Ami de l’égalité

Comprendre ce qu’est la laïcité

samedi 21 mars 2009, par Jean-Pierre Combe

- Depuis quelques décennies, nous voyons et entendons circuler, àtout propos et très souvent hors de propos, des préjugés antilaïcs dans pratiquement tous les canaux institutionnels de la communication publique. L’insistance de leur circulation montre qu’elle est entretenue ; et s’il en est ainsi, c’est évidemment parce que de puissants acteurs de notre vie publique trouvent leur intérêt àl’entretenir.

- Je ne tenterai pas ici de découvrir quels sont ces acteurs : il me suffira de dire que les propos tenus par le président Sarkozy àSaint Jean de Latran, puis pendant sa tournée en Algérie et devant les universitaires musulmans montrent qu’il est l’un d’eux, et que les membres de son gouvernement en sont aussi. Mais on se tromperait si l’on croyait que seuls, les membres du gouvernement français, les membres des cabinets présidentiel et ministériels et les principaux directeurs des administrations de l’Etat combattent la laïcité : les états-majors antilaïcs comptent aussi nombre d’hommes et de femmes d’affaires, nombre de propriétaires de capitaux, et des plus gros capitaux, lesquels professent diverses religions.
- Je constate seulement que sous les apparences d’une « philosophie du comptoir », dont les « préceptes » sont le plus fréquemment énoncés aux comptoirs des bars, une propagande insistante de la philosophie dominante diffuse des préjugés antilaïcs : on y trouve des préjugés généraux selon lesquels :

  • la laïcité serait une autre religion, concurrente des religions admises socialement que sont la catholique et la protestante ;
  • la laïcité, en séparant les Eglises d’avec l’Etat, aurait causé la souffrance des croyants ;
  • la laïcité serait un modèle idéologique fermé ;
  • la laïcité serait une vieille chose qu’il faudrait rénover ;
  • la laïcité serait un principe de lutte antireligieuse.

- Dans cette même philosophie du comptoir, on entend aussi des préjugés relatifs aux évènements politiques ; je retiendrai ici deux des plus graves de ces préjugés, parce qu’ils orientent l’opinion publique lorsque les discussions en viennent àporter sur d’importants évènements de la politique mondiale :

  • la laïcité serait un facteur supplémentaire de division des humains ; faire appel àla laïcité ne ferait que compliquer encore davantage les conflits en cours ;
  • la laïcité serait une cause profonde des crimes commis massivement en divers endroits du monde, Rwanda, Cambodge, Chine (au temps de la « Révolution culturelle" ou àpropos du Tibet), URSS (il s’agirait ici du stalinisme) ; pour cette raison, la laïcité devrait être reniée par tous les hommes et femmes épris de liberté, et rangée dans quelque musée...

- Ces préjugés sont faux et leur diffusion est une propagande mensongère ; il faut donc rétablir la vérité de la laïcité.

1 - De la laïcité des associations

- Lorsqu’une association s’efforce de rassembler les personnes les plus diverses possibles, elle peut se réjouir de compter dans ses rangs des Juifs, des Musulmans, des Chrétiens, des Polythéïstes, des Boudhistes, des Animistes, des croyants qui vouent leur culte religieux àleurs ancêtres, des Athées, des laïcs, des politiques, des syndicalistes et autres membres d’organisations non-gouvernementales (ONG), mais si elle donne àtoutes ces catégories des significations équivalentes, elle créera de nombreuses inégalités perverses parmi ses membres.
- La raison en est que ces catégories n’entretiennent pas deux àdeux des rapports semblables.
- En effet, nul ne peut être àla fois Juif et Musulman, ou Musulman et Catholique, ou Catholique et Orthodoxe, ou Orthodoxe et Protestant, ou Protestant et Boudhiste, ou Boudhiste et Polythéïste, ou Polythéïste et Athée, ou Athée et Animiste, ou Animiste et Musulman, ou... : cela reviendrait àcroire en même temps une chose et la chose contraire.
- Par contre, une personne croyante ou athée peut être en même temps laïque, politique, syndicaliste et travailler dans une ONG.

2 - Laïcité et religion

- On peut être àla fois croyant et laïc : la religion catholique, par exemple, fait la distinction entre priver un prêtre de sa prêtrise, qui se dit « le réduire àl’état laïc », et l’exclure de la religion, qui se dit « l’excomunier ».
- Dans toutes les religions du monde, certains croyants maintiennent un mouvement laïc dans leur être individuel : ce sont les travailleurs, ceux qui travaillent de leurs mains la matière (minérale, végétale ou animale) pour en faire la nourriture, les habits, l’habitat nécessaire àla vie de tous les membres de la société, ainsi que toutes les richesses dont la nécessité est moindre. Le travail proprement dit ne peut avancer en effet que si ceux qui travaillent de leurs mains participent àle penser, si sa pensée est entièrement déterminée par l’observation directe de la matière impliquée dans le travail, de ses mouvements (mélange, cuisson, séchage, choc, percement, découpage, couture, abrasion, déformation, arrachement, échauffement ou refroidissement, ...) et si les représentations mentales du monde et les autres mouvements d’idées inévitables dans tout groupe humain ne font obstacle ni au travail, ni àla pensée du travail : par ce qu’elle satisfait ces conditions, la pensée du travail est laïque, quelle que puisse être la religion (ou la philosophie) de celui qui travaille.
- Il faut constater ici que la société la plus homogène religieusement, même si elle est gouvernée par une théocratie, c’est-à-dire par les prêtres, et même si cette théocratie est soutenue et voulue par tous les membres de la société sans exception, cette société ne pourrait exister sans le mouvement laïc de la pensée individuelle et collective dont le travail est l’objet.
- Pour cette raison, nous pouvons dire que le travailleur croyant porte individuellement un mouvement de pensée plus complexe que ne peut l’être le seul mouvement de la foi religieuse : sa pensée se compose de deux mouvements, dont l’un est laïc parce qu’entièrement déterminé par les conditions matérielles du travail et par le travail lui-même, et l’autre, bâti autour des mystères de la religion, est la foi religieuse. D’une manière très générale, le travailleur croyant intègre l’un àl’autre ces deux mouvements dans son être individuel, sans jamais les séparer. De ce fait, le processus de la formation de ses décisions est une combinaison intime du processus religieux et du processus laïc de son être individuel ; parmi les travailleurs croyants existe la plus grande diversité de ces combinaisons, selon l’importance relative que chacun donne au travail et àla religion.
- Quant au mouvement collectif qu’est une religion, les croyants se répartissent en deux catégories principales : les laïcs, qui sont les plus nombreux, et les prêtres ; un croyant laïc est simplement un croyant qui n’exerce aucun pouvoir, ni spirituel, ni religieux, ni rituel, sur les autres croyants.
- Donc, toutes les religions comptent des laïcs en grand nombre : il est absurde de voir dans la laïcité un principe de lutte antireligieuse, et cela a toujours été absurde.

3 - De la laïcité de l’école publique

- En France, l’école laïque n’a jamais eu pour mission de propager l’athéïsme, et l’expérience de son existence montre que depuis sa fondation au quatrième quart du dix-neuvième siècle, elle ne l’a jamais favorisé. Sa mission de principe est d’enseigner àtous les enfants tout ce qu’il est nécessaire de savoir pour vivre ensemble lorsque l’on a des religions différentes :

  • la leçon de choses, qui est l’étude des objets matériels présents dans la vie courante des enfants, et dont la méthode consiste àles approcher en tant que tels, àétudier ce qu’ils sont en les décrivant, en les pesant, en les mesurant, en les dessinant, en décrivant leurs usages,... ; partant de cette approche, cette étude se développe en quelques années pour devenir l’étude scientifique que l’on conduit au moyen de l’observation objective et de l’expérience matérielle ;
  • la logique de la leçon de choses, c’est-à-dire la logique de l’approche et de l’étude précédentes, qui devient immédiatement le calcul et la logique élémentaire, et qui se développe bientôt pour devenir les mathématiques ;
  • la morale nécessaire pour faire tout cela ensemble lorsque l’on a des religions différentes, qui consiste àfonder ses relations àautrui sur les actes concrets accomplis par chacun et sur le respect mutuel de tous, en étant bien conscient que cette morale assure àchacune et àchacun le respect qui lui est dà» sans que quiconque recoure àla violence et sans que quiconque ait besoin d’exhiber ses symboles religieux.

- Il est important de constater que ces principes font de la laïcité une base commune àpartir de laquelle se développent deux qualités de l’enseignement qu’ils organisent : l’une de ces qualités est d’apprendre aux enfants de diverses religions ou philosophies àvivre ensemble et àtravailler ensemble dans le respect mutuel, l’autre est de constituer une solide base méthodique àpartir de laquelle ils pourront développer la connaissance scientifique des choses et des êtres dès les classes supérieures de l’école et pendant toute la durée des études au collège, au lycée et ultérieurement, sans porter aucun préjudice àleur propre développement moral, physique, affectif, esthétique, artistique..., bref, sans porter aucun préjudice àleur développement spirituel.
- L’expérience du premier siècle de l’école laïque en France montre que lorsque les maîtres et professeurs enseignent en conscience, en mettant ces principes en Å“uvre, les choses se passent bien entre élèves de religions différentes, qu’ils aient la religion catholique, protestante, juive, musulmane,..., ou qu’ils n’en aient aucune, et cela quelles que puissent être les religions des maîtres d’école et des professeurs (eux aussi peuvent avoir ces mêmes religions ou n’en avoir aucune) ; il en fut ainsi en France métropolitaine pendant presque un siècle, même si la réalisation du processus décrit par les principes ci-dessus n’était pas parfaite.
- Vers le dernier tiers du vingtième siècle : l’Etat français s’est mêlé d’intervenir dans notre école, nos collèges, nos lycées et nos établissements d’enseignement supérieur par des actions destructrices pour la laïcité et en même temps catastrophiques pour la valeur éducative des enseignements ; depuis lors, les rapports entre élèves, et les rapports entre élèves et enseignants se dégradent :

  • d’abord, l’Etat a effacé la leçon de choses jusqu’àla faire oublier, aussi bien sur le plan de la communication des élèves entre eux, sur celui de leur connaissance du milieu dans lequel ils vivent que sur celui de leur préparation àsuivre les enseignements ultérieurs ; par cet effacement, il mettait en voie d’extinction la valeur non seulement scientifique, mais aussi morale, littéraire, esthétique et plus généralement spirituelle, c’est-à-dire simplement humaine, des enseignements dispensés àtous les élèves de nos écoles, de nos collèges et de nos lycées publics ;
  • ensuite, l’Etat a changé le statut des directeurs d’écoles, des principaux de collèges et des proviseurs de lycées, en faisant d’eux des représentants du gouvernement au sein des établissements alors qu’auparavant, chacun d’eux était simplement le premier enseignant de l’établissement ; parachever le statut qui fait du président d’Université le représentant de l’Etat dans son établissement est un objectif essentiel de la « réforme » des universités actuellement pousuivie par l’Etat ;
  • enfin, le gouvernement de l’Etat s’est mêlé de résoudre par voie d’autorité les conflits créés par l’intégrisme religieux, ce qui entrave les enseignants lorsqu’ils veulent apprendre àdes enfants différents àtravailler ensemble en se respectant mutuellement, et ce qui conduit tout droit àconfier àla police des missions d’intervention àl’intérieur des écoles, dont les premières expériences faites en décembre 2008 et en février 2009 montrent qu’elles ne peuvent être que destructrices pour les enfants, c’est-à-dire catastrophiques pour l’école et pour les familles des membres du peuple !

- Ainsi, l’histoire de notre école publique, et plus généralement l’histoire de nos établissements publics d’enseignement montre une suite de deux périodes : au cours de la première période, qui n’a pas duré tout-à-fait un siècle, ces établissements Å“uvraient dans un respect imparfait mais significatif du principe de laïcité ; au cours de la seconde période, qui a commencé lorsque furent mises en vigueur les lois Marie et Barangé, l’Etat a appliqué son autorité àces établissements de manière àce que leur fonctionnement viole toujours davantage le principe de laïcité.
- Il faut le remarquer, car au bout du compte, toute l’expérience de nos établissements publics d’enseignement démontre la très grande valeur humaine du principe de laïcité : au cours de la première période, cette preuve est constituée par les immenses progrès que notre instruction publique accomplissait dans le respect des religions et des philosophies professées par les familles et par les enfants ; la deuxième période confirme cette preuve a contrario par les immenses affaissements de l’instruction des élèves qu’ont provoqué et que continuent de provoquer chacune des atteintes portées au principe de laïcité par la politique ordonnée par les membres du gouvernement de l’Etat français que sont les ministres dits « de l’éducation nationale ».
- En vérité, nous connaissions la grande, l’immense valeur humaine du principe de laïcité bien avant l’instauration de l’école laïque en France : cette valeur a été mise en lumière par les discussions philosophiques qui ont commencé en Europe voici quelque quatre siècles, celles qui ont dégagé les Lumières philosophiques ; en France, elles ont accompagné la Révolution et les longues luttes pour la République qui ont suivi, et qui requièrent aujourd’hui encore tous nos efforts.
- Lorsque l’école laïque fut instaurée en France, àla fin du dix-neuvième siècle, ces discussions philosophiques avaient démontré depuis des lustres l’impossibilité de prouver l’inexistence de Dieu en même temps que l’impossibilité de prouver son existence : dès la première année de fonctionnement de l’école laïque, il était clair aux yeux de tous les instituteurs qui y étaient nommés que dans leur enseignement, ils n’avaient pas, ils n’auraient jamais àcontredire l’existence de tel ou tel Dieu.
- C’est aujourd’hui la vie que mènent nos concitoyens depuis la fin du dix-neuvième siècle qui le confirme de manière irréfutable par le fait que la plupart d’entre ceux qui ont fait toute leur scolarité dans notre école publique et laïque ont conservé la religion de leurs parents (ou celle de l’un d’eux), et que la séparation des Eglises et de l’Etat ne fut pas non plus pour eux une raison d’en changer : c’est mentir que de prétendre que dans leur ensemble, les catholiques de France ont souffert de la laïcité de l’Ecole publique ou de la séparation des Eglises et de l’Etat.

4 - Du rapport de la laïcité aux conflits et aux guerres

- J’ai fait mention ci-dessus de deux préjugés typiques de la philosophie du comptoir actuelle. L’un argue de la complexité des relations internationales et interethniques et des conflits auxquels elles donnent lieu, pour détourner nos esprits de la laïcité, supposée introduire une dimension de plus àla complexité déjàgrande des problèmes que posent ces relations.
- L’autre dénonce des actions criminelles et attribue àla laïcité leur caractère criminel : selon lui, « les crimes commis massivement au Cambodge par les Khmers rouges, en Chine lors de la Révolution culturelle, en URSS par le stalinisme auraient pour détermination profonde la laïcité de leurs auteurs » : comme toutes les plus graves thèses de la philosophie du comptoir, cette affirmation est donnée très abruptement, de manière àécarter toute contradiction avant même qu’elle soit formulée. Et en effet, ce préjugé ne peut être admis comme une vérité que si l’on écarte d’abord toutes les circonstances, tous les faits qui le contredisent, car ce préjugé contredit des circonstances réelles dans tous les cas qu’il dénonce.
- Ces préjugés mettent en cause la laïcité : or précisément, chacun des cas qu’ils dénoncent est caractérisé par de nombreuses circonstances réelles qui relèvent bien plutôt des implications religieuses dans les déterminations humaines.
- La méthode scientifique en histoire requiert que l’on examine si les accusations de crimes sont fondées et dans quelle mesure elles le sont ; dans les cas évoqués ci-dessus, cet examen indispensable n’a pas été commencé ; afin de placer les premiers éléments de cet examen, il faut distinguer les différents acteurs des évènements que certains incriminent : d’une manière évidente, et indépendamment de la mise en lumière des différents partis qui s’affrontaient au cours de ces évènements, il faut distinguer dans tous les camps ceux qui ont commandé l’usage de la violence de ceux qui ont obéï :

  • parmi les exécutants, les personnes véritablement sans religion sont véritablement extrêmement rares : or, chaque exécutant implique dans ses actes sa religion dans toute la mesure de son imprégnation et de sa foi religieuses ;
  • beaucoup de ceux que la philosophie du comptoir accuse d’avoir commandé ces actes passent pour n’avoir pas eu de religion ; mais d’une part, ils n’ont jamais été seuls, et d’autre part, cette apparence de non-religiosité demande àêtre soumise àla critique historique, pour examen et vérification ; en effet, tous ces chefs ont été éduqués dans une religion : Staline, dans un petit séminaire tenu par les Bénédictins (dans son cas, il faut aussi soumettre àla critique historique le mot même de stalinisme, car les usages que l’on fait de ce mot lui confèrent une définition inconsistante, qui se prête àtoutes les manipulations) ; quant aux chefs chinois et khmers, toute leur enfance et leur adolescence ont été imprégnées du culte des ancêtres et de philosophies qui vont avec, éventuellement associés avec l’une des religions prosélytes qui depuis des siècles, tentent de se faire une place en Asie (Islam, Bouddhisme, Catholicisme, Judaïsme, etc...) ; leur eà»t-il suffi de lire quelques ouvrages de Marx ou de Lénine pour oublier totalement les imprégnations de leur enfance et de leur adolescence ? Toute l’expérience de trois mille ans d’Histoire des sociétés humaines s’inscrit en faux contre cette hypothèse !

- D’ailleurs, il faut retenir que la source réelle et les conditions réelles du mouvement laïc de la pensée individuelle sont le travail, sa progression et sa conduite : d’une manière générale, c’est-à-dire dans tous les camps susceptibles d’entrer en conflit et de s’affronter, les chefs dispensés de l’obligation de travailler de leurs mains sont séparés, détachés de la source et du conditionnement de la pensée laïque individuelle : les mouvements de leur pensée individuelle deviennent purement idéels, c’est-à-dire qu’ils se détachent de la réalité du monde qui les entoure, et par conséquent, leur défense individuelle contre les influences religieuses, et plus généralement contre les influences idéalistes, est affaiblie. Bien plus, les chefs de guerre sont conduits àtraiter des forces morales de leur armée et de l’armée ennemie comme de ressources objectives dont ils peuvent disposer, et àtraiter des forces morales de l’armée ennemie comme d’un obstacle objectif : cela les met en situation de produire des idées dont la seule justification est la victoire qu’ils espèrent : l’effet de ces idées est seulement de modifier le comportement des guerriers dans le combat ; par conséquent les résultats des combats, la victoire ou la défaite, sont le seul objectif que vise la production de ces idées : l’éventuelle victoire ne saurait prouver la vérité des idées que les chefs ont produites pour l’obtenir ; elle prouve seulement la force que les guerriers ont tiré de ces idées pour la donner àleur action ; l’histoire le montre depuis des millénaires : la vérité n’est pas la source de la victoire des armes.
- Parmi les chefs qui ont commandé les actes que la philosophie du comptoir dénonce comme des crimes, ceux qui avaient eu précédemment des fonctions laïques de travail les avaient abandonnées depuis longtemps ; ils exerçaient dans la société des fonctions de représentation et de commandement ; ils n’étaient pas, ou n’étaient plus, eux-mêmes des travailleurs ; les mouvements laïcs de leur esprit n’avaient plus de base solide : même si leur mandat de dirigeant leur avait été conféré démocratiquement, ce qui est arrivé, ils étaient tentés de penser que ce mandat certifiait qu’ils détenaient la vérité sociale, et l’exercice des fonctions de commandement aggrave considérablement ce sentiment de détenir la vérité : les conditions du drame au milieu duquel ils délivraient leurs consignes les coupaient de la base matérielle de la réalité sociale et politique, et ceux qui se disaient communistes ne font pas exception ; ils pouvaient être dominés par les processus constitutifs des religions de leur enfance... aux moments où ils donnaient leurs ordres, leur laïcité avait pu être effacée de leurs esprits !
- Peut-on alors nier, dans ces cas et dans d’autres cas semblables, l’implication de religions, ou d’idéalismes combinant diverses influences religieuses, dans les errements qui les ont peut-être conduits àdonner des ordres criminels ? Ce serait très imprudent : cela nous ferait courir le risque de nous rendre aveugles devant la préparation de nouveaux crimes de masse.
- Prétendre qu’un conflit, quelle que soit sa violence, n’est pas religieux serait prétendre qu’il n’y a aucune interférence religieuse dans sa détermination et dans son déroulement : je me refuse àdire cela.
- Prétendre qu’un conflit dans lequel une ou des religions s’engagent n’a que des causes religieuses, c’est prétendre qu’il n’a pas de cause économique ; ce serait prétendre que les religions engagées dans le conflit seraient indifférentes au régime de la propriété et àla répartition des biens entre les différents propriétaires ; ce serait aussi prétendre que ni la répartition de la propriété entre les propriétaires, ni le régime de la propriété ne seront modifiés par le cours que prendra la guerre, par la victoire éventuelle de l’un ou de l’autre belligérant : il n’y a pas d’exemple, dans l’histoire ni dans l’actualité humaines, de guerre qui se soit déroulée ni qui se déroule sans rien modifier ni àla répartition ni au régime de la propriété du sol et des ressources qu’il recèle : aujourd’hui comme toujours depuis que les guerres existent, le sol et ses ressources sont le véritable enjeu des guerres.
- Dans tous les cas, les interprétations simplistes telles que : « le conflit est (ou n’est pas) religieux », ou « c’est un crime communiste » font barrage àla connaissance de la vérité !
- En vérité, la seule attitude responsable devant l’Humanité que nous puissions avoir, c’est de revendiquer le droit d’accéder dans tous les cas àune connaissance véridique, matériellement et rationnellement vérifiable de l’évènement, caractéristique du mouvement laïc de l’esprit. En l’occurrence, revendiquer n’est pas attendre, mais exiger que commence l’examen critique nécessaire pour élaborer cette connaissance, et que cet examen soit fait en appliquant les méthodes mises en pratique scientifique par les Soboul, les Badia, les Soria et les autres historiens matérialistes qui recherchaient dans l’Histoire la vérité de l’humanité. La science historique est incompatible avec des jugements simplistes, toujours riches en préjugés qui invoquent en général l’idéologie dominante et ses pièges mensongers.
- Les pièges de tous ces préjugés sont univoques, ils n’ont qu’une seule issue : tous orientent les esprits de telle manière qu’ils acceptent passivement les idées dominantes, qui sont les idées de la classe dominante : le mouvement de la philosophie du comptoir est essentiel pour les sociétés d’inégalité. En histoire, le simplisme n’est qu’un générateur de mensonges, d’erreurs et de fautes.

- Au jour où nous sommes, la laïcité est bien davantage qu’une idée, même venue du fond des âges, davantage qu’une valeur morale.
- Historiquement, elle trouve son origine en effet dans l’Antiquité grecque, et plus précisément dans les rapports mutuels que les anciens Grecs établissaient entre ce qu’ils appelaient le Laos, d’ou vient notre adjectif laïc, l’Ethnos, qui est l’un des mots dont nous avons composé notre mot Ethnologie, et le Démos, que nous retrouvons dans notre concept de Démocratie : la laïcité est ce qui dintingue le Laos tout àla fois du Démos et de l’Ethnos :
- La pensée laïque, c’est d’abord le mouvement individuellement divers donné àl’esprit de chaque travailleur par la pensée indissociable du travail : tout travailleur sait qu’il ne peut pas travailler s’il ne pense pas son travail, pour le conduire et pour l’accomplir, et que s’il cesse de penser, son travail s’arrête aussitôt.
- La pensée laïque, c’est ensuite le mouvement que donne àl’esprit collectif de la société la communication mutuelle de ceux de ses membres qui participent au travail, sans laquelle communication le travail collectif s’arrêterait.
- La laïcité enfin, c’est en France, depuis la Révolution qui s’y est déroulée du printemps 1789 àl’été 1794, un principe d’organisation sociale qui a reçu son nom dans le courant du dix-neuvième siècle, dont l’application concrète est restée partielle, et qui a prouvé sa grande valeur humaine, je veux dire sa grande valeur pour toute l’humanité.

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