c’est-à -dire mobiliser la citoyenneté et renforcer la République au-delà de ce que permet l’Etat, en affectant à la République des forces et des moyens que l’Etat accapare ou stérilise.
Telle est notre raison de rechercher quelles sont les forces de la citoyenneté qui font obstacle au terrorisme et comment il est possible de les mobiliser.
Comment se forment les entreprises terroristes ? Pour quelles raisons une personne ou un groupe de personnes prennent-elles la terreur pour moyen d’agir en politique ? Quel besoin politique ont-elles de terroriser politiquement les citoyennes et les citoyens ? Ces raisons sont politiques :
La politique est la conduite de l’économie nationale.
Les humains modifient la conduite de l’économie, en modifiant parfois son mouvement essentiel, lorsque celle-ci ne sert plus suffisamment les intérêts de certains de ses membres. Karl Marx a montré que cette insuffisance trouve sa cause dans un progrès des forces de production qui n’a pas été accompagné de la modification progressiste des rapports de production que ce progrès rendait possible.
Dans les sociétés d’inégalité, les membres des classes ou castes privilégiées décident toujours de ces modifications dans le but de maintenir et d’accroître les privilèges, au prix de leur redéfinition si cela s’avère nécessaire ; il en est ainsi de la France d’aujourd’hui, dans laquelle la conduite de l’économie et le contrôle de son mouvement sont totalement et étroitement tenus par la grande bourgeoisie, propriétaire directe ou indirecte de la quasi-totalité des moyens de produire et d’échanger.
Au cours du siècle des Lumières philosophiques s’est développée la revendication de la souveraineté populaire, selon laquelle le peuple lui-même déciderait et opèrerait toutes les modifications du cours de l’économie, contrôlerait ce cours et conduirait l’économie elle-même. C’est dans ce but que fut définie la démocratie par la condition que chacune et chacun des membres du peuple concoure à ces décisions, à ces actions et à leur contrôle, chacun avec une voix ; c’est alors que la démocratie est devenue un objet politique essentiel de la revendication des membres du peuple français, en même temps et au même niveau que son objet économique, qui est la revendication de manger à sa faim en vivant de son travail : cette double revendication fut dès alors puissante et durable ; sur le plan politique, c’est elle qui a orienté ensuite la Révolution vers la destruction radicale des institutions politiques de l’Ancien Régime ; formulée sous l’éclairage des Lumières philosophiques, cette double revendication est restée jusqu’à nos jours l’un des principaux critères politiques de la critique à laquelle le peuple soumet l’un après l’autre tous les régimes français de gouvernement, toutes les constitutions françaises.
La politique ayant été confisquée par la bourgeoisie française dès le 9 thermidor an deux de la République (27 juillet 1794), la revendication de démocratie n’a jamais été satisfaite en France, sauf partiellement en quatre moments exceptionnels et de courte durée, pendant les premiers mois de la seconde République, avant juin 1848, pendant la Commune de Paris, en 1871, pendant le grand mouvement social du Front populaire, en 1936 et pendant les deux années et demie qui ont suivi la Libération de la France, de 1945 à mai 1947.
Cela étant, le cours de notre histoire met en évidence qu’à divers moments, des groupes d’hommes se sont lancés dans des entreprises politiques, avec des moyens divers. Certains ont tenté d’aboutir en acquérant l’influence que nous avons coutume d’appeler « la majorité » ; d’autres ont employé la terreur : nous ne discutons pas ici d’abstractions, mais de réalités manifestées dans l’histoire de notre société.
L’entreprise politique se caractérise donc par ce qu’elle a pour objet, au moins, de prendre en mains la conduite de l’économie, et au plus, d’en modifier le cours (le mouvement) par le changement de ses structures et institutions. Les résultats observables de l’entreprise politique sont ses effets sur la structure des capitaux de toutes natures où sont accumulés les profits. Il y a eu révolution lorsque les classes sociales résultant du mouvement de la propriété des capitaux ont été radicalement modifiées.
Nous en arrivons maintenant à la question : quelles sont les conditions qui peuvent conduire un groupe à employer la terreur pour conduire son entreprise politique à ce qu’il estime devoir être sa bonne fin ?
Un tel groupe choisit évidemment ses moyens selon que leurs effets dans la société favorisent ou non son entreprise. Donc, quelles sont les politiques que peut favoriser la terreur ?
J’ai montré dans mes articles L’antagonisme du terrorisme et du communisme et Du terrorisme et de ses variétés que la terreur inhibe, c’est-à -dire bloque le raisonnement politique des membres du peuple, qui tentent de se protéger en se repliant dans les opinions politiques consensuelles, celles qui s’imposent en refusant de dire leurs raisons ; la terreur permet donc à ceux qui l’emploient de faire avancer des politiques contraires aux intérêts que le peuple exprimerait si tous ses membres en délibéraient librement et en conscience. Il y a là une profonde parenté entre terrorisme et étatisme : l’un comme l’autre porte les intérêts d’une minorité, et l’un comme l’autre les porte contre la volonté que le peuple prononcerait si ses membres étaient libres d’en délibérer.
Ce qui se montre ici, c’est que l’essence de la république, la citoyenneté de chaque femme et de chaque homme habitant le pays, s’oppose au terrorisme comme elle s’oppose à l’étatisme.
Minoritaires dans la nation, les terroristes ne peuvent, en cas de succès de leur entreprise, qu’instaurer une dictature, seul moyen de satisfaire leurs intérêts ; nulle libération sociale ne peut en résulter, au contraire : le succès de l’entreprise terroriste ne peut conduire qu’à redistribuer les richesses au sein de la classe dominante, aujourd’hui la bourgeoisie, et l’expérience politique de plusieurs siècles atteste qu’il aggrave toujours l’exploitation du peuple.
Les membres des peuples ont donc tout intérêt à se mobiliser en tant que citoyennes et que citoyens pour faire échouer les entreprises terroristes : en tant que citoyennes et que citoyens, c’est-à -dire en renversant chaque fois que cela sera nécessaire les limites et les barrières de la « Raison d’Etat » que l’étatisme leur oppose depuis toujours, et en rejetant les fausses raisons selon lesquelles « le temps de la démocratie ne serait pas encore venu ».
C’est en portant la revendication populaire sur le plan politique que les femmes et les hommes du peuple se mobilisent en tant que citoyennes et que citoyens, et c’est en portant cette revendication politique au plus haut niveau qu’ils l’opposent à la politique terroriste : cette démarche aboutit en effet à poser des revendications incompatibles avec les politiques des minorités exploiteuses créées par les mouvements de la propriété privée ; or, nous venons de constater que les entreprises terroristes ne portent pas d’autres politiques.
Cette démarche aboutit aussi à mettre en évidence l’inanité des discours démagogiques qu’emploient usuellement les terroristes, mais aussi certains directeurs des services de l’Etat mandatés par la bourgeoisie ; c’est cela seul qui peut permettre de vider le vivier dans lequel les terroristes recrutent leurs troupes. Tel est donc le mouvement par lequel les femmes et les hommes du peuple, mobilisant leur propre citoyenneté, réduiront le terrorisme à l’impuissance.
Ce mouvement est la démocratie elle-même ; pour l’enclencher, il faut faire cesser les blocages que lui opposent les politiques d’Etat, dont le but est de sauvegarder et de servir les intérêts de la bourgeoisie et de ce qui reste des autres classes dominantes.
Par là , nous voyons qu’en s’efforçant de baillonner la citoyenneté par la terreur, le terrorisme nous montre deux vertus cardinales de la citoyenneté : d’une part, l’obstacle essentiel qu’elle oppose au terrorisme ; et d’autre part, sa qualité d’essence animant la république d’un mouvement contraire à l’étatisme.
Aujourd’hui donc, la mainmise étatique sur la société fait obstacle à la mobilisation par laquelle les citoyens pourraient arrêter le terrorisme et le vaincre. La descente de police à grand spectacle de Tarnac nous en donne un exemple : elle a été voulue, pensée et organisée de manière à être le plus intimidante possible : mais ceux qui l’ont voulue et commandée, qui voulaient-ils intimider ? Les terroristes ? Certainement pas : à ce jour, les procureurs antiterroristes n’ont pas fait la preuve qu’il y ait jamais eu des terroristes à Tarnac ; bien plus, le temps qui passe sans que le parquet antiterroriste apporte la moindre information susceptible de confirmer sa thèse, ce temps nous donne de plus en plus de raisons de nous demander si le procureur antiterroriste lui-même y a jamais cru !
Il faut aussi regarder les opérations de ce type du point de vue de leurs résultats : leur efficacité antiterroriste est très douteuse, et en même temps, chacune d’elles tend à élargir et à approfondir en France le fossé qui ne sépare déjà que trop de la nation les forces de police !
En vérité, les habitants de Tarnac se sont sentis visés, et c’est sans doute avec raison : la descente de police les visait pour intimider notre peuple tout entier. Pourquoi ? A quelles fins ? Ceux qui peuvent le dire sont ceux qui en ont décidé. Ce que nous observons, c’est que la démocratie en sort gravement blessée.
Pour qui voudrait chercher les raisons qu’avaient les chefs de cette descente de police d’intimider notre peuple, je ne peux que lui indiquer une piste hypothétique : les « anarchistes » de Tarnac, ainsi désignés parce qu’ils avaient entrepris d’inventer un mode de vie qui n’obéïsse pas aux codes économiques et sociaux en vigueur en France, étaient suivis par la police depuis quelques mois, mais pas dans le cadre de l’enquête sur les attentats commis en France contre la circulation des trains : au moment de la descente de police, cette enquête n’était pas encore ouverte. Ils étaient suivis, si j’en crois la presse nationale, dans le cadre d’une enquête ouverte aux USA par les procureurs de ce pays pour protéger les institutions du capitalisme mondial.
Il y a là vraiment de quoi nous inquiéter ; par cette circonstance et par la descente de police, nous apprenons simultanément deux choses : d’une part, qu’une fraction de la police française est organisée en vue de fonctionner comme un corps étranger à notre peuple, et d’autre part, que ceux qui la commandent coopèrent si étroitement avec ceux qui commandent les polices des USA qu’ils sont incapables de nous donner les raisons pour lesquelles ils maintiennent sous les verrous un citoyen français !
Poussée jusqu’à ce point, ce n’est plus de la coopération ; ces fractions de la police et de la magistrature françaises agissent comme si la lutte antiterroriste était pour elles une raison suffisante de se soustraire à l’autorité de la nation !... Ils sont bien près d’inscrire la nation sur la liste des mouvements qu’ils étiquettent comme « terroristes »...!
De nos propres yeux, nous voyons commettre un crime contre la nation française : ce crime consiste à soustraire la police française à l’autorité de la nation française, à séparer la nation de sa police.
Au début du vingtième siècle, Jean Jaurès avait, à propos de l’Armée française, dénoncé comme criminel l’acte de séparer la nation de son armée : qu’une loi votée par le parlement français ait aujourd’hui réalisé la séparation de la nation française d’avec l’armée française n’y change rien : cette séparation reste un crime. L’actualité dite antiterroriste nous montre qu’il en est de même des forces de police.
Constatons-le, nous sommes aujourd’hui en devoir de lutter contre l’accomplissement de ce nouveau crime contre la France : cette nécessité jointe aux fautes et errements que nous observons dans l’action des services de l’Etat français dans l’affaire de Tarnac, doit conduire tout citoyen à poser les revendications d’une police et d’une justice républicaines ; j’en ferai ici une première esquisse :
- L’administration judiciaire doit être entièrement soumise aux lois : la fonction de dire le droit ni celle d’administrer la justice ne placent aucun de ceux qui les exercent au-dessus des lois.
- La police française doit être entièrement soumise à la loi de la république française : la mission d’assurer la tranquillité publique, de faire respecter la loi, de poursuivre ceux qui ont agi contre elle et d’exécuter les décisions de justice n’autorise aucun de ses fonctionnaires à se placer au-dessus des lois.
- Ni la police française, ni la gendarmerie nationale n’ont le droit d’exécuter une décision prise par d’autres autorités qu’un magistrat de la République française agissant dans le cadre de sa compétence, ou que leur propre direction agissant dans le cadre de sa mission légalement définie.
- La police judiciaire reçoit ses ordres de l’administration judiciaire et d’elle seule : l’administration judiciaire étant le moyen d’agir du pouvoir judiciaire ne peut compter dans sa hiérarchie aucun membre du pouvoir exécutif, ni ministre ni fonctionnaire.
- Il faut mettre fin en effet à une carence : jamais le législateur français n’a édicté les modalités d’un contrôle démocratique du pouvoir judiciaire : cette carence a permis que depuis le coup d’Etat de Thermidor, tous nos régimes de gouvernements ont coiffé l’administration judiciaire d’un ministre membre du pouvoir exécutif, et se sont satisfaits du principe de l’inamovibilité des juges. Cette carence montre aujourd’hui à l’évidence sa malfaisance. Il faut inscrire dans la constitution la définition et les règles fonctionnelles d’un contrôle démocratique du pouvoir judiciaire ; pour faire entrer dans la réalité la séparation du pouvoir judiciaire d’avec le pouvoir exécutif, il faut exclure à tous les niveaux toute interférence de l’administration judiciaire avec les administrations des services du gouvernement, et instaurer le contrôle de l’administration judiciaire au moyen de procédures démocratiques totalement indépendantes du gouvernement.
- La vérité est le but de toute enquête policière ou judiciaire : il faut soumettre à cette exigence tous les actes de ces enquêtes, du premier jusqu’au dernier, et cela quel que soit l’objet de l’enquête : c’est ainsi que les procédures d’enquêtes policières et judiciaires doivent commencer par écarter tout préjugé, même s’il émane du gouvernement ou de l’Assemblée nationale, afin de prendre en compte les seuls faits observables et vérifiables qui leur sont soumis ; à chacune de leurs étapes, elles doivent démontrer explicitement et par écrit, au moyen d’arguments de raison fondés dans les faits de l’étape qui s’achève, la vérité de toute évaluation susceptible de fournir une base en vue de la suite de l’enquête, ainsi que la vérité de leurs conclusions.
- La présomption d’innocence est un droit imprescriptible de tout accusé qui n’a pas été condamné par un tribunal compétent pour les faits dont il est accusé ; la présomption d’innocence s’impose à tous, et notamment à la justice, à la police et aux journalistes.
Les formulations précédentes contiennent certains principes déjà inscrits dans nos lois, et qui sont diversement respectés ; ce sont réellement des revendications parce qu’elles contiennent d’autres principes, tels celui de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif, auxquels nos législateurs semblent avoir renoncé, bien à tort, depuis fort longtemps, ainsi que d’autres, tels le contrôle démocratique d’un pouvoir judiciaire totalement indépendant du pouvoir exécutif, que l’on n’a jamais tenté de discuter depuis la Convention, sous réserve de la vérification de ce que furent en la matière l’Å“uvre de la Révolution de février 1848 et celle de la Commune de Paris de 1871.
Les revendications ci-dessus sont républicaines : même si l’Etat français porte le nom de République française, la République n’est pas encore le régime du gouvernement de la France : nous aurons donc à compléter ces revendications, et nous devrons encore lutter beaucoup pour obtenir qu’elles soient satisfaites.