art, du commerce et de l’industrie de manière à les libérer de toutes les sujétions et de toutes les contraintes qu’ils subissent aujourd’hui de la part de la bourgeoisie capitaliste.
- Partout (Ã la campagne, Ã la mer, dans les villes) :
- rétablir le droit des personnes à s’associer en coopératives, en associations mutualistes (mutuelles) et en associations pour toutes les activités maritimes, agricoles, industrielles, commerciales, financières, culturelles et de loisir, et exclure la prise de contrôle de ces personnes morales par les capitalistes, qu’ils soient des personnes physiques ou des sociétés
- modifier les lois sur les droits d’auteurs et sur les droits des inventeurs de manière à exclure les personnes morales du bénéfice des droits d’auteurs, et à garantir que les auteurs et les inventeurs bénéficieront personnellement et directement des droits qui leur appartiennent, et que ces droits seront transmis après leur mort à leurs héritiers directs de la première génération ;
- rétablir le sens de la laïcité et libérer l’enseignement laïc.
En vérité, il n’y a là rien de nouveau : Marx et Engels avaient bel et bien étendu la revendication communiste héritée de Gracchus Babeuf à l’ensemble de ce champ, et dans l’après-guerre de 1945, les communistes revendiquaient réellement avec toute cette ampleur. En France, ce n’est qu’au cours des septième et huitième décennies du vingtième siècle que la revendication du PCF s’est progressivement rétrécie.
Huitième lettre : Etatiser n’est pas nationaliser !
8 septembre 2Â 008
Aux dernières nouvelles, l’empire états-unien vient de prendre sous sa tutelle deux entreprises financières, afin d’éviter les conséquences dramatiques de leurs spéculations. Leurs PDG ont été licenciés (il n’y a pas lieu de pleurer sur leur sort) ; elles vont être dirigées par un tuteur impérial (c’est un parrain du capitalisme) ; pour les actionnaires, rien n’est changé, sauf que ce n’est pas eux qui ont nommé le tuteur (nous ne pleurerons pas non plus sur leur sort). En fait, l’état capitaliste est devenu le tuteur de ces entreprises, mais il n’en est pas devenu propriétaire : parler d’étatisation dans ce cas n’est pas exact : ce ne peut être qu’une approximation. Pourtant, les propagandistes de l’idéologie bourgeoise vont plus loin : ils appellent cela une nationalisation. Dans quel but ?
Le tuteur de ces entreprises les dirigera selon la loi de l’empire, qui est celle du capitalisme. Cela ressemble à la mise en tutelle d’un homme dont le comportement dévie outrageusement de la norme ; personne ne doute que le comportement de ces entreprises se réglait sur l’application des lois économiques du capitalisme : elles déviaient donc, mais au sein du régime économique du capitalisme ; l’empire les prend sous sa tutelle, mais pour les ramener dans la norme du système capitaliste.
Le peuple est resté en-dehors de ce jeu, maintenu dans l’incapacité de faire valoir ses intérêts par une action politique : il n’y a rien dans cet événement qui ressemble de près ou de loin à l’intervention de la nation. Peut-il y avoir nationalisation sans intervention de la nation ?
A quelles conditions peut-on dire qu’une entreprise a été nationalisée ?
Nationaliser une entreprise, c’est la faire passer sous la propriété réelle et directe de la nation :
- les anciens actionnaires de cette entreprise cessent de l’être : ils sont déssaisis de toutes leurs actions ou parts d’action ; le maximum qu’ils puissent garder, ce sont des obligations ;
- la nation prend tous les droits du propriétaire ; c’est elle désormais qui détermine l’objet de l’entreprise, la localisation de ses établissements, les ressources qu’elle exploite, la division interne de son travail, l’équipe chargée de sa direction, et qui exerce tous les autres droits du propriétaire de l’entreprise.
Par conséquent, les propagandistes de l’idéologie bourgeoise se rendent coupables d’escroquerie lorsqu’ils parlent de nationalisation pour désigner la prise en tutelle d’une entreprise par l’empire capitaliste (ou par l’un de ses états).
Notamment, les ouvriers d’une entreprise nationalisée comme ses autres salariés participent de plein droit à sa gestion quotidienne, à la planification d’entreprise, à la conduite de la production, aux progrès des techniques et aux évaluations et décisions technologiques, entre autres droits du propriétaire... Il y a donc un énorme différence entre une entreprise appartenant à la nation et une entreprise capitaliste sous tutelle de l’état capitaliste.
Nous pouvons observer une partie de cette différence en comparant les « nationalisations » de 1982, qui ont été effacées en quelques mois, aux nationalisations du front populaire et de la libération, dont il reste encore, après soixante dix ans et après soixante ans, des traces sociales et matérielles, dans notre économie et dans nos mémoires ; même si elles n’ont pas été dotées de toutes les caractéristiques et conditions de la propriété nationale, elles en ont été proches...
En réalité, nous avons en France une expérience contradictoire des entreprises capitalistes et de leur face-à -face avec des concepts annonçant une autre économie, tels que ceux des entreprises coopératives, mutualistes et associatives, ceux de la propriété nationale appliquée à EDF-GDF, avec la Caisse d’Action sociale, ceux qui ont connu un début de mise en Å“uvre dans les entreprises de l’aviation nationalisées lors de la Libération, ceux des tentatives autogestionnaires qui se sont multipliées par toute la France pour reconstruire l’industrie nationale détruire par l’occupation et par le guerre, ceux des Comités d’Entreprise... le sens que leurs auteurs donnaient à ces concepts étrangers au capitalisme était explicitement de créer des conditions favorables au socialisme ; et toute cette expérience, que je replace en pensée dans les conditions des époques où nous l’avons acquise, me donne de très fortes raisons de dire aujourd’hui que propriété nationale et propriété sociale des entreprises sont une seule et même chose.
On comprend alors pourquoi les idéologues au service de l’empire capitaliste, mentent comme ils le font sur le sens du mot nationalisation : ils espèrent effacer de nos consciences le sens de ce mot, et avec lui, le sens du mot nation, rien de moins !
Sur quoi fondent-ils leur mensonge ? Ils le fondent d’abord sur l’autorité qu’exercent les grands bourgeois capitalistes. Mais cette autorité n’est ni logique, ni scientifique : c’est l’autorité de l’état bourgeois ; elle est de nature impériale, elle en appelle à la force armée, à la police, chaque fois qu’elle se sent menacée.
Sous cette autorité, les idéologues bourgeois préparent ce mensonge depuis plusieurs décennies, en avançant le concept d’une confusion qu’ils ont délibéré de propager : c’est celui de l’état-nation. On voit bien que si nous acceptons de confondre l’état et la nation, il nous sera alors bien difficile de revendiquer la nationalisation contre l’étatisation : nous ne pourrons éviter que le peuple confonde la mise d’une entreprise sous tutelle de l’état, que l’on peut rapprocher de son étatisation, avec une nationalisation !
Qu’arrivera-t-il alors ? Déjà , des petits-bourgeois « de gauche » voient dans les interventions par lesquelles les états capitalistes amortissent les à -coups de leur économie autant de manifestations d’« une politique sociale » et s’efforcent d’entraîner les communistes à les approuver ; mais dans leur théorie, quelle est la place de la propriété des capitaux fonciers, miniers, agraires, industriels, commerciaux et financiers ? C’est pourtant bien cette propriété qui donne à ses propriétaires le pouvoir de faire intervenir les états capitalistes aux frais des exploités pour sauvegarder le flux du profit qu’ils prélèvent !
Demain, si nous les laissons manipuler ainsi le sens des mots, ces messieurs les propriétaires des gros capitaux mettront leurs entreprises sous tutelle de leur état et diront aux travailleurs : « Voici le socialisme que vous demandez ! Maintenant, retournez travailler parce que si nous ne pouvons pas prélever du profit, nous y mettrons fin ! »
Dans les luttes de classes, le sens des mots est une arme qu’il ne faut pas lâcher !
Neuvième lettre : l’état dans la révolution, deux expériences réelles
25 septembre 2Â 008, Ã tous les travailleurs de France
Il y a eu dans le monde, au vingtième siècle, deux vagues de révolutions socialistes ; en Europe, la première est une conséquence de la guerre mondiale de 1914-1918 : c’est la révolution russe qui a abouti à la création du pays des soviets, puis de l’URSS ; la deuxième est une conséquence de la guerre mondiale causée par l’empire nazi-fasciste allié dans le « pacte anti-kommintern » à l’empire, lui aussi raciste, du Soleil levant (le Japon) du fait qu’ils ont entrepris de conquérir le monde entier : c’est l’ensemble de la révolution chinoise, des révolutions qui ont créé les démocraties populaires puis les républiques socialistes dans les pays de l’est européen. Il faut aussi considérer les révolutions populaires anticolonialistes, qui ont conduit au démantèlement des empires coloniaux et à la constitution des pays aujourd’hui appelés « du tiers-monde », comme faisant partie des conséquences de long terme de la guerre mondiale contre les racismes (nazisme, fascisme, impérialisme nippon).
Je considère la révolution cubaine comme un événement précurseur d’une troisième vague de révolutions socialistes.
La guerre qui avait été entreprise par les racismes (le nazisme, le fascisme, l’impérialisme nippon) pour conquérir le monde, puis les lourdes pertes infligées aux armées de conquête nazi-fascistes par l’Armée rouge combattant en retraite, la résistance populaire à cette conquête, puis la longue retraite infligée aux armées de l’empire nazi-fasciste par l’armée soviétique après sa victoire de Stalingrad, la destruction des dernières forces militaires de cet empire dans Berlin par l’armée soviétique, tout cela avait modifié les rapports des forces établis dans tous les pays d’Europe entre les bourgeoisies et les classes travailleuses ; le fait est que les bourgeoisies du monde entier ont très fortement ressenti le rôle qu’ont joué les peuples dans la résistance aux racismes européens (au nazisme et aux fascismes), dans la libération qui a renversé l’empire raciste et dans la victoire de 1945.
Dans certains pays, tels l’Italie, la Tchécoslovaquie, la France, la Yougoslavie, la résistance populaire trouvait ses forces principales dans le mouvement de revendication ouvrière, dont un animateur essentiel était le parti communiste et qui échappait à la tutelle bourgeoise ; elle avait entrainé l’ensemble des forces de résistance dans une guerre authentiquement nationale et pacifiste contre le nazisme et contre les fascismes ; ce fait a profondément inquiété toutes les castes propriétaires des plus gros capitaux du monde ; pour faire face à cette inquiétude, elles se concertent depuis lors en permanence et la « construction européenne » résulte de cette concertation.
En France, la résistance avait été fortement marquée par la revendication populaire de socialisme : les mouvements de résistance, qui couvraient tout l’éventail politique de notre pays, du parti communiste à ce qu’on appelle usuellement « la droite », sauf les fascistes, leurs sympathisants et les partisans de l’Etat pétainiste, s’étaient fédérés le 27 mai 1943 en formant un Conseil national de la Résistance (CNR), dont le programme, publié en mars 1944, portait indiscutablement la légitimité de la revendication populaire de socialisme, sans toutefois promettre la satisfaction de cette revendication.
Dans cette situation nouvelle, la bourgeoisie française a confirmé son objectif d’entraver la vie culturelle de la classe ouvrière, et si possible de lui interdire de reproduire sa conscience de classe de génération en génération ; tel fut aussi l’objectif que toutes les grandes bourgeoisies d’Europe ont fixé à leur action lorsqu’elle concernait la France ; c’est afin d’y parvenir que la bourgeoisie française s’est ensuite appliquée à détruire les concentrations de travail ouvrier, c’est-à -dire les grandes usines et les fortes densités d’entreprises petites et moyennes ou artisanales, et à détruire en même temps les villes ouvrières et les quartiers ouvriers : le prétendu défaut de rentabilité n’a jamais été qu’un faux prétexte, d’ailleurs manipulé grâce à la haute main que la bourgeoisie a toujours gardé sur la gestion de la monnaie nationale.
André Malraux a résumé cette politique de destruction de la nation avec une concision convaincante : Changez la mémoire du peuple, et vous changerez le peuple ! Changer le peuple français pour qu’il cesse d’avoir conscience de ses droits, pour qu’il cesse d’être rebelle à la loi bourgeoise, pour qu’il cesse de résister à la domination de la bourgeoisie, pour qu’il se soumette à l’ordre inégal du capitalisme, pour qu’enfin, il obéïsse...
En Tchécoslovaquie, la guerre et sa conclusion avaient renversé le rapport des forces entre la bourgeoisie et la classe travailleuse de telle manière que la libération du pays mit à l’ordre du jour la satisfaction de la revendication ouvrière de socialisme ; chacun sait bien qu’une telle refonte de toutes les institutions du pays implique de modifier les rôles et les situations personnelles de tous ses habitants : tout cela ne peut aller sans provoquer des remous ; chacun sait aussi que la bourgeoisie exploite chacun de ces remous, de manière pour ainsi dire automatique, aux fins de protéger son pouvoir politique, sa mainmise sur l’économie et, si nécessaire, de reconquérir le pays, s’il lui a échappé, pour y détruire le socialisme et recommencer d’y prélever le profit. Tel fut bien l’objectif que se fixèrent les bourgeoisies non seulement tchécoslovaque, mais européennes et états-unienne aussitôt que les partis bourgeois eurent été chassés du pouvoir et que l’Etat eut reçu pour mission d’assurer la domination de la classe ouvrière des villes et des campagnes sur la bourgeoisie, ce qui, à Prague, eut lieu au mois de février 1948... pour ne prendre que l’exemple de la Tchécoslovaquie !
Je suis devenu communiste en 1956 ; j’avais étudié l’argumentation que Marx et Engels avaient apportée au socialisme, en la fondant solidement dans leur propre observation des évènements sociaux et dans l’étude que Marx a signée des courants économiques qui font le mouvement du capital ; j’avais aussi pris connaissance de celle de Lénine, qui avait confirmé la précédente ; Lénine l’avait développée en militant pour le socialisme et pour la paix ; il avait porté tout particulièrement son attention sur la transformation qui a affecté les courants de l’économie et les mouvements sociaux lorsque les sociétés sont passées de la paix du début du siècle à la guerre de 1914 ; j’étais convaincu par ces argumentations : pour moi, le sens profond du socialisme était la participation de chaque ouvrière et de chaque ouvrier des villes et des campagnes à tous les niveaux de la direction de l’économie et de la politique du pays tout entier ; à mes yeux, le sens profond du socialisme est aujourd’hui toujours celui-là .
J’admettais que la Tchécoslovaquie, comme d’autres pays d’Europe, avait entrepris d’instaurer une société socialiste, c’est-à -dire une société dont la règle serait celle-là ; vingt ans d’édification du socialisme ne pouvaient qu’avoir donné à chaque travailleur des villes et des champs de Tchécoslovaquie un immense appétit pour une refonte de la division du travail et de la répartition des tâches de l’économie destinée à priver définitivement la bourgeoisie des tâches et fonctions qui constituent l’exercice de son pouvoir, à lui interdire désormais et à tout jamais de les exécuter elle-même ou de les faire exécuter par son Etat.
Une telle refonte consiste à :
- réintégrer à la production les tâches de contrôle et de conduite qui sont censées la servir ;
- confier aux équipes de travailleurs qui font le travail de l’entreprise les tâches qui constituent la politique de l’entreprise ;
- confier aux assemblées de citoyens de chaque niveau les tâches qui constituent la politique de la cité, à tous les niveaux de la cité (commune, canton, département, nation) ;
- mettre fin à la contrainte que la bourgeoisie fait peser sur la classe ouvrière, grâce à laquelle les capitalistes prélèvent le profit et l’incorporent au capital, et établir une contrainte de la classe ouvrière sur la bourgeoisie, afin d’interdire aux capitalistes de prélever le profit, et de soumettre le capital à la propriété sociale (ou nationale, ce qui est la même chose).
Ce dernier axe de refonte demande quelques explications.
L’histoire de l’Europe met au jour comme une évidence que, dans toutes les sociétés d’inégalité, le rapport de domination de classe est l’obstacle qui s’oppose au progrès de l’être humain, et que cette opposition se manifeste sur tous les plans individuels et collectifs. Marx, Engels, Lénine et d’autres auteurs communistes l’ont constaté et mis en lumière ; c’est important parce qu’en permanence, les idéologues bourgeois s’appliquent à le cacher. Mais ni Marx, ni Engels, ni Lénine, ni les autres auteurs communistes ne l’ont inventé : leur apport est d’avoir considéré que la classe ouvrière et ses alliés, unis autour du prolétariat, commencent la révolution en contraignant la bourgeoisie à cesser de contraindre les travailleurs, qu’elle exploite, et que ce renversement rend à l’être humain sa faculté de progresser sur tous les plans individuels et collectifs.
Cela admis, qui est le premier principe de la révolution, une première question se pose à tout révolutionnaire : quel mouvement de notre société est-il assez cohérent, assez solidement enraciné dans la vie des femmes et des hommes, pour devenir capable de contraindre la bourgeoisie à cesser l’exploitation sans laquelle elle n’est rien ?
Gracchus Babeuf, déjà , s’était heurté à cette question ; c’est lui qui a donné les premiers éléments pour y répondre : la bourgeoisie, qui gouverne et exerce tous les pouvoirs, est minoritaire dans la société ; ceux qui travaillent et produisent tous les biens et richesses sont au contraire l’immense majorité, mais leurs droits de vivre, leurs droits humains et civiques, sont violés et niés par la bourgeoisie. La source du mouvement libérateur est donc le besoin de vivre des travailleuses et des travailleurs, et sa ressource est le nombre de ceux qui revendiquent la satisfaction de ce besoin.
Pour Babeuf, le mouvement capable de contraindre la bourgeoisie se constituera par le rassemblement de ceux qui portent cette revendication contre la misère que le gouvernement bourgeois impose au peuple. La source du mouvement qui libèrera la société de la dictature bourgeoise, et de la misère qui en est le fruit, cette source est dans le rassemblement cohérent de ceux qui ne possèdent que leur corps et qui revendiquent de vivre dignement et libres.
Pour Gracchus Babeuf, toutes ces raisons donnent à la revendication populaire de la république un sens très clair : la république est le mode constitutionnel qui donne à chaque membre du peuple une voix délibérative en politique, et grâce à cela, les travailleuses et travailleurs peuvent joindre leurs légitimes revendications de vivre dignement et en liberté, user de leurs droits de citoyens pour les porter sur le plan politique, et constituer ainsi un mouvement politique populaire ; dans les délibérations de la république, le mouvement politique populaire peut formuler et poser ses revendications révolutionnaires, s’élargir à l’ensemble du peuple, constituer ainsi le nombre en la force politique qui abattra la dictature de la bourgeoisie.
Marx et Engels ont apporté aux idées développées par Gracchus Babeuf d’importants et nécessaires compléments théoriques qui précisent les concepts de la révolution. Ce fut le fruit de l’étude qu’ils faisaient afin de satisfaire aux exigences de leur engagement militant pour les intérêts de la classe ouvrière dans les luttes des classes, dans la perspective de la révolution prochaine. Cette étude avait pour objets concrets la révolution qui avait détruit le royaume de France de 1789 à 1794 et les divers mouvements ouvriers révolutionnaires européens qui lui ont fait suite ; elle avait pour moyen l’animation du mouvement communiste internationaliste ; les études que firent Engels de la guerre de 1870 en France et Marx de la Commune de Paris furent particulièrement productives.
On trouve en effet dans leurs écrits de cette époque la démonstration que l’essence même de tout gouvernement bourgeois est véritablement une dictature, même lorsqu’il se revêt de formes empruntées à la démocratie ; on y trouve aussi la définition de l’état comme l’institution de la dictature d’une classe sur une autre ; cette définition est incompatible avec le concept petit-bourgeois d’état-nation ; cela doit nous interdire de confondre l’état et la nation.
Pour contraindre la classe travailleuse, pauvre et majoritaire, la bourgeoisie, classe riche et minoritaire, a besoin d’un état parce que ses propres effectifs ne sauraient y suffire : pour l’instituer, elle doit utiliser la finance, dont elle est maîtresse ; la finance essentielle de l’état est donc le profit que la bourgeoisie accapare, et sa finance principale est l’impôt que sa place dominante lui permet d’utiliser pour ses intérêts égoïstes, au détriment des intérêts de la nation (notamment, mais pas seulement, en finançant les fonctions militaires et policières).
Donc, la révolution doit commencer par s’attaquer à l’état bourgeois.
Mais contre l’état bourgeois, la classe travailleuse n’a pas d’autre ressource que la personne de chacun de ses membres : Babeuf avait raison, la force du nombre est nécessaire, indispensable à la classe travailleuse pour accomplir la révolution. Cela pose une nouvelle question : comment constituer le nombre en une force politique ?
Le seul moyen d’y parvenir est de développer dans la classe travailleuse un mouvement d’organisation indépendant de la bourgeoisie et de tous ses alliés. Or, un mouvement d’organisation existe dans la classe ouvrière : il résulte de l’organisation du travail elle-même, et du fait que le travail s’arrête lorsque les ouvriers attachés à faire ensemble ce travail cessent de communiquer entre eux. Certes, la bourgeoisie a commis des ingénieurs, des inspecteurs, des contremaîtres et des contrôleurs pour rester maîtresse de cette communication, mais dès lors que ce sont des humains qui communiquent, nul contrôle ne peut être total.
Marx et Engels voyaient dans cette nécessaire communication la source et le moyen essentiel de développer un mouvement humain propre à la classe ouvrière à partir de la revendication ouvrière du droit de vivre qui s’en prend au profit.
On le voit : ce mouvement prend sa source dans le plan de l’économie ; à partir de là , il a toutes les raisons de se développer jusqu’à investir le plan de la politique, que la bourgeoisie prétend interdire à toute autre classe qu’elle-même et réserver exclusivement à son gouvernement ; une dynamique propre à l’être humain fait de ce mouvement propre à la classe ouvrière la source d’un mouvement de la conscience particulier aux ouvriers, la conscience ouvrière de classe. Un siècle et davantage de l’histoire sociale des différents pays nous montre que la conscience ouvrière de classe est un mouvement culturel riche et fécond que les classes dominantes, exploiteuses, s’efforcent sans cesse de censurer.
Lénine, suivant Marx, appelait l’attention des communistes sur la nécessité pour le prolétariat de constituer son propre état au moment même où la victoire réduit la bourgeoisie à l’impuissance : il s’agit de soumettre immédiatement et sans délai la bourgeoisie à la contrainte prolétarienne, car se fondant comme Marx et Engels sur l’ensemble de l’expérience des luttes de classes, il savait que la bourgeoisie ne se pliera jamais de bon gré et sans contrainte à la loi des travailleuses et travailleurs victorieux.
Lénine n’a pas attendu la révolution pour traiter de cette question : observant dès la fin de l’année 1914 que la guerre ravageait l’empire des tsars au point de diminuer les moyens bourgeois de la contrainte sur le peuple, il jugea que l’évolution du rapport des forces de classes qui en résultait devenait favorable à la révolution : dès lors, il entreprit d’approfondir l’étude de l’état capable de contraindre la bourgeoisie à subir la loi des travailleuses et des travailleurs : dès cette époque, il insistait beaucoup sur l’idée qu’il incombait au prolétariat lui-même de devenir cet état ; il rappelait avec insistance que les travailleuses et les travailleurs des villes et des campagnes sont le nombre, alors que la bourgeoisie exploiteuse n’est qu’une minorité : il insistait encore sur sa conclusion : pour Lénine, la dictature du prolétariat réalise la démocratie, et produit la première réalisation historique véritable de la démocratie. Pour Lénine, les révolutionnaires n’avaient absolument pas à « retourner » l’état de la bourgeoisie contre la bourgeoisie : c’est un autre état, d’une autre nature, qui doit démanteler l’état bourgeois, et il doit le faire en accomplissant la volonté de la majorité pauvre contre la minorité riche. Cet état qui accomplira la volonté de la majorité pauvre en démantelant l’état bourgeois mérite seul le nom de république, que la dictature bourgeoise n’a jamais fait qu’usurper.
Telle était la vision que j’avais dès avant 1960 de la révolution et du socialisme, et dans le parti communiste, je n’étais pas le seul à l’avoir : elle m’avait été enseignée par les « vieux camarades » qui m’avaient accueilli dans le parti communiste (tout est relatif : ils avaient bien au moins trente ans quand j’en avais dix-huit !...), et ceux-ci ne s’étaient pas fait faute de l’enseigner aussi à d’autres jeunes militants !... Pour moi, cette vision de la révolution et de l’édification du socialisme coïncide avec la représentation qui se dégage de l’Å“uvre de Marx et d’Engels, et après eux, de celle de Lénine : telle est la révolution qu’il appartient aux travailleurs de faire pour instaurer le socialisme.
Cela étant, nul révolutionnaire, depuis le début des sociétés humaines, n’a jamais pu conduire une révolution sans être limité par les conditions concrètes dans lesquelles cette révolution a lieu, et notamment par le rapport des forces des classes en cause dans la crise révolutionnaire. Lénine et les Bolchéviks ne le pouvaient pas plus que les autres ; cela peut étonner beaucoup de monde aujourd’hui à cause de l’intoxication de masse que diffuse la propagande bourgeoise, mais cela ne peut pas étonner les lecteurs de Marx : cette impossibilité qui encadre matériellement l’action des militants révolutionnaires est un des enseignements sur lesquels Marx insiste le plus, et sur lesquels Lénine revient sans cesse.
J’étais donc certain que la révolution russe de 1917 et le gouvernement du pays par les conseils d’ouvriers et de soldats (le mot russe soviet est l’exacte traduction du mot français conseil) apporterait aux théories de Lénine l’éclairage de l’expérience concrète ; que cet apport n’ait pas encore été fait ne m’étonnait pas outre mesure : je savais qu’il devrait passer par une longue élaboration faite de publications de documents, de leurs évaluations contradictoires, de confrontations et de réfutations des interprétations : cette longue élaboration est le travail scientifique concret de l’histoire.
Le renversement du gouvernement provisoire par les ouvriers en armes, organisés par les Bolchéviks sous le nom de gardes rouges, et par les marins de la flotte de guerre, au cours d’une insurrection elle-même organisée par les Bolchéviks, et la remise par eux du pouvoir de gouverner au congrès des conseils d’ouvriers et de soldats de toute la Russie (le "congrès des soviets"), était incontestablement le premier acte de la révolution selon le processus dont Lénine avait montré la nécessité pendant les mois précédents : le réseau des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats allait-il devenir l’état du prolétariat que Lénine appelait à instaurer ?
Cela dépendit des conditions concrètes qui furent celles de cette victoire populaire :
- d’abord, une grande partie de la petite bourgeoisie s’était ralliée à la révolution, mais pour ses propres objectifs, qu’elle ne pourrait atteindre que si les travailleurs se soumettaient à sa loi ;
- ensuite, si les Bolchéviks avaient su se répandre dans tout le pays, y porter les mots d’ordre qui ont mobilisé le peuple et organiser les travailleurs des villes, les paysans pauvres et les paysans sans terre, ils n’étaient pas tous capables d’analyser les situations concrètes et d’argumenter au niveau où le faisait Lénine ;
- encore, les Bolchéviks connaissaient bien la condition prolétarienne, mais au sujet des mécanismes officiels et surtout officieux de l’administration tsariste, ils étaient totalement naïfs, et comment auraient-ils pu ne pas l’être ?
- enfin, la tâche révolutionnaire à accomplir était immense, et la contre-révolution puissante : elle rassemblait en effet une grande partie du corps des officiers (dans l’armée du Tsar, les officiers supérieurs et généraux étaient propriétaires de domaines terriens), la haute bourgeoisie et toute sa finance, et recevait l’appui direct, matériel et avoué des hautes bourgeoisies étrangères et de leurs gouvernements : parmi ceux-ci, le gouvernement Clémenceau au service de la haute bourgeoisie française, qui avait alors les dents bien longues, n’était pas le dernier...
L’immensité de la tâche révolutionnaire, inconcevable pour la petite-bourgeoisie, et la puissance de la contre-révolution furent sans doute deux causes importantes de la défection des partis petits-bourgeois qui avaient d’abord participé au conseil des commissaires du peuple (c’était le gouvernement mis en fonction par le congrès des soviets dans la nuit du 7 novembre 1917). Mais même après cette défection, il y avait des petits-bourgeois dans le conseil des commissaires du peuple (le plus connu est Léon Trotski...), et les Bolchéviks n’étaient pas seuls à combattre la contre-révolution ni à mettre en fonction les conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans dans tout le pays.
Ces conditions concrètes, que les analyses circonstanciées à venir ne manqueront pas de compléter et de préciser, contiennent sans doute les causes qui ont fait que le réseau des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats n’est pas devenu l’état soviétique ; la suite des évènements a montré que la dissolution par la révolution de l’état tsariste ne fut pas totale ; la formation de l’état soviétique a incorporé en effet au réseau des soviets des fragments de l’ancien état impérial, et ces fragments ont continué de fonctionner en véhiculant leur culture d’ancien régime, la culture de l’état bourgeois. Les choses, ensuite, ne pouvaient pas se passer sans affrontements entre cette culture d’empire et le mode socialiste du développement de la société ; ces affrontements sont à la source des drames vécus par l’URSS : il n’est donc pas honnête d’imputer aux seuls Bolchéviks la responsabilité de ces drames sans avoir examiné les rôles divers qu’y ont joué d’anciens agents de l’administration du Tsar ; il ne me semble pas douteux que certains d’entre eux étaient trop heureux de faire d’une pierre deux coups, en manipulant des vagues d’épuration de manière à envoyer des Bolchéviks en grand nombre à la mort tout en leur imputant la culpabilité des crimes qui les frappaient !
En Europe en 1945, la défaite subie par l’empire raciste (nazi-fasciste) affaiblit le pouvoir politique de la bourgeoisie capitaliste : des révolutions socialistes en furent autant de conséquences ; mais les communistes du monde entier savaient alors que les grands capitalistes avaient mis les circonstances de la guerre à profit pour redisposer leurs institutions trans- et supranationales, les trusts, sans renoncer à leur objectif essentiel du moment : reconquérir tous les territoires desquels une révolution les avait chassés. Les communistes de l’Europe de l’est participaient donc à ces révolutions avec la conscience d’une menace imminente : celle du déclenchement par les gouvernements des états bourgeois, Etats-unis d’Amérique, Grande-Bretagne, France, ..., que les trusts capitalistes contrôlaient encore, d’une guerre totale de reconquête contre-révolutionnaire. Les conditions concrètes des révolutions consécutives à la défaite de l’empire raciste (nazi-fasciste) furent donc très différentes de celles de la révolution russe de 1917.
En Tchécoslovaquie, la révolution avait assuré la continuité de l’Etat bourgeois, qui avait été longuement élaboré par l’empire austro-hongrois, et en particulier de son appareil policier ; elle l’avait seulement « retourné » en inversant sa mission ; dans ce but, on l’avait coiffé de nouveaux ministres et d’une nouvelle direction centrale, et on l’avait sans doute aussi renforcé de quelques fonctionnaires prêtés par l’URSS : bien évidemment, cela avait noué dans la Tchécoslovaquie nouvelle d’importantes contradictions qu’il faudrait résoudre un jour ou l’autre...
Lorsqu’à la fin de l’été 1967, nous apprîmes qu’une crise grave se développait en Tchécoslovaquie, j’eus très vite l’intuition qu’elle manifestait l’exaspération de ces contradictions nouées en 1948. Et en effet, l’Humanité nous apportait chaque jour une pleine page d’informations sur les évènements critiques qui se déroulaient là -bas ; il apparut très vite qu’un des facteurs de cette crise était la rigidité de l’Etat tchécoslovaque, face à une revendication populaire qui semblait à beaucoup de communistes français devoir être satisfaite par un progrès du socialisme. Cette rigidité nous faisait nous demander si l’Etat tchécoslovaque avait une structure telle qu’il pouvait contribuer à ce progrès du socialisme : au regard de l’histoire, nous pouvions déjà élever un doute très légitime à ce sujet ; hérité de l’Etat bourgeois, l’Etat tchécoslovaque n’avait pas été fait pour cela : même s’il devait protéger les progrès du socialisme, il portait toujours la culture de la mission contraire qui était la sienne avant-guerre ! Inscrite dans les structures fonctionnelles de toutes les administrations de l’état, cette culture postule que la seule action politique licite est celle qui émane du gouvernement, et qu’une action politique majoritaire est vraisemblablement illicite parce qu’elle ne saurait émaner du gouvernement ; conditionnée par cette culture, l’action de l’état fait obstacle aux mouvements politiques majoritaires, indépendamment de la personnalité des agents de l’état, indépendamment de leurs éventuelles prises de parti individuelles favorables à la démocratie.
Je ne doute pas que par ce fait, la continuité de l’état tchécoslovaque a maintenu dans la Tchécoslovaquie socialiste une institution dont le fonctionnement, par sa seule logique, réalisait la domination d’une minorité sur la majorité travailleuse.
La protection du socialisme par un état imprégné de culture bourgeoise ne peut pas être un facteur de progrès du socialisme ; c’est le moins que l’on puisse dire, et c’est bien ce que la crise ouverte en Tchécoslovaquie nous semblait confirmer.
Peut-être qu’en Tchécoslovaquie, les corps de police hérités de l’état bourgeois, aidés par d’autres corps de police qui portaient encore une partie de l’héritage de l’ancien empire des tsars, peut-être que ces corps de police, dans les conditions de la menace globale de la reconquête capitaliste par la violence, avaient protégé quelques temps le socialisme naissant, mais de toute évidence, ce corset étatique trop rigide parce que trop imprégné de culture bourgeoise avait fini par bloquer les évolutions nécessaires au socialisme : la crise devait débarrasser la Tchécoslovaquie de ce corset, et selon beaucoup de communistes de France, ce pays socialiste n’en serait que plus fort pour affronter la menace ou même les tentatives de reconquête sucitées par les trusts capitalistes.
Pendant ce temps-là , une autre crise s’ouvrait en France : les mouvements de grève se multipliaient partout, dans les usines et dans les ateliers, dans les entreprises privées et dans celles du secteur public ; bientôt, les étudiantes et étudiants posèrent aussi leurs propres revendications. C’était une crise tout-à -fait semblable aux crises qui éclatent lorsque la lutte des classes ne trouve pas ses solutions dans les rapports sociaux eux-mêmes ; la brutalité de la répression policière appliquée à une manifestation étudiante rue Saint Jacques à Paris mit le feu aux poudres : le lundi suivant, les travailleurs parisiens battaient le pavé dans une grande manifestation contre la répression en même temps que des grèves dures pour les revendications du salaire, avec occupation des ateliers et maintien de l’outil de travail en état de produire, commençaient dans les usines.
Pendant les deux premières semaines, étudiants et enseignants manifestèrent beaucoup dans les rues et aux portes des usines ; puis un meeting fut organisé à Paris, au stade Charléty ; ce meeting marque une étape majeure, un tournant des évènements français de mai et juin 1968.
Ni la CGT, ni le parti communiste français n’ont participé à ce meeting.
Sa politique fut portée par des orateurs de diverses tendances :
- je citerai d’abord les politiciens qui se réclamaient de « la gauche » et qui constataient depuis quelques semaines la puissance du mouvement ouvrier de grèves : sans doute l’échec des provocations organisées par les professionnels de la violence les avaient-il impressionnés ; ces politiciens espéraient que ce meeting donnerait un signal grâce auquel ils pourraient prendre le pouvoir, dont ils disaient qu’il était dans la rue et qu’il n’y avait qu’à le ramasser ;
- je citerai ensuite les dirigeants de syndicats d’enseignants et d’étudiants qui dépensaient depuis des semaines beaucoup d’énergie pour donner un grand relief aux manifestations de rue, et qui ne cessaient pas de s’efforcer d’entraîner les ouvriers dans leur sillage, pour leurs objectifs dont la principale caractéristique était le flou ;
- je citerai encore les dirigeants de syndicats réformistes qui leur apportaient une aide considérable ;
- je citerai enfin les dirigeants des groupes divers aux effectifs éminemment variables qui se font et se défont en milieu étudiant, au gré de modes souvent initiées par une habileté particulière de leurs activistes à choisir le vocabulaire dont ils font leur discours. Les uns se désignent comme anarchistes ; les autres comme communistes bien que leurs références les rattachent avant tout aux divers courants trotskystes.
Aux cours des deux semaines précédentes, ces derniers avaient réussi à emmener des cortèges d’étudiants aux portes d’usines en grève, dans l’intention affichée de faire ouvrir ces portes et de fraterniser avec les grévistes ; mais le comportement de certains membres de ces groupes manifestait, sans la dire expressément, l’intention politique d’obtenir du mouvement populaire une approbation grâce à laquelle les dirigeants étudiants et leurs proches amis des syndicats réformistes des professions intellectuelles deviendraient les chefs du mouvement ouvrier ; à cette fin, ils espéraient alors convertir en approbation l’incontestable sympathie que les ouvriers éprouvaient pour le mouvement revendicatif des étudiants. Cette sympathie avait une raison conjoncturelle : le scandale que ressentaient les ouvriers devant la violence que le gouvernement avait donné l’ordre de mettre en Å“uvre pour réprimer les manifestations étudiantes ; elle avait aussi une raison plus profonde : le fait que les ouvriers et les ouvrières chargés de famille se saignaient aux quatre veines pour que leurs enfants fassent les meilleures études possibles.
Seulement, cette éventualité, que le mouvement ouvrier se voie coiffé de chefs qu’il n’aurait pas désigné lui-même, les ouvriers syndiqués à la CGT la rejetaient, et en grande majorité, les militants communistes la rejetaient aussi ; pour cette raison, les fraternisations n’ont eu lieu qu’à travers des grilles que les ouvriers n’ouvraient pas.
Les discours de Charléty tiraient de la situation en Tchécoslovaquie des arguments sommaires et approximatifs pour condamner le communisme ; par leur contenu comme par leur tonalité, ils confirmaient tout à la fois l’intention de leurs auteurs de prendre la tête du mouvement populaire, en même temps que leur déception d’être encore entravés par la CGT et par le parti communiste ; en même temps, ils marquaient l’obstination des orateurs à maintenir leur intention d’écarter de la conduite du mouvement populaire les organisations ouvrières de lutte de classe : aux yeux de ces petits-bourgeois, il appartient à eux-mêmes, membres de la petite-bourgeoisie, de donner les directives politiques, et à la classe ouvrière de s’y plier.
Contre la CGT et contre le parti communiste, tous les orateurs de Charléty promettaient la lune à la classe ouvrière, en échange de son ralliement à leurs directives petite-bourgeoises et de son appui dans leur entreprise de prendre les pouvoirs de l’état.
Mais presque deux siècles de luttes de classes économiques et politiques ont appris à la classe ouvrière française qu’elle court un danger mortel chaque fois qu’elle se plie à des directives émanant d’une autre classe qu’elle-même : ni la CGT, ni le parti communiste français ne l’avaient laissé oublier.
Le meeting de Charléty échoua à mettre la CGT et le parti communiste à l’écart du mouvement populaire français et à rallier la classe ouvrière à la direction petite-bourgeoise du mouvement : juin et juillet 1968 montraient la profonde division de classe qui entravait le mouvement.
Je considère que les spectaculaires carrières politiques faites après juin 1968 par beaucoup de ces orateurs, tels Daniel Cohn-Bendit, Michel Rocard, sans oublier François Mitterrand qui n’a pas parlé à Charléty mais qui a manifesté son soutien sans nuance à l’entreprise, ont démontré leur mépris de la classe ouvrière, en même temps qu’elles montraient quelle politique ils auraient appliquée dès 1968 à la France, si la classe ouvrière avait suivi leurs directives !...
L’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie eut lieu deux mois plus tard. Elle confirmait à mes yeux que la crise tchécoslovaque était le conflit entre le mouvement d’édification du socialisme et un appareil d’état imprégné de la culture de l’Etat bourgeois : malheureusement, si elle confirmait la nature de la crise tchécoslovaque, c’était au prix de l’arrêt du mouvement ouvrier tchécoslovaque, lequel, fort de son parti communiste et de sa centrale syndicale (ROH), aurait pu relancer l’édification du socialisme en brisant dans l’état les restes de la culture bourgeoise et les structures qui leur servaient de support : je précise que cette possibilité, qui avait existé pendant toute la durée du « printemps de Prague », n’était pas attachée à la personnalité du premier secrétaire du parti communiste tchécoslovaque et je doute que les discours qu’il avait tenus depuis 1967 aient exposé ou développé cette possibilité. Quoi qu’il en soit, l’invasion donnait aux bourgeoisies d’Europe l’occasion dont elles rêvaient de relancer et de sceller durablement en France l’unité anti-communiste à laquelle les formations petite-bourgeoises étaient parvenues lors du meeting de Charléty.
C’est vrai : jusqu’à la fin du mois d’aoà »t 1968, je pensais que les travailleurs tchécoslovaques auraient la force de réorganiser les tâches de la contrainte sociale conformément aux idées marxistes exposées plus haut ; c’est vrai aussi, dans le parti communiste français, les opinions étaient diverses, mais d’une diversité qui s’organisait autour de l’espoir que cette crise montrerait quelle vitalité le socialisme gagne en libérant dans tous les domaines l’initiative des travailleurs. C’est l’ensemble de cet espoir, et avec lui l’ensemble des possibilités que les discussions des communistes pouvaient ouvrir, que l’invasion a anéantis.
Dès la fin du mois d’aoà »t 1968, la relance de l’anticommunisme unitaire fut prompte, active et intense. Depuis la deuxième guerre mondiale, les chefs idéologiques de la grande bourgeoisie n’ont jamais cessé d’étudier les partis communistes : sans doute avaient-ils perçu, à la faveur des réactions provoquées par la « crise sino-soviétique », qu’une faille susceptible d’affaiblir le parti communiste français se formait au sein de ce parti ; ils avaient certainement apprécié, de leur point de vue, le fait que ces réactions n’ont jamais été vraiment discutées dans le parti communiste français, et que par conséquent, les opinions restaient en suspens sur la question de savoir qui, de Khrouchtchev ou de Mao Tsé Toung, avait raison.
Car du point de vue du communisme en France, cette question est une fausse question : ni Mao Tsé Toung, ni Nikita Khrouchtchev n’ont jamais été compétents pour donner des directives susceptibles d’orienter l’action des communistes français ; l’orientation de l’action des communistes n’a qu’une source : les discussions qu’ils conduisent eux-mêmes à partir de leur propre observation de la situation matérielle de la classe ouvrière des villes et des campagnes de leur pays, et de l’état concret des luttes de classes dans lesquelles elle est impliquée. Il est évident que les dirigeants des autres partis communistes n’ont pas la connaissance de cette situation matérielle, et que même la « lutte des classes au niveau international » n’apporte qu’une information minime au sujet des luttes concrètes des classes de niveau national. En aucun cas, les communistes ne peuvent se passer de faire en termes concrets l’analyse de la situation concrète de leur propre pays ; précisément, que les discussions des communistes français soient restées en suspens avant même de rappeler cette vérité première de tout parti communiste était le signe certain d’un affaiblissement grave de leur parti. Il suffisait désormais à l’action idéologique du parti capitaliste de faire en sorte que les communistes n’entrent plus dans l’analyse des problèmes concrets qui se posent à eux.
Le parti communiste français a désapprouvé l’intervention des armées du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie : une heure à peine après que ce communiqué fut publié commença le bombardement idéologique : pourquoi le PCF a-t-il désapprouvé et n’a-t-il pas réprouvé ? Après quelques jours, ce fut : n’ayant pas réprouvé, il n’a pas condamné ! Encore quelques semaines, et nous avons entendu des docteurs en « politologie » monter en chaire pour déclarer : le Parti communiste français n’a pas condamné l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie parce qu’au fond, il l’a approuvée !
Du point de vue de la bourgeoisie capitaliste, c’était changer le plomb en or ! Certains de ces alchimistes en ont été généreusement récompensés...
En fait, le parti communiste français était déjà affaibli dans son essence : les rapports qu’il entretenait avec le parti communiste de l’URSS l’avaient rendu sensible à la thèse khrouchtchevienne selon laquelle il ne peut y avoir de contradictions dans une société socialiste : cette thèse avait d’abord détourné de nombreux membres du parti de la recherche dialectique des contradictions lorsqu’ils analysaient les évènements des pays socialistes ; et bientôt s’ensuivirent des simplifications outrageuses dans l’analyse de la lutte des classes sur le plan international, puis une timidité croissante dans l’analyse des luttes de classes en France même.
Ainsi affaibli, le parti communiste se battait encore : en témoigne l’excellent résultat qu’il obtint en juin 1969, lorsqu’il présenta Jacques Duclos aux élections présidentielles.
Mais bientôt, la propagande capitaliste produisit un nouvel affaiblissement du parti communiste : les mêmes camarades avaient les plus grandes difficultés à se rappeler quelle avait vraiment été la position du parti communiste français face à l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie ; s’il n’y avait plus lieu de rechercher les contradictions de la Tchécoslovaquie socialiste, ni celles du camp socialiste représenté sur le plan militaire par le pacte de Varsovie, alors, la position réellement prise par le PCF n’avait plus de sens ; le PCF cessait de pouvoir prendre une position de lutte concrète ; il en était réduit aux jugements moraux à valeur absolue : que ces camarades deviennent déterminants dans la vie du PCF, et ce parti s’enfermait dans l’impasse à laquelle la bourgeoisie qui domine la France rêvait pour lui depuis toujours.
C’est bien ce qui s’est produit : les discussions des communistes se sont alors enlisées dans des querelles sans solution ; cette situation libéra l’action au sein du parti de ceux de ses membres qui étaient formalistes et métaphysiciens en philosophie, donc réformistes en politique : ils parvinrent à des postes de direction de sections ou de fédérations, ils y firent valoir leur parti pris social-démocrate en orientant les débats du PCF, en poussant, le plus souvent possible sans bruit, les marxistes vers la sortie, en conduisant le parti vers sa dérive social-démocrate, puis en le faisant muter ; ce sont ces dirigeants qui ont divisé les communistes, et qui ont dressé entre eux les murailles qui maintiennent leurs divisions.
Aujourd’hui, la mutation du PCF approche de son aboutissement logique :
- ce parti achève d’abandonner ce qu’il gardait encore de références communistes ; si sa direction social-démocrate lui maintient encore son nom de PCF, c’est seulement pour entraver le rassemblement des communistes qui se sont mis à la tâche de rendre à notre peuple, à notre pays un véritable parti communiste ;
- les obstacles placés au hasard des opportunités pour entraver le débat des communistes et, par conséquent, rompre leur unité et faire obstacle au communisme, révèlent leur cohérence : ils ne sont que les moments successifs de la mise en place de la politique réformiste qui a conduit le PCF à l’impuissance, à la cécité sur l’essence et sur les causes des maux qui frappent notre peuple, à l’obstination dans la cécité. En effet, les analyses politiques que produisent les dirigeants mutants du PCF refusent obstinément de voir les causes des maux de notre peuple et comment ces maux frappent ! Elles apportent aux raisons politiques qu’ont les exploités de maintenir la revendication salariale et la revendication du travail pour tous un éclairage toujours insuffisant ; au lieu d’ouvrir les perspectives politiques de la revendication ouvrière, elles se satisfont d’adresser des recommandations aux gouvernements bourgeois, et ceux-ci ne manquent jamais d’en tirer des arguments au service de l’extension et de l’approfondissement de l’exploitation des peuples. Ces dirigeants cultivent l’illusion sur le PCF lui-même en étalant avec beaucoup de soins, en couche épaisse, l’ignorance du communisme.
Cela confirme une vieille constatation : le réformisme étale l’obscurantisme pour se protéger contre la critique des communistes.
Décidément, Babeuf, Marx, Engels, Lénine, Thorez avaient raison !
Le congrès tenu en décembre 1920 à Tours par les militants socialistes avait raison d’adhérer à l’Internationale communiste !
Il faut rendre aux travailleurs de France le parti véritablement communiste que la mutation n’a jamais fait que censurer !
Dixième lettre : Que (devons-nous) faire ?
6 octobre 2008, Ã tous les travailleurs de France
Je l’ai dit dans les lettres précédentes : la division du travail en France n’a pas essentiellement changé.
- Les ressources naturelles sont toujours sous le strict contrôle de la bourgeoisie capitaliste, les moyens de produire et d’échanger lui appartiennent toujours, et elle continue d’exploiter le travail des ouvrières et des ouvriers de toutes catégories, parce qu’ils ne possèdent aucun moyen de produire ou d’échanger, ou parce que la part qu’ils en possèdent est insuffisante pour qu’ils puissent en vivre.
- Les seules modifications opérées par la bourgeoisie dans la société française sont importantes, mais accessoires : elle a massivement exporté le travail qui se faisait autrefois en France, et massivement importé de la main-d’Å“uvre étrangère de la plus faible qualification possible.
- La situation matérielle faite aux travailleuses et travailleurs de toutes catégories s’est beaucoup aggravée dans la dernière période, comme conséquence de l’exportation du travail et de l’importation de la main-d’Å“uvre, mais l’affaiblissement de la revendication salariale des travailleurs et la quasi disparition de leur revendication politique ont beaucoup contribué à cette aggravation et au désespoir qui en résulte.
Telle est la situation dans laquelle nous, les communistes, devons relancer notre activité. Elle nous impose notre objectif d’ensemble et de long terme dans les luttes de classes :
- faire en sorte que la revendication économique immédiate des travailleuses et des travailleurs exploités redevienne une revendication collective de classe et se porte à un niveau correspondant à la misère qu’ils subissent, quelle que soit la catégorie dans laquelle le gouvernement capitaliste les a rangés.
Elle nous impose aussi de prendre dans ces luttes, la seule place qui est la nôtre, parmi les membres des catégories de travailleurs et autres victimes de l’exploitation qui entrent en lutte : les communistes ne peuvent pas agir autrement qu’en qualité de membres des catégories en lutte.
L’expérience de la mutation du PCF nous le montre et nous le démontre : un parti communiste cesse d’être communiste lorsque ses membres ouvrières et ouvriers le quittent. Lorsqu’un parti ne compte plus d’ouvriers dans ses directions, il ne peut plus s’adresser aux travailleurs que de l’extérieur de la classe ouvrière, et pour cette raison, les ouvriers sont fondés à douter du sens concret de ses discours, à douter de son engagement pour les intérêts ouvriers dans les luttes de classes : ce parti cesse de pouvoir mobiliser pour la lutte !
Notre premier problème concret est donc de rencontrer des travailleuses et des travailleurs de toutes les catégories, depuis les techniciens et ouvriers salariés de haute qualification jusqu’aux OS, aux précaires, aux chômeurs, aux titulaires de revenus de substitution (« insertion » et autres...), d’y reconnaître ceux qui sont disposés à porter leur revendication de classe sur toute l’étendue qui va de l’économie personnelle à la politique, c’est-à -dire à devenir communistes, et de nous attacher à les organiser pour leurs revendications légitimes (celles de vivre dignement du travail de leurs mains et de l’application de leur intelligence), ce qui suppose que leur parole soit entendue des communistes aussitôt qu’ils seront organisés : c’est indispensable parce que les communistes n’ont pas d’autre source pour connaître leurs revendications, et parce qu’une fois organisés en tant que communistes, ils deviennent ce que personne ne peut être à leur place : ils deviennent les communistes présents dans le mouvement revendicatif qui les concerne, ceux qui peuvent exercer une influence sur ce mouvement.
Cette tâche qui nous incombe est longue et difficile, mais c’est aussi la première que le tout jeune parti communiste français a accomplie après le congrès de Tours : de l’avoir accomplie lui a permis de participer, à partir de la fin de la troisième décennie du vingtième siècle, à la formation du mouvement ouvrier, revendicatif en économie, en politique et dans la culture, qui a porté l’alliance des partis du Front populaire à la victoire lors des élections de 1936 : l’histoire de ce mouvement montre que le parti communiste français avait accompli sa première tâche avec succès.
Rencontrer, reconnaître et organiser les travailleuses et les travailleurs de toutes catégories pour qu’ils deviennent communistes : c’est aujourd’hui notre tâche prioritaire ; au fur et à mesure de ce qu’elle avancera, l’expression de la politique communiste doit donner plus d’importance à l’exposé de la situation faite aux travailleuses et travailleurs, à leurs objets concrets de revendication (le salaire et tout ce qu’ils ont besoin de pouvoir en faire) et à leur mouvement revendicatif (grèves, manifestations, création et vie des associations,...) : cela me conduit à dire que la progression du communisme parmi les travailleurs doit avoir pour conséquence directe la progression des travailleuses et des travailleurs communistes dans les directions des organisations communistes.
Il le faut pour que le parti communiste soit ce qu’il doit être : un parti ouvrier.
Une autre question se pose aussitôt : la progression des travailleuses et des travailleurs communistes dans les directions des organisations communistes a lieu lorsque les ouvriers communistes participent de plein droit à l’ensemble de la politique du parti communiste, de l’élaboration à la décision, et pas seulement à son exécution. C’est par là que le caractère ouvrier du parti communiste place ce parti en contradiction antagonique avec la domination bourgeoise sur les sociétés capitalistes : en effet, la politique est l’activité au moyen de laquelle les humains dirigent l’économie, gèrent la division du travail et la répartition des biens produits : la politique est donc une fonction intellectuelle de toute société humaine, et nous savons depuis des siècles que pour des raisons évidentes, les classes dominantes, exploiteuses, se la réservent. La progression du caractère ouvrier du parti communiste fait que la classe ouvrière empiète sur le domaine intellectuel que la bourgeoisie estime essentiel de se réserver, avec la volonté de s’approprier ce domaine.
Il résulte du caractère ouvrier du parti communiste que lorsqu’une ouvrière ou un ouvrier adhère à un parti communiste, lorsqu’elle, ou il, participe à l’élaboration et à la mise en Å“uvre de la politique communiste, elle, ou il, prend sa place dans la lutte frontale de sa classe contre la bourgeoisie qui gouverne son pays. Pour toute ouvrière et pour tout ouvrier, c’est une décision lourde de conséquences, car le patronat capitaliste ne pardonne jamais cet acte qu’il juge aussi grave que peut l’être en temps de guerre une trahison à l’ennemi : le réseau des patrons capitalistes n’a jamais cessé de tenir à jour ses listes noires. Nous ne devons en aucun cas sous-estimer cet aspect de la lutte des classes.
Notre histoire sociale confirme que lorsqu’un parti communiste vit et s’active dans une société capitaliste comme vivait et s’activait le parti communiste français jusqu’à la septième décennie du vingtième siècle, il produit dans la culture de ce pays un mouvement proprement ouvrier, qui s’oppose sur tous les point essentiels à la culture que la classe dominante imprime à la société, la culture bourgeoise.
Cet antagonisme culturel est inévitable, et le parti communiste qui cesse de l’assumer ne reste pas communiste bien longtemps.
C’est dans cette situation que s’établissent les rapports qui relient les membres des professions intellectuelles au communisme et au parti communiste.
Il faut remarquer comment s’est déroulé le processus par lequel le PCF a perdu son caractère de parti ouvrier : ce sont d’abord les ouvriers communistes qui ont quitté le PCF ou se sont tus dans les débats politiques du PCF, permettant ainsi à des petits-bourgeois, qui n’avaient pas abandonné leur certitude petite-bourgeoise d’être ceux qui ont mission de parler au nom des autres, de prendre le pouvoir dans le parti ; pourtant, le PCF a continué encore longtemps à produire des discours et des textes exposant des raisons de prendre le parti ouvrier dans les luttes de classes, alors même que ses membres ouvriers avaient perdu toute possibilité de faire valoir eux-mêmes directement leurs raisons de classe dans les directions du parti ; pendant toute cette période, les réformistes, qui s’étaient installés aux commandes, durent faire force de discours pour submerger les raisons de prendre le parti communiste, notamment en dénonçant globalement l’« échec expérimental » du communisme et en contribuant à le criminaliser.
Que les valeurs du communisme aient ainsi duré dans le PCF plus longtemps que sa base sociale, les communistes ouvriers, nous ne le devons pas à la logique des évènements : l’histoire du communisme ni celle des partis communistes n’ont encore commencé d’être étudiées, et le pouvoir bourgeois s’y oppose de toutes ses forces, non seulement en poussant sa propagande de la criminalisation du communisme, mais aussi en détournant les historiens de l’étude de cette histoire, et en censurant ceux d’entre eux qui osent s’y mettre malgré lui.
C’est aux Lumières philosophiques des dix-septième et dix-huitième siècles, à l’héritage de la Révolution française, à la tradition des luttes sociales des dix-neuvième et vingtième siècles, inscrits dans notre culture, que nous devons cette persistance des valeurs communistes dans les discours qui émanaient du PCF pendant toute la première partie de sa mutation.
Cette constatation est importante : elle montre en effet que cette tradition, qui est la tradition démocratique de notre pays, se prolonge en une deuxième source du mouvement communiste.
Le communisme en effet n’est pas seulement le développement politique de la revendication ouvrière contre la misère et contre l’exploitation capitaliste qui en est la cause : c’est aussi la revendication de l’être humain aliéné contre l’aliénation qu’il subit, pour redevenir un être pleinement humain ; c’est la revendication de l’être humain mutilé par la société d’inégalité, contre l’ordre social injuste pour faire cesser toutes les inégalités contraires à l’humanité elle-même, pour abolir l’ordre social injuste fondé sur les inégalités de toutes sortes et lui substituer un ordre social fondé dans l’égalité en droits de tous les êtres humains, pour ainsi rendre à toutes les femmes, à tous les hommes et à tous les enfants la capacité pleine et entière de développer leur personnalité.
Pour cet aspect de la revendication communiste, il y a toujours eu des femmes et des hommes qui contribuent au communisme sans être eux-mêmes des ouvrières ou des ouvriers ; il y en a encore et il y en aura de plus en plus. Or, beaucoup d’entre eux sont membres de la même classe sociale que les mutants qui dirigent le PCF, la petite bourgeoisie. Cette contradiction traverse la petite bourgeoisie française ; elle y distingue ceux que la culture bourgeoise détermine, selon laquelle tout ouvrier doit obéïr sans penser, de ceux qui se sont cultivés aux Lumières philosophiques : pour ceux-ci, l’être humain est un, tous les individus sont d’égale valeur et ont les mêmes droits, et sur ces bases, ils estiment devoir rester les alliés de la classe ouvrière, et lorsqu’ils adhèrent au parti communiste, des camarades loyaux aux communistes ouvriers.
Parmi les petits bourgeois membres du PCF, ce sont ces derniers qui ont maintenu les valeurs communistes dans les textes et discours du PCF longtemps après que les communistes ouvriers aient été écartés de ses directions ; les mutants qui dirigent le PCF espèrent les faire taire en reprenant à leur compte la théorie de l’échec expérimental du communisme et sa criminalisation : mais ils reprennent ainsi le plus réactionnaire des thèmes de la propagande bourgeoise, celui développé par Alfred Rosenberg le 11 novembre 1940 à Paris devant la chambre des députés, qui tend à effacer la Révolution française et les Lumières philosophiques de notre histoire et de l’histoire de l’Europe.
Nous devons retenir de tout cela que la petite bourgeoisie française est divisée : il y a d’une part ceux qui ne renoncent pas aux valeurs essentielles de notre démocratie, celles que porte l’histoire du siècle des Lumières, de la Révolution française, des luttes sociales et républicaines du dix-neuvième et du vingtième siècles, de la lutte contre la première guerre mondiale, pour le socialisme, de la guerre de solidarité à la république espagnole, de la Résistance aux racismes (au nazi-fascisme), des luttes anticolonialistes contre les guerres par lesquelles la bourgeoisie défendait l’empire colonial contre les peuples indigènes,... ceux-là , sur ces bases-là , peuvent accepter une alliance révolutionnaire avec la classe ouvrière : ils ont suffisamment pensé l’être humain et son histoire pour comprendre qu’ils ne seront pas humiliés, au contraire, de rester les alliés loyaux des ouvriers dans la transformation révolutionnaire qui réalisera la société dans laquelle tous les êtres humains seront égaux en droits.
L’autre partie de la petite bourgeoisie est bien représentée par les mutants qui ont pris le pouvoir sur le PCF : ils l’ont fait en réfutant les ouvriers qui participaient à l’activité intellectuelle de direction du parti ; ils ont refoulé ces ouvriers et les ont cantonnés dans des fonctions d’exécution excluant toute critique ; l’ordre des choses est selon eux que les petits-bourgeois qu’ils sont rédigent les consignes et que les ouvriers les exécutent ; ils ont effacé de leur mémoire l’histoire de la révolution russe, et leur philosophie les prépare à accepter l’alliance de ceux qui voudraient effacer l’histoire de la révolution française et les Lumières philosophiques, et qui l’ont déjà tenté.
On le voit, l’importance politique de cette contradiction dépasse le cadre des adhérents au PCF : elle est un des facteurs des alliances possibles ou impossibles pour la classe ouvrière dans la révolution. Comment pourrions-nous la tenir pour négligeable ?
Aujourd’hui, dans la situation difficile où nous sommes, nous devons l’étudier afin de dégager les perspectives de ces alliances, de dégager les modalités progressistes de l’adhésion au communisme de personnes qui ne sont pas membres de la classe ouvrière.
La nécessité de cette étude avait été comprise lors de la fondation du parti communiste français : afin d’y pourvoir, les communistes membres des professions non-ouvrières étaient reconnus comme communistes sans être admis comme membres du parti : ils n’étaient donc pas écartés ; nombre de femmes et d’hommes de cette époque s’inscrivent dans notre mémoire, et dans l’histoire du communisme en France, en tant que communistes alors qu’ils n’avaient pas la carte de membres du parti.
Nous devons partir du principe que c’est pour agir qu’une femme ou un homme adhère au PCF ; ce principe pose dès l’abord une question : que signifie agir pour les membres d’une profession qui n’est pas ouvrière, dans un parti qui a pour activité politique essentielle de porter au plan politique la revendication économique de la classe ouvrière ?
En premier lieu, la réponse immédiate est que ceux qui adhèrent au parti communiste le font en premier lieu pour participer à son action ; prendre part à l’action n’est pas la même chose que de l’approuver : cette différence distingue le parti communiste de tous les autres partis en ce que la politique du parti communiste n’est pas tout entière contenue dans les déclarations ou actes de son équipe dirigeante. Pour en rendre compte, par exemple dans les recherches historiques, il faut prendre en considération les activités individuelles de tous ses membres, parce que ce sont toutes ces activités individuelles qui composent son activité collective.
En deuxième lieu, il faut observer que depuis 1920, le parti communiste français organisait le soutien de l’activité de chacun de ses membres de telle manière que chacun d’eux parvienne à maîtriser l’activité collective du parti : à cet effet, le parti communiste animait, en son sein et autour de lui, des fonctions sur lesquelles ses membres s’appuyaient pour progresser dans leur activité militante ; les principales de ces fonctions sont :
- la discussion dans les cellules qui avait pour objet d’étudier la situation politique locale et d’organiser l’action locale du parti, qui est l’action de la cellule : en participant à ces discussions, les militants ne contribuaient pas seulement à l’activité communiste : ils exerçaient aussi leur intelligence et la faisaient progresser. Souvent, après avoir participé quelques mois à sa réunion de cellule hebdomadaire ainsi qu’aux diverses discussions avec ses collègues sur le lieu du travail, le militant communiste devenait capable de réussir aux examens scolaires auxquels il avait précédemment échoué, et ce n’était pas la fin de ses progrès.
- Les réunions organisées plus rarement, et dont le but était de donner aux membres du parti connaissance de textes écrits par des auteurs communistes (Marx, Engels, Lénine, Thorez et d’autres...) et qui concernent la division capitaliste du travail et la lutte des classes ; de leur donner aussi l’occasion de discussions plus générales, avec d’autres camarades que ceux de sa cellule, et moins orientées vers l’action quotidienne.
Nous appelions « écoles du parti » ces réunions, dont certaines pouvaient être organisées en stages de deux semaines, d’un mois ou de quatre mois ; en y participant, les militants faisaient grandement progresser leur niveau de formation générale. Entre les deux guerres mondiales, des savants tels que le physicien Paul Langevin (qui n’était pas alors membre du parti communiste français) ou le philosophe Georges Politzer ont participé à ces écoles ou les ont dirigées.
La bourgeoisie française a toujours vu dans ces écoles communistes un danger tel qu’elle désigne souvent, et depuis fort longtemps, ce qu’y faisaient les communistes du nom de « lavage de cerveau ». La vérité est qu’en matière de lavage de cerveau, les communistes sont naïfs, alors que les divers services d’action psychologique des états bourgeois sont orfèvres !... - des réunions de formation générale ouvertes au public et traitant de philosophie, d’économie, de science, de politique et d’autres sujets ; ces réunions composaient des cycles que nous appelions « Universités populaires ». Dans la région parisienne, Georges Politzer les animait régulièrement, et des savants tels que Paul Langevin y ont participé. Leurs auditeurs réguliers pouvaient y atteindre un niveau d’études supérieur à celui du baccalauréat.
Le développement de ces structures par le parti communiste montre que les communistes prenaient très au sérieux la composante intellectuelle de leur activité, et s’attachaient à rendre aux ouvriers communistes la maîtrise de leur propre développement intellectuel : c’est une caractéristique développée par le parti communiste que de soutenir ses membres ouvriers pour que, sur le plan intellectuel, ils deviennent les égaux de ceux de ses membres qui ont fait des études lycéennes ou universitaires ; une tâche des communistes qui avaient fait de telles études était de participer à cet effort, et ils y étaient sollicités aussitôt qu’ils avaient compris que le but de cet effort était de réaliser réellement, parmi les communistes, l’égalité en droits sur le parti.
Cet effort constant, caractéristique du parti communiste, était connu dans la classe ouvrière française : là était une des plus fortes raisons de son attachement durable au communisme : le parti communiste français reconnaissait aux ouvrières et aux ouvriers la dignité d’êtres humains, et leur en apportait la preuve quotidienne dès lors qu’ils lui avaient apporté leur adhésion.
Je considère qu’en mettant fin à cet effort, en brisant ses structures et en le noyant dans l’oubli, les dirigeants mutants du PCF ont causé au parti communiste le dommage le plus grave : c’est là leur faute la plus impardonnable.
Maintenant, nous devons refaire ce qu’ils ont défait, dans des conditions qui ont empiré du fait que depuis un demi-siècle, les réformes de l’Education nationale ont fait de l’enseignement une fonction secondaire, une sorte de « supplément d’âme » des établissements scolaires, et leur ont donné pour mission principale, prioritaire, de sélectionner les enfants. En vérité, les conditions concrètes faite à l’enseignement public par le gouvernement bourgeois sont aujourd’hui telles que l’école, et surtout le collège, dégoà »te d’apprendre et de se cultiver les enfants qu’il va écarter de l’enseignement.
Ce dégoà »t durablement imprimé dans les mentalités des enfants détournés de la culture est l’un des obstacles les plus difficiles à écarter, ou même seulement à franchir, pour rendre à notre peuple, c’est-à -dire précisément à ces élèves victimes de la sélection scolaire, le véritable parti communiste qui lui manque aujourd’hui évidemment : il s’oppose directement en effet à ce que ces anciens élèves de l’école et du collège participent aux discussions des cellules s’ils viennent à y adhérer.
La raison prioritaire pour laquelle une ouvrière ou un ouvrier adhère au parti communiste est de mieux faire valoir sa revendication de classe en l’étendant du plan de l’économie à celui de la politique : les pratiques traditionnelles d’organisation du PCF, l’adhésion à la cellule d’entreprise et sa participation à l’activité de cette cellule, qui se développe selon le mode du centralisme démocratique, sont des réponses justes à cette raison, quelle que soit la difficulté de leur mise en Å“uvre. Aussitôt qu’il participe à la vie de sa cellule, l’ouvrier entre dans le mouvement d’étude et d’action politiques le plus proche de l’exploitation qu’il subit, celui qui s’affronte le plus directement à cette exploitation : dès lors qu’il en prend sa part, il porte sa revendication au niveau politique. Tous ses progrès ultérieurs, dont j’ai fait mention ci-dessus, viennent en conséquence de l’exigence que ses camarades membres de sa cellule lui adressent de placer sa participation aux discussions et à l’action de la cellule à un niveau égal à celui qu’ils ont atteint, et de participer à leur effort de placer leurs discussions et leur action à un niveau qui corresponde aux nécessités de la lutte.
Le problème que pose au parti communiste et à ses membres l’adhésion des membres des professions non ouvrières ne peut se résoudre aussi « simplement » : l’exercice de chacune de ces professions porte en effet un sens politique qui dépend de la place qu’elle occupe dans la division capitaliste du travail, et selon cette place, la revendication économique de l’individu qui l’exerce peut prendre un sens politique réactionnaire ou progressiste.
Je donnerai l’exemple de la profession de médecin :
La longueur et la difficulté des études de médecine, l’étendue et la spécificité de la documentation et du matériel nécessaires au médecin font que dans une société capitaliste, la juste rémunération des actes d’un médecin qui assume lui-même leurs coà »ts suppose que le patient lui verse des sommes très élevées, hors de portée d’un ouvrier même de bonne qualification : tel était le cas général de l’exercice de la médecine non hospitalière et non militaire en France avant que soit créée la Sécurité sociale.
Principalement, le médecin revendique à juste titre deux choses : un salaire qui lui permette de renouveler sa force de travail, et la possibilité d’acquérir et de maintenir la documentation et le matériel qui lui sont nécessaires pour exercer la médecine :
- s’il cherche la satisfaction de cette double revendication dans le montant des honoraires qu’il va facturer à ses patients, cela le conduit à fixer ces honoraires à un niveau tel que seuls les bourgeois suffisamment riches pourront venir le consulter ; s’il le fait, il excluera de sa clientèle les membres du peuple : en pratiquant ainsi, il nie l’égalité des êtres humains en droits de vivre en bonne santé : le sens politique de cette pratique médicale est donc strictement réactionnaire, et même si la revendication personnelle de ce médecin est humainement juste, et pour autant qu’elle est de bien exercer la médecine dans de bonnes conditions afin d’apporter à ses patients les meilleurs soins possibles, elle est humainement juste, ce médecin donne à la satisfaction de sa revendication un sens réactionnaire ; c’est d’ailleurs la seule voie offerte par les règles capitalistes de l’économie aux médecins lorsqu’il leur faut satisfaire leurs plus justes revendications ;
- si au contraire ce médecin cherche la satisfaction de sa revendication auprès des services collectifs de la société, tels que la Sécurité sociale, créée sur la lancée de la Résistance, les hôpitaux publics, qui résultent de la reprise en mains collective par la Révolution d’Å“uvres charitables antérieures, et aussi d’autres structures et services collectifs encore à définir, il donne à la satisfaction de sa revendication un sens politique progressiste que la révolution à venir pourra reprendre pour lui donner son plein effet.
Ces raisons avaient d’abord conduit le parti communiste, au lendemain du congrès de Tours, à maintenir ces professions à l’écart de son organisation, puis à compenser cet ostracisme en admettant que des membres de ces professions agissent en communistes sans être membres du PCF.
Dans l’après-guerre de 1945, il a admis l’adhésion de membres de professions non ouvrières, en encadrant ces adhésions de deux garde-fous :
- un principe professionnel qui exigeait des ces communistes qu’ils agissent d’abord, à titre principal, dans l’établissement dans lequel ils exercent leur profession, en tâchant d’y créer une cellule s’il n’y en a pas, sans chercher à participer aux bureaux de cellules étrangères à cet établissement, et sans chercher à participer aux comités des sections ou fédérations si leurs propres cellules ne les avaient pas d’abord mandatés pour cela ;
- et le principe du parti ouvrier, selon lequel le parti s’imposait pour règle de composer ses comités de section, fédéraux et central de telle manière que les ouvriers y soient majoritaires.
L’effort nécessaire pour maintenir ces principes en activité faiblissait très sensiblement au cours de la septième décennie du vingtième siècle ; quelques semaines après les élections de juin 1969, le parti communiste renonçait à le maintenir : on s’est mis à discuter de la classe ouvrière comme s’il fallait trouver quelque part un dogme pour résoudre les problèmes de sa détermination ; en même temps, nous avons vu disparaître les cellules des établissements et entreprises employant les professions non ouvrières ; ensuite, les directions du PCF furent envahies par des enseignants et membres d’autres professions non-ouvrières, qui prenaient la place autrefois occupée par les ouvriers ; sans doute ces nouveaux dirigeants étaient-ils rebutés par la difficulté réelle que présente l’activité communiste dans leurs professions, mais était-ce une raison ? Ce n’est en tous cas pas un hasard si les dérives du parti communiste se sont alors accélérées et sont devenues évidentes ; le PCF cessait d’être un parti ouvrier : ce qui s’en est suivi a montré qu’il ne gagnait rien en démocratie, c’est le moins que l’on puisse dire !...
Au point où en sont les choses, il m’est permis d’écrire ceci :
Le véritable parti communiste devra revenir au principe professionnel selon lequel tout communiste organisé milite dans sa profession et dans son entreprise, et n’accède aux fonctions de direction de section de fédération ou nationale parti qu’à partir d’un mandat de la cellule de son entreprise dont il est membre et seulement pendant la durée de ce mandat.
La difficulté particulière qu’il y a à conduire une activité communiste dans les professions non-ouvrières tient à ce que ces professions sont sans cesse utilisées par la bourgeoisie capitaliste pour améliorer les conditions du prélèvement du profit ; or, de quelque manière que l’on retourne la question de la lutte des classes, nous devons constater :
- il est de l’intérêt de la future révolution que les communistes connaissent bien tous les procédés dont se sert la bourgeoisie capitaliste pour prélever et collecter le profit et pour gérer les capitaux ; ceci indépendamment de la manière dont la classe ouvrière organisera et gèrera la production et la répartition des richesses entre les membres de la société ;
- chaque profession non-ouvrière est dépositaire d’un corps de connaissances que la révolution, à moins de se condamner elle-même, devra reprendre en mains et rebâtir (c’est-à -dire démonter en ses éléments, critiquer chaque élément et les remonter selon un autre plan), de telle manière qu’il serve désormais les intérêts du peuple travailleur ;
- beaucoup d’entre elles développent une activité dont la bourgeoisie se sert seule ou prioritairement, mais que la révolution devra mettre au service de l’emsemble du peuple selon le principe de l’égalité en droits : c’est le cas entre autres des professions de santé, particulièrement depuis qu’en 1959, la bourgeoisie a réussi (avec la complicité des syndicats réformistes de FO) à prendre la Sécurité sociale sous sa coupe ;
- les deux remarques précédentes déterminent la responsabilité de ceux des membres de ces professions qui adhèrent au parti communiste.
Toutes ces raisons font que les communistes doivent organiser le parti en veillant à maintenir en activité leurs contacts avec leurs camarades des professions non ouvrières, de manière à permettre à ces camarades de prendre en conscience le parti ouvrier dans la lutte des classes de notre pays.
Pour certaines de ces professions, telles par exemple que la profession enseignante, les professions infirmières hospitalières, les professions d’employés non-ouvriers dans les entreprises de toutes tailles, artisanales ou industrielles, ces contacts peuvent être matérialisés selon les cas par la création de cellules d’établissements, ou par l’adhésion des employés à la cellule ouvrière de leur entreprise ; pour d’autres de ces professions, il est nécessaire d’organiser ces contacts par d’autres voies.
En tout état de cause, la tâche qui incombe aux communistes membres des professions non-ouvrières est en principe lourde ; il faut la penser selon deux axes simultanés : l’un est la revendication (universelle) de vivre dignement, l’autre est la critique du contenu de l’exercice de la profession et de la place qu’elle occupe dans la division capitaliste du travail, que chacun doit faire du point de vue que lui donne sa prise du parti ouvrier dans les luttes de classes.
Certes, c’est une lourde tâche, mais d’autres communistes l’ont entreprise avant nous, notamment en France pendant les quelques années qui ont suivi la victoire du front populaire et précédé la déclaration de guerre, ou pendant les années de l’après-deuxième guerre mondiale ; ils ont prouvé qu’elle est à la portée des communistes : renâcler devant cette tâche et se réfugier dans des fonctions de direction internes au PCF, comme l’ont fait ceux qui ont préparé et réalisé la mutation, est indigne de communistes, je le dis comme je le pense.