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Ecrire du galimatias, est-ce une preuve d’ouverture d’esprit ?

un exemple

mardi 27 octobre 2009, par Jean-Pierre Combe

- Membres du Mouvement de la Paix, mon épouse et moi-même avons reçu de ce mouvement une invitation àcontribuer aux travaux d’une « commission Education » dont l’ordre du jour comportait la ligne suivante :

  • ...
    - Nous souhaitons réaliser un matériel adapté : brochure, power point, flyer.
    - ...

- La présence des mots « power point » et « flyer » nous a mis en colère et nous a déterminés àprotester auprès de la personne qui nous a adressé ce message. Voici notre protestation :
- Pas question de contribuer àune action dont nous ne connaissons pas tous les objectifs !
- Qu’est-ce que c’est qu’un
flyer ? Qu’est-ce que c’est qu’un power point ?
- Vous faites erreur en croyant que c’est de l’Anglais : non ! c’est la langue de l’empire, dont le développement porte aussi préjudice aux peuples d’Angleterre et des Etats-unis d’Amérique.
- La langue de l’empire ne peut en aucun cas être une langue de paix, trois ou quatre mille ans d’histoire humaine nous l’enseignent àl’envi !
- Parlez donc des langues humaines, et pour les cas où vous vous adressez àdes Français, je vous rappelle que dans leur très grande majorité, les membres du peuple français ont choisi, au cours du dernier quart du dix-neuvième siècle, d’apprendre le Français pour former dans notre pays la loi démocratique et de paix !
- Sincèrement, votre mépris de notre langue a de quoi nous mettre en colère... mais avez-vous conscience de ce que vos propres aïeux ont presque certainement fait eux aussi ce choix, et que ce mépris les frappe aussi ?
- Christiane et Jean-Pierre Combe

- Voici la réponse que nous avons reçue :
- Bonjour,
- Pour commencer, les objectifs seront déterminés justement lors de cette réunion. Je ne peux donc vous les énoncer avant même que les membres de cette commission se réunissent.
- Concernant votre question sur le flyer, c’est le terme professionnel pour parler de tract mais ce n’est pas non plus tout àfait un tract (format et contenu différent). Je suis de formation en communication et j’utilise le terme de ma profession.
- Concernant le power point, c’est une sorte de diaporama mais son nom est bien power point, et il n’y a pas d’équivalent en français puisque c’est le nom du logiciel.
- Si j’utilise ces termes, ce n’est pas parce que je veux forcément utiliser des mots d’anglais ou comme vous le dites "la langue de l’Empire" mais parce que ce sont des termes professionnels qui n’ont pas toujours de traduction française ou qui ne veulent plus dire la même chose si on essaye de les traduire.
- Quant àvotre réflexion sur mon soi-disant mépris de la langue française, rien ne vous permet de me juger sur l’utilisation de deux mots que vous ne comprenez pas. C’est votre réaction qui est un mépris des personnes et de leur travail. L’ouverture d’esprit est aussi une valeur de paix, ce qui semble vous faire défaut. Un simple mail envoyé en me posant la question et sans commentaires désobligeants aurait suffit.
- Salutations pacifistes.

- Notre interlocutrice ne voyait pas qu’elle avait commencé de franchir la limite au-delàde laquelle ses discours et ses textes, quelle que soit l’intention dans laquelle elle les rédige, deviennent du galimatias : déjà, elle ne savait plus ce qu’est l’ouverture d’esprit ;
- elle avait besoin que nous lui mettions les points sur quelques « i » ; voici donc la réponse que nous lui avons adressée :
- Non, nous n’avons ni l’un ni l’autre aucun mépris pour vous : si nous vous avions méprisée, nous ne vous aurions pas adressé notre protestation.
- Cela étant, votre réponse appelle plusieurs remarques de notre part :
- Et d’abord deux questions :

  1. peut-on faire la paix lorsqu’on emploie des mots, une langue que les peuples concernés par les guerres et les affrontements violents ne comprennent pas ? Peut- on contribuer àfaire la paix au moyen de discours que les peuples ne comprennent pas totalement ?
    - Plusieurs millénaires d’histoire des sociétés humaines répondent : NON !
  2. les membres d’une profession, quelle que soit cette profession, peuvent-ils obtenir d’être seulement entendus par leurs compatriotes lorsqu’ils emploient des mots que leurs compatriotes ne comprennent pas ?
    - Certainement pas, et sur ce point, nous vous engageons àrelire Molière, et àréfléchir àla représentation qu’il donne des médecins et de leur profession : vous brandissez en effet votre profession et l’emploi qu’elle fait de mots spécifiques comme un bouclier derrière lequel vous vous abritez : les médecins de Molière ne faisaient pas autre chose et si vous voulez un jour leur ressembler, vous vous placez exactement dans la direction qu’il faut !

- Vous nous dites faire profession de la communication : mais que croyez-vous communiquer ainsi, et àqui ?
- Nous avons deux exemples àvous proposer, pour que vous y réfléchissiez :

  • D’abord celui d’une profession nombreuse, encore que pas assez, et efficace, qui a donné, un siècle durant, satisfaction aux citoyennes et aux citoyens de notre pays : c’est celle des institutrices et des instituteurs de notre Ecole laïque.
    - L’exercice de leur profession consistait dans une communication incessante, non seulement avec les enfants qu’ils instruisaient, avec leurs collègues et avec leurs inspecteurs, mais aussi avec les parents de leurs élèves, avec les élus municipaux et avec de nombreux autres citoyens des communes dans lesquelles ils faisaient l’école : et bien, ces institutrices et instituteurs avaient pour pratique de parler de manière àêtre toujours compris ; cela impliquait de toujours expliquer les mots nouveaux ou susceptibles de rester obscurs, et cela allait jusqu’àparler un Français correct lorsqu’ils débattaient de leur exercice professionnel, et jusqu’àapprendre le patois local lorsqu’ils ne le connaissaient pas d’abord, de manière àse faire comprendre de chacune et de chacun, et aussi de manière àmieux enseigner le Français àdes enfants qui ne le parlaient pas àla maison.
    - Un siècle durant depuis environ 1885, institutrices et instituteurs ont travaillé ainsi et fort bien communiqué, tout en gagnant l’estime des habitants de leurs communes. Pourquoi vous détournez-vous de leurs traditions ? Pourquoi avez-vous écarté leur exemple ? Pourquoi l’institut qui vous a formée àla communication vous a-t-il enseigné àécarter leur exemple ?
  • Le deuxième exemple que nous voulons proposer àvotre réflexion est celui du président fondateur du Mouvement de la Paix en France, Frédéric Joliot-Curie.
    - Avant d’être ce grand militant pacifiste, avant d’être un résistant qui fabriquait des armes pour les Résistants engagés dans les combats de la Libération de Paris, et, je crois bien, avant d’être un militant communiste, Frédéric Joliot Curie était un physicien de grand talent. Dans l’entre-deux guerres du vingtième siècle, c’est lui qui a montré la possibilité d’impliquer des atomes sans radioactivité naturelle dans des réactions nucléaires ; inventant la radioactivité artificielle, il avait engagé la réalisation de la première pile atomique, celle qui donnerait le plus directement lieu àla production d’électricité ; réalisant enfin cette première pile atomique au lendemain de la libération, il lui a donné le nom de Zoé.
    - Et bien Frédéric Joliot-Curie veillait lui aussi àêtre toujours compris de ses auditeurs et de ses lecteurs, et pas seulement lorsqu’il parlait ou écrivait pour le Mouvement de la Paix. Ses articles de physique exposaient simplement ses recherches et ses découvertes : lorsqu’il écrivait pour des physiciens, il employait les mots de la physique que l’on nous enseignait dans les classes de nos lycées ; mais il n’écrivait pas seulement pour des physiciens : il écrivait aussi pour le grand public, dans des revues de vulgarisation ou dans la presse, tout simplement ; dans ces articles, les mots spécifiques aux sciences physiques et chimiques ne disparaissaient pas, mais étaient tous accompagnés d’une explication claire, et au bout du compte, tous ces articles étaient accessibles àune lectrice ou àun lecteur qui aurait quitté l’école àla fin de la scolarité obligatoire, fixée àl’âge de quatorze ans en 1936 par Jean Zay, ministre de l’Instruction publique du gouvernement de Front populaire - et d’ailleurs, ces articles avaient beaucoup de lecteurs.
  • Votre remarque sur l’ouverture d’esprit est surprenante : ceux qui ont fait de l’ouverture d’esprit un mouvement essentiel de notre culture sont d’abord les savants et philosophes des Lumières, et avec eux tous les auteurs, de poésies, de tragédies, de comédies, d’essais, de romans, d’opéras... qui ont inscrit dans leurs oeuvres les débats que posaient les philosophes et les savants.
    - Or ceux-là, tous ceux-là, parlaient àmerveille une langue humaine vivante et sans mélange, en même temps qu’ils connaissaient assez bien les autres langues d’Europe pour communiquer avec leurs correspondants étrangers.
    - En particulier, mais ce n’est qu’un cas particulier, ceux du royaume de France, puis plus tard, après la Révolution qui a détruit le royaume, ceux de la nation française, parlaient un excellent français et ne se permettaient pas d’introduire dans leurs textes des mots étrangers sans les accompagner du contexte nécessaire àleur bonne compréhension.
    - Voilàce qu’est véritablement l’ouverture d’esprit caractéristique de la culture des Lumières : l’ouverture d’esprit peut exister pour des gens qui ne renoncent pas àcommuniquer dans leur langue avec tous ceux qui la portent, qui la parlent, et qui n’ont pas honte de la parler.

- C’est cette ouverture d’esprit-làqui seule peut permettre de progresser concrètement et véritablement vers la paix : nous en avons d’autant plus conscience que c’est de la pratiquer qui nous a permis d’entrer en relations amicales avec des citoyens d’autres pays, Allemagne, Etats-unis d’Amérique, Grèce, Portugal, Cuba, Espagne, Italie, Russie...
- Cordialement !...

- Un esprit ouvert, c’est l’esprit d’une femme ou d’un homme capable de communiquer avec autrui, même si cette autre personne lui est inconnue, àtous les niveaux de l’être, sur tous les mouvements qui composent l’esprit, de la sensation àl’expérience esthétique, du travail àl’Å“uvre d’art, du repos àl’effort, du besoin àla jouissance, en sachant ce qu’il communique et ce que lui répond l’autre personne : les langues humaines sont autant d’outils pertinents pour cet exercice, mais le galimatias est une illusion de communication.
- Le galimatias, c’est le discours des esprits fermés.

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