ceux des journalistes qui essayaient d’échapper aux propos unilatéraux qu’une telle représentation engendre sont toujours restés peu nombreux et de plus, cantonnés à une presse dont la diffusion était réprimée par les capitalistes de l’information.
La représentation qui fait de Staline un dictateur solitaire sachant tout, décidant de tout, portant toutes les responsabilités, est la source unique de deux mythes que cultive la presse écrite, parlée et télévisée contrôlée par les capitalistes, et dont elle se sert de manière à aveugler les citoyennes et les citoyens sur l’histoire de l’URSS et sur la vie des femmes et des hommes qui habitent les pays dont elle était faite.
Selon le plus répandu de ces mythes, Staline aurait été un tyran et l’histoire de l’URSS n’aurait rien été d’autre que qu’une succession de crimes massifs.
L’autre mythe s’oppose à celui-là comme le moule au modèle, creux pour bosses et bosses pour creux : Staline aurait été, au contraire, le dictateur providentiel à qui les Soviétiques seraient redevables de tous les progrès accomplis par la société soviétique dans les domaines de l’industrie, de l’instruction publique, de la santé, etc..., ainsi que de la victoire sur le racisme (le nazi-fascisme) européen.
Ceux qui gouvernent en France la presse capitaliste utilisent ces deux mythes concurremment pour fermer au public l’accès à l’étude historique de l’URSS en général et du gouvernement soviétique en particulier. Voici comment ils procèdent :
- ils maintiennent le premier mythe en position dominante, parce qu’il représente bien leurs intérêts de propiétaires des capitaux fonciers, industriels, commerciaux et financiers actifs dans notre pays comme désormais dans toute l’Europe ;
- lorsque les outrances auxquelles il donne lieu provoquent des remous, les chefs de la presse capitaliste mobilisent le second mythe, y absorbent bon gré mal gré les critiques qu’encourt le premier et les protestations contre ses outrances ; ils lancent ainsi une polémique facile à entretenir jusqu’à ce qu’elle arrête toutes les tentatives de recourir aux documents pour répondre aux questions de fond dont procède la polémique, noyant ainsi le besoin populaire d’histoire ; cette polémique s’épuise en confirmant dans sa position dominante, dominant même l’histoire, le mythe du Staline tyran archétype de tous les tyrans ; quant aux citoyennes et citoyens qui cherchent à connaître le passé de nos sociétés, ces messieurs leur imposent en guise de vérité la représentation péremptoire, préfabriquée, calibrée aux intérêts des grands capitalistes qui dominent et exploitent le monde, et fausse !
La représentation qui fait de Staline l’homme qui gouvernait seul, sachant tout, décidant de tout, auquel chacun s’adressait avant d’agir, est bien une abondante source de mensonge.
Car, dans aucun pays du monde, un tel homme ne peut exister. Même les rois de droit divin, même les tsars autocrates ne gouvernaient pas seuls.
Staline était un homme, rien qu’un homme ; il n’avait certes pas moins de capacités qu’un roi ou qu’un tsar, mais il n’en avait pas plus : il était de ce point de vue un homme comme tous les hommes.
Dirigeant le PCUS et le gouvernement de l’URSS, il en assumait les responsabilités, mais celle ou celui qui cherche à étendre et à diffuser la connaissance de l’histoire n’a pas le droit d’oublier ni de faire oublier que les autres membres du gouvernement prenaient aussi et assumaient de grandes responsabilités, ni qu’il en était de même de tous les chefs de tous les niveaux de toutes les administrations : Staline ne peut répondre qu’indirectement des responsabilités de la plupart des ministres ; quant à celles des directeurs des administrations, la plus grande partie lui échappe. Cela résulte simplement de ce que sont les limites de l’être humain individuel.
Faire de Staline un dictateur solitaire et universel n’est pas seulement un mensonge : c’est aussi une injustice ; il est injuste en effet, pour le meilleur et pour le pire, de dissimuler les responsabilités des autres dirigeants politiques et administratifs de l’URSS.
Telle est donc la source du mensonge ; pour bien en mesurer le débit, il faut encore remarquer que la polémique des deux mythes, en mettant en scène l’affrontement du Staline tyran et du Staline dictateur génial et bon, maintient dans l’ombre trois autres catégories d’acteurs de l’histoire de l’URSS :
- l’une, très importante par ses significations politiques, réunit les débris de l’ancienne aristocratie tsariste, des hiérarchies religieuses et de la bourgeoisie russe. Certes, ces classes privilégiées avaient été vaincues par la révolution d’octobre 1917, leurs propriétés confisquées, leurs éléments les plus violents tués dans les combats révolutionnaires, ou jugés et exécutés ou déportés, leurs éléments les plus éminents en général exilés, mais de nombreux membres de ces classes vaincues avaient gardé place dans la société post-révolutionnaire, et certains n’ont jamais accepté de vivre du travail de leurs mains ni cessé de nourrir le rêve d’exploiter le travail d’autrui et de rétablir à cette fin les privilèges dont la révolution les avait privés ;
Staline, devrait-il répondre de ce qu’ont fait ces gens ? et s’il le devrait, comment le pourrait-il ? - l’autre est l’effet des relations d’état à état dramatiquement établies entre l’URSS et les autres pays du monde : ces autres pays étaient dirigés par les grands capitalistes et ceux-ci ont vu leur gouvernement essentiellement menacé par la révolution d’octobre 1917, puis par le pouvoir soviétique ; ils ont aussitôt mobilisé les états qu’ils contrôlaient pour les combattre : ce fut d’abord, de 1917 à 1927, l’intrusion des armées allemandes, américaines, anglaises, française et japonnaise dans ce qui fut l’empire des tsars ; cette intervention directe finalement vaincue par l’armée rouge fut continuée sans délai par l’espionnage, auquel participait le Vatican, et, de la part des états nazis, fascistes et autres racistes, par du sabotage économique et politique ;
Staline, à quel titre pourrait-on lui attribuer la responsabilité de toutes ces interventions criminelles, si ce n’est pour faire oublier quels en furent les véritables coupables ? - La troisième catégorie d’acteurs de la politique et de l’économie de la Russie des soviets et de l’URSS, c’est le peuple de l’ancien empire des tsars, que cette histoire rédigée par les classes exploiteuses baillone autant et plus qu’elle baillone le peuple français et tous les autres peuples exploités.
Il est vrai que Staline prétendait gouverner dans les intérêts du peuple ; mais il n’aurait vraiment rien pu en connaître s’il avait gouverné seul !
Si sommaire soit-elle, cette mise au point me semble jeter un peu de lumière sur le méfait que commettent contre l’histoire, donc contre l’humanité, ceux qui nourrissent les deux mythes engendrés par l’image de Staline gouvernant seul.
Mais alors se pose une question : qui a intérêt à commettre ce méfait ? Qui a intérêt à maintenir cette image et à agiter l’un ou l’autre de ces mythes ? Et par conséquent, parce que c’en est une conséquence, qui a intérêt à cacher les responsabilités bonnes ou mauvaises des autres acteurs du gouvernement soviétique, des autres dirigeants du PCUS, celles des états étrangers agissant au moyen de leurs armées et de leurs services d’espionnage, celles des anciens privilégiés, aristocrates, grands prêtres ou bourgeois s’efforçant de rétablir leurs privilèges et ne reculant pas devant le crime pour cela, et, d’un autre point de vue, qui a intérêt à laisser dans l’ombre l’histoire sociale, l’histoire des peuples de ce qui fut l’URSS ?
Une chose est certaine : les communistes n’y ont aucun intérêt !
Quant à moi, je l’ai toujours su : si je ne l’ai pas fait apparaitre dans libérez l’esprit critique, c’est parce qu’alors, ma préoccupation prioritaire était de comprendre la mutation qui faisait sortir le PCF du communisme, et comment les chefs de cette mutation la justifiaient d’évènements sur lesquels le PCF n’avait jamais eu de prise, dans lesquels il n’avait jamais été impliqué.
Cette préoccupation écartée par l’étude exposée dans Libérez l’esprit critique, il faut maintenant remettre au premier plan les questions que pose l’histoire de la Russie soviétique et de l’URSS, et celles que pose le gouvernement de Staline ; cette nécessité est confirmée par la montée du danger raciste (nazi-fasciste) dans toute l’Europe et en particulier en France : le mouvement raciste se nourrit en effet de tous les mythes qui obscurcissent l’histoire, qui la rendent inaccessible aux membres du peuple, et je viens de montrer que les représentations mythiques de Staline sont de tels mythes, et des plus noirs.
Il faut donc remettre à l’étude historique les questions de l’histoire de la Russie soviétique et de l’URSS et celles du gouvernement de Staline, et pour cela réfuter toutes les gesticulations mythologiques dont Staline est l’objet.