Ami de l’égalité

Le racisme n’est pas fatal

samedi 18 janvier 2014, par Jean-Pierre Combe

- Y a-t-il une affaire Dieudonné ? La presse d’argent, écrite ou télévisée, en est pleine ; deux ministres (intérieur et justice) et même le président de la République s’en sont « Ã©mus ».
- La presse d’argent a créé l’évènement, par ses compte-rendus : tous tentaient de faire monter le scandale, mais sans donner une raison qui vaille, sans exposer dans leurs arguments les propos des spectacles de Monsieur Dieudonné : la presse d’argent leur faisait une publicité sous-marine et lancinante ; puis, elle a brassé le scandale pour le faire mousser : elle a donné au chambard qu’elle fait elle-même plus de place qu’aux propos de l’acteur.

- Monsieur Dieudonné n’est pas le stratège de cette campagne : il en est le prétexte consentant ; les stratèges sont ceux qui ont saisi le prétexte et conduit la campagne : leur but n’était pas de promouvoir l’acteur, mais de tromper le monde ! Leur méthode repose sur un faux principe de neutralité idéologique, selon lequel toutes les idées se valent ; ils nous présentent faussement ce principe sous le nom de laïcité  ; dans ce cadre, ils choisissent, présentent et agitent des idées dont la contradiction conduit àdes conflits au sein de la société ; ils le font de manière àapprofondir cette contradiction tout en interdisant aux femmes et aux hommes que ces idées mettent en conflit de concevoir leur cohabitation au sein de la société ; ils interdisent ainsi aux simples membres de la société de résoudre un conflit que d’autres leur ont imposé.
- Ces stratèges commanditent des idéologues, pour qu’ils soient leurs « libres » porte-plumes et porte-voix dans la presse d’argent (écrite ou télévisée), sans autre concurrence que celle de la fausse fenêtre ; la stratégie de la grande bourgeoisie, c’est le complot.
- Ces idéologues peuvent faire la publicité et la contre-publicité de n’importe quel spectacle : le complot grand-bourgeois est un sabre de Joseph Prudhomme perfectionné, avec lequel ils frappent la démocratie en se donnant l’air de la défendre ! La généreuse publicité faite àMonsieur Dieudonné en est un exemple trompeur : n’importe quel spectacle progressiste tomberait sous leurs coups ! Vous voyez le piège ?
- Tout en dévoyant la laïcité, les stratèges de ce complot confirment la théorie grand-bourgeoise anti-laïque selon laquelle la société devrait être pensée comme un assemblage de communautés unissant les travailleurs aux propriétaires de capitaux réels et financiers par la « satisfaction » de se savoir exploités par des membres de leur propre communauté, plutôt que par des étrangers, et par sa conséquence, l’humilité obligée devant les riches et les notables de la communauté ; les stratèges bourgeois s’attachent àrétablir les pires liens féodaux !
- Or, c’est en affaiblissant et en rejetant les liens féodaux que les sujets du royaume de France avaient préparé la Révolution française ; les Lumières philosophiques et les avancées des sciences, (j’admets aussi ces avancées sous le nom des Lumières) éclairaient les réunions de membres du peuple, le théâtre, la chanson et toutes les activités pendant lesquelles la parole populaire n’était pas interdite : ces activités devinrent ainsi une réflexion collective de quelque trois siècles ; celle-ci corroda les liens féodaux en éveillant les sentiments qu’un paysan vaut bien un seigneur, un ouvrier vaut bien un bourgeois, un soldat vaut bien un colonel ; au bout de cette longue discussion populaire et grâce àelle, les paysans, les ouvriers et les soldats ont reconnu la nécessité de briser l’ordre d’ancien régime : ils se sont insurgés ensemble : c’était la première insurrection populaire dans laquelle les principales catégories d’exploités défendaient ensemble leur intérêt commun contre l’exploitation que leur faisaient subir les privilégiés ; c’est ainsi que la Révolution française a heureusement brisé les liens féodaux.
- C’était bien une insurrection de classe, au sens marxiste de cette expression : l’intérêt commun aux parties insurgées du peuple était de rendre satisfaisante la rétribution du travail (le salaire, quelle qu’en soit la modalité), afin qu’elle permette àchacune et àchacun de vivre dignement chaque jour. Nous pouvons considérer cette insurrection comme la première référence des insurrections populaires révolutionnaires : dans la Rome antique, Spartacus avait déjàconduit une révolte d’exploités contre l’exploitation de classe, mais pour ce que j’en peux connaître, ce n’était pas le résultat d’une union produite par la convergence des intérêts de plusieurs catégories différentes d’exploités. De plus, la période où elle s’est produite est très mal connue, et, par comparaison àla Révolution française, bien trop mal connue pour donner lieu àla formation d’arguments de raison, bien trop mal connue pour faire référence.
- Il reste que depuis que la bourgeoisie exerce seule le pouvoir, elle frappe sans cesse tous les mouvements populaires de réflexion collective àgrands coups de censure, et qu’elle n’est pourtant pas parvenue àfaire cesser le danger qu’elle court de devoir affronter une révolution populaire !
- La tâche confiée àMonsieur Valls, ministre de l’intérieur, par la bourgeoisie est donc de faire face au risque de révolution en anticipant sur lui : sa décision de commander aux préfets d’interdire les spectacles de Monsieur Dieudonné est une tentative de valider une méthode de censure qui pourrait frapper les spectacles les plus progressistes : je ne fais pas de procès d’intention : dans notre passé, cela s’est produit plus d’une fois, et dans plusieurs cas, des ministres « socialistes » s’en sont rendus coupables ! Pauvre France !...
- Pour sortir du piège, examinons le fond de l’affaire : tous les propos racistes sont contre-révolutionnaires : en bons hypocrites, Monsieur Valls et Monsieur Hollande tentent de les censurer, de les réprimer, de les empêcher de devenir banaux, au moyen de lois et de règlements ; devons-nous croire cette méthode pertinente ? Non : nous savons que le racisme est un ensemble d’idées qui fait corps avec les inégalités économiques, politiques et sociales ; nous savons aussi que l’inégalité est active dans l’essence des institutions de la société française : les prolétaires n’ont aucun droit réel ; les seuls droits réels appartiennent aux propriétaires, proportionnellement àla valeur en monnaie des biens qu’ils possèdent : le racisme est essentiellement cohérent avec ces inégalités.
- Pour cette raison, les propos racistes relèvent en France de la banalité la plus désolante : ils n’ont jamais cessé d’être banaux depuis que la bourgeoisie a repris en mains tous les pouvoirs, le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794) : toute loi, tout règlement pris aujourd’hui pour empêcher la banalisation des propos racistes arrive plus de deux siècles trop tard : la censure bourgeoise interdira peut-être les spectacles de Monsieur Dieudonné, mais certainement, elle laissera intacts les propos racistes, les siens et ceux des autres, et leur banalité.
- Il faut pourtant faire taire le racisme : peut-on y parvenir ? Nous le pouvons, parce qu’il y a en France une longue tradition de lutte efficace contre le racisme : cette tradition a été initiée par les Lumières philosophiques et scientifiques ; son efficacité repose sur la culture de la vérité que ces Lumières ont mise en fonction : une vérité qui s’impose àtoutes les femmes et àtous les hommes parce qu’elle ne dépend ni des ethnies, ni des religions, ni des philosophies, ni des gouvernements, et qu’elle procède d’une lutte incessante contre les préjugés : c’est la vérité laïque, dont un moment indestructible est la vérité matérialiste, celle qui donne réalité àtoute science.
- La lutte contre les préjugés dégonfle les baudruches racistes, et des affaires telles que « l’affaire Dieudonné » n’existent pas. Mais depuis quelque trois décennies, nos écoles, collèges et lycées ont presque cessé d’enseigner àlutter contre les préjugés : sans doute la réaction qui nous gouverne a-t-elle besoin des baudruches racistes pour interdire la critique progressiste en France ?
- Donc, nous n’avons qu’un moyen de lutte contre le racisme : combattre les préjugés, rechercher la vérité et la dire, mais sans pouvoir prendre appui ni sur la presse, ni sur l’institution scolaire ! La lutte antiraciste incombe àchaque citoyenne et àchaque citoyen. Comment chacun doit-il faire ?
- Le premier moment de la lutte contre les préjugés est la mise en doute de tous les mots et toutes les expressions que l’on ne comprend pas, ou que l’on estime suspects àcause d’un emploi totalement ou partiellement déplacé, même (et surtout) s’ils se présentent sous une forme proverbiale ou plaisante. Le deuxième moment est de lever ce doute en cherchant et en disant le sens véritable du mot ou de l’expression douteux, en cherchant et en disant en quoi leur emploi est déplacé, afin de mettre en évidence les vérités que cachent ces déplacements d’emploi.
- Celle ou celui qui entreprend de lever ce doute encourt les reproches d’être un « rabat-joie » ou de « ne pas comprendre le second degré » : réfuter ces reproches est une nécessité, car la joie provoquée par une plaisanterie douteuse est socialement très dangereuse, et parce que les préjugés retrouvés ou inventés, rendus habituels et mis àl’abri du doute par de prétendues « plaisanteries du second degré » sont aujourd’hui innombrables : quoi qu’il en soit, il est nécessaire de lever les doutes et de faire pour cela, soit immédiatement soit un peu plus tard, toutes les vérifications nécessaires.
- Aujourd’hui en France, tous les emplois du mot « race » oublient son appartenance àl’ordre féodal : ils sont suspects ; la race, c’est l’ordre divin du monde, la place éminente des seigneurs féodaux, les rapports de suzeraineté et de vassalité établis entre leurs familles, avec l’absolue soumission des membres du peuple travailleur, les serfs. Le racisme a été longuement façonné par les sociétés féodales de toute l’Europe ; les entrepreneurs d’expéditions colonialistes l’ont repris, même lorsqu’ils étaient bourgeois : le racisme est l’idéologie du colonialisme.
- Après la Renaissance, le racisme dut reculer devant les Lumières philosophiques et scientifiques : celles-ci avaient provoqué et éclairaient une très longue discussion populaire au cours de laquelle les récits des grands voyageurs humanistes mettaient en cause la race elle-même, et avec elle, toutes ses caractéristiques sociales ; les naturalistes humanistes reconnaissaient des préjugés dans les sens du mot race et de ses dérivés et les excluaient du vocabulaire des sciences de la nature : le racisme perdait la fonction de critère de vérité que lui attribuait l’Ancien Régime.
- Dans ce même temps, Diderot et les Encyclopédistes contredisaient les préjugés en activant le renouvellement de la pensée technique de tous les ateliers du royaume de France ; la discussion faisait ainsi mà»rir dans le peuple les revendications d’égalité en droits et de liberté ; la conjonction de ces revendications avec les progrès des techniques du travail paysan autant qu’urbain transformaient les mentalités populaires en permettant la formation de l’idée que le peuple intervienne dans la crise pour y faire valoir son existence : le recul du racisme devant la revendication populaire de liberté et d’égalité en droits ouvrait la voie àla solution révolutionnaire de la crise.
- Les principes de la Révolution française devaient doter la République d’institutions de nature àdébarrasser la France de toute trace du racisme ; par exemple :

  • Toute citoyenne, tout citoyen est admis àfaire de la politique : ce principe a conduit la Convention aussitôt réunie àdécider que dans toutes les localités de France, toutes les nouvelles lois seront traduites dans le parler local (patois, dialecte ou langue), et que les traducteurs insisteront sur les droits désormais reconnus aux membres du peuple et sur leurs moyens de les exercer.
  • Toute citoyenne, tout citoyen est admis sans limite àla connaissance : la mise en vigueur de ce principe nécessitait l’institution de l’instruction publique ; Lepelletier de Saint-Fargeau, rapporteur de ce projet, fut assassiné la veille du jour où il devait le lire àla Convention : c’est Robespierre qui le lut ; l’institution projetée assumait la misson incombant àla société d’ouvrir àtous les travailleurs les accès àla connaissance et d’y instruire tous les enfants, en compensant la pauvreté des familles par une meilleure instruction des enfants.
  • Tout citoyen a droit au travail, et, s’il ne peut travailler, àun secours de la société.

- Ces trois principes assignaient àla société le devoir d’assurer àtoutes les citoyennes et les citoyens l’accès àl’instruction et l’égalité de leurs droits politiques et économiques.
- La contre-révolution bourgeoise fit flèche de tout bois pour combattre la République : le racisme avait d’abord défini la contre-révolution royaliste ; il fut bientôt le fédérateur de tous les réactionnaires ; le racisme assura àla grande bourgeoisie le contrôle de la vague de violence contre-révolutionnaire du printemps et de l’été de l’an 1 de la République ; àla faveur de cette violence, la constitution de l’an 1 de la République, que le peuple venait d’approuver par son vote, fut suspendue « jusqu’au retour de la paix », et avec elle, le droit au travail et le droit d’accéder àla connaissance ; àla faveur d’une maladie de Robespierre et de l’absence de Saint-Just, la traduction des lois dans les parlers locaux fut interdite le 2 thermidor an 2 de la République (20 juillet 1794) ; une semaine plus tard, le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), un coup d’Etat mit àla Révolution une fin sanglante ; notre première République avait duré presque deux ans.
- La bourgeoisie riche, commanditaire et profiteuse du coup d’Etat, a tourné le dos àla République ; dans les institutions, elle aménage la place du racisme : elle interdit le divorce, fait de l’époux le chef de la famille, puis rétablit la traite des nègres, toutes lois d’Ancien régime, envoie des expéditions militaires dans les Antilles pour y rétablir l’esclavage (que la Convention avait aboli le deuxième sextidi de pluviose an 2 de la République - 4 février 1794) ; enfin, Napoléon restaurait les usages et les rites du royaume déchu : il faisait du racisme d’Ancien régime la couronne de l’Etat bourgeois.
- Le peuple travailleur fut réduit àune misère inouïe ; mais les mentalités populaires s’étaient transformées : la revendication ouvrière de vivre dignement montait contre la misère ; grâce aux efforts révolutionnaires de Gracchus Babeuf, le peuple travailleur inscrit la République dans ses revendications, avec ce qu’elle impliquait de revendication de connaissance incompatible avec toute soumission àquelque race ; la revendication populaire constituait désormais le véritable noyau de la lutte antiraciste ; entre autres mouvements, les révoltes de 1830 et de 1848, ainsi que la Commune de Paris en sont résultées.
- C’est le racisme d’Etat colonialiste qui valut àla France les sanglantes répressions appliquées par l’armée coloniale (notamment en 1830 et en 1848) et par l’armée impériale (en mai 1871).
- Le racisme ourdit un complot au sein de l’Etat-major français contre le capitaine Dreyfus ; Théodore Hertzl, venu d’Autriche observer les procès de ce complot, a fondé le sionisme avec le racisme pour essence.
- Charles Maurras, Paul Barrès et leurs pareils, les plus violents réactionnaires du vingtième siècle français, se réclamaient ouvertement du racisme : ils se sont alliés aux dictateurs nazis et fascistes. L’amiral Horthy en Hongrie, Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne, Franco en Espagne et tous les autres dictateurs européens conduisaient des sociétés d’inégalités violemment répressives et structurées en communautés ou corporations : toutes ces dictatures sont des occurrences, des réalisations du racisme dont la tradition remonte au Moyen Âge européen.
- Faute d’être enseignée dans nos écoles, cette histoire est en grande partie oubliée aujourd’hui : pour cette raison, les préjugés du mot race et de tous ses dérivés sont de retour : l’éclairage porté par les Lumières philosophiques sur la France, l’émergence de la revendication d’égalité en droits et de liberté, la culture de la lutte contre les préjugés et les balbutiements de la démocratie, tout cela n’est-il qu’une embellie passagère du climat politique de notre pays ?
- Le racisme est un corps d’idées dont chacune est un préjugé ; il fait corps avec les inégalités sociales de n’importe quel type et conduit àrenforcer et àaggraver ces inégalités jusqu’aux pires crimes : nous devons penser l’antiracisme comme un chapitre prioritaire et d’importance essentielle de la nécessaire lutte contre les préjugés ; le racisme n’est pas fatal, mais pour le vaincre, chaque citoyenne, chaque citoyen doit combattre tous les préjugés dont il est fait !
- Quant ànous, communistes, le seul moyen ànotre disposition pour lutter contre le racisme, c’est de chercher la vérité en toutes choses, de la dire et de la démontrer.

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