Ami de l’égalité

Education communiste

leçon 6 : la question paysanne

école élémentaire de la Libération (novembre 1944)

mercredi 29 octobre 2008

LES PAYSANS DANS LA NATION FRANÇAISE

- Une politique vraiment française ne peut être qu’une politique appuyée sur les masses populaires. Or, la composition sociale et professionnelle de la masse française est telle qu’il faut tenir le plus grand compte des aspirations et des énergies de la paysannerie.

- Trente-six pour cent des Français possédant un métier sont des agriculteurs, trente-six pour cent également ont une profession industrielle, dix-sept pour cent consacrent leur activité aux transports et au commerce, le reste se répartissant entre les professions libérales, les fonctions publiques et l’armée.
- Cela revient àdire que défalcation faite d’une minorité, infime au point de vue numérique, d’hommes des trusts détenant les instruments de production essentiels et les capitaux, plus du tiers des travailleurs français sont des ruraux, des paysans.
- Le chiffre de 36%, donné par la statistique générale de la France, ne vise que les Français ayant décliné sur leur feuille de recensement une profession agricole. Mais dans les villages, combien de petits commerçants ou de petits artisans, recensés comme tels, sont des paysans en même temps, et quelque fois plus, que des boutiquiers ou des réparateurs ?
- Il est clair que l’on ne gouvernera pas la France contre 40% de ses travailleurs, qu’on ne réalisera rien de grand et de progressif sans leur participation àla démocratie française. Aussi bien, les paysans sont unis aux ouvriers et aux autres travailleurs de France par le sang versé pour la défense du pays et pour sa libération. Il est inutile de chercher ailleurs que dans la voie d’une alliance de la classe ouvrière et des paysans la ligne d’une juste politique française.
- Les paysans français ont organisé et ravitaillé les admirables maquis de Bretagne, du Limousin, du Midi, des Alpes et du Jura, unis àl’occasion aux jeunes ouvriers des villes, réfractaires àla déportation en Allemagne, venus les rejoindre. Ils combattent en sabots sur les fronts de l’Ouest, àLorient, àSaint Nazaire, àLa Rochelle, àRoyan, àla pointe de Grave. Ils ont pris place dans l’Histoire àcôté des ouvriers libérateurs de Paris, partis pour suivre l’ennemi sur le front des Vosges. Ils ont souvent fourni l’exemple du châtiment des traitres et des collaborateurs, donnant ainsi la mesure de leur sens national et de leur sagesse politique.
- Notre économie repose sur l’harmonie de la production agricole et de la production industrielle. Reprenant l’apologue fameux « des membres et de l’estomac », on peut affirmer que nos usines, nos grandes villes, la musculature de notre économie ne peuvent vivre sans que les campagnes leur envoient leur ravitaillement et bon nombre de leurs fils.
- Cette solidarité de fait doit inspirer la solidarité de l’action immédiate. Paysans et ouvriers doivent mener ensemble, dans un esprit de mutuelle confiance, le combat pour la libération, la remise au travail et la reconstruction de la France.

- La condition différente des ouvriers et des paysans
- Les conditions d’existence et de travail des ouvriers et des paysans ne sont pas les mêmes.
- La classe ouvrière, classe montante par excellence puisqu’elle personnifie la production àgrande échelle qui est la forme de production de l’avenir, n’a cessé de grandir au fur et àmesure que s’est développée l’économie capitaliste. De 1851 à1939, le nombre des salariés est passé en France de 1300000 à11 millions. De plus, la concentration capitaliste rassemble de plus en plus ces ouvriers dans des entreprises géantes et des régions industrielles extrêmement denses, ce qui favorise considérablement la croissance parmi eux de la conscience collective et de l’esprit d’organisation. Enfin, la classe ouvrière étant dépourvue de toute propriété, n’ayant rien àperdre que ses chaines, est particulièrement apte àmener de façon conséquente et sans hésitation la lutte pour le progrès.
- C’est ainsi que dans la lutte pour la libération de la France, la classe ouvrière a joué un rôle essentiel, portant àl’ennemi les coups les plus durs, et sacrifiant dans cette lutte la plus forte proportion de martyrs. La classe ouvrière s’est manifestée comme la force nationale décisive.
- Les paysans français ont donné aussi les preuves les plus éclatantes de leur patriotisme. A l’heure actuelle, ils déploient un effort immense d’organisation dans leurs Comités de Défense et d’Action paysanne et dans les groupements les plus divers. Mais l’essor du mouvement paysan est forcément plus lent que celui du mouvement ouvrier.
- Cela, parce que le développement de l’économie capitaliste, s’il engendre une certaine concentration de l’agriculture, n’engendre pas le développement en nombre de la paysannerie, au contraire ; il laisse les paysans individuels plus ou moins dispersés et isolés ; chacun travaille « chez lui » (la grande majorité des paysans français sont propriétaires, fermiers ou métayers) ; beaucoup ont ainsi l’illusion d’être libres, de ne dépendre de personne. Tout ceci est particulièrement frappant dans les régions d’habitat dispersé de tout l’ouest de la France. Il en résulte un développement plus lent de l’esprit collectif et la possibilité d’hésitations sur la voie àsuivre.
- C’est dans ce sens que la classe ouvrière joue en fait et est appelée àjouer un rôle dirigeant dans toutes les luttes engagées par la nation, par le peuple.

- L’alliance nécessaire des ouvriers et des paysans
- La concentration et la centralisation industrielles ne sont pas sans danger pour la marche de la nation vers son émancipation, parce qu’elles risquent d’isoler les masses ouvrières cantonnées dans les grandes villes et de réduire de plus en plus les occasions et les points de contact avec les masses rurales.
- La géographie industrielle de la France souligne ce danger : le département de la Seine rassemble 22% de la population ouvrière de la France, la région parisienne, au sens large, 25%, soit un quart. L’ensemble des départements situés au nord-est de la Seine et de la Marne, comprenant, outre la région parisienne, celles du nord, du nord-est et de la basse Seine, groupe tout près de 60% de la main-d’Å“uvre industrielle française (58,8%). Le reste est concentré dans des zones urbaines très ramassées : le groupe Lyon-Saint-Etienne, près de 10% ; Angers-Nantes-Saint-Nazaire, 2,3% ; Marseille, 2% ; Bordeaux, 1,6% ; Clermont-Ferrand et Montluçon, 1,5% ; au total, les trois quarts des salariés d’industrie. Un quart de l’effectif se répartit évidemment entre un assez grand nombre de localisations, mais toujours par noyaux urbains. La part des industries situées àla campagne est insignifiante et, sauf pour quelques cas particuliers, tels ceux des industries de montagne, tend àdiminuer.
- Il résulte de cet examen que la classe ouvrière n’occupe en superficie qu’une très faible part du territoire français. Elle est presque absente de régions très vastes telles que le sud du bassin parisien, àl’exception des villes de Bourges, Vierzon, Châteauroux, Châtellerault, etc..., tout le plateau central, sauf de petites concentrations industrielles, Limoges et Saint-Junien, Castres, Mazamet, Le Puy, et, indépendamment de Montluçon, de Clermont-Ferrand et de Saint-Etienne déjàcitées, le bassin aquitain où l’industrie ne réunit de masses ouvrières importantes qu’àToulouse et àBordeaux ; tout l’ouest et enfin tout le Midi méditerranéen où, sauf dans les Bouches-du-Rhône, la population ouvrière représente moins de 15% de la population active totale.
- Une dernière donnée numérique peut être encore fournie sur cet aspect essentiel de la question : la population ouvrière n’est supérieure au cinquième de la population active totale que dans dix-huit départements (en ne comptant que les ouvriers d’industrie). Quinze situés au nord-est de l’axe Seine-Marne, et les trois départements de la Loire, du Rhône et de l’Isère.
- Une action progressive, patriotique ou sociale, menée uniquement par la classe ouvrière risque d’être dangereusement isolée géographiquement. L’ensemble du pays est occupé par la paysannerie. Aucune action ne peut être efficace si elle ne s’étend pas àl’ensemble du territoire et si elle risque d’être cernée par l’indifférence, l’incompréhension ou même l’hostilité des campagnes.
- L’histoire fournit maints exemples de cette vérité première. Les mouvements progressifs du peuple parisien ont souvent trouvé contre eux l’hostilité des campagnes et ont été vaincus parce qu’isolés et réduits seulement aux limites de la capitale ou des grandes cités ouvrières de province.
- En 1848, l’Assemblée nationale, élue àla suite d’une campagne dénaturant la réalité des revendications ouvrières et exploitant la méfiance des paysans àl’égard des ouvriers, qualifiés de « partageux », prend l’initiative d’une politique réactionnaire, supprime les ateliers nationaux créés pour fournir du travail aux chômeurs. Les ouvriers relèvent la provocation, mais ils sont seuls, et Cavaignac, avec des régiments de recrutement rural, écrase l’insurrection dans le sang, comme quinze ans avant ont été écrasés les ouvriers lyonnais soulevés pour la défense de leur pain.
- En 1871, un conflit du même ordre oppose le peuple de Paris aux « Versaillais » qui, par intérêt de caste, préfèrent faire la guerre aux Parisiens qu’àl’armée prussienne. La glorieuse Commune de Paris ne trouve d’écho que dans les villes ouvrières, àLyon, àSaint Etienne, au Creusot, àToulouse, àMarseille, àLimoges. Son isolement est une des causes de sa perte.
- En 1944, le pays uni dans un commun effort se libère par ses propres forces, avec l’appui de ses alliés dont il soulève l’admiration. Pendant quatre ans, les campagnes et les villes ont rivalisé d’héroïsme et d’action organisée pour un idéal commun. L’unité française, scellée dans la souffrance et le sacrifice est si prometteuse de progrès social que les trusts et les agents de la cinquième colone multiplient désespérément leurs efforts pour la briser.
- Hors de France, un exemple saisissant montre que la Révolution réussit dans la mesure où ouvriers et paysans coordonnent leurs efforts. En 1905, les ouvriers d’Ivanovo, de Petersbourg (Léningrad), de Moscou, d’Odessa, décrètent la grève insurrectionnelle. Les marins du cuirassé « Potemkine » s’insurgent. Les paysans entament la lutte contre les grands propriétaires en de nombreux endroits. Mais l’action n’est pas concertée et manque d’unité. Le parti bolchévik a tiré les enseignements de cette expérience cruelle pour le peuple russe. Il a fait approuver par les masses rurales opprimées ses mots d’ordre justes et assure la fraternité d’armes des paysans et des ouvriers dans le combat contre le régime tsariste. L’union des paysans et des ouvriers a remporté la victoire en 1917.

- Une position criminelle : la position des trotskystes, agents de l’ennemi
- L’examen des faits, c’est-à-dire de la composition sociale de notre pays, de la répartition géographique de la population ouvrière et des exemples historiques, nous a conduits àune conclusion qui en est l’aboutissement rationnel : l’impérieuse nécessité de l’alliance des paysans et des ouvriers pour une action politique efficace et progressive.
- Cette conclusion est contestée par les agents de l’ennemi dits trotskystes, qui nient la possibilité d’une telle alliance. Ils présentent les masses rurales comme des masses inéluctablement réactionnaires dont les partis révolutionnaires n’ont rien àattendre. Pareille conception conduit àl’action ouvrière isolée et àl’approfondissement du fossé creusé entre les ouvriers des villes et les paysans.
- Si l’on ne cherche pas àintéresser les paysans àla réalisation des revendications ouvrières, on voue celles-ci àl’échec parce que les ouvriers ne représentent pas la majorité absolue du pays. On recule l’éventualité de la défaite des trusts àl’époque lointaine et problématique où, par le jeu de la concentration industrielle et de l’exode rural, la population ouvrière urbaine aurait atteint une force numérique suffisante pour assurer seule cette défaite. Enfin, et surtout, on entretient et on aggrave les malentendus entre ouvriers et paysans, on prépare les conditions de l’écrasement des libertés et de la victoire du fascisme qui, en Allemagne, en Italie, partout, n’a pu triompher qu’àla faveur des divisions entretenues par lui entre ouvriers et paysans.
- L’histoire s’inscrit en faux contre cette théorie criminelle. Après l’exemple de la Révolution d’Octobre et de la victoire du socialisme en URSS, la merveilleuse épopée française de 1944 et, auparavant, la lutte coude àcoude dans l’illégalité, ont bien montré que les paysans comme les ouvriers étaient capables de marcher ensemble dans la voie du progrès et qu’il serait àla fois stupide et néfaste de vouloir considérer les travailleurs des champs comme des êtres inférieurs.
- Il peut arriver que les paysans soient trompés et tenus en tutelle par leurs ennemis, les hommes des trusts et les hobereaux. Mais ils sont d’une énergie farouche dans toute action pour une cause dont ils ont senti la justesse. Ils ont été et sont, par exemple admirables dans la lutte armée contre l’ennemi et ils ont fourni aux FFI, spontanément et sans réserve, d’innombrables soldats héroïques. Ils sont ardents au combat pour la liberté et pour leur dignité d’hommes.
- Sans doute le travail politique parmi les paysans n’est-il pas toujours facile. Il faut toucher village par village, parfois maison par maison. Il faut aussi vaincre chez certains des préventions séculaires.
- Mais les faits montrent que ce travail porte des fruits admirables partout où il est fait sérieusement. De toutes façons, il est la condition indispensable de l’indépendance nationale et de tout progrès ultérieur en France.

POUR UNE POLITIQUE D’ALLIANCE DES OUVRIERS ET DES PAYSANS

- La communauté d’intérêts de la classe ouvrière et des paysans
- Un examen approfondi de l’économie française montre que, sous des apparences d’indépendance, le paysan, même propriétaire de sa terre, est exploité par les mêmes forces d’oppression que l’ouvrier.
- Le paysan est libre de travailler, de travailler sans relâche sur la terre qui lui appartient ou qu’il a louée ; c’est làsa seule liberté.
- On ne met pas une terre en valeur sans disposer d’un train de culture très coà»teux, qui atteint un prix dont l’ouvrier des villes se fait difficilement une idée : plus de cent mille francs pour une petite exploitation avant la guerre (1938). Pour « démarrer », le paysan a besoin d’une petite fortune. S’il doit l’emprunter, il tombe àla merci de la banque. Malheur àlui s’il a eu la malchance d’entrer dans la vie àune période de dépression des cours des produits agricoles ; il ne pourra jamais se libérer, et trainera indéfiniment la charge des arrérages de sa dette et la menace de la saisie.
- Chaque fois que le paysan doit acquérir quoi que ce soit pour son exploitation, il subit la loi des trusts : les engrais, indispensables pour une culture rationnelle àhaut rendement, lui sont livrés par les bureaux de vente des trusts des engrais, qui réalisent des bénéfices considérables àses dépens. De 1928 à1938, les dix principales sociétés françaises de phosphates et de potasse ont encaissé près d’un milliard de bénéfices et distribué 56802000 francs de tantièmes àleurs administrateurs.
- Pour parvenir àces résultats substantiels pour les membres des 200 familles que l’on retrouve dans tous les conseils d’administration de ces sociétés, comme la famille Mirabaud, on n’a pas hésité àaugmenter les prix de vente àun rytme plus rapide que l’accroissement des prix de vente des produits agricoles. Il est donc de la plus pure hypocrisie d’attribuer àune prétendue « routine » des paysans français l’usage incontestablement insuffisant des engrais (5 fois moins en moyenne que sur les terres belges). La meilleure preuve en est que les campagnes françaises consommaient deux millions de tonnes d’engrais phosphatés avant 1935 et qu’en 1938-39, cette consommation avait dà» être réduite à1200000 tonnes, par suite de l’excessive augmentation des prix.
- Quand le paysan veut acheter une machine agricole ou un simple appareil permettant une économie de temps et de travail àla maison, il paie une lourde dîme aux sociétés d’industrie mécanique. D’une manière générale, il est victime de tous ceux qui font les produits chers, de la moissonneuse aux bleus de travail.
- Du moins pense-t-on qu’il peut « récupérer » en vendant ses récoltes plus cher. Mais depuis que les produits de la terre ne sont plus vendus et consommés sur place, c’est-à-dire depuis le développement de l’économie capitaliste et depuis la formation des grandes villes ouvrières, le paysan doit livrer sa production àdes organismes de vente qui, associés aux organismes de transformation des produits agricoles, forment une longue chaine entre lui et le consommateur : sociétés laitières, minoteries, groupeurs expéditeurs de fruits et de légumes, marchands de bestiaux, etc... pour aboutir aux sociétés de distribution, en passant par les transporteurs. Dans maintes branches de l’économie agricole, comme la production du lait, le ramassage du produit était, dès avant la guerre, aux mains de quelques trusts qui imposaient aux paysans des prix anormalement bas.
- Partout, le profit, les banques, et, en fin de compte, au départ une rémunération insuffisante du travail de la terre, àl’arrivée une vie trop chère. Au départ, c’est le paysan qui est lésé, àl’arrivée, l’ouvrier. Tous deux sont victimes du même système.
- Seulement, comme ils se trouvent placés chacun àl’extrémité d’une chaîne économique, c’est un jeu d’enfant pour ceux qui règlent le mécanisme de la transmission et de la distribution àleur profit (un produit agricole double communément de prix entre le lieu de production et le lieu de consommation, quand les proportions ne sont pas plus fortes !) de les camper en antagonistes, de faire reposer la responsabilité de la vie chère sur les paysans, celle des prix élevés des objets de consommation sur les salaires ouvriers et sur les lois sociales.
- Les trusts font coup double : ils gagnent de l’argent et ils divisent le peuple de France en deux clans rivaux, assurant ainsi le maintien de leur tyrannie.
- La lutte contre les trusts, menée par les ouvriers conscients de sa nécessité, affranchira la paysannerie de ses chaines ; mais pour que celle-ci comprenne la solidarité d’intérêts qui l’unit àla classe ouvrière, pour qu’elle sache qu’il lui faut prêter main forte, il faut que les ouvriers prennent l’initiative d’une politique de défense des intérêts paysans. C’est le rôle du parti communiste d’unir les revendications des paysans et celles des ouvriers dans un même programme de lutte contre les trusts.

- La composition sociale de la paysannerie. Les alliés naturels des ouvriers des villes : les paysans-travailleurs
- La paysannerie n’est pas une masse homogène. Elle comprend une hiérarchie de catégories sociales parfois fort différentes.
- Il convient de faire une place toute spéciale aux parasites de la terre : les propriétaires fonciers qui ont acheté de la terre pour faire un placement, c’est-à-dire pour vivre des rentes payées par les paysans travailleurs qu’ils emploient comme ouvriers ou comme locataires. Cette classe est très mélangée, et elle comprend notamment les gros affairistes, les sociétés anonymes des plaines viticoles du Midi, les richissimes betteraviers du nord, etc...
- Dans une position intermédiaire entre les oisifs de la terre et les paysans travailleurs, se placent les agriculteurs capitalistes qui dirigent eux-mêmes l’exploitation de leur terre en utilisant de nombreux ouvriers agricoles.
- Les gros exploitants sont peu nombreux en France : sur deux millions de salariés de l’agriculture, 150000 seulement travaillent dans des entreprises employant plus de dix ouvriers, autant environ dans des entreprises utilisant 6 à10 salariés ; le reste, soit 87%, appartient àla petite ferme où le chef d’exploitation recourt àl’aide de quelques ouvriers (5 au plus).
- Vient ensuite la masse des petits et moyens exploitants travaillant en famille, qui représente les trois quart des paysans.
- Il y a donc, pour nous, deux éléments intéressants dans la paysannerie : deux millions d’ouvriers agricoles, six millions de paysans travailleurs, petits et moyens propriétaires ou locataires (fermiers et métayers), souvent les deux àla fois, car nombreuses sont les propriétés paysannes trop petites pour nourrir une famille et dont le chef d’exploitation doit louer des terres pour accroitre son gagne-pain, àmoins qu’il ne fasse des journées chez un paysan riche (semi-propriétaire rural).
- Parce que ce sont eux qui représentent la masse paysanne, et parce que ce sont eux qui sont exploités par les trusts, les paysans travailleurs sont défendus par notre parti qui les appelle àrejoindre les ouvriers des villes dans la lutte contre l’ennemi commun : les trusts.

- La tactique du parti
- L’élément le plus durement exploité, c’est la masse des ouvriers agricoles.
- Les ouvriers agricoles sont beaucoup plus dispersés que les ouvriers des villes. Nous avons vu que 87% d’entre eux, près d’un million huit cent mille, travaillent dans des exploitations de moins de six salariés. Mais leur condition est toujours misérable, leur salaire en numéraire très bas, leur logement rudimentaire, leurs loisirs et leur repos très mal assurés, l’équipement médico-social rural est embryonnaire, toutes circonstances qui les placent tout naturellement aux côtés des travailleurs des villes.
- Les paysans travailleurs, propriétaires et locataires doivent et peuvent être des alliés résolus de la classe ouvrière, si on leur explique comment les trusts les exploitent, comment on les a laissés àl’écart de toute législation sociale les protégeant contre la maladie, la vieillesse, contre les crises qui mettent le paysan àla fin d’une année de labeur, quand la récolte ne parvient même pas àcouvrir les charges de l’exploitation, dans une détresse pire encore que celle du chômeur.
- Cette solidarité d’intérêts est rendue éclatante aujourd’hui par la trahison des trusts et de leurs agents àla terre. Les hobereaux dans leur immense majorité ont soutenu éperdument la politique de Vichy ; c’est parmi eux, et parmi les courtiers en engrais ou en graines de semences, les dirigeants de sociétés laitières, de grands moulins ou de sucreries, parmi tous les exploiteurs traditionnels du travail paysan, qu’ont été recrutés les collaborateurs et les hommes de la milice de Darnand. Les souffrances et les hontes de l’occupation ont convaincu les paysans. Leurs vrais ennemis, ceux de la France, se sont démasqués. C’est le rôle de notre parti de le publier partout et d’exiger des châtiments exemplaires.
- Il y a dix ans, il y a même seulement cinq ans, bien des paysans de l’ouest parlaient encore avec respect du « Monsieur » du château dont ils faisaient parfois un maire, un conseiller général, un sénateur, contre leurs intérêts méconnus. Aujourd’hui, le « Monsieur » a collaboré, a fait arrêter des patriotes, prêté son concours aux négriers du STO ; aboutissement normale de la féodalité rurale. Excellente occasion d’ouvrir les yeux des plus résignés des descendants des serfs d’autrefois. Guerre aux hobereaux collaborateurs et àleurs complices des sociétés laitières, des minoteries et de tous les exploiteurs du travail paysan.
- Ainsi, le paysan apprend mieux aujourd’hui, sur la base même de son patriotisme, àconnaître ceux qui l’exploitent et ceux qui le défendent. La tactique de notre parti consiste àle convaincre de la communauté de ses intérêts et de ceux de la classe ouvrière et àdémontrer au paysan moyen que ce n’est pas contre lui que se tournent les légitimes colères des exploités, mais vers les grands responsables, les trusts et leurs complices ruraux.
- Il est en effet indispensable d’isoler la clique des hobereaux et des affairistes de la terre et de faire participer l’immense masse des petits et moyens paysans àla lutte contre les trusts sans patrie.

LA POLITIQUE PAYSANNE DU PARTI

- Il faut faire participer les masses paysannes àl’effort de guerre et àl’Å“uvre de reconstruction française dont la restauration et la modernisation de notre agriculture est un des éléments essentiels, en mobilisant toutes les forces du parti et des masses dynamiques de notre pays pour la satisfaction de leurs justes aspirations et de leurs revendications immédiates.

- La revalorisation des produits agricoles et le relèvement de la condition des ouvriers agricoles
- Les paysans aspirent justement àune rémunération équitable de leur travail. Il est nécessaire de leur assurer l’aisance méritée par leur effort productif en fixant des prix suffisamment élevés pour les denrées agricoles prises au lieu de production. Il faudra veiller àce que ce relèvement des prix àla production s’accompagne d’une augmentation des salaires des ouvriers agricoles.
- Il est clair que si l’on veut éviter que cette augmentation des prix de base ait une répercussion fâcheuse sur le prix de la vie, et sur le prix de revient des objets fabriqués par voie de conséquence, ce qui arriverait àannuler le bénéfice de l’opération pour le paysan qui est acheteur d’objets fabriqués, il est nécessaire de contrôler les organismes de transport et de distribution dont les bénéfices dépassent de loin la valeur économique de leur rôle d’intermédiaires.

- L’extension aux paysans du bénéfice des lois sociales
- Le paysan doit être protégé par la collectivité nationale contre les fléaux agricoles et les misères humaines. On doit le faire bénéficier au meilleur compte - abstraction faite de tout profit capitaliste àcette occasion - des assurances contre les calamités agricoles, contre les accidents et la maladie, lui assurer au même titre qu’aux travailleurs des villes les allocations familiales et la retraite des vieux.

- La défense de la propriété paysanne
- Partant de ce principe que la terre est l’instrument essentiel de travail du paysan, il faut consolider la propriété paysanne en appliquant les mesures relatives àla propriété culturale en faveur du fermier et du métayer, faciliter l’accession àla propriété familiale par l’extension des prêts du Crédit Agricole àdes taux plus bas que les taux pratiqués actuellement et l’exonération d’intérêts pour les prêts aux jeunes ménages ruraux.
- Partant de cet autre principe que la terre doit appartenir àceux qui la travaillent et ne pas être un instrument d’exploitation au profit d’oisifs, nous devons exiger la remise en vente des terres et des domaines achetés pendant l’occupation par des industriels, des sociétés, des gros commerçants qui ont cherché une occasion de placer leurs super-bénéfices, fruit de leur trahison, et de s’assurer un moyen d’exploitation du travail d’autrui. Les biens des traitres doivent être confisqués sans indemnité et il faut interdire dans l’avenir aux non-cultivateurs d’acheter de la terre.

- L’élévation du niveau de vie du paysan par un plan d’équipement rural
- L’état arriéré de beaucoup de nos régions rurales n’est pas imputable àla négligence ou àl’incapacité paysanne. Le paysan n’a ni les moyens matériels ni les capitaux nécessaires pour transformer comme il convient le paysage rural, son milieu de travail. Il n’est pas dans les possibilités de paysans individuels de créer un réseau de chemins ruraux accessibles en toutes saisons àla circulation routière, de multiplier les lignes de distribution de force électrique, ou même de transformer l’aménagement de son habitat en application des techniques et des règles modernes, encore moins d’établir un réseau serré de stations médico-sociales, pour remédier àcette situation stupéfiante qu’il y a plus de tuberculeux en Bretagne qu’àSaint-Denis...
- C’est àla collectivité publique qu’incombe la responsabilité d’un plan d’équipement rural et de son exécution avec un financement prélevé sur les profits des traitres et des parasites.
- Notre parti doit également se pencher sur le problème du perfectionnement de l’outillage, de la diffusion des engrais et des semences sélectionnées àde bonnes conditions d’achat, car c’est par une modernisation du travail rural que l’on parviendra àobtenir plus de rendement avec moins d’effort, ce qui revient àélever le taux de rémunération du travail agricole, àréduire le décalage entre le salaire industriel et le revenu agricole, àfaire mieux vivre l’homme de la terre.
- Si l’état ne peut assumer seul toutes les charges, il doit apporter son aide àla coopération paysanne qui peut déjàréaliser des progrès très substantiels ; il doit l’encourager sous toutes ses formes. Notre parti doit mettre tout en Å“uvre pour faire comprendre aux paysans ce qu’ils sont en droit d’en espérer. L’organisation coopérative des campagnes soviétiques montre assez comment des paysans qui étaient bien plus misérables que ne le sont les paysans français ont pu acquérir en se groupant un matériel plus moderne que le matériel de la grosse propriété capitaliste américaine, ceci abstraction faite de la collectivisation des terres qui est un autre problème.

LE TRAVAIL DU PARTI À LA CAMPAGNE

- Il est nécessaire que le juste programme de notre parti soit porté àla connaissance des huit millions de paysans français répartis dans plus de 36000 communes rurales (37281 de moins de 2000 habitants en 1936) ! On mesure àcet éparpillement géographique de la masse paysanne la difficulté du travail de propagande. Il faut mobiliser un très grand nombre de militants.
- Ces militants doivent sortir autant que possible du milieu rural lui-même. Le paysan n’écoute volontiers que le paysan. Il est nécessaire dans certains cas et profitable même que des militants ouvriers présentent le programme de notre parti devant leurs frères des campagnes, mais il faut en règle générale des hommes de la terre pour parler aux hommes de la terre. Et il faut que le militant rural soit un paysan intelligent, laborieux, donnant l’exemple de l’accord d’une bonne pratique de son métier et des idées de progrès économique et social àla campagne.
- Le rôle du militant paysan n’est pas seulement de tenir des réunions, mais de convaincre par son exemple et par son action concrète. Il doit se rendre indispensable en étant l’homme de bon conseil au syndicat agricole, àla coopérative, en suggérant àbon escient la constitution des comités de défense et d’action paysane et en se montrant partout le meilleur défenseur des paysans. Son influence et, par son interrnédiaire, celle de notre parti, sera àla mesure de son autorité personnelle.
- Il ne devra jamais apparaître comme un sectaire, mais comme un homme de bon sens, unissant les paysans sans distinction d’opinion, les entrainant àl’action pour la réalisation du programme conforme àleurs intérêts.
- De même que l’esprit général de notre parti est celui de la France, affirmé aux siècles passés, l’esprit de Descartes, des philosophes du dix-huitième siècle, de la grande Révolution de 1789 qui a libéré les paysans des servitudes féodales de l’ancien régime, l’esprit de nos militants ruraux doit être celui du paysan français, fait de solide bon sens, de prudence et de mesure.
- Aider le paysan àprendre conscience de ses droits et de ses intérêts, l’inviter par l’exemple àparticiper au progrès économique et social, tel est pour le militant rural le moyen d’acquérir la confiance qui lui donnera autorité pour exposer les mots d’ordre de notre parti. Ce faisant, il s’appuiera sur les réalités de notre Histoire et des exigences actuelles de la vie rurale.

CONCLUSIONS

  1. L’alliance de la classe ouvrière et des paysans àtoutes les étapes est possible et nécessaire.
  2. La politique àsuivre, après la suppression des trusts et en même temps qu’elle, doit viser àréduire les privilèges des exploiteurs de la campagne et du travail des paysans. Elle doit tendre àla réalisation àbrève échéance de réformes immédiates et sérieuses en faveur des paysans travailleurs (accession des paysans sans terre àla propriété, garantie de la propriété des paysans travailleurs, aide de l’état, etc...). Mais il faut éviter tout recours àdes mesures de coercition qui feraient le jeu des trusts.
  3. Il est certain que dans leur propre intérêt les paysans devront recourir dans l’avenir àde nouvelles formes de production et de propriété. Mais c’est de leur plein gré, par le succès des expériences préliminaires réalisées dans le syndicalisme agricole, les coopératives, les comités paysans, que les paysans doivent être amenés àenvisager comme désirable l’adoption de ces nouvelles formes de production et de propriété, une fois les conditions favorables créées dans l’ensemble du pays.

- La politique paysanne, compte tenu du milieu dans lequel elle doit être menée, doit être une politique de persuasion, appuyée sur une politique de réalisations immédiates substantielles. Les militants qui ont conscience de l’évolution historique et des intérêts de la France ouvrière et paysanne unie ont àtâche de conduire les paysans dans la voie de leurs destinées, mais, suivant un proverbe emprunté àla sagesse paysanne, il ne faut pas mettre la charrue avant les bÅ“ufs.
- Le progrès s’impose par lui-même. Les militants ont pour mission d’en accélérer la marche. Mais ce n’est pas leur rôle de vouloir l’imposer avant terme.
- Pour obscure et ingrate que soit la tâche du militant communiste àla campagne, elle n’en est pas moins indispensable àl’unité de notre pays et essentielle dans la marche du progrès vers un avenir de justice sociale et de mieux être.

Bibliographie

- Collection de La Terre depuis le 7 octobre 1 944
- Staline : Des principes du léninisme (chapitre La question paysanne)
- Histoire du parti communiste (bolchévik) de l’URSS, chapitre 1 paragraphe 4 ; chapitre 2 paragraphe 2 ; chapitre 3 ; chapitre 4 paragraphe 3 et 6 ; chapitre 10 paragraphe 3 ;
- Engels : La guerre des paysans en Allemagne (note préliminaire)

P.-S.

- brochure rédigée au mois de novembre 1944

- Leçon 7 : la jeunesse

- Leçon 5 : Les communistes et la guerre

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