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Cas concret

Algérie : qui la vérité dérange-t-elle ?

La colonisation : savoir de quoi on parle !

vendredi 30 décembre 2005, par Jean-Pierre Combe

- Notre camarade Jean Galland est un communiste depuis le premier mai 1950 : les mouvements de l’esprit public qui accompagnaient dans notre pays, en 1944, la victoire populaire sur les racismes nazi, fasciste et autres l’avaient conduit àappréhender les idées de progrès, de laïcité, de démocratie, toutes celles qui font l’essentiel de l’héritage des Lumières philosophiques ; devenu instituteur, il prit son premier poste en Algérie, dans ce que l’administration française appelait les "territoires militaires" du sud. Sa fidélité àses engagements laïcs, démocratiques et pour l’égalité en droits de tous les êtres humains déplut aux caïds locaux et aux chefs de l’administration de ces territoires : il fut muté une première fois en Kabylie.

- Làencore, il sut instruire les enfants dans le respect de leur être et entretenir avec la population les relations nécessaires àson enseignement ; devenu membre du Parti communiste algérien, il participait àl’action des communistes.
- Tout cela continua de déplaire aux autorités coloniales.
- En effet, les communistes algériens et français, organisés dans deux partis séparés depuis 1936, s’attachaient àrésoudre les très graves problèmes sociaux de l’Algérie coloniale en mettant fin au système colonial et au régime d’inégalité qu’il imposait au peuple d’Algérie : il s’agissait ni plus ni moins que de réaliser les promesses annoncées par le programme du Conseil national de la Résistance ; cela aurait mis fin aux deux bases économiques du régime colonial, l’accaparement des meilleures terres par les plus gros propriétaires fonciers et le pillage des richesses du territoire par les trusts.
- Mais déjà, les évènements qui se sont produits àSétif et dans le Constantinois le 8 mai 1945 avaient démontré que toutes les forces coloniales de l’administration, de la police et de l’armée françaises avaient renié le Conseil national de la Résistance et s’étaient engagées dans le maintien du régime d’inégalité et dans la continuation de l’empire colonial.
- Depuis toujours, la politique des communistes français àl’égard de l’Algérie et celle des communistes algériens en Algérie étaient au contraire de celle du gouvernement français ; leur parti pris d’unir tous les exploités dans la lutte contre l’exploitation capitaliste leur venait des luttes sociales du dix-neuvième siècle, et l’Internationale communiste avait inscrit ce parti pris comme un principe statutaire, en précisant que la lutte contre l’exploitation capitaliste incluait naturellement et de manière indiscutable la lutte contre sa modalité coloniale : c’était l’une des conditions exigées des partis qui demandaient àadhérer àl’Internationale communiste ; une telle union était de nature àempêcher la guerre d’éclater ; s’il voulait pouvoir lancer l’administration, la police et l’armée dans la guerre àoutrance àla poursuite de l’objectif d’"écraser la rébellion", le gouvernement français devait faire taire les communistes.
- Mettre fin au colonialisme et assurer l’émancipation des peuples indigènes, pour qui la tutelle coloniale a toujours été une oppression insupportable, était donc pour tous les partis communistes un principe fondateur placé dans leur politique intangible.
- Cette décision, les communistes français l’ont votée àTours, en décembre 1920, lors du congrès qui a fondé leur parti : ce principe était cohérent avec la revendication que les travailleurs jouissent de droits de vivre dignement égaux àceux de tous les autres humains, qui est le fil rouge des luttes sociales qui se sont déroulées en France depuis le début du dix-neuvième siècle.
- C’est pour toutes ces raisons que l’administration coloniale et les profiteurs du colonialisme se sont lancés contre les communistes dans une chasse mortelle, animés par la même haine qui animait, en Allemagne et en Italie les racistes nazis et fascistes.
- Fondé en 1936, le Parti communiste algérien, avait lui aussi, et très naturellement, adopté ce principe.
- Lors de la Libération de 1944-1945, les communistes l’ont mis en rapport avec le contenu très progressiste du programme du Conseil national de la Résistance et avec la revendication universelle d’égalité en droit de tous les êtres humains que le processus de création de l’ONU semblait devoir relancer ; quant àeux, les communistes algériens ont confronté tout cela avec la réalité du colonialisme qui continuait dans toutes les colonies françaises, et notamment en Algérie.
- Ils ont alors démontré les conditions nécessaires àtoute solution démocratique et pacifique aux problèmes sociaux des colonies ; ce sont :

  • de mettre fin au système colonial et au régime d’inégalité que ce système impose aux peuples des colonies ;
  • de reconnaitre àchaque indigène des droits humains et civiques égaux àceux dont jouit chaque métropolitain ;
  • de mettre fin àl’accaparement des meilleures terres entre les mains de quelques très gros propriétaires fonciers ;
  • de mettre fin au pillage des ressources des territoires coloniaux par les trusts ;
  • de rendre la propriété de ces ressources aux habitants de ces territoires démocratiquement organisés.

- Les communistes, qu’ils soient français ou algériens, ont toujours été conscients que de satisfaire ces conditions conduirait àla formation, en Algérie comme dans tous les autres territoires coloniaux, d’une nation libre : satisfaire cette revendication nationale, dans de telles conditions, était dans l’ordre des choses. Il n’y avait làrien d’effrayant.
- En 1954, les conditions créées en Algérie par le passage de la paix àla guerre ne causaient pas de perte de validité àcette démonstration : elles ne faisaient qu’en compliquer tragiquement la signification concrète, en premier lieu pour les communistes algériens et pour leur parti.
- Dans les conditions de la guerre du colonialisme français, les communistes devaient encore rappeler la valeur des conditions qu’ils avaient mises en lumière, en rappelant que leur fondement était l’union de tous les exploités du capitalisme contre les bourgeois exploiteurs : cela mit ceux d’Algérie en péril face àceux des insurgés qui voyaient dans la revendication nationale algérienne le moyen de devenir eux-mêmes des bourgeois exploiteurs : ceux-ci ont alors importé dans l’insurrection ce qui était en fait la chasse bourgeoise aux communistes.
- En même temps, les communistes algériens, et avec eux les français devaient constater que les conditions nécessaires àtoute solution démocratique, donc durablement pacifique, avaient été refusées, d’abord par les gouvernements français qui avaient choisi le camp des exploiteurs coloniaux contre l’égalité de tous les citoyens et tenaient les administrations prêtes pour une nouvelle guerre coloniale, et ensuite, ensuite seulement, par les algériens insurgés, qui avaient constaté l’épuisement des moyens légaux de leurs justes revendications et en avaient tiré leurs conclusions en s’insurgeant, puis, en 1956 au congrès de la Soummam, posé la revendication explicite de la reconnaissance du fait national algérien et de l’indépendance.
- L’insurrection déclenchée, le gouvernement français lança la police et l’armée dans la guerre coloniale àoutrance et dans la répression de tous ceux qui rappelaient que les problèmes posés n’avaient pas de solution que l’on puisse imposer par la force : les communistes en étaient, et la chasse coloniale aux communistes, qui n’avait jamais été fermée en Algérie, fut relancée.
- Jean Galland fut interdit de séjour dans le département d’Alger par un décret du préfet d’Alger pris le 9 mars 1955 en vertu de la loi 55-385 votée le 3 avril 1955 et publiée au Journal Officiel le 7 avril, qui plaçait l’Algérie sous un régime d’"état d’urgence" ; un autre décret pris en vertu de la même loi lui fut signifié le 22 avril 1955, pour l’interdire de séjour dans le département d’Oran ; des dizaines d’autres instituteurs furent frappés de la même mesure dans les semaines qui suivirent ; Jean Galland, premier Français interdit de séjour en Algérie, débarqua àMarseille le premier mai 1955.
- Il a écrit deux excellents livres pour témoigner sur la colonisation française de l’Algérie et sur la lutte des communistes pour la paix : ce sont en Algérie "du temps de la France" et la tête ici, le coeur là-bas, publiés aux éditions Tirésias.
- Il a repris la plume pour répondre àl’article Henri Alleg, une mémoire algérienne communiste de Jacques Charby, paru dans Le Monde daté du 5 novembre 2005 ; ce journal a refusé de publier cette réponse, n’ayant plus de place, paraît-il...!?!
- Donc, la voici :

Une minable opération d’arrière-garde

- L’article de Jacques Charby (Le Monde, 5-11-2005) intitulé Henri Alleg, une mémoire algérienne communiste me parait appeler quelques observations : il faut un bel aplomb et une méconnaissance réelle (ou calculée ?) de l’homme et des évènements pour se croire autorisé àtraiter l’auteur de la Question de contorsionniste. Soyons plus précis...
- Des contorsions, Jacques Charby en exécute de magistrales dans son papier : il est difficile de dire s’il s’agit de déformation professionnelle ou de gymnastique idéologique ou de l’une et l’autre en vue de tenir un rôle.

  1. A propos du premier novembre 1954, Jacques Charby se croit obligé de compléter la citation que Henri Alleg a faite dans son livre d’une déclaration du Parti communiste français au lendemain de l’évènement qui avait surpris tout le monde y compris les services les plus spécialisés. Je raconte dans en Algérie du temps de la France (Tirésias) comment j’ai vécu cette nuit et cette journée en Kabylie où j’étais instituteur.
    - Jacques Charby trouve surprenant, et s’en indigne, que le Parti communiste français ait mis en garde contre la possibilité que "les pires colonialistes" aient tenu un rôle de provocateurs dans le déclenchement de l’insurrection. La déclaration contenait cette formulation : "Si même ils n’étaient pas fomentés par eux !" Jacques Charby croit citer àcharge ce passage en faisant semblant d’ignorer combien la provocation a toujours fait partie des méthodes contre-révolutionnaires pour déconsidérer un mouvement insurrectionnel afin de le couper de sa base populaire. Ainsi, en suivant Jacques Charby, ce serait Amirouche qui aurait inventé de toutes pièces "la bleuite", et le colonel Godard, le capitaine Léger seraient de preux officiers français, blancs comme neige, chevaleresques et tout et tout !
    - Toutefois, comme le Si de la déclaration gêne Jacques Charby, quelques lignes plus loin, il s’en débarrasse et ce qui n’était qu’une hypothèse, une mise en garde largement justifiée par l’expérience, devient une affirmation : les colonialistes organisateurs du soulèvement algérien ! On voit ici qu’en matière de contorsion, Jacques Charby est un expert !!!
  2. Pas trop sà»r de son fait, il en remet une louche sur les pouvoirs spéciaux. On a toujours tort d’avoir été trompés, et la direction du Parti communiste français s’est depuis longtemps expliquée en regrettant d’avoir fait confiance àGuy Mollet et au Parti socialiste, qui promettaient de s’appuyer sur les pouvoirs spéciaux pour faire la paix en Algérie. La leçon servira-t-elle aujourd’hui où l’illusion (erronée) du Front unique avancée par Maurice Thorez comme justification n’a guère encore été comprise ?
  3. J’en arrive àcette triste calomnie, prétendant que "les communistes français ont brà»lé les Algériens sur l’autel de la pacification au profit d’une hypothétique union de la gauche française".
    - C’est une malhonnêteté flagrante que d’assimiler la prise en compte de la promesse de Guy Mollet de faire la paix àla "pacification" pratiquée par l’armée française !
    - Cette "pacification"-làn’a jamais trompé personne au Parti communiste français du fait qu’en Algérie, ce mot recouvrait en réalité l’intensification de la guerre y compris sous De Gaulle qui, derrière le rideau de fumée du vocable, a recherché jusqu’àla fin non pas une solution équitable, mais "la solution la plus française" (àson sens !) avec les multiples opérations de Challes. Tous ceux qui ont vécu cette période-làen France savent bien quels efforts ont déployés les communistes français pour, àpartir du mot d’ordre sensible de Paix en Algérie !, expliquer le bien-fondé de la revendication algérienne de l’indépendance afin d’arriver àfaire progresser l’idée que la paix exigée par les Français n’interviendrait pas tant que les Algériens ne verraient pas leur indépendance reconnue. Je raconte ce combat dans mon livre la tête ici, le coeur là-bas (Tirésias). Et ce n’est pas la faute du Parti communiste français et de ses militants s’il a fallu en arriver àce que des milliers de jeunes gens succombent en Algérie pour qu’enfin, et non sans trainer les pieds, De Gaulle se décide àsigner le cessez-le-feu àEvian. Jusqu’àce jour, les socialistes et la droite avaient tout fait pour tromper l’opinion, donc retarder l’échéance, en bavardant sur la Table ronde, la troisième Force, le Sahara, la partition de l’Algérie, etc... Mais là-dessus, Jacques Charby est muet !
    - Qu’en cours de route quelques communistes aient été influencés par ces conceptions défaitistes et inconsistantes, qui peut s’en étonner ? Et si àl’occasion quelqu’un les a engueulés, il a bien fait ! C’est aussi ce que mérite aujourd’hui Jacques Charby qui fait d’une merde de chien une montagne !
  4. Sans relâche, àtous les niveaux de son organisation, le Parti communiste français a accompli une tâche exemplaire pour dénoncer la guerre et pour qu’il y soit mis fin. Aucune autre formation ne peut revendiquer un pareil bilan (même si Jacques Charby lui oppose "des dizaines de porteurs de valises" qui certes ont aidé le FLN, mais sans faire avancer d’un pas la conscience et la volonté populaire françaises, ce qui était la condition nécessaire pour imposer la paix et l’indépendance).
  5. Quant au Parti communiste algérien mis en cause au début de l’article, il n’en est plus jamais question jusqu’au point final, ce qui est une manière indigne de jeter la suspicion sur les sacrifices consentis par les communistes algériens (qu’ils soient d’origine algérienne ou européenne) en vue de l’indépendance de leur pays. Il faut savoir que des places et des rues dans les principales villes d’Algérie portent leurs noms.

- Signé : Jean Galland, premier Français interdit de séjour en Algérie en avril 1955 au titre de la loi sur l’état d’urgence.
- Le 28 novembre 2005.

2 Messages

  • Bonjour,
    Il est maintenant admis que De Gaulle est revenu au pouvoir pour abolir l’Algérie française et qu’il a été appelé par la classe politique dans ce but. Il a fallu 20ans, après sa mort, pour le savoir ! De lààimaginer que la rebellion algérienne fut montée par la France, ce n’est qu’un pas de plus dans l’incroyable. Cela ne veut pas dire que l’aspiration àl’indépendance n’existait pas mais qu’elle fut instrumentée. Et, dans cette configuration, ce ne put qu’être facile pour des raisons évidentes. Mais pourrait bien expliquer la raison des 4 années de guerre menée par un homme qui était déterminé à" larguer " l’Algérie. Je sais que le temps passe vite mais 4 ans, quand même !

    • > Algérie : qui la vérité dérange-t-elle ? 29 mai 2006 10:30, par Jean-Pierre Combe

      - Vous admettez que le général De Gaulle est revenu au pouvoir en 1958 dans le but de mettre fin àla guerre d’Algérie : pour ma part, j’ai entendu exposer et argumenter cette thèse dès 1963, et ensuite, àdiverses reprises. Mais ses arguments ne m’ont jamais convaincu, et nombre d’entre eux entrent en contradiction avec ce que j’ai moi-même vécu en France (je n’ai jamais mis les pieds en Algérie). Je maintiens donc que cette thèse est douteuse.
      - D’un autre point de vue, je ne prétends pas que la rébellion algérienne fut montée par la France ; au contraire, je publie ici un témoignage qui me semble montrer le contraire par deux raisons :
      - La première raison est que le jeune Français habitant l’Algérie qu’était alors son auteur développait une activité politique de nature àouvrir les voies pacifiques d’une résolution des problèmes posés là-bas par le colonialisme, c’est-à-dire les voies pacifiques de la fin du colonialisme ;
      - Le deuxième raison est que tout ce témoignage prouve que ce n’est pas "la France" qui est en cause, mais seulement l’administration coloniale et les profiteurs du colonialisme, dont il n’était pas, dont je ne suis pas non plus, et dont je ne connais aucun exemple dans mon entourage.
      - J’appelle profiteurs du colonialisme ceux qui tiraient matériellement profit du statut politique et économique des colonies.

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