Mais savez-vous que la première femme africaine à avoir reçu ce Prix Nobel de la Paix a été une Kenyane, Wangari Maathai, en 2004 ?
La Médiathèque de Tulle a fort heureusement mis à la disposition des lecteurs son autobiographie (Celle qui plante les arbres). Elle a en effet créé et animé le « Mouvement de la ceinture verte », le plus grand projet de reboisement d’Afrique, qui a permis aux femmes kenyanes d’entreprendre la lutte contre la déforestation : trente millions d’arbres ont été plantés en trente ans.
Elle raconte ainsi la naissance de cet engagement, au début des années 1970 :
Lors d’un séminaire, une scientifique présenta une étude qu’elle avait menée sur les enfants de la province du Centre qui souffraient de maladies liées à des carences alimentaires. Ce fut pour moi un terrible choc : je connaissais cette région pour y avoir vécu et c’était l’une des plus fertiles du pays. Mais les temps avaient changé. Beaucoup de paysans avaient renoncé à leurs cultures vivrières et reconverti leurs terres en plantations de thé et de café pour répondre à la demande du marché international. Du coup, faute de produits de la ferme, les mères donnaient à leurs enfants des aliments transformés, tels le pain blanc, la farine de maïs ou le riz blanc, pauvres en vitamines, protéines et minéraux. (...) Ce discours me bouleversa. Dans ma jeunesse, les campagnes étaient riches et fertiles, nous ne connaissions pas la faim, les produits étaient sains et nourrissants, tout le monde rayonnait de santé. Nous avions du bois à profusion pour nourrir notre feu. Je me souvenais des premiers défrichages de nos forêts et des plantations commerciales, je savais que les agriculteurs avaient continué d’empiéter sur le domaine de l’arbre pour cultiver le thé et le café. (...) Les pièces du puzzle se mettaient en place et je voyais maintenant les conséquences catastrophiques de ces chambardements. (...)
C’est indirectement à mon mari que je dois l’idée de faire participer les femmes au reboisement. Mwangi nourrissait des ambitions politiques. En 1974, il avait décidé de se présenter devant les électeurs de Lang’ata, une circonscription du sud-ouest de Nairobi. Il avait tout mon soutien et je mis les bouchées doubles pour l’aider à remporter cette bataille. Entre mon plein-temps à l’université (Wangari y est enseignante-ndlr) et mes trois enfants, je m’arrangeais tant bien que mal pour le suivre ou le représenter dans ses tournées. Nous partions à la rencontre des gens sur le terrain, pour les écouter et discuter de leurs préoccupations quotidiennes. En voyant arriver ce jeune couple (Wangari a alors 34 ans-ndlr) dynamique et cultivé, les gens étaient convaincus que nous pouvions les aider et plaçaient toutes leurs espérances en nous.
Le chômage faisait alors des ravages dans la société kenyane et constituait l’une des principales inquiétudes des électeurs. Partout où il passait, Mwangi promettait de créer des emplois s’il était élu. Cet argument purement électoral m’exaspérait au plus haut point. (...) Mwangi remporta la circonscription de Lang’ata. (...) Je lui reparlai de ses promesses de campagne : que comptait-il faire, concrètement, pour tous ces gens à qui il avait assuré qu’il trouverait du travail ? Il haussa les épaules. Maintenant qu’il était confortablement calé dans son siège de député, il estimait que ses paroles en l’air ne l’engageaient plus à grand-chose. (...) Je n’en croyais pas mes oreilles. Jamais je n’aurais soupçonné tant d’arrogance et de mauvaise foi chez mon propre mari. Je ne pouvais pas cautionner cela. (...) C’est ainsi que, quelques mois plus tard, je lançai une entreprise, à travers laquelle j’espérais embaucher des centaines de bras pour planter des arbres. (...)
Dans l’action viennent d’autres idées :
L’expansion du Mouvement de la ceinture verte me fit également prendre la mesure de la « déresponsabilisation » de la société civile. Les paysans manifestaient une certaine résignation face à leurs difficultés. (...) Peu à peu, la Ceinture verte ne sema plus uniquement des arbres, mais aussi des idées.
Dans les villages où nous intervenions, nous organisions des séminaires pour encourager les hommes et les femmes à parler de leurs problèmes. (...) A la question de savoir qui était responsable de ces dysfonctionnements, ils montraient presque tous du doigt le gouvernement. Ils n’avaient pas tort. (...) Le gouvernement n’était pourtant pas l’unique coupable. (...) « La terre vous appartient, rappelais-je à nos membres, mais vous ne vous en occupez plus. Vous laissez les sols s’éroder alors qu’il vous suffirait de replanter des arbres pour l’éviter. Vous avez renoncé à vos cultures traditionnelles pour cultiver des céréales importées aussi mal adaptées à vos sols qu’à votre alimentation. Ne vous étonnez pas si vos enfants ont des carences ! » (...) Je leur faisais ainsi voir que, s’ils y réfléchissaient sérieusement, ils avaient les moyens d’apporter leurs propres solutions. (...)
Cette approche a débouché sur des séminaires de « sensibilisation civique et environnementale » (...) De fil en aiguille, nous en sommes venus à débattre également de démocratie, de droits de l’homme, d’égalité des sexes et de pouvoir...
Wangari Maathai est morte le 25 septembre 2011, à Nairobi... Combien d’entre nous l’ont su ? Elle méritait bien que nous lui rendions cet hommage !