dont les frontières étaient tracées sur les cartes de géographie, dont l’Etat était membre de l’Organisation des Nations unies (ONU) et fédéré dans l’Union des Républiques socialistes soviétiques ; un an après que j’aie ouvert mon premier manuel de géographie, les frontières de la République socialiste soviétique d’Ukraine étaient changées pour englober la Crimée, qui auparavant n’en faisait pas partie.
Au fil des mois, j’apprenais que les noms des pays d’Europe recensés et décrits par les manuels de géographie n’avaient qu’un lointain rapport avec les langues que l’on parle sur ce continent ; j’apprenais en même temps que la bonne volonté des femmes et des hommes, lorsque rien ne lui fait obstacle, leur permet toujours de prendre connaissance des mouvements des autres cultures, même lorsque ces autres cultures sont produites au moyen d’autres langues que celles de ces femmes et de ces hommes.
Sur l’exemple de l’Ukraine précisément, j’apprenais que l’Ukrainien n’en avait jamais été la seule langue : je découvrais qu’on y parlait aussi le biélorusse, le ruthène, le moldave, le turc, l’allemand, le polonais..., ainsi que le russe, qui servait aussi, en Ukraine comme dans toutes les autres républiques de la fédération soviétique, de langue véhiculaire assurant à tout citoyen la liberté de communiquer avec tous les autres citoyens de la fédération.
Porteurs de toutes ces langues, les utilisant toutes comme langues du travail et communiquant d’une langue à l’autre selon les voisinages et donc sans forcément passer par l’intermédiaire de la langue russe (qui restait toujours un intermédiaire possible), les habitants de la République socialiste soviétique d’Ukraine, que j’appelais les Ukrainiens, portaient les cultures de leurs ancêtres, et faisaient évoluer ces cultures selon les évolutions heureuses ou malheureuses de leurs vies et de leurs travaux : leur histoire produisait l’évolution de leurs cultures ; en l’occurrence, elle enrichissait chacune des cultures ancestrales de deux manières :
- d’abord par les effets de la communication de femmes et d’hommes de cultures diverses, en particulier par les effets des mariages interethniques et par la participation consécutive des enfants qui naissaient de ces mariages ;
- ensuite, par les effets du travail industriel ou paysan que faisaient ensemble les travailleuses et les travailleurs issus de ces différents peuples et de leurs métissages ;
Le résultat de cet enrichissement culturel de tous les peuples d’Ukraine ne pouvait qu’être une culture puissante et variée sur la base de laquelle les peuples d’Ukraine acquéraient la possibilité de résoudre eux-mêmes, grâce à leur coopération, tous leurs problèmes économiques, sociaux et politiques au nez et à la barbe de tous les impérialismes.
Pour moi, la vaillance qui fut, de 1941 à 1945, celle des combattants ukrainiens de l’Armée et des partisans rouges dans la défense guerrière contre l’invasion des fascismes européens était un gage de la vraisemblance des progrès que j’imaginais pour l’Ukraine et pour les autres pays de l’Union soviétique.
Or, aujourd’hui, j’entends le président des Etats-unis d’Amérique, les milieux officiels de l’Union européenne, les gouvernements qui se sont soumis à cette union et les porte-paroles des trusts capitalistes qui la gouvernent employer le mot « Ukraine » dans un tout autre sens :
Pour eux, l’Ukraine serait le pays dans lequel tous ceux qui ne parlent pas ukrainien seraient étrangers (des Gagaouzes aux Russes en passant par les Polonais, les Moldaves et les autres, cela fait du monde !...), et qui ne pourrait exister qu’en mettant tous ces étrangers au ban de la société (je ne rêve pas : cela a été fait dans les pays baltes, et en Yougoslavie, ils ont fait pire !...) ;
toujours selon eux, la culture de ce pays aurait cessé de se développer lorsqu’il est devenu soviétique, et pour la retrouver, il faudrait repartir de la langue ukrainienne parlée dans les parties de l’Ukraine qui n’ont jamais été soviétiques (jusqu’en 1940, certains de ces territoires étaient polonais et leurs populations subissaient la dictature des colonels ; d’autres étaient autrichiens, c’est-à -dire des provinces de l’empire nazi).
Mais « reconstituer » la culture ukrainienne en repartant de cette langue dominée, opprimée, comme le commandent ces messieurs depuis les confortables fauteuils de leurs bureaux climatisés, consiste à oublier et à faire oublier toutes les évolutions culturelles produites par les Ukrainiens à l’époque soviétique !
C’est bien ce que ces messieurs veulent obtenir, et là non plus, je ne rêve pas : ce programme politique en matière culturelle et linguistique est bel et bien celui que développait en France Charles Maurras sur le thème du régionalisme : nombre des « parisianismes » auxquels ses disciples faisaient la chasse ne devaient rien à l’influence du parler parisien : c’étaient des apports des Lumières philosophiques et scientifiques à toutes nos cultures populaires : c’étaient des traces inscrites dans toutes nos langues locales par les progrès que notre peuple tout entier avait réalisés en faisant la Révolution !