Le parlement de Budapest était divisé en deux chambres : une chambre haute, où siégeaient les magnats, et une chambre basse, où siégeaient les élus d’un suffrage restreint aux Hongrois propriétaires ou fonctionnaires. En Hongrie, la propriété était latifundiaire, et ni les très nombreux paysans sans terre, ni les ouvriers ne votaient : le parlement ne prenait pas d’autres décisions que celles que voulaient l’aristocratie terrienne et le roi. Cela n’allait certes pas sans conflits, et il est arrivé que le roi obtienne la soumission de l’aristocratie hongroise en la menaçant d’établir en Hongrie le suffrage universel !
Le double monarque déclara au roi de Serbie une guerre qui s’est rapidement généralisée au monde entier. Mais l’histoire l’a montré : c’est la bourgeoisie capitaliste française qui a voulu cette guerre ; elle y a poussé fortement et de très longue main. Jaurès l’avait compris ; nous sommes nombreux à penser qu’il fut assassiné pour qu’il cesse de dire la vérité à son sujet !
Tuant des millions d’hommes et ravageant les territoires de toute l’Europe, cette guerre a détruit quatre empires : l’allemand, l’austro-hongrois, l’ottoman (ou turc), et le russe.
La révolution hongroise a commencé lorsque la double monarchie s’est dissoute, au début de l’automne 1 918 ; elle s’est déroulée jusqu’à la victoire hongroise de la contre-révolution européenne, acquise à la fin de juillet 1 919. Notons que dans cette affaire, l’engagement du gouvernement français contre la révolution hongroise fut constant, puissant, et déshonorant pour le « pays des Droits de l’Homme et du Citoyen  » !
Cette histoire met trois périodes en évidence :
- l’avant-guerre et la guerre,
- de novembre 1 918 au 21 mars 1 919,
- du 21 mars 1 919 au premier aoà »t 1 919.
L’avant-guerre et la guerre
Un « parti de l’indépendance » se référait à l’homme de la révolution hongroise de 1 848, Louis Kossuth ; mais lorsqu’en 1 916 Hindenbourg devint général en chef des troupes allemandes et Ludendorf chef de l’état-major général, ce parti se rangea derrière l’état-major allemand. Quelques-uns de ses députés le quittèrent alors pour former le parti de la paix, recherchant une paix séparée de la Hongrie avec l’Entente franco-anglo-serbo-italienne.
L’animateur principal de ce parti de la paix était Mihaly Karolyi, membre d’une des principales familles de l’aristocratie hongroise ; c’était un ami de la France et il développait des thèses socialistes.
Un parti social-démocrate était aussi représenté par un groupe au parlement. Béla Kun était l’un de ses militants en Transylvanie aujourd’hui roumaine : fils d’un notaire, ayant fait ses études dans un collège calviniste réputé, il était employé du service d’assurances sociales de Koloszvar (aujourd’hui Cluj-Napoca, en Roumanie) et écrivait des articles de journaux. Il fut mobilisé à la déclaration de guerre, et fait prisonnier par les Russes en 1 916.
La fin de la guerre et la République hongroise
Son pacifisme jamais démenti conduisit Mihaly Karolyi à jouer un rôle essentiel dans les négociations qui conduisirent à la formation au début de novembre d’un Conseil national hongrois, présidé par lui, à l’abdication du roi de Hongrie, aux armistices et à la séparation des minorités ethniques. Dès la signature des armistices, la république hongroise en formation était surveillée par une commission d’armistice représentant les intérêts de l’Entente franco-anglo-serbo-italienne, présidée par le colonel français Vix.
Béla Kun fut libéré de son camp de prisonniers de guerre en 1 917 par la Révolution russe, se rallia à la Révolution d’octobre, participa en mars 1 918 à la fondation en Russie du groupe hongrois du parti communiste, rentra en Hongrie avec une centaine de ses camarades à la mi-novembre 1 918, participa le 24 novembre 1 918 à la fondation du parti communiste hongrois (KMP) dont il devint le secrétaire général.
L’Å“uvre importante que la république hongroise mit en chantier comprend entre autres le suffrage universel, fixant au mois d’avril 1 919 les premières élections, la réforme agraire limitant la superficie des domaines à cinq cent arpents et distribuant le surplus aux paysans sans terre, afin de briser la structure latifundiaire de la propriété,...
La grande bourgeoisie française prit fait et cause contre la réforme agraire en Hongrie et, dans ses journaux, combattit ouvertement le gouvernement de Mihaly Karolyi.
De la République hongroise à la République hongroise des Conseils
La part que prit le gouvernement français dans ces événements ne laisse aucun doute sur le fait qu’il obéïssait aux chefs des trusts capitalistes. Le 20 mars 1 919, le colonel Vix vint présenter l’« ultimatum de Versailles », par lequel l’Entente franco-anglaise exigeait que les troupes hongroises se retirent de 200 kilomètres le long de la frontière roumaine, afin de définir la future frontière.
Le gouvernement hongrois rejette cet ultimatum ; il considère que ses espoirs d’une alliance avec la France et l’Angleterre sont déçus et démissionne, afin de permettre un rapprochement avec la Russie soviétique.
Un nouveau gouvernement se forme, au sein duquel s’unissent communistes et sociaux-démocrates, et proclame la République hongroise des Conseils.
Puissamment appuyées par l’Entente franco-anglaise, les troupes roumaines, faisant partie des armées que commandait en chef le général français Franchet d’Espérey, et tchèques prennent l’offensive contre la Hongrie des Conseils.
Dans les premiers temps, l’armée rouge hongroise tient et remporte quelques succès au nord et à l’est. C’est alors que Clémenceau, chef du gouvernement français, adresse un second ultimatum à Budapest : retirer les troupes hongroises des positions conquises au nord et à l’est.
Au sud, les troupes françaises, commandées par Franchet d’Espérey, prennent Szeged. Bien protégé par elles, l’amiral Horty s’y installe, recrute une armée et forme un gouvernement contre-révolutionnaires.
A l’intérieur, le gouvernement de la République des Conseils, auquel participe Béla Kun, arrête la réforme agraire, maintient la propriété latifundiaire de la terre, annonce sa nationalisation et la transformation des grand domaines en coopératives, changeant seulement le statut des régisseurs.
Pour les paysans sans terre, c’est une immense déception dont la conséquence immédiate est l’effondrement du moral de l’armée : le front cède et c’est la débâcle ; Béla Kun se réfugie à Vienne le premier aoà »t 1 919 ; les troupes roumaines prennent Budapest, y amènent dans leurs fourgons l’amiral Horty, son gouvernement et son armée prétendue nationale, qui déclenchent la terreur blanche.
Le mieux est l’ennemi du bien !
De ce très sommaire schéma historique, il faut retenir au moins deux choses :
D’abord, la faute commise par les dirigeants de la Révolution hongroise
Cette faute a détourné la population travailleuse de défendre la révolution, privant celle-ci de sa force décisive. La faute fut de croire qu’il était possible, en Hongrie et en 1 919, de « faire l’économie de la réforme agraire », et de transformer directement l’agriculture féodale en une agriculture socialiste collective. Lénine l’avait critiquée ; le peuple hongrois l’a payée des flots du sang répandu par la terreur blanche, puis par la participation de la Hongrie à l’empire nazi.
Ensuite, la relation de la révolution russe à la révolution hongroise
Ce n’est pas une relation de cause à effet : ces deux révolutions sont deux conséquences distinctes et corrélées d’un même mouvement des plans économique, social, politique et culturel de l’humanité qui les dépasse toutes les deux.
En fait, une chronologie mondiale des mouvements révolutionnaires des dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles, même restreinte à l’Europe, montrerait que les révolutions française, puis russe, sont indissociables, sans en être la cause, d’évènements contemporains, eux-mêmes révolutionnaires, qui avaient lieu parfois fort loin, en Europe et hors d’Europe.
Quant à nous, communistes, notre premier, notre plus grand besoin est celui de la vérité : nous avons besoin que cette chronologie soit entreprise et établie selon les méthodes scientifiques illustrées en histoire par Albert Soboul, Georges Soria, Gilbert Badia et d’autres... Nous avons de nombreuses raisons de savoir que satisfaisant à ces exigeantes conditions, elle ne donnera en aucun cas raison à Trotsky contre Lénine ni contre Maurice Thorez... au contraire !
La question de la réforme agraire
Quelle est sa place dans la révolution ? Faut-il croire qu’elle ne peut conduire qu’à une révolution bourgeoise ? Les communistes doivent-ils rechercher l’occasion d’en faire l’économie ?
Après 1 919, cette question s’est posée dans d’autres lieux :
En 1 960 à Cuba : la réforme agraire et l’expropriation des biens matériels des sociétés étrangères furent les deux bases sur lesquelles s’est développée ensuite la révolution socialiste, à la campagne comme à la ville. C’est aujourd’hui l’une des expériences dont nous devons tirer de nombreuses et importantes leçons.
En 1 972-73 dans le sud du Portugal : dans certains latifundia, les paysans organisés syndicalement et politiquement ont tenté de prendre eux-mêmes, collectivement, possession de leur entreprise en se constituant en coopératives : à la différence de la Hongrie, ils mettaient les régisseurs à la porte. Que sont devenues ces expériences ? Comment la culture communiste peut-elle les intégrer ?
Aujourd’hui en France, avec ou sans terre, il n’y a presque plus de paysans. Pourtant, nous devons étudier ces questions, car les ressources de la terre et de la forêt sont terriblement mal exploitées, et nous ne ferons aucun socialisme si nous n’exploitons pas une révolution victorieuse en y portant remède !