le fait est qu’en détruisant les mouvements financiers de répartition et en leur substituant ceux de la capitalisation, les gouvernements Sarkozy-Fillon-Woerth et suivant prétendent libérer d’une modeste entrave le mouvement capitaliste de l’économie ; mais aussi : si leur réforme réussissait, elle mettrait fin à nos systèmes de Sécurité sociale et de retraites, en donnant aux propriétaires des plus gros capitaux un champ d’activités dont ils ne faisaient jusqu’alors que rêver.
Or, par ce que les manifestations, les blocages et les grèves de septembre et octobre 2010 ont rencontré un large assentiment populaire, ils posent une question importante : un mouvement populaire tel que celui-là , qui s’oppose non seulement à une décision d’un gouvernement, mais bien davantage au mouvement capitaliste de l’économie lui-même, peut-il réussir ?
En apparence, non : la capitalisation est le mode de fonctionnement des banques et des autres établissements financiers de la bourgeoisie, depuis qu’ils existent ; lui seul donne lieu à prélèvement de profit, et, pour cette raison essentielle, il est le seul qu’acceptent les propriétaires des gros capitaux de toutes natures ; c’est celui qu’ils prétendent étendre librement, au prix de la fin de toute finance de répartition : ce n’est rien d’autre que l’extension de la propriété privée au crédit, à l’assurance et à tous les échanges de monnaie auxquels procèdent les membres de la bourgeoisie, parfois selon leurs besoins, et très souvent selon l’opportunité de leurs spéculations ; le mouvement de la capitalisation rassemble sans cesse les biens matériels, les richesses, sous la propriété privée des plus riches, qui sont les propriétaires des plus gros capitaux ; nous constatons tous les jours, notamment depuis le 9 thermidor an deux de la République (27 juillet 1794), que ce même mouvement retire aux plus pauvres les moyens matériels nécessaires à leur vie et à leur survie : chaque chômeur, chaque mendiant, chaque SDF en est une preuve, il ne faut pas dire vivante, car ce mouvement de l’économie conduit ses victimes jusqu’à une mort toujours prématurée : elles ne peuvent y échapper que grâce à l’intervention d’un facteur étranger à ce mouvement, et qui agit contre lui.
Mais je l’ai exposé précédemment : les raisons de pouvoir rassembler une force sociale et politique supérieure à celle de la dictature grand-bourgeoise existent et sont très puissantes : leur fondement est qu’au contraire de la capitalisation, la répartition financière est compatible avec la liberté de chaque être humain, compatible avec le droit universel de vivre dignement ; la répartition et la capitalisation sont en effet deux modes essentiellement différents, contradictoires, deux modes incompatibles de l’économie financière ; cette raison fait que du simple point de vue de l’humanité, défendre le mode financier de répartition, c’est défendre en effet le droit de chaque être humain à vivre dignement : du point de vue de l’humanité, défendre le mode financier de la répartition contre le pouvoir économique des propriétaires des plus gros capitaux est juste et nécessaire.
Nous avons en France une tradition de luttes populaires dans ce domaine : les propriétaires des plus gros capitaux actifs en France se sont attachés à détruire notre système national de Sécurité sociale et de retraites en même temps que les nationalisations de la Libération, dès leur premier jour et par tous les moyens à leur disposition : il s’agissait pour eux d’établir ou de rétablir le prélèvement du profit sur des circuits économiques que l’intérêt de notre peuple avait commandé de leur retirer (pour les nationalisations) ou de créer hors de leur portée (pour la Sécurité sociale et les retraites) : que leur importait la volonté populaire ? Les grands chefs du capitalisme agissent en politique arbitrairement, sans aucun débat démocratique, simplement en exerçant la propriété privée sur les plus gros capitaux terriens (miniers et agro-alimentaires), industriels, commerciaux et financiers ; leur moyen essentiel, premier, est la violence de l’économie capitaliste ; ce moyen ne leur suffisant pas, ils le complètent et le renforcent par la violence policière quotidienne, celle qui est de la compétence des Etats ; pour la grande bourgeoisie, l’Etat est en effet le plus indispensable des accessoires.
En juin 1947, les propriétaires des plus gros capitaux ont réussi à modifier l’équipe que la Résistance avait placée au gouvernement de la France et que soutenait le grand mouvement de démocratisation émanant de la Libération ; en réalité, ils ont remis le gouvernement à leur service : ils ont ainsi modifié en leur faveur le rapport de leurs forces à celles du peuple travailleur ; ensuite, ils ont toujours fait évoluer ce rapport dans le sens de leurs intérêts égoïstes : c’est au cours de cette évolution qu’ils ont détruit les nationalisations de la Libération, et c’est au bout de cette évolution qu’ils se voient aujourd’hui en mesure de mettre fin à la finance de répartition : il n’y a rien d’étonnant dans ce constat, rien qui puisse étonner des communistes.
Mais la destruction des nationalisations de la Libération a duré soixante ans, (c’est-à -dire deux générations !), ce qui est aussi le temps écoulé avant le vote du projet de loi mettant fin à la répartition : les communistes doivent étudier la longue résistance simultanée de ces deux processus : son principal facteur est certainement la démocratie qui les a portés et irrigués après avoir porté notre victoire sur les troupes nazi-fascistes, et jusqu’au mois de mai 1947 (remarquez bien que la démocratie était absente des nationalisations de 1982).
La question est : le mode financier de la répartition, si totalement contraire au mouvement que le régime privé de la propriété confère aux capitaux, si ardemment combattu par les propriétaires des principaux capitaux privés, et sans cesse battu par la violence de l’économie capitaliste, comment a-t-il pu apparaître, exister et durer ?
En réalité, son histoire est longue : son idée fondatrice est née au début du dix-neuvième siècle : c’est une interprétation donnée au proverbe L’union fait la forcepar des ouvriers contraints à lutter pour survivre.
Alors commençait en effet l’ère industrielle ; la dictature bourgeoise se renforçait en posant la guenille de l’empire de Napoléon Bonaparte et en revêtant la forme de la « Monarchie restaurée ».
C’est sur les ouvriers que la contrainte pesait le plus fort : ils étaient plongés dans un besoin urgent de vivres, de vêtements, de logement, de soins élémentaires, d’argent ; leur survie n’était possible que par la lutte et seule leur union leur permettait de lutter : ils ont alors inventé de satisfaire leurs besoins financiers en unissant leurs ressources afin de les répartir selon leurs besoin de survie et de lutte : la répartition a pour première source le mouvement populaire de revendication issu de la Révolution française, et tout particulièrement la composante ouvrière de ce mouvement.
Cette interprétation a d’abord donné la règle de fonctionnement de caisses de secours clandestines ; le développement de ces caisses de secours a bientôt donné lieu, toujours clandestinement, d’une part à la création des caisses de secours en cas de maladie, d’autre part à celle des caisses de grève, en même temps qu’aux premiers syndicats. C’est encore cette même interprétation qui a donné lieu, peu après, à la définition de la finance mutualiste, que le gouvernement pré-impérial de Louis-Napoléon Bonaparte s’est ensuite attaché à encadrer très fermement, tout à la fois par l’administration préfectorale et par l’obligation faite aux mutuelles de se faire réassurer par un fonds capitaliste.
Ces expériences des luttes clandestines constituèrent les bases traditionnelles sur lesquelles se sont formées, sous la troisième République, les mouvements coopératif, mutualiste, syndicaliste et associatif.
Le mode financier de la répartition a été repris lors de la Libération de 1944-45 par les gouvernements que portait le mouvement de Résistance au fascisme et de démocratisation de notre pays, et qui mettaient en œuvre le programme du Conseil national de la Résistance : ces gouvernements ont opéré la nationalisation d’importantes entreprises de notre pays, notamment de l’aviation, de l’énergie (gaz et électricité), minières (houille) et de la banque ; sous la direction du ministre Maurice Thorez, qui était communiste, ils ont défini le statut de la fonction publique ;
sous la direction du ministre Ambroise Croizat, qui était communiste, ils ont fait de la répartition le mode financier légal des Caisses d’Assurance Maladie et des Caisses de Retraites des salariés de ce pays. [1]
La force qui a imposé l’existence dans notre pays d’un mode financier contraire au mouvement du capital et contraire aux intérêts des propriétaires des principaux capitaux de notre pays, c’est la force avec laquelle le peuple travailleur de France a pris en mains dès 1791 la revendication de l’Egalité en droits et de la Liberté.
Ainsi donc, pendant un siècle trois quarts, la force politique donnée à la revendication de liberté et d’égalité en droits par l’union des travailleurs a rendu notre peuple capable de créer et d’assurer le fonctionnement des circuits financiers de répartition, sur lesquels les capitalistes n’ont pu prélever aucun profit.
Seule, la dispersion de l’union populaire, en affaiblissant la revendication populaire d’égalité en droits et de liberté, a permis aux gouvernements au service des propriétaires des gros capitaux de parvenir à détruire les nationalisations de la Libération, et leur permet aujourd’hui de croire qu’ils en ont fini avec la répartition financière.
Mais cette histoire, même très sommairement résumée, montre qu’il existe une force capable de combattre le pouvoir politique des propriétaires des gros capitaux :
cette force est celle que l’union du peuple donne à la revendication de liberté et d’égalité en droits de tous les habitants du pays :
pour mettre fin aux injustices et à la misère qu’impose à la majorité d’entre nous la politique des intérêts capitalistes, il faut mobiliser cette force, afin d’agir sans cesse et dans tous les domaines de la vie sociale jusqu’à ce tous les habitants de notre pays jouissent librement de leurs droits égaux à vivre dignement.