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Salaire contre profit

vendredi 10 juin 2005, par Jean-Pierre Combe

- L’objet économique de la lutte des classes est de faire deux parts des richesses que crée le travail : le salaire et le profit ;
- le salaire est perçu par ceux qui font le travail en y dépensant leurs forces et en y appliquant leur intelligence,
- le profit est prélevé par ceux qui possèdent les ressources àtravailler ou les moyens matériels du travail.

- Il en est ainsi dans toutes les sociétés sédentaires depuis quelque quinze mille ans, c’est-à-dire depuis les débuts de la sédentarisation : au siècle des lumières, les économistes avaient reconnu un exemple du système d’inégalité dans chacune des sociétés sédentaires de leur époque.
- Dans chacune de ces sociétés, l’ensemble des classes privilégiées prélève l’ensemble du profit, dont une part revient àchacune d’elles en fonction de règles caractéristiques du mode d’exploitation en vigueur.
- Mais tous les exemples divers de sociétés d’inégalité ont une caractéristique en commun : leurs membres de très loin les plus nombreux, les travailleurs, sont contraints de travailler par ce que la seule ressource dont ils disposent pour vivre est le salaire qu’ils recevront en échange de leur force de travail : cette remarque définit le salaire, qui peut aussi, d’un cas àl’autre, prendre des formes diverses, en nature ou en espèces, ou, pour les serfs ruraux, en temps que ne leur prend pas le maître du domaine auquel ils sont attachés, et qu’ils peuvent consacrer àfaire pousser quelques légumes sur une parcelle que le maître leur concède.
- Cette caractéristique commune est complétée par la communauté d’attitude adoptée par les membres des classes privilégiées àl’encontre des travailleurs : contre eux, ils défendent leurs privilèges en limitant le salaire de chaque travailleur aux sommes, aux quantités et au temps juste nécessaires àla reproduction simple, non élargie, de leur force de travail ; défendre les privilèges, c’est empêcher les travailleurs de progresser : la défense des privilèges a pour effet de priver les travailleurs d’une part de leur propre humanité, celle qui ferait d’eux les maitres de leur destin.

- Mais le travailleur est un être humain : il ne peut subir cette privation sans répondre pour lui-même et au moins pour ses proches àdeux questions :
— comment survivre dans la soumission àune décision qui lui est étrangère ?
— comment reprendre le droit de décider soi-même de son propre destin ?
- En s’efforçant de répondre àces deux questions, le travailleur revendique la part de condition humaine dont il est privé : revendiquer l’intégrité de sa propre condition humaine est la revendication essentielle de l’être humain ; elle produit la revendication de droits égaux pour tous les êtres humains formulée au siècle des lumières, mais elle était déjàactive dans l’essence de toutes les révolutions qui ont bouleversé les rapports sociaux des sociétés d’inégalité depuis quinze mille ans ; elle est la compagne du simple besoin de vivre dignement et la mère de toutes les revendications légitimes.

- Echangeant sa force de travail contre le salaire grâce auquel il pourra vivre, le travailleur ne décide ni du travail qu’il fait ni de l’application de son intelligence ; c’est làla part d’humanité dont il est privé ; cette privation est une mutilation injustifiable. Seule une contrainte intense, persévérante et durable peut obliger le travailleur àla subir toute sa vie et seule une morale de l’inégalité sous-tendant tous les rapports sociaux peut la retransmettre de génération en génération ; mais en vérité, même seulement pour exécuter le travail commandé par le maître, le travailleur a besoin de réfléchir et de décider et rien ne sépare l’intelligence nécessaire au travail de l’intelligence qui permet d’appréhender le monde : rien ne peut empêcher le travailleur d’exprimer le manque qui résulte de cette mutilation en revendiquant l’intégrité de sa condition humaine.
- La revendication de l’entière condition humaine produit d’abord la revendication salariale, puis toutes les autres revendications légitimes.
- Du point de vue du travailleur, cela fait de la lutte pour le salaire une nécessité quotidienne tout autant qu’un intérêt àlong terme : dans toute société d’inégalité, la lutte pour le salaire est le mode de vie du travailleur.

- Les exploiteurs ont entre eux des rapports divers : en Europe, l’évolution des luttes de classes a conduit, àpartir de 1 789, les catégories privilégiées àfusionner dans la classe bourgeoise, en absorbant leurs divers modes de propriété dans le mode bourgeois, produisant ainsi le capitalisme, qui est le système le plus perfectionné par lequel il est possible àcertains (très peu nombreux), d’exploiter la force de travail d’autrui (tous les autres) ; c’est aussi le plus perfectionné des mécanismes qui privent les travailleurs d’une part de leur humanité : Marx appelait aliénation des travailleurs cette privation.

- Au mois de mai 1 968 en France, s’est tenu au stade parisien de Charléty un meeting politique dont les prolongements ont produit des effets majeurs sur les luttes de classes en France : ce meeting fut en effet le premier acte d’une offensive par laquelle le réformisme dénigra les revendications quantitatives en les présentant comme moralement basses ; en philosophie, cette offensive réformiste discrédita le matérialisme, et en morale, elle jeta le tabou sur la revendication salariale : étant une revendication quantitative matérielle, la revendication salariale ne peut être que du plus bas niveau moral qui soit.
- Pour en juger ainsi, bien sà»r, il faut être assuré de revenus bien supérieurs aux salaires que peuvent espérer les ouvriers des usines appartenant aux capitalistes ; une intense campagne réussit pourtant àétouffer toutes les revendications quantitatives, ne laissant exprimer que les qualitatives, celles que le patron pouvait facilement satisfaire en affectant une part du profit : il faut noter qu’il pouvait alors remettre lui-même en valeur les effets de cette « satisfaction des revendications qualitatives  », sur le plan publicitaire ou sur un autre plan, comme un ajout fait àson capital, comme un investissement, et le faire rapporter.
- En vérité, de satisfaire les revendications qualitatives n’a jamais diminué l’exploitation ; au contraire, les capitalistes ont facilement augmenté l’exploitation des salariés au-delàdes dépenses qu’impliquait une telle satisfaction, et d’ailleurs, ces dépenses n’étaient pas imputées aux comptes salariaux ; dans toutes ces affaires, les capitalistes intégraient les salariés au capital des entreprises ; ils les traitaient exactement comme s’ils n’étaient plus des partenaires dans l’échange salaire contre force de travail, mais comme s’ils étaient devenus des machines àproduire de la force de travail : la satisfaction des revendications qualitatives par le système d’exploitation capitaliste aggrave àl’extrême l’aliénation du travailleur.

- Le processus par lequel le capitaliste satisfait une revendication qualitative se montre ainsi comme une récupération capitaliste de cette revendication : ce processus aliène l’augmentation de salaire revendiquée avant même qu’elle soit satisfaite, et inscrit la dépense que représente sa satisfaction aux comptes de capital fixe (investissement) ou de capital variable (fonctionnement). Le patron capitaliste procède ainsi parce qu’il estime pouvoir utiliser ces sommes dans son propre intérêt, et c’est parce qu’il y parvient que ces sommes cessent d’être du salaire et deviennent du profit.

- Par de tels moyens, les capitalistes détournent àleur profit une part de la vie des salariés, alors que cette part devrait rester hors de leur portée : l’économie ne place pas de séparation étanche entre le salaire et le profit, parce qu’elle ne met pas la vie privée du travailleur àl’abri des empiètements du patron capitaliste.

- Les communistes ont ici le devoir d’inverser la question : la transformation réciproque, celle du profit en salaire est-elle possible et comment les travailleurs pourront-ils la réaliser ?
- Il est clair que la transformation en salaire de tout le profit réalisé dans une société donnée est la révolution socialiste : cette transformation retirera en effet aux capitalistes tout leur pouvoir, pour le donner aux travailleurs.

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