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Les Å“illères papistes de Nicolas Sarkozy

Sur la culture

lundi 4 février 2008, par Jean-Pierre Combe

- Monsieur Sarkozy a été reçu avec faste au Vatican : il a accepté d’y devenir chanoine, et s’est empressé d’en remercier le Pape. Son discours de remerciements vaut d’être relu et étudié : par le fait que la visite de Monsieur Sarkozy est officielle, par les formulations de son discours, choisies pour engager tous les Français derrière ses thèses, par le contenu menteur et réactionnaire dont elles sont chargées, ainsi que par la déclaration d’obéïssance au Pape et de fidélité cléricale qu’il contient, ce discours est, àproprement parler, scandaleux.



Sur la place qu’occupe en France la religion catholique, apostolique et romaine

- Une première cause de ce scandale est que si nous en croyons les radios et télévisions, Monsieur Sarkozy aurait soutenu qu’« en cette période de perte de repères, la religion catholique nous est nécessaire ». Le texte diffusé par l’Elysée est sensiblement différent : il y est dit en effet que « la France a besoin de catholiques pleinement chrétiens et de chrétiens pleinement actifs ».
- Ces thèses sont fausses, purement et simplement.
- En effet, s’il est vrai que la religion catholique est nécessaire aux Français qui ont la foi catholique, ce sont les seuls Français àqui elle est nécessaire : elle n’est nécessaire ni aux protestants, ni aux juifs, ni aux musulmans, ni aux croyants des nouvelles religions de France que sont par exemple le boudhisme et le christianisme orthodoxe, ni aux agnostiques, ni aux athées... Cela fait beaucoup de monde en France àqui la religion catholique n’est pas nécessaire, et nous allons y revenir. Mais le nombre n’est pas l’essentiel : en effet, ce n’est pas sur le plan social, sur le plan de leurs relations sociales, que les croyants ont besoin de leur religion : c’est dans leur vie privée, sur un plan très intérieur, voire intime, qu’ils en ont besoin.
- Notre loi de séparation des Eglises et de l’Etat, votée en 1905, a reconnu le caractère privé du fait religieux : c’est parce qu’elle contient cette reconnaissance que cette loi constitue le fondement de la paix religieuse en France. Sur ce point aussi, nous reviendrons.
- Cette vérité, que le besoin de sa religion qu’éprouve le croyant est un mouvement de sa personne privée et seulement de sa personne privée, fonde cette autre vérité que le croyant n’a pas besoin de sa religion pour nouer ses relations sociales et vivre en société ; mais cette double vérité n’est pas reconnue au même niveau par toutes les religions, ni, au sein de chaque religion, par tous ses fidèles.
- C’est ainsi que l’Islam se fonde infiniment plus fortement dans la vie privée de ses fidèles que dans leur vie sociale ; le judaïsme aussi, et c’est cette capacité d’enseigner sa foi en-dehors de tout rite public qui lui a permis de résister àdeux millénaires de répression ininterrompue par toutes les églises chrétiennes sans exception et par les princes qui professaient ces religions.
- Par contre les religions chrétiennes exigent de leurs croyants qu’ils maintiennent une relation publique d’obéïssance àceux des prêtres habilités àprononcer les sacrements.
- Cette différence entre les religions n’est pas totale : toutes les religions ont quelque part dans leurs textes sacrés ou dans leurs dogmes quelques principes, et dans leur histoire la mise en Å“uvre de ces principes, susceptibles de mobiliser leurs fidèles afin d’appliquer àautrui la violence collective sans s’arrêter devant le génocide : il n’y a pas de paix religieuse si les humains n’assurent pas la laïcité de leurs institutions communes. Les Français ont créé la laïcité de leurs institutions communes par les actes révolutionnaires qui mettaient fin aux interminables conflits, périodiquement sanglants, qui opposaient catholiques et protestants depuis le Moyen Age, et que le royaume de France avait toujours été incapable de résoudre.
- Dans son discours, Monsieur Sarkozy affirme que « la religion catholique est la religion majoritaire de la France ». C’était l’argument de Napoléon Bonaparte pour rédiger et signer un concordat avec le Pape. C’était encore vrai àcette époque, mais déjà, faire de cette réalité un argument favorable au Concordat nécessitait de faire taire les souvenirs de la Révolution : en effet, les Français qui avaient fait réellement la Révolution étaient en majorité catholiques et n’avaient pas pour ambition d’interdire aux Français d’être chrétiens ; ils avaient seulement reconnu le fait que les liens de soumission qui liaient le royaume au Pape étaient malsains, source de conflits de la plus grande gravité entre les habitants de la France et source de contraintes sur la vie publique et personnelle des catholiques ; pour ces raisons, ils avaient décidé de rompre ces liens, de mettre fin a cette dépendance, ce qui n’impliquait pas que les catholiques cessent d’être catholiques ; pour rétablir ces liens, il fallait imposer la thèse selon laquelle la Révolution était anti-chrétienne, et pour cela, faire violence àl’histoire : seul, un dictateur comme l’était Napoléon Bonaparte pouvait le faire. Qu’en majorité, les Français soient alors catholiques n’était pas un argument favorable au Concordat, mais le dictateur Napoléon n’en avait cure : tout ce qu’il voulait, c’est devenir un « saint empereur », et d’ailleurs, au prix de flots de sang, il y a réussi !...
- Mais aujourd’hui, qu’en est-il ?
- Il y a en France beaucoup de catholiques, c’est vrai. Mais beaucoup de Français n’obéïssent pas au Pape : les protestants, les juifs, les musulmans, aujourd’hui nombreux, les orthodoxes, les boudhistes... N’obéïssent pas non plus au Pape les agnostiques, très nombreux, et les athées... En vérité, les Français qui n’obéïssent pas au Pape sont aujourd’hui plus nombreux que ceux qui lui obéïssent : les Français qui ne sont pas catholiques sont plus nombreux que les catholiques.
- Monsieur Sarkozy, vous mentez : la religion catholique n’est plus majoritaire en France.

Sur la « perte des repères »

- Selon les radios et télévisions, un argument de Monsieur Sarkozy est que nous vivrions « une période de perte de repères » Qu’est-ce que cela veut dire ? Il a précisé dans son discours de remerciements au Pape que selon lui, la France est « dans un monde paradoxal, obsédé par le confort matériel tout en étant de plus en plus en quête de sens et d’identité ». Ce n’est qu’un changement de vocabulaire : ces deux arguments ont àtrès peu près le même sens.
- Les journalistes stipendiés sur les fonds de propagande du parti capitaliste emploient souvent, et généralement en très mauvaise part, cette expression de « perte de repères » ; ils le font pour commenter les délits que commettent parfois certains jeunes, et aussi chaque fois que quelque événement violent agite une banlieue ou un quartier sensible ; la « perte de repères » leur tient lieu d’explication ; et comme personne ne leur fait remarquer que cela n’explique rien (il y a quelques années, on avait appelé cela « le silence des intellectuels »), leurs explications vides nourrissent une compréhension illusoire.
- Cette baudruche a été vulcanisée et gonflée, préparée de très longue main par les amis de Monsieur Sarkozy, et lui-même y a beaucoup contribué, et pas seulement lorsqu’il était ministre de l’Intérieur ; cette explication illusoire sert àdétourner les Français des causes directes, réelles et véritables de leur mal-être et du malaise des banlieues que sont :

  • au travail : la diminution incessante des salaires et des retraites réels, le travail précaire, la déqualification du travail, les suppressions de postes de travail, les fermetures d’usines, l’externalisation du travail, les restructurations, la surexploitation de ceux que l’on ne licencie pas, les délocalisations, l’augmentation incessante du chômage ;
    - dans les villes :la dégradation profonde des services publics, le chômage, l’importation de main-d’Å“uvre organisée clandestinement par le patronat capitaliste, la misère consécutive àtout cela...
    - dans les campagnes : la mise àmal de l’agriculture, la désertification... ;
    - dans les écoles, collèges et lycées : la dégradation profonde des contenus enseignés en histoire, en géographie, en calcul, en grammaire et analyse logique des discours et des textes, en sciences physiques et naturelles, la dégradation profonde des conditions d’études faites aux écoliers, aux collégiens et aux lycéens, la dégradation profonde des conditions d’études et de travail faites aux futurs professeurs, et celle des conditions de travail des professeurs ;
    - dans la cité : le démantèlement des institutions de la République et notamment des communes, la perversion étatique du mouvement associatif,... ;
    - dans la vie publique : la pauvreté abêtissante des programmes offerts par la télévision, le caractère de plus en plus illusoire et dérisoire de l’agitation que l’on nous présente sous le nom de politique ;
    - et malheureusement, cette liste n’est pas exhaustive...

- Voilàles causes du mal-être et du malaise qui frappent les membres du peuple de France, et voilàce que les journalistes et politiciens stipendiés par les trésoriers du parti capitaliste et aux ordres de ce parti veulent nous cacher lorsqu’ils agitent la « perte des repères ».
- La perte des repères est un leurre, Et Monsieur Sarkozy est un manipulateur de l’opinion publique.

Sur la place du christianisme dans la culture française

- Reçu au Vatican et fait chanoine, Monsieur Sarkozy s’est réclamé de l’« héritage chrétien de la France ». Qu’il emploie cette expression n’est pas àson honneur, ni àl’honneur du christianisme : cela dénote plutôt une inculture crasse : il réduit en effet la contribution du christianisme ànotre culture àl’apport d’un capital que, en notre qualité d’héritiers, nous aurions àaccepter ou àrefuser et, en cas d’acceptation, àfaire fructifier. Mais la culture est un mouvement que l’on ne peut réduire àla transmission par héritage d’un capital et àsa mise en valeur par les héritiers.
- Le mouvement de notre culture nationale s’est constitué en intégrant en effet divers mouvements culturels en un mouvement culturel d’ensemble. Celui-ci évolue désormais selon sa propre dynamique, qui lui ouvre des domaines inaccessibles àchacune des cultures composantes lorsqu’elle évolue selon sa dynamique propre ; la dynamique d’ensemble est naturellement influencée par la dynamique de chacun des mouvements de culture qui le composent, mais elle est différente de chacune d’elles, et elle influence aussi les dynamiques de ces mouvements composants.

Sur les sources chrétiennes de la culture française

- Monsieur Sarkozy chausse ses Å“illères papistes parce qu’il ne veut pas voir d’autres sources de notre culture que celles-là.
- Au même titre que toutes les religions, le christianisme est une source de culture : c’est réellement une des sources de la culture française. Elle s’est divisée plusieurs fois dans son histoire en sources contradictoires. Au Moyen Age, ce fut d’abord le « schisme d’Orient », qui fit naître le catholicisme dans l’ouest de l’ancien empire romain, et, àl’est, le christianisme orthodoxe. Le royaume des Francs, puis de France, situé àl’ouest, fut catholique. A la fin du Moyen Age, ce furent les schismes protestants, qui divisèrent les Eglises d’occident : la source catholique de notre culture s’est alors divisée en une source catholique, encadrée et disciplinée àla manière d’une administration d’Etat (ou plus exactement, d’une administration impériale), et en une source protestante diversifiée en plusieurs nuances. Aujourd’hui, depuis plusieurs décennies, la source orthodoxe est venue concurrencer les autres sources chrétiennes dans la contribution chrétienne ànotre culture.
- Dans le domaine décisif des modes de division et de travail de la terre, de l’architecture et de l’aménagement du territoire, la contribution chrétienne ànotre culture tient presque tout entière dans l’importante Å“uvre agronomique des moines cisterciens, dans l’entretien des ponts du Rhône par les frères pontifes et dans le remplacement des temples gallo-romains par des églises ou des cathédrales.
- En philosophie, nous devons au mouvement catholique de la culture l’interdiction d’accéder aux sources grecques : cette interdiction a causé le schisme protestant.
- En sciences, nous lui devons l’enfermement de la connaissance dans un ghetto verrouillé par la haute Eglise, et son résultat, l’obligation imposée aux savants de se révolter durement, au prix de leur vie, contre l’autorité du Pape, simplement pour étudier la nature et pour accéder aux sources arabes et grecques de la culture : la Renaissance en sciences et en philosophie procède de la réussite, chèrement payée, de cette révolte.
- Dans ces deux domaines, la source catholique a apporté àla culture française une contribution réellement nulle et moralement négative.

Sur les sources religieuses non chrétiennes de la culture française

- A travers ses Å“illères papistes, Monsieur Sarkozy ne les voit pas. Ce sont d’abord le judaïsme et l’Islam ; depuis quelques années, nous trouvons encore le boudhisme.
- La présence physique du judaïsme est attestée sur notre territoire depuis le Moyen Age. Si modeste que soit le nombre des Juifs de notre pays, ce serait une erreur profonde que de négliger la contribution du judaïsme ànotre culture : deux mille ans durant, la vie culturelle des Juifs était tantôt menacée tantôt frappée par la répression exercée contre le judaïsme par les Eglises chrétiennes et par les princes et rois qui obéïssaient àces Eglises ; cette menace permanente de catastrophe que n’interrompait que la catastrophe elle-même conditionnait étroitement la vie des croyants du judaïsme et limitait très strictement leur activité économique : si le judaïsme a survécu àdeux mille ans de répression, c’est parce que cette religion peut être enseignée en-dehors de tout rite public, et parce que les Juifs ont appris àtravailler dans des métiers ne nécessitant qu’un outillage léger et facilement transportable, un minimum d’investissement en mobilier et dont les produits peuvent être vendus très cher ; parce qu’ils ont appris àfaire commerce des objets portant la plus grande valeur possible sous le plus petit volume possible ; ils ont marqué l’artisanat de luxe et la banque de leur empreinte culturelle.
- Dès la fin de la première croisade, l’Islam a influencé l’architecture des édifices de la religion catholique : il a fortement contribué àla naissance du style gothique de nos cathédrales.

Sur les sources non religieuses de la culture française

- Ses Å“illères papistes rendent Monsieur Sarkozy totalement aveugle lorsque les sources non religieuses de la culture française se présentent àlui. Parmi les mouvements culturels autres que religieux, nous trouvons les civilisations basque et gauloise (présentes sur notre territoire avant qu’existe le christianisme), grecque (qui commerçait avec la Gaule du sud), puis romaine (imposée par la force des armes et au prix de flots de sang), franque (les tribus franques s’étant installées en Gaule avant de devenir chrétiennes).
- Par les liens commerciaux établis en Gaule dès avant la colonisation romaine, qui furent maintenus et développés pendant l’empire romain, la civilisation grecque a beaucoup plus apporté ànotre culture que la religion chrétienne.
- La colonisation romaine nous a laissé les modes selon lesquels notre terre est partagée et travaillée et nos villes ont été construites : ces modes essentiels àl’évolution de la culture ne procèdent donc pas du christianisme.
- Dans le domaine des modes de régulation de la cité, deux sources antérieures au christianisme interfèrent sur notre territoire : le mode écrit du droit élaboré par la Rome antique, et le mode coutumier des Celtes et des Francs.
- En philosophie et en sciences, les sources arabes, mais aussi les sources grecques étaient tenues accessibles aux savants du monde dans les riches bibliothèques des ville arabes : les savants d’occident ont pu en bénéficier pour nourrir leurs travaux malgré l’interdit que l’Eglise catholique romaine imposait : le monde arabe a permis que s’ouvre en occident une source de culture philosophique et scientifique non-religieuse de première importance : les progrès faits en Europe par la philosophie et les sciences aux temps de la Renaissance sont une manifestation positive, progressiste, de la source arabe de la culture ; ces progrès doivent àl’Islam, mais ne doivent rien au catholicisme.

Sur l’ouverture de nouvelles sources de culture au sein de la culture française

- Celles-ci, Monsieur Sarkozy les voit certainement, même àtravers ses Å“illères papistes ; il n’en parle pas parce que, en parfait accord avec les intégristes de la religion romaine, il veut nous faire oublier certaines d’entre elles, en vue de les colmater.
- Par l’Edit de Nantes, le roi de France Henri 4 avait fait cesser la guerre ouverte que se livraient seigneurs catholiques et protestants : il avait ainsi ouvert àla Maison du Roi (tel était alors le nom de l’Etat) la possibilité de faire appel aux services de riches bourgeois dont beaucoup avaient abjuré le catholicisme et suivi la Réforme. Mais le roi était toujours catholique : si ces bourgeois huguenots n’acceptèrent jamais de signer un document qui invoque si peu que ce soit les rites catholiques, ils durent apprendre àrédiger leurs documents sans y laisser apparaître leur propre appartenance religieuse.
- En révoquant l’Edit de Nantes, Louis 14 ne fit qu’accentuer cette contrainte imposée aux serviteurs de la Maison du Roi. Mais il n’a pas décidé qu’elle se passerait des solides compétences économiques de ces agents : ceux-ci continuèrent de le servir, mais durent expurger plus sévèrement encore leurs rapports écrits et oraux de tout ce qui pouvait révéler leur religion.
- Une conséquence des plus importantes fut que les travaux de ces riches protestants qui servaient un roi catholique devinrent au sein de la connaissance du royaume les premiers éléments qui ne dépendaient plus de la religion : ces travaux ont fondé en effet une connaissance du royaume qui ne dépendait plus ni de l’Eglise romaine, ni de des variantes protestantes de la foi chrétienne.
- Alors s’ouvrirent deux nouvelles sources de notre culture : la source athée et la source laïque.

Sur la source athée de la culture française

- Certains de ces bourgeois, huguenots ou catholiques, s’étant rendus très àl’aise dans le service de la Maison du Roi, se posèrent la question philosophique d’une connaissance du monde où Dieu ne figurerait pas : ils prirent en compte dans cette recherche tous les progrès faits àpartir de la Renaissance par toutes les sciences, de la géographie àl’astronomie en passant par la physique et par la médecine ; leurs travaux ont relancé les courants athées de la philosophie.
- Les discussions qui en résultaient ne restaient pas dans les circuits fermés de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie : les pratiques sociales faisaient que le peuple en discutait dans ses circuits oraux de culture qui portaient les idées de bouche àoreille, en les transformant aussi.

Sur la source laïque de la culture française

- Au sein du peuple, ces idées nouvelles rencontraient les conditions pénibles faites aux paysans et aux travailleurs des villes par le poids économique et idéologiques des hiérarchies qu’ils devaient supporter (la « Noblesse », le Clergé et la portion riche du Tiers Etat) ; elles firent voir la possibilité d’alléger durablement ce poids, en allégeant les prélèvements seigneuriaux et en réduisant la dîme. Les membres du peuple, qu’ils soient catholiques, c’était le cas de la majorité, protestants ou juifs, ne se posaient pas la question de quitter leur religion. Ils s’accordaient par-delàles limites de leurs religions, pour revendiquer que leur condition sociale cesse de dépendre de l’autorité pontificale : la laïcité est faite des conditions de cette revendication commune aux fidèles de religions différentes : c’est de cette revendication que procède le mouvement laïque en France.
- C’est ainsi que s’ouvrit en effet la pensée laïque. Cette source de la culture française ne reçut ce nom qu’un peu plus d’un siècle plus tard, mais dès le début, elle est laïque au plein sens de ce mot : elle procède des membres du peuple, et ne dépend pas des hiérarchies religieuses (reppelons que si l’Eglise catholique est alors particulièrement lourde, les églises protestantes ne sont pas exemptes de reproches), ni des hiérarchies sociales, et elle n’exige pas que les fidèles abjurent leur religion.
- C’est cette source qui fit évoluer les mentalités populaires, et ce sont ces évolutions qui conduisirent àla Révolution qui s’est déroulée de 1789 à1794, et par laquelle le royaume de France fut détruit.
- Il est remarquable que les fidèles, militants ou non de la pensée laïque, furent extrèmement peu nombreux àquitter leur religion : Babeuf le fit ; il tint àmarquer sa sortie du catholicisme en changeant son nom de baptême, François-Noë l, comme la loi le lui permettait alors, pour le prénom de Camille. Plus tard, Babeuf changera une deuxième fois son prénom pour s’appeler enfin Gracchus.

Sur la source socialiste de la culture française

- La période finale de la Révolution française (les deux années qui commencent au début de l’été 1792) plaça les révolutionnaires devant l’opportunité de mettre la revendication d’égalité en droits, qui avait mobilisé le peuple pour la Révolution, en face de la situation qui résultait de la Révolution : il s’agissait pour eux d’en évaluer les effets. C’est au bout de cette démarche que Babeuf écrivit que « la Révolution n’a pas résolu le problème social » ; et en effet, passé le coup d’Etat de thermidor an deux de la République (27 juillet 1794) Gracchus et les Amis de l’Egalité ne pouvaient que constater que la bourgeoisie s’arrogeait tous les pouvoirs, en refusant toute idée de République, et plongeait dans une misère noire le peuple travailleur, les « sans-culottes », c’est-à-dire les prolétaires. La revendication de droits égaux pour tous les habitants du pays n’était pas satisfaite. Certains des révolutionnaires s’efforcèrent donc de relancer la revendication populaire des moyens de vivre dignement, en plaçant àcôté de cette revendication celle de la République, contre laquelle la bourgeoisie venait de porter un coup d’Etat ; ils revendiquaient que soit mise en vigueur, promulguée, la Constitution de l’an un de la République, parce qu’ils voyaient en elle la définition d’un mode de vie publique qui donnerait autant de poids àun sans-culottes qu’àun bourgeois dans la gestion des affaires communes et dans la conduite de l’économie.
- Ils ont ainsi ouvert au sein de la pensée laïque une nouvelle source de la culture française ; cette source fut bientôt qualifiée de socialiste, par référence àl’Å“uvre de Rousseau, « Du Contrat social », très présente dans l’esprit des Conventionnels qui avaient rédigé la Constitution de l’an un de la République.
- L’Å“uvre de Babeuf tout entière participe àl’ouverture de cette source socialiste de culture. Peu après sa mort, on vit des penseurs d’origines diverses écrire des Å“uvres contradictoires au nom du socialisme.

Sur la source communiste de la culture française

- Dans le « Manifeste communiste » de 1848, Karl Marx et Friedrich Engels mettaient en évidence le caractère illusoire des théories socialistes qui proclament leur vérité sans en établir leur rapport avec la réalité des sociétés actuelles ; c’est ainsi qu’ils dénoncent comme illusoire le « socialisme féodal », le « socialisme petit-bourgeois », le « socialisme allemand », les socialismes utopiques, et qu’ils dénoncent le « socialisme bourgeois » comme conservateur. Leur liste n’est pas close, et depuis 1848, les illusions de socialisme se sont considérablement perfectionnées, et enrichies de théories nouvelles. Cela nous fonde àrappeler ce que remarquaient déjàMarx et Engels, qu’une contradiction irréductible, un antagonisme, traverse le socialisme : toutes les variantes illusoires, anciennes et nouvelles, de socialisme s’opposent en effet, aujourd’hui comme en 1848, au communisme par le fait que le communisme prend connaissance de la réalité afin d’agir sur cette même réalité. Autrement dit, le communisme s’oppose àtous les autres socialismes par le fait que son critère de vérité est celui de la science, le matérialisme.
- C’est pour cette raison que Marx et Engels ne s’attardent pas àtrier les théories socialistes : leur problème n’est pas de trouver la bonne théorie parmi toutes les mauvaises, ni même de rédiger la bonne théorie du socialisme : ils proposent aux travailleurs et aux alliés de la classe ouvrière de s’unir pour bâtir le socialisme en pratique et en théorie ; ils proposent de transformer la réalité présente par une action concrète scientifiquement délibérée, déterminée, conduite et contrôlée, par une révolution sans cesse évaluée au critère matérialiste de la vérité.
- Karl Marx et Friedrich Engels reconnaissaient que Gracchus Babeuf, en critiquant les modes aristocratique et bourgeois de la propriété terrienne et en proposant àla Révolution de leur substituer un mode unique, collectif, de propriété de la terre, dans lequel cette propriété serait gérée par un conseil magistral élu, a fait Å“uvre de communiste : cette reconnaissance de Gracchus Babeuf est un des actes par lesquels Marx et Engels ont ouvert au sein du socialisme une nouvelle source de la culture : le socialisme scientifique, qui est la source communiste de la culture.
- Le socialisme scientifique prend sa vigueur et sa cohérence dans le mouvement ouvrier de revendication contre l’exploitation capitaliste ; tout au long du vingtième siècle, le socialisme scientifique s’est avéré en France une nouvelle source de culture ; elle puise àtoutes les sources de culture qui lui sont contemporaines en soumettant leur production àla critique matérialiste : athée, elle considère les dieux et les religions comme autant d’Å“uvres humaines, et àce titre, elle les critique ; au sein de l’athéisme, elle a la particularité de ne pas condamner la foi du croyant, de ne pas exiger de lui qu’il se renie : c’est le pouvoir exercé par les prêtres sur la conscience des croyants, c’est la prétention ecclésiastique àdiriger les consciences que la source communiste de la culture condamne et combat ; non religieuse, elle n’hésite pas àpuiser dans les sources religieuses ; cultivant la lutte contre l’exploitation, qui est le mode de vie bourgeois, elle n’hésite pas àcommuniquer avec les auteurs bourgeois : communication n’est pas approbation, mais rime avec contradiction. Depuis toujours, la bourgeoisie s’efforce de colmater cette source athée de culture ; mais sa fécondité n’est pas épuisée.
- La diversité des sources dont l’intégration a composé la culture française et l’ouverture en son sein de nouvelles sources animées par de nouveaux mouvements essentiels de la société font que l’on ne peut pas qualifier de chrétienne, et encore moins de catholique, l’ensemble de notre culture. Le christianisme en est une source, mais quelle que soit son importance, cette source n’est ni la principale, ni la plus importante, ni la plus essentielle, ni la première, ni la plus féconde, ni la plus profonde. Quant àla source scientifiquement socialiste, elle est candidate àla domination sur toutes les sources bourgeoises de la culture ; nous montrerons ultérieurement que la domination de la source scientifiquement socialiste sur toutes les sources bourgeoises et aristocratiques de la culture est réellement une condition nécessaire àla libération culturelle de l’être humain.

Fille aînée de l’Eglise, la France ?

- C’est vraiment ce qui apparaît àqui regarde àtravers les Å“illères papistes, comme le fait Monsieur Sarkozy : il considère la France comme la fille aînée de l’Eglise catholique, apostolique et romaine.
- Mais considérons les sources culturelles diverses intégrées dans la culture nationale de la France et la réalité de la source chrétienne : pouvons-nous tenir cette thèse pour vraie ? Certainement pas ! La réalité ne se laisse pas représenter, même schématiquement, par cette métaphore.
- Certes, l’église catholique, apostolique et romaine a soutenu de ses efforts spirituels et temporels les dynasties mérovingiennes et carolingienne des rois francs ; certes, elle a ainsi contribué àcréer le royaume de France, puis l’a aidé àconquérir d’autres territoires par la force des armes. Certes, ce royaume de longue durée fut le premier enfant de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Mais il n’a pas su pacifier la scission du catholicisme ; les guerres de religions ont été suivies d’une période de tensions toujours renaissantes et d’affrontements sournois souvent criminels qui a duré jusqu’àla Révolution française : le royaume de France n’a pas permis aux catholiques et aux protestants de vivre ensemble et en paix, ni de résoudre pacifiquement les conflits de leurs religions : le royaume de France se voulait catholique, et ne reconnaissait pas réellement de droits aux membres des religions protestantes ou juives ; ce premier enfant de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, était-ce la France ? Non !
- Pour se réaliser, pour accorder des droits en principe égaux àchacun des membres de son peuple quelle que soit sa religion et même s’il n’a pas de religion, la France s’est fondée en une Nation : pour cela, elle a dà» abolir le royaume au moyen d’une révolution ; cette abolition a libéré le peuple de France des liens qui soumettaient le royaume au gouvernement du Pape : la Nation naissait libre de toute allégeance àla papauté, et plus généralement, libre de toute allégeance religieuse.
- Conséquence remarquable, la haute Eglise de France a engagé tous les moyens àsa disposition pour défendre le royaume contre la nation ; il est encore plus remarquable que, dès que s’est présenté un dictateur qui, ayant étranglé la République et mis la nation aux fers, avait fait ses preuves, le Pape a volontiers accepté de le consacrer empereur. L’Empire est un autre enfant de l’Eglise.
- Fille aînée de l’Eglise, la France ? Cette thèse est un mensonge par lequel les intégristes du catholicisme s’efforcent de reprendre le pouvoir sur notre riche pays.

P.-S.

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