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Capitalisme et dette publique

Pourquoi faut-il absolument faire défaut sur la dette publique ?

par Pierre-Georges Combe

vendredi 11 octobre 2013

- Pour des raisons multiples, le capitalisme, depuis quatre siècles, accumule les richesses en monnaie plutôt qu’en biens. Ce phénomène mondial étant apparu et ayant pris son essor en Angleterre et aux Etats-Unis d’Amérique, j’ai tendance àdonner au système économique qui domine aujourd’hui le monde le nom de capitalisme ultramonétarisé àl’anglo-saxonne.

- Cette précision est importante car il faut accepter l’idée que la monnaie n’a pas toujours dominé les échanges commerciaux. En fait, l’humanité est sortie de la préhistoire en inventant l’écriture aux alentours de l’an 3300 avant l’ère commune, en Mésopotamie. La monnaie, quant àelle, n’est apparue qu’aux environs de l’an 600 avant notre ère, dans le petit royaume de Lydie, qui bordait les cités grecques de l’Asie Mineure, àl’Ouest de l’actuelle Turquie. Ce fut la décision, nous disent les historiens antiques, d’un monarque dont le nom, en passant dans l’hisoire, a établi un lien définitif entre l’idée de monnaie et celle d’accumulation de richesse : Crésus.
- Autrement dit, il s’est écoulé, dans l’histoire de l’humanité, autant de temps, et même un peu plus, sans que la monnaie préside aux échanges commerciaux (2700 ans environ), qu’avec l’adoption de l’échange monétaire (2600 ans environ, pour les régions du monde qui s’y sont mises le plus tôt). De très riches et très impressionnantes civilisations sont nées, se sont développées et sont mortes sans jamais avoir connu la monnaie. L’Egypte et la Mésopotamie antiques avaient déjàbrillé de leurs feux les plus ardents avant qu’elle apparaisse. Ramsès II était mort depuis plus de six siècles. La monnaie, àmon sens, n’est donc pas une condition indispensable àune société évoluée. A la différence de l’écriture.
- L’accumulation de richesses était donc, avant tout, accumulation de biens, et souvent, accumulation de l’or. Le phénomène d’une classe dominante accumulatrice dans les sociétés humaines existe depuis la plus haute antiquité, peut-être depuis la préhistoire, en tous les cas bien avant l’apparition de la monnaie. Dans mon idée, le capitalisme n’est donc pas nécessairement monétarisé. L’apparition de la monnaie elle-même ne suffit pas àdéfinir le capitalisme monétarisé. Par contre, l’extension systématique de l’échange monétaire àl’ensemble des rapports d’échange entre les hommes, car il s’agit bien de cela, est, historiquement, une innovation qui apparaît en Angleterre au XVème siècle de notre ère, et qui s’y impose au siècle suivant.
- En fait, les nouveaux riches anglais des XVème et XVIe siècles n’avaient que peu d’accès aux réserves d’or, monopolisées par le monde musulman, puis par l’Espagne et ses alliés. Ils étaient donc contraints de conserver leur fortune en monnaie, làoù d’autres classes dirigeantes, européennes ou non, s’empressaient de transformer leur monnaie, ou les biens qu’elles possédaient, en tonnes d’or.
- Cependant, ce qui était un handicap s’est rapidement avéré un avantage, car les grands possédants anglais imposèrent aux seigneurs àqui ils devaient les impôts féodaux la monétarisation de ces taxes, jusque-làpayées en nature ; et, par les effets de la dévaluation qui rogne toute monnaie au cours du temps, ces droits seigneuriaux, jamais réévalués, furent, dès la fin du XVIème siècle, réduits àune somme assez dérisoire pour que les grands bourgeois s’en acquittent sans difficulté.
- Mais le cumulard capitaliste anglais, et son homologue hollandais, étaient eux aussi confrontés àla dévaluation monétaire, qui menaçait de manger leur fortune, s’ils ne faisaient rien. Le capitaliste devait donc placer sa monnaie, avec des intérêts supérieurs àla dévaluation, pour sauvegarder sa richesse. Ce fut le développement du crédit avec intérêts qui permit alors le maintien, et l’accroissement, des patrimoines monétaires. On peut noter que le crédit àintérêts s’imposa dans la même période où l’Eglise catholique, apostolique et romaine, qui le condamnait et l’interdisait encore au XVIème siècle, reculait dans les pays du Nord-Ouest de l’Europe au profit des protestantismes, qui ne posaient pas cet interdit monétaire.
- Le capitalisme ultramonétarisé a donc, on le voit, un besoin impérieux du crédit. Fatalement, il fabrique de l’endettement : celui àqui l’ont fait crédit est endetté, par définition. Mais qui donc pouvait-on endetter ? Le capitalisme avait besoin, on l’a compris, de puissances suffisamment solides, au moins dans un premier temps, pour leur accorder des crédits.
- Ainsi, les capitalistes ont d’abord prêté aux seigneurs féodaux, et ce d’autant plus que les taxes féodales dévaluées ne leur permettaient plus de maintenir leur train-de-vie ancestral. Nombre de ces seigneurs féodaux, croulant sous les dettes, ont fini par être réduits àla pauvreté, ou àaccepter une alliance matrimoniale avec les capitalistes roturiers qui étaient leurs créanciers, lesquels accédaient ainsi àla noblesse.
- Les capitalistes anglais, et àleur suite, européens, ont également prêté aux états lointains dès le début du XVIIème siècle, et le remboursement de ces dettes se trouva être l’une des causes principales de l’expansion coloniale européenne. Concernant la France, ce fut le cas pour l’invasion de l’Algérie en 1830, du Mexique en 1863, du Maroc en 1912, etc...
- D’une manière générale, les capitalistes ont prêté massivement aux états européens, puis àl’ensemble des puissances publiques dans le monde depuis deux siècles, amenant progressivement le niveau de dette publique que l’on connaît aujourd’hui sur toute la planète.
- On l’a compris, la dette publique est bien une fille naturelle du capitalisme ultramonétarisé, mais c’est aussi l’une des conditions de sa survie.
- Que la puissance publique la plus capitaliste du monde, àsavoir les Etats-Unis d’Amérique, soit aussi la plus endettée, et de loin, n’a rien d’étonnant. C’est même normal, car c’est bien le capitalisme lui-même qui génère la dette publique.
- Faire défaut sur la dette publique est donc un acte anticapitaliste par nature. Attention, c’est un acte anticapitaliste, mais absolument pas révolutionnaire àlui tout seul, ou alors nous devrions considérer Louis XIV comme l’un des plus grands révolutionnaires de son temps, ce qui serait un peu hasardeux. Non, le défaut sur la dette publique porte atteinte aux intérêts capitalistes, mais il n’est vraiment révolutionnaire que si il est accompagné de la transformation radicale des structures de l’état, afin de soustraire ce dernier des mains des grands capitalistes. Ainsi, le défaut sur la dette russe (les fameux emprunts russes), qui est réalisé par la Révolution d’Octobre 1917, est bien un acte anticapitaliste révolutionnaire.
- Faire défaut sur la dette publique est surtout, n’en doutons pas, la condition de survie de l’état dans un système capitaliste ultramonétarisé. S’y refuser, c’est accepter la disparition de l’état, tout comme ont disparu les seigneurs féodaux et les puissances non-européennes qui croulaient sous les dettes. Louis XIV et ses ministres l’ont bien compris, et ont pratiqué le défaut, appelé banqueroute, àplusieurs reprises. Mais, àchaque fois, le Roi-Soleil offrait àla grande bourgeoisie de vastes compensations. Par exemple, l’extension de la vénalité des offices réservait les plus hautes fonctions de l’administration de l’état aux grands bourgeois ; les pratiques d’affermage de la perception des impôts étaient aussi du même tonneau. Le monarque absolu s’assurait ainsi la fidélité sans faille des grands financiers du royaume, alors même qu’il ne remboursait pas ses dettes envers eux.
- Il faut approfondir un peu ici les rapports, d’une manière générale, que le grand capitalisme entretient avec l’état.
- Pour un capitaliste, l’état est d’abord le garant ultime du remboursement de la dette, par l’exécution de la loi, qui met la puissance publique au service du prêteur, si jamais l’emprunteur a l’indélicatesse de ne plus vouloir payer.
- Mais le capitalisme ne maintient l’état que si ce maintien garantit en effet l’accroissement du capital. Il peut accepter un défaut sur la dette publique, si celui-ci permet le maintien d’un état qui sera àcoup sà»r garant du versement de futurs intérêts issus de futurs crédits. C’est bien avec cette idée derrière la tête que les grands financiers soutenaient sans faille Louis XIV, épongeant les banqueroutes avec constance et abnégation, sans oublier de profiter au passage des compensations en tous genres que le monarque leur concédait.
- En-dehors de cela, l’état n’a que peu d’attraits pour un capitaliste. Ce dernier tolère même assez bien l’anarchisme, qui a pour lui le bon goà»t de s’en prendre aux structures de l’état bien plus qu’aux grandes banques. On peut noter avec intérêt que la bourgeoisie française a adhéré aux idées révolutionnaires du XVIIIème siècle au lendemain d’une banqueroute décidée par Louis XVI. Le successeur lointain du Roi-Soleil n’a sans doute pas concédé suffisamment en retour aux grands banquiers, et peut-être se montra-t-il sensible àune certaine réaction aristocratique qui se serait méfiée de la haute finance. En tous les cas, les capitalistes français des années 1780 ne croyaient plus que l’Ancien Régime puisse leur offrir d’autres crédits intéressants (c’est-à-dire, dont les intérêts mettraient leurs fortunes àl’abri de la dévaluation). Ils contribuèrent donc àabattre la monarchie, naviguant sur la vague de la contestation populaire qui déferlait àpartir de l’automne 1788. Puis, dans une lutte sanglante contre le peuple révolutionnaire, ils mirent finalement, et définitivement, la main sur l’état, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Ils mirent aussi et surtout la main sur l’endettement de l’état, si nécessaire àla survie et àl’expansion du capitalisme.
- Le capitalisme ultramonétarisé, apparu récemment dans l’histoire de l’humanité, est, on le voit, un animal féroce et vorace qui phagocyte systématiquement les puissances sur lesquelles il jette son dévolu. Au service d’une accumulation toujours plus grande des richesses par quelques-uns, il fait de l’endettement généralisé la raison même de sa survie. Si cette bête n’est pas abattue par un vaste mouvement de défauts de dettes publiques, accompagné de lois restrictives et contraignantes soustrayant le système monétaire du contrôle des capitalistes, la bête dévorera tous les états de la planète, et réduira dans le même temps des milliards d’êtres humains, privés du secours nécessaire d’une puissance publique bien souvent protectrice et unique pourvoyeuse de santé et de culture, àdes situations de pauvreté généralisées insurmontables.

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