Un fait important est en effet que Jules Ferry défendait ardemment, et par la force armée, le capitalisme contre la revendication populaire de socialisme, et justifiait le colonialisme, dont il fut un ministre très actif, par une théorie de la division de l’humanité en races inégales, qu’il avait d’ailleurs inscrite dans les programmes et dans les manuels de l’école publique.
Après avoir reconnu cela, qui est la réalité de l’histoire et qui dément la réputation d’instituteur de laïcité dont jouit encore le personnage de Jules Ferry, le même commentaire recommandait « d’écarter l’image du Jules Ferry raciste et antisocialiste, qui appartient au passé » !
Mais a-t-on le droit d’effacer cette image ? A-t-on le droit de redessiner le passé selon les convenances des puissants d’aujourd’hui ? Non ! Nul n’a ce droit !
En l’occurrence, cela gommerait l’essentiel de l’histoire de Jean Jaurès : au début de sa carrière politique, celui-ci adhérait à la théorie selon laquelle l’humanité serait divisée en races inégalement civilisées ; mais bientôt, il fut confronté aux luttes de classes de Carmaux, et l’analyse qu’il en fit le conduisit à y prendre le parti ouvrier, puis à constater qu’il était devenu socialiste ; ensuite, au cours d’un voyage au Maroc alors sous protectorat français, il vit la misère du peuple marocain ; il reconnut alors que cette misère ne résultait pas d’une infériorité inhérente à l’identité ou à la civilisation marocaine, mais du mouvement économique et politique propre au colonialisme : c’est alors qu’il a entrepris de lutter contre le colonialisme ; la crise franco-allemande éclatant alors à propos du Maroc lui montrait le lien profond, indissoluble, qui unit capitalisme, colonialisme et emploi de la force et de la guerre comme moyens banaux de la politique : tout cela lui fit poursuivre son évolution, et au début du vingtième siècle, il était devenu le socialiste qui, dans ses écrits, reconnaissait la valeur de l’œuvre de Karl Marx, et qui s’en était considérablement rapproché ; il était devenu le révolutionnaire qui faisait voter par l’Internationale socialiste la résolution recommandant aux peuples de refuser de faire la guerre, de renverser les gouvernements bourgeois qui la déclencheraient, de nommer à leur place des gouvernements socialistes qui feront la paix (cette résolution fut oubliée aussitôt Jaurès assassiné, sauf en Allemagne par les socialistes internationalistes et par les spartakistes avec Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, et sauf surtout en Russie par les seuls qui ont réussi à la faire entrer dans la réalité, les Bolchéviks avec Lénine) ; dans les quinze dernières années de sa vie, Jaurès était devenu le pacifiste militant contre lequel la presse bourgeoise menait une campagne d’élimination physique dont l’aboutissement fut le coup de feu du Café du Croissant, tiré le 31 juillet 1914.
Les retouches que l’on fait à l’histoire produisent leurs effets en cascade ; ces effets aboutissent à rendre inintelligibles les évènements du passé, et plongent les citoyens dans l’impuissance en leur retirant les moyens de résister au mensonge et à l’oppression que le mensonge sert toujours.
Jules Ferry était raciste et combattait le socialisme ; il n’était laïc qu’en façade, voilà la vérité !
Aujourd’hui mercredi 16 mai, j’apprends que le président de notre république a qualifié le colonialisme de Jules Ferry de faute morale et politique : mais non ! Jules Ferry n’a pas commis de faute, ni morale ni politique : il a mis en œuvre sans faire d’erreur la politique de ses intérêts de grand bourgeois, en agissant selon la morale qu’il reconnaissait, celle du racisme !