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Discours de clôture de Georges Dimitrov

deuxième partie : Le rôle de la social-démocratie et son attitude àl’égard du front unique du prolétariat

13 aoà»t 1935

dimanche 1er août 2021

- Deuxième partie

Le rôle de la social-démocratie et son attitude àl’égard du front unique du prolétariat

- Du point de vue de nos tâches tactiques, il importe beaucoup de donner une réponse juste àla question de savoir s’il est vrai que, et où il est vrai que la social-démocratie reste dans le moment présent, le principal soutien de la bourgeoisie.

- Certains délégués qui sont intervenus dans les débats (Florin, Dutt), ont effleuré cette question, mais, vu son importance, il est nécessaire d’y faire une réponse plus complète. C’est une question que posent et que ne peuvent manquer de poser les ouvriers de toutes tendances, et surtout les ouvriers social-démocrates. Il faut tenir compte que, dans beaucoup de pays, la situation de la social-démocratie dans l’Etat bourgeois ainsi que l’attitude de la social-démocratie àl’égard de la bourgeoisie se sont modifiées ou se modifient.

  • Premièrement, la crise a ébranlé àfond même la situation des couches les plus assurées de la classe ouvrière, de ce qu’on appelle l’aristocratie ouvrière, sur qui, comme on le sait, la social-démocratie s’appuie principalement. Et ces couches se mettent de plus en plus àréviser leurs anciennes opinions sur l’utilité de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie.
  • Deuxièmement, dans un certain nombre de pays, comme je l’ai indiqué dans mon rapport, la bourgeoisie elle-même est contrainte de renoncer àla démocratie bourgeoise et de recourir àla forme terroriste de sa dictature, en privant la social-démocratie non seulement de son ancienne position dans le système étatique du Capital financier, mais même de son existence légale dans certaines conditions déterminées, en la soumettant aux persécutions, voire en l’écrasant complètement.
  • Troisièmement, sous l’influence, d’une part, des enseignements de la défaite des ouvriers d’Allemagne, d’Autriche et d’Espagne [note : Dimitrov fait allusion aux batailles des Asturies en 1934], défaite qui a été surtout le résultat de la politique social-démocrate de collaboration de classe avec la bourgeoisie et, d’autre part, sous l’influence de la victoire du socialisme dans l’Union soviétique, qui est due àla politique bolchévique et àl’application du marxisme révolutionnaire — les ouvriers social-démocrates prennent un état d’esprit révolutionnaire, commencent àopérer un tournant vers la lutte de classe contre la bourgeoisie.

- L’ensemble de ces causes rend plus difficile et, dans certains pays, tout àfait impossible pour la social-démocratie la continuation de son ancien rôle de soutien de la bourgeoisie. L’incompréhension de ce fait est particulièrement nuisible dans les pays où la dictature fasciste a ravi àla social-démocratie sa légalité. De ce point de vue, les délégués allemands qui, dans leurs discours, ont marqué la nécessité de cesser de se cramponner àla lettre de formules et de décisions surannées concernant la social-démocratie et de cesser de méconnaître les changements intervenus dans sa situation, avaient raison dans leur autocritique. Il est clair qu’une telle méconnaissance conduit àla déformation de notre ligne orientée vers l’établissement de l’unité de la classe ouvrière, et facilite aux éléments réactionnaires de la social-démocratie leur sabotage du front unique.

- Mais le processus de poussée révolutionnaire au sein des Partis social-démocrates qui s’opère maintenant dans tous les pays, se développe d’une façon inégale. On ne saurait se représenter les choses de telle sorte que les ouvriers social-démocrates en train d’acquérir un état d’esprit révolutionnaire, passeront d’un seul coup et en masse sur les positions de la lutte des classes conséquente et, sans aucune étape intermédiaire, s’uniront directement avec les communistes. Ce sera dans beaucoup de pays un processus plus ou moins difficile, plus ou moins compliqué et long, qui, en tout cas, dépendra essentiellement de la justesse de notre politique et de notre tactique. Nous devons compter même avec la possibilité que certains partis et certaines organisations social-démocrates, en passant des positions de collaboration de classe avec la bourgeoisie sur les positions de lutte de classe contre la bourgeoisie, continuent àsubsister encore un certain temps comme organisations et partis indépendants. En pareil cas, évidemment, il ne saurait être question de considérer de tels partis ou organisations social-démocrates comme un soutien de la bourgeoisie.

- On ne saurait espérer que les ouvriers social-démocrates qui se trouvent sous l’influence de l’idéologie de collaboration de classe avec la bourgeoisie, idéologie qui leur est inculquée depuis des dizaines d’années, aillent renoncer d’eux-mêmes àcette idéologie sous l’action des seules causes objectives.

- Non. C’est ànous, communistes, de les aider às’affranchir de la domination de l’idéologie réformiste.

- L’explication des principes et du programme du communisme doit être poursuivie patiemment, en toute camaraderie, et en tenant compte du niveau de développement politique de chaque ouvrier social-démocrate. Nôtre critique du social-démocratisme doit devenir plus concrète et plus systématique. Elle doit se baser sur l’expérience des masses social-démocrates elles-mêmes. Il ne faut pas perdre de vue que c’est avant tout sur la base de l’expérience de la lutte commune, menée coude àcoude avec les communistes contre l’ennemi de classe, que l’on peut et que l’on doit faciliter et accélérer le développement révolutionnaire des ouvriers social-démocrates. Il n’est pas de moyen plus efficace de vaincre les hésitations et les doutes des ouvriers social-démocrates que la participation au front unique prolétarien.

- Nous ferons tout ce qui dépend de nous pour faciliter le travail commun avec nous et la lutte commune contre l’ennemi de classe non seulement aux ouvriers social-démocrates, mais aussi àceux des militants des partis et organisations social-démocrates qui désirent sincèrement passer sur la position de classe révolutionnaire.

- Mais nous le déclarons en même temps : ceux des leaders socialistes, des simples militants et des ouvriers, qui continuent àsoutenir le rôle scissionniste des chefs réactionnaires de la social-démocratie et às’élever contre le front unique, aidant ainsi directement ou indirectement l’ennemi de classe, prennent par là-même devant la classe ouvrière une responsabilité non moindre que la responsabilité historique de ceux qui ont soutenu la politique social-démocrate de collaboration de classe, politique qui, dans une série de pays européens, a causé la perte de la révolution de 1918 et frayé la route au fascisme.

- C’est la question de l’attitude àl’égard du front unique qui sert de ligne de démarcation entre la partie réactionnaire de la social-démocratie et ses couches en train de prendre un état d’esprit révolutionnaire.

- Notre aide en faveur de ces couches-là, sera d’autant plus efficace que notre lutte sera plus forte contre le camp réactionnaire de la social-démocratie, coalisé avec la bourgeoisie. Et, àl’intérieur du camp de gauche de la social-démocratie, on verra ses différents éléments se définir eux-mêmes d’autant plus vite que les communistes lutteront plus résolument pour le front unique avec les partis social-démocrates. La pratique de la lutte des classes et la participation des social-démocrates au mouvement de front unique feront voir qui, dans ce camp, se déclare « pour la gauche » en paroles, et qui est effectivement de la gauche.

A propos du gouvernement de front unique

- Ainsi, l’attitude de la social-démocratie àl’égard de la réalisation pratique du front unique du prolétariat est, en général, dans chaque pays, l’indice principal permettant de voir si l’ancien rôle du parti social-démocrate ou de certains de ses détachements dans l’Etat bourgeois s’est modifié et dans quelle mesure il s’est modifié ; mais on aura aussi un indice particulièrement clair dans l’attitude de la social-démocratie sur la question du gouvernement de front unique.

- Dans la situation où la question de former un gouvernement de front unique figurera àl’ordre du jour comme tâche pratique immédiate, c’est cette question qui deviendra décisive, qui servira de pierre de touche pour la politique de la social-démocratie du pays donné : ou bien avec la bourgeoisie en voie de fascisation contre la classe ouvrière, ou bien avec le prolétariat révolutionnaire contre le fascisme et la réaction, non en paroles, mais en actes ; c’est ainsi que sera posée la question inéluctable au moment de la formation du gouvernement de front unique, comme aussi pendant le temps où le pouvoir sera exercé par ce gouvernement. Quant au caractère et aux conditions de la formation d’un gouvernement de front unique ou de Front populaire antifasciste, il me semble que, dans mon rapport, j’ai déjàdit ce qui est nécessaire pour l’orientation tactique générale. Vouloir que nous fixions par surcroît tous les modes possibles et toutes les conditions de formation d’un tel gouvernement, c’est se livrer àdes conjectures stériles.

- Je voudrais vous mettre en garde contre toute simplification et tout schématisme dans cette question. La vie est plus compliquée que tous les schémas. Il est faux, par exemple, de présenter les choses comme si le gouvernement de front unique était une étape indispensable sur la voie de l’instauration de la dictature du prolétariat. C’est aussi faux qu’il était faux autrefois de présenter les choses comme si dans les pays fascistes, il n’y avait aucune étape intermédiaire, la dictature fasciste étant obligatoirement et directement remplacée par la dictature du prolétariat.

- Le fond de la question se réduit àsavoir si le prolétariat lui-même se trouvera prêt, au moment décisif, àrenverser immédiatement la bourgeoisie et àinstaurer son pouvoir, avec la possibilité dans ce cas de s’assurer le soutien de ses alliés, ou bien si c’est le mouvement de front unique qui se trouvera simplement en mesure, àl’étape donnée, d’écraser ou de renverser le fascisme, sans passer immédiatement àla liquidation de la dictature de la bourgeoisie. Dans le dernier cas, renoncer àcréer et àsoutenir le gouvernement de front unique ou de Front populaire pour cette seule raison, serait un exemple inadmissible de myopie politique et non pas une politique révolutionnaire sérieuse.

- Il n’est pas difficile non plus de comprendre que la formation d’un gouvernement de front unique dans les pays où le fascisme n’est pas encore au pouvoir, c’est autre chose que dans les pays àdictature fasciste. Dans ces pays-ci, la formation d’un tel gouvernement n’est possible qu’au cours du processus de renversement du pouvoir fasciste. Dans les pays où se développe la révolution démocratique bourgeoise, un gouvernement de Front populaire pourrait devenir le gouvernement de la dictature démocratique de la classe ouvrière et de la paysannerie.

- Comme je l’ai déjàindiqué dans mon rapport, les communistes soutiendront, par tous les moyens, le gouvernement de front unique, dans la mesure où celui-ci combattra réellement les ennemis du peuple et laissera leur liberté d’action au Parti communiste et àla classe ouvrière. Quant au problème de la participation des communistes au gouvernement, il dépend exclusivement de la situation concrète. Les questions de ce genre seront résolues dans chaque cas particulier. Ici, on ne saurait donner d’avance aucune recette toute faite.

De l’attitude àl’égard de la démocratie bourgeoise

- Il a été dit ici qu’au sein du Parti polonais qui mobilise les masses contre les attaques dont les droits des travailleurs sont l’objet de la part du fascisme, « il existait cependant la crainte de formuler positivement des revendications démocratiques, pour ne pas créer d’illusions démocratiques parmi les masses ». Cette crainte de formuler positivement des revendications démocratiques n’existe pas seulement, sous une forme ou l’autre, dans le Parti polonais.

- D’où vient cette crainte ? De la façon erronée, non dialectique, de poser la question de l’attitude àl’égard de la démocratie bourgeoise. Nous, communistes, nous sommes les partisans irréductibles de la démocratie soviétique dont la dictature prolétarienne a donné un grand exemple dans l’Union soviétique, jusqu’ici, — au moment même où dans les pays capitalistes on liquide les derniers restes de démocratie bourgeoise, — par décision du 7e congrès des Soviets, on proclame l’introduction du scrutin égal, direct et secret. Cette démocratie soviétique suppose la victoire de la révolution prolétarienne, la transformation de la propriété privée des moyens de production en propriété sociale, le passage de la majorité écrasante du peuple sur la voie du socialisme. Cette démocratie ne constitue point une forme achevée ; elle se développe et continuera àse développer au fur et àmesure des succès ultérieurs de l’édification socialiste, de la création de la société sans classes et de la disparition des survivances du capitalisme dans l’économie et dans la conscience des hommes.

- Mais, aujourd’hui, le problème pour les millions de travailleurs qui vivent dans les conditions du capitalisme, c’est de déterminer leur attitude àl’égard des formes que la domination de la bourgeoisie revêt dans les différents pays. Nous ne sommes pas des anarchistes, et nous ne sommes pas le moins du monde indifférents àla question de savoir quel régime politique existe dans tel pays donné : la dictature bourgeoise sous la forme de la démocratie bourgeoise, fà»t-ce avec les droits et les libertés démocratiques les plus réduits, ou bien la dictature bourgeoise sous sa forme fasciste déclarée.

- Partisans de la démocratie soviétique, nous défendrons chaque pouce des conquêtes démocratiques qui ont été arrachées par la classe ouvrière au cours de longues années de lutte opiniâtre, et nous lutterons résolument pour leur extension.

- Que de sacrifices a dà» consentir la classe ouvrière d’Angleterre avant de conquérir le droit de grève, l’existence légale de ses trade-unions, la liberté de réunion, la liberté de la presse, l’extension du droit de suffrage, etc...! Combien de dizaines de milliers d’ouvriers ont donné leur vie dans les combats révolutionnaires livrés en France au 19e siècle pour conquérir les droits élémentaires et les possibilités légales d’organiser leurs forces pour la lutte contre les exploiteurs ! Le prolétariat de tous les pays a versé beaucoup de sang pour conquérir les libertés démocratiques bourgeoises, et l’on conçoit qu’il veuille lutter de toutes ses forces pour les conserver. Notre attitude envers la démocratie bourgeoise n’est pas la même dans toutes les conditions. Ainsi, pendant la Révolution d’Octobre, les bolchéviques russes menaient un combat àmort contre tous les partis politiques qui, sous le drapeau de la défense de la démocratie bourgeoise, se dressaient contre l’instauration de la dictature du prolétariat.

- Les bolchéviks combattaient ces partis parce que le drapeau de la démocratie bourgeoise était devenu alors le drapeau sous lequel toutes les forces contre-révolutionaires se mobilisaient pour la lutte contre la victoire du prolétariat. La situation des pays capitalistes est aujourd’hui tout autre. Aujourd’hui c’est la contre-révolution fasciste qui attaque la démocratie bourgeoise, dans son effort pour soumettre les travailleurs au régime d’exploitation et d’écrasement le plus barbare.

- Aujourd’hui, dans une série de pays capitalistes, pour l’instant présent, les masses travailleuses n’ont pas àchoisir concrètement entre la dictature du prolétariat et la démocratie bourgeoise, mais entre la démocratie bourgeoise et le fascisme.

- En outre, la situation actuelle diffère de celle qui existait, par exemple, àl’époque de la stabilisation du capitalisme. Il n’y avait pas alors de danger fasciste aussi accentué qu’au moment présent. Alors, les ouvriers révolutionnaires, dans une série de pays, avaient devant eux la dictature bourgeoise sous la forme de la démocratie bourgeoise, et c’était contre elle qu’ils concentraient principalement leur feu.

- En Allemagne, ils combattaient la République de Weimar non en tant que République, mais parce que c’était une République bourgeoise qui avait réprimé le mouvement révolutionnaire du prolétariat, particulièrement dans les années 1918-1920 et en 1923.

- Mais les communistes pouvaient-ils encore demeurer sur cette position alors que le mouvement fasciste commençait àlever la tête, où, par exemple en Allemagne, en 1932, les fascistes organisaient et armaient leurs troupes d’assaut par centaines de milliers d’hommes contre la classe ouvrière ?

- Evidemment, non. La faute des communistes dans une série de pays, et notamment en Allemagne, fut que, méconnaissant les changements survenus, ils continuaient àrépéter les anciens mots d’ordre et àrester sur les positions tactiques qui avaient été justes plusieurs années plus tôt, surtout au moment où la lutte pour la dictature du prolétariat portait un caractère d’actualité et où, sous le drapeau de la République de Weimar, s’était groupée toute la contre-révolution allemande, comme ce fut le cas en 1918-1920.

- Et le fait que nous sommes obligés, aujourd’hui encore, de constater dans nos rangs la crainte de formuler des revendications démocratiques positives, prouve tout simplement combien les communistes sont encore loin de s’être assimilé la méthode marxiste-léniniste quand ils abordent des questions aussi importantes de notre tactique. D’aucuns disent que la lutte pour les droits démocratiques peut détourner les ouvriers de la lutte pour la dictature du prolétariat. Il ne sera pas inutile de rappeler ce que Lénine disait àce sujet :

  • Ce serait une erreur radicale de croire que la lutte pour la démocratie est susceptible de détourner le prolétariat de la révolution socialiste, ou de la masquer, de la voiler, etc... Au contraire, de même que le socialisme victorieux est impossible sans réaliser la démocratie complète, de même le prolétariat ne peut se préparer àvaincre la bourgeoisie sans mener une lutte détaillée, conséquente et révolutionnaire pour la démocratie. (Lénine : Œuvres complètes, 4e éd. russe, t. 22, p. 133-184)

- Ces paroles, tous les communistes doivent se les graver fortement dans la mémoire, en tenant compte que c’est de petits mouvements pour la défense des droits élémentaires de la classe ouvrière que sont sorties, au cours de l’histoire, de grandes révolutions. Mais ce qu’il faut avant tout pour savoir rattacher la lutte en faveur des droits démocratiques àla lutte de la classe ouvrière pour le socialisme, c’est renoncer àla manière schématique d’aborder la question de la défense de la démocratie bourgeoise.

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