L’ouvriérisme, du point de vue communiste
Le point de vue communiste est celui sur lequel se place la femme ou l’homme qui veulent libérer l’être humain individuel et collectif en libérant le travail, qui est aujourd’hui contraint et enchaîné dans les règles de la propriété bourgeoise, par lesquelles la bourgeoisie possède les capitaux à titre privé et s’approprie le profit à titre privatif : l’ouvrière, l’ouvrier est un humain qui fait le travail, ce qui le place sous la contrainte de la propriété bourgeoise. Du point de vue communiste donc, l’ouvrier est d’abord un être humain qui subit une contrainte illégitime et dont la revendication de vivre dignement, elle, est légitime : pour les communistes, une vie humaine digne est la vie d’un être humain libre, qui ne subit pas la contrainte de l’exploitation de classe, pas plus celle de la classe bourgeoise que celles des classes aristocratiques ou féodales d’autrefois.
Pour cette raison, l’action communiste prend l’être humain individuel et collectif pour référence, la dignité de la vie de chaque être humain individuel pour critère et la liberté individuelle et collective pour objectif ; quant à l’organisation communiste, son principe de démocratie ne lui permet pas de donner à certains communistes quelque privilège que ce soit : on le voit ici, l’ouvriérisme ne peut être pour les communistes qu’une interprétation erronée, un leurre ou une caricature, ou les trois à la fois.
Les usages faits de ce mot dans l’histoire du communisme
Remontons l’histoire : il y a quelques années, certains communistes se mêlaient de dénoncer les dérives anticommunistes que certains dirigeants imprimaient au PCF, et qui ont préparé sa mutation ; les dirigeants de leurs fédérations communistes ont fait contre eux un usage contradictoire de l’étiquette ouvriériste : ils ont en effet donné à ce mot deux sens parfaitement incompatibles, donnant l’image d’une politique incohérente.
Les chefs mutants de la fédération du Pas de Calais ont paradé de leur passé ouvrier pour accuser leurs contradicteurs communistes d’être des « intellos », c’est-à -dire des petits bourgeois qui n’ont rien à dire dans le parti. Ceux des fédérations de la Corrèze et de la Haute-Vienne, par contre, n’avaient aucun passé ouvrier : ils avaient en effet été recrutés comme permanents après avoir passé une ou deux années dans l’enseignement supérieur ; leur idée directrice, c’était de professionnaliser les emplois de permanents, leurs propres emplois, et chaque progrès de cette professionnalisation faisait d’eux des fonctionnaires d’appareil qui agissaient comme s’ils étaient propriétaires de leur emploi ; quant à leur idéologie, ils l’avaient acquise dans les lycées d’enseignement général et les universités de notre beau pays, et nous savons que ces établissements tiennent de la bourgeoisie l’essence même de leur mission : étroitement contrôlés par elle, ils inculquent à leurs élèves et étudiants l’idéologie bourgeoise, qui pervertit ou rend inactifs les concepts de l’Å“uvre de Marx et d’Engels.
Certains enseignants, soucieux de vérité, ont souvent fait effort pour compenser les falsifications bourgeoises, mais dans le cadre de ces établissements, ils n’y sont jamais parvenus que partiellement : ni les lycées, ni les établissements français d’enseignement supérieur n’ont jamais enseigné le socialisme scientifique. Un Georges Politzer, par exemple, qui est à ce jour l’auteur de l’un des enseignements du socialisme scientifique les plus complets, n’a pu le faire pour la plus grande partie et pour l’essentiel qu’en dehors du lycée où il était affecté, en contribuant à la vie du parti communiste et en apportant sa contribution à l’Université populaire.
Pour s’instruire du socialisme scientifique, il fallait et il faut toujours faire soi-même un gros travail de lecture critique de la documentation écrite laissée par les communistes des générations précédentes et de participation consciente à la lutte des classes. Les chefs mutants de la Corrèze et de la Haute-Vienne ne l’ont fait que très superficiellement, préférant toujours l’illusion moderniste à la connaissance de l’histoire : ils étaient eux-mêmes, tant par leur être social que par leur idéologie, des petits-bourgeois ; il n’était donc pas question pour eux de se parer du titre d’ouvrier : ils ont accusé les communistes d’ouvriérisme !
L’ouvriérisme, décidément, ça sert à tout ! Le fait est que du point de vue communiste, le mot ouvriériste n’est qu’une étiquette qui se colle ou se décolle au gré du vent et de la pluie.
Auparavant, dans le parti communiste, j’avais aussi entendu utiliser ce mot à propos de la période où les communistes s’efforçaient de trouver des militants capables de former une véritable direction communiste ; ils étaient révoltés par les trahisons des directions social-démocrates de l’ancien Parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, principalement composées de petits-bourgeois ; les errements des premières directions du parti communiste français, qui ne s’étaient pas libérées de l’idéologie petite-bourgeoise, les avaient encore échaudés : les communistes s’efforçaient d’élire des ouvriers à tous les niveaux de direction du parti. Etait-ce vraiment un parti pris discriminatoire, que l’on pourrait appeler « ouvriérisme », ou la volonté de faire cesser la réelle discrimination anti-ouvrière qui naissait de la facilité avec laquelle les intellectuels petits-bourgeois acceptent d’être élus aux fonctions de représentation et de direction ? Mes interlocuteurs donnaient l’une ou l’autre de ces deux interprétations selon l’opinion bonne ou mauvaise qu’ils avaient de la direction communiste dont l’ouvrier mineur Maurice Thorez était le secrétaire général.
L’ouvriérisme est une étiquette caricaturale sans signification réelle et qui peut servir à véhiculer tous les mauvais coups.
Il faut rapprocher ce mot d’ouvriérisme d’un autre mot, celui d’économisme, qui désigne une tendance de la social-démocratie russe, présente aussi dans les autres partis de l’Internationale ouvrière, contre laquelle Lénine a rédigé son ouvrage « Que faire ? » édité à Stuttgart en 1902.
Les militants de cette tendance « économiste » posaient en principes que « l’ouvrier lui-même devait se charger de son sort en l’arrachant des mains de ses dirigeants », que « l’importance mise sur l’idéal politique obscurcissait la base économique du mouvement », qu’« il fallait donc écarter l’idéal politique pour éclairer la base économique », et proposaient de recentrer le mouvement sur la lutte économique et de cesser de se soucier de lutte politique, car selon eux, la politique suivait toujours docilement l’économie : un de leurs mots d’ordre était : « Les ouvriers pour les ouvriers ! »
En somme, ces militants très approximativement nommés « économistes » avaient élaboré une théorie de l’ouvriérisme dont ils se servaient pour chasser les communistes (les militants révolutionnaires, qui étaient marxistes) des directions du mouvement ouvrier russe et, naturellement, pour prendre leur place dans ces directions, avec pour objectif et pour méthode de renoncer au plan politique de la lutte des classes, donc aussi à la lutte de classe elle-même, et par conséquent à la perspective révolutionnaire.
Le leurre ouvriériste : comment il fonctionne
L’ouvriérisme est un leurre : il ressemble à une étiquette commode permettant d’abréger la désignation du principe du communisme qu’est la prise du parti ouvrier dans la lutte des classes.
Mais brandir l’ouvriérisme a pour effet de faire oublier le mouvement de prendre parti au sein de cet autre mouvement qu’est la lutte des classes : or précisément, c’est là que se trouve toute la complexité du mouvement réel de l’humanité, avec son essence, la lutte des classes, et le moyen d’influencer le mouvement, qui est la prise de parti ; et justement, le militant communiste qui omet de prendre le parti ouvrier dans la lutte des classes cesse dans cet instant même d’être communiste, même si ce n’est qu’un oubli.
Sur tout cela aussi, il nous faudra revenir, nécessairement !