C’est l’objet de la cabale qu’ils viennent de monter contre le professeur Annie Lacroix-Riz, professeur d’histoire à l’Université de Paris-7, afin d’obtenir qu’elle soit censurée par le gouvernement, ou même révoquée. Quels sont les faits sur lesquels cette cabale se fonde ?
Dame Geneviève Hunault, née Mostowyk-Kulinska et demeurant dans la Mayenne, animatrice de cette cabale, a écrit à Monsieur Favennec, député UMP de ce département, pour accuser le professeur Annie Lacroix-Riz « de s’employer à nier la réalité de la grande famine de 1932-1933 » qui aurait, selon les termes de sa lettre, « entrainé sept millions d’Ukrainiens dans la tragédie » et dont « la responsabilité génocidaire incomberait entièrement au régime stalinien ».
Pour que le professeur Annie Lacroix-Riz soit coupable de nier la réalité de cet évènement, il faut d’abord qu’il ait eu une réalité. En est-il ainsi ?
Dame Hunault nous dit que cet événement aurait entraîné sept millions d’Ukrainiens dans la tragédie.
Soyons précis : de quelle tragédie s’agit-il ?
Le fait qu’elle le qualifie de « génocidaire » donne à son lecteur l’idée que cette tragédie serait la mort. Le fait est que les documents allemands, italiens ou états-uniens d’origine raciste qui traitent du même sujet attribuent à cette famine d’avoir causé entre trois millions et dix millions de morts.
Mais Dame Hunault est prudente : elle n’emploie pas le mot ; sans doute a-t-elle conscience de ce que si la faim avait tué sept millions d’habitants sur les vingt cinq millions que comptait l’Ukraine en 1931, soit 28 %, les étrangers qui parcouraient l’Ukraine cette année-là n’auraient pas manqué de le voir, et la plupart ne se seraient pas fait faute d’en faire état ! Sans doute aussi a-t-elle pris bonne note de cette vérité que souffrir de la faim est une tragédie, même pour celui qui n’en meurt pas, et même si l’alimentation finit par redevenir suffisante ! Donc, quoi qu’elle pense du nombre des morts, elle n’a pas placé dans sa lettre ce nombre de sept millions comme un argument factuel, mais comme un argument d’ambiance dont le but est de détourner le lecteur de la tentation de discuter le qualificatif de « génocidaire » qu’elle emploie.
Elle n’a donc pas l’intention de discuter sur le nombre des victimes, et elle a bien raison parce que ses sources sont terriblement douteuses !
Dans ces conditions, que reste-t-il des griefs que Dame Hunault nourrit à l’encontre du professeur Annie Lacroix-Riz ?
Une famine organisée par « le régime stalinien » pour commettre un génocide.
Cet événement a-t-il une réalité ?
Dame Hunault ne le prétend pas non plus explicitement ! La seule réalité qu’elle prétende établie est celle de la responsabilité génocidaire du régime stalinien.
Quelles sont ses preuves ?
Sa lettre ne fait état d’aucune preuve historique : tous ses arguments sont des décisions politiques prises ces derniers mois par des instances parlementaires ou gouvernementales ; de tels arguments refusent la critique, au contraire des preuves historiques, qui ne valent et ne conduisent à la connaissance que lorsqu’elles sont prises dans les mouvements contradictoires de raisonnements critiques. Apparemment, Dame Hunault n’aime pas être mise en critique !
Sur le fond, une seule conclusion est possible : la cabale contre le professeur Annie Lacroix-Riz est un tissus d’affirmations sans fondements historiques auxquelles il faudrait accorder foi par raison d’Etat !
Donc, que peut-on dire de la réalité ukrainienne de 1931, 1932 et 1933 ? Par quel récit dont tous les moments sont accessibles à la discussion qui naitra de la découverte de nouveaux documents ou de la vie, laquelle requerra forcément un jour de nouvelles recherches, par quel récit pouvons-nous relater ces évènements ?
Au début des années trente, la fin de la nouvelle Politique économique (NEP) et la mise en euvre de la planification soviétique marquaient la vie économique et politique de tout le pays soviétique, et en particulier de l’Ukraine.
Pour schématiser, la fin de la NEP signifiait la suppression du marché libre où les paysans pouvaient spéculer sur leurs produits, et par la planification, l’Etat entrait en fonction d’acheteur prioritaire des produits agricoles qu’il revendait dans ses magasins aux habitants des villes, aux ouvriers,...
Certains paysans avaient profité de la NEP pour s’enrichir et refusaient de vendre leurs produits à l’Etat : pour cela, ils détruisaient les récoltes, n’ensemençaient plus leurs terres, abattaient le bétail, chevaux compris (les tracteurs agricoles étaient encore rares), et compensaient leurs pertes par du marché noir. Ils ont réussi de cette manière à bloquer l’approvisionnement des villes et des paysans pauvres : il y a bien eu de graves difficultés alimentaires dans le pays soviétique, et pas seulement en Ukraine. Mais le nombre des morts qu’elles ont causés est très inférieur à ce que prétendent les sources de Dame Hunault, et la responsabilité des paysans riches, qui défendaient leur richesse en refusant de vendre à l’état et préféraient le marché noir et la destruction des récoltes et du cheptel, y est directement et lourdement engagée.
La « grande famine ukrainienne organisée par le régime de Staline » est donc un bobard. D’où vient ce bobard ? Il vient de gouvernements et d’institutions contre-révolutionnaires qui ont exploité la réalité du pays soviétique en exagérant outrageusement les difficultés alimentaires qui y étaient apparues et leurs conséquences, et en faisant le silence sur la lutte réelle que la bourgeoisie rurale russe et ukrainienne menait, en prenant parfois l’initiative de la violence armée, pour se maintenir en position dominante dans l’économie soviétique. En 1933, les principaux gouvernements contre-révolutionnaires européens étaient celui de Mussolini en Italie et celui de Hitler en Allemagne. Les sources de Dame Hunault sont les propagandes nazie, fasciste et vaticane.
Car le sommet de la hiérarchie de l’église catholique, apostolique et romaine a toujours, depuis 1917, lutté contre la Révolution russe et contre le pouvoir soviétique, comme il a lutté contre la Révolution française et contre la République.