Ses présentations comportaient deux parties : la projection de deux films et une discussion.
Il n’y a que peu de choses à dire sur ces films : ils ne racontent pas d’histoire ; ils montrent des images accompagnées d’une bande sonore.
Les images sont soignées, ou tout au moins soigneusement choisies ; les personnes sont filmées dans une attitude d’attente, et leur rapport à la caméra n’est pas amical : elles subissent la prise de vue.
La bande sonore a été élaborée à part, et sa combinaison aux images crée une telle ambigüité que le sens disparait presque entièrement.
Est-ce une richesse pour un film ?
Dans un premier moment, le spectateur peut en avoir le sentiment. Mais assez vite, la disparition quasi totale du sens laisse insatisfaits tous ceux qui sont venus dans l’attente d’une information même partielle sur la société russe, sur les rapports sociaux qui s’y sont dramatiquement défaits en causant la diminution de quelque dix ans de l’espérance de vie, c’est-à -dire la mort de millions de citoyens autrefois soviétiques, et sur l’élaboration de nouveaux rapports sociaux : il faut bien constater que ces films n’ont pas été tournés pour porter cette information.
Il reste à ces spectateurs la ressource de poser leurs questions après la projection des films ; qu’ils ne s’en privent pas ! Monsieur S. L. leur répond avec une grande détermination. Mais pourquoi ce monsieur n’a-t-il pas mis le sens de ses réponses en film ?
Ce sens est une invitation à nier l’histoire, à la remplacer par une histoire mythique, et à enseigner ce mythe à la place de l’histoire.
Nous sommes nombreux en France, et certainement aussi en Russie et ailleurs, qui avons un tel besoin de comprendre ce qui se passe que nous avons une exigence extrême devant l’histoire : nous consentons tous les efforts nécessaires pour mettre sa vérité au jour, pour la fonder en recherchant, en éditant, en critiquant les documents que les évènements ont produits, en reconstituant ces évènements et en les relatant dans un récit qui sera lui-même soumis tôt ou tard, à la critique, et cela quelles que soient les souffrances que cette vérité puisse nous causer.
Peut-être Monsieur S. L. redoutait-il que de mettre en film le sens des propos qu’il tient dans ces discussions aboutisse à un film que le public rejetterait en rejetant la négation de l’histoire ?
Le fait est qu’il présente deux films à peu près vides de sens, et qu’il exploite les occasions de leurs présentations pour propager avec beaucoup de légèreté une incitation à nier l’histoire : Monsieur S. L. est bien un contrebandier idéologique.
Examinons sa marchandise de contrebande
Monsieur S. L. affirme que "l’URSS avait détruit toute la culture russe et interdit toute vie culturelle".
Des Français, pas tous communistes il s’en faut de beaucoup, ont toujours pu voyager en URSS et y prendre des photos ; à partir de 1957, les touristes sont devenus plus nombreux ; il reste dans leurs cartons de nombreuses photos, qui sont toujours lisibles. Telle de ces photos, prise en 1958, montre deux ouvriers remettant en place l’or sur les toits de la cathédrale de l’Assomption du kremlin de Moscou ; telles autres montrent des chantiers de restauration ouverts et actifs à Pétrodvorets, à Tsarskoïé Sélo, à Iasnaïa Poliana, à Léningrad et dans d’autres villes ou villages du nord de la Russie rendus célèbres par les euvres littéraires russes du dix-neuvième siècle et ravagées par les troupes de l’empire nazi, pas toujours au cours de combats, pendant la seconde guerre mondiale... Si ce que raconte Monsieur S. L. était vrai, nul n’aurait pu prendre ces photos.
Dans d’assez nombreuses bibliothèques publiques ou privées de France et d’ailleurs, il y a d’assez nombreux livres d’auteurs soviétiques traduits du russe ou d’autres de leurs langues, dont ce serait une faute que de mépriser l’écriture et dont certains sont bien dans la lignée des romanciers russes du dix-neuvième siècle.
Sur le plan cinématographique, qui pourrait oublier Poudovkine ou Sergueï Eisenstein, qui ont puissamment contribué à la création culturelle russe, ukrainienne, ..., et soviétique, et dont l’influence est inscrite dans beaucoup des images de Monsieur S. L.?... Ce monsieur devrait être un peu plus prudent lorsqu’il parle des gouvernements soviétiques comme formés de brutes qui auraient détruit toute culture en Russie et de l’URSS comme d’un "désert culturel" !
Monsieur S. L. croit nous révéler que les chefs militaires qui commandaient l’armée allemande (la Wehrmacht) de 1939 à 1945 avaient été instruits en Union soviétique.
Nous savons depuis longtemps que la République allemande, dont le gouvernement siégeait à Weimar, a envoyé des militaires, officiers, techniciens et soldats, s’entrainer en URSS ; et nous savons parfaitement que Guderian et ses collègues n’y ont acquis ni leur première formation militaire ni leurs capacités tactiques et stratégiques.
La vérité, c’est qu’ils étaient des officiers de tradition prussienne. La défaite subie en 1918 n’avait détruit ni les états-majors, ni la chaine du commandement, ni les institutions d’instruction de l’armée impériale allemande (la Reichswehr) : en fait, les généraux vaincus en 1918 maintenaient leur tradition séculaire dans les écoles militaires de l’état-major impérial allemand, maintenues après la chute de l’empire, et c’est là que Guderian et ses collègues ont reçu l’essentiel de leur instruction militaire.
En Union soviétique, ils n’ont fait que moderniser leurs compétences au moyen d’exercices et de maneuvres en terrain ouvert, et ce ne fut pas sous la direction d’officiers de l’Armée rouge. Dans leur instruction, ce stage fut important, mais pas essentiel.
Quant à leur compétence guerrière, ils l’ont acquise en observant les troupes de leur allié Mussolini conquérant l’Abyssinie, en observant leur allié impérial japonais conquérant la Chine, en sauvant de la défaite leur allié Francisco Franco et en lui assurant la victoire contre la République espagnole. Et lorsque les armées de Hitler se sont lancées à l’assaut de la Pologne, de la Hollande, de la Belgique et de la France, l’entrainement en Union soviétique n’était plus, pour ceux qui y avaient participé, qu’une vieille histoire largement dépassée.
En vérité, de qui l’Union soviétique était-elle l’alliée entre 1930 et 1945 ?
Lorsque les troupes du fascisme conquéraient l’Abyssinie, le Négus avait parmi ses conseillers un envoyé de l’Internationale communiste dont le Parti communiste de l’Union soviétique était membre : l’Internationale avait donné mission à ce conseiller de l’informer sans délai des besoins abyssins en soutien.
Lorsque les troupes de l’empire japonais conquéraient la Chine, le Parti communiste chinois, membre de l’Internationale communiste et soutenu par elle, les combattait les armes à la main.
Lorsque les troupes hitlériennes et mussoliniennes faisaient la guerre à la République espagnole, lorsqu’elles brà »laient Guernica pour assurer la victoire de leur allié Franco, l’Union soviétique livrait à la République espagnole d’importantes quantités de matériels de guerre, armes, blindés, avions, et donnait aux soldats de la République l’instruction nécessaire.
Dans ces trois cas, les troupes de Hitler, de Mussolini, du Mikado et de Franco conquéraient territoires et populations pour leur appliquer une oppression dont les documents font état qu’elle s’est avérée des plus sanglantes que l’Histoire ait connue, alors que l’URSS avait engagé ses forces soit sous l’égide de l’Internationale communiste, soit directement, contre cette entreprise et pour la liberté des peuples. Mais sans doute, ces trois exemples de l’histoire ne comptent-ils pas aux yeux de Monsieur S. L...
Selon Monsieur S. L., personne ne s’attendait en 1941 à ce que Hitler fasse la guerre à l’URSS :
C’est encore une contre-vérité historique : la vérité est que tous les gouvernements d’Europe ont toujours su qu’en 1918, la révolution commençant en Allemagne, Hitler s’était lancé dans le terrorisme avec pour seul but de mettre fin à la révolution en tuant le plus grand nombre possible de communistes, sans égard aux non-communistes qu’il tuait en même temps ; c’est pour ce but que Hitler a formé le parti "national-socialiste" des travailleurs allemands (NSDAP), et c’est lui qu’il n’a jamais cessé de poursuivre.
Hitler avait rendu publics ses projets politiques : Mein Kampf en fut le premier exposé, somme toute fort clair, et les ouvrages d’Alfred Rosenberg sont bientôt venus les préciser en les développant : il s’agissait dans un premier temps de substituer à la république de Weimar un empire défini au moyen de critères ethniques rassemblés en un mythe du Sang, grâce auquel les ouvriers collaboreraient à leur propre exploitation main dans la main avec leurs exploiteurs ; dans un deuxième temps, cet empire devrait étendre son territoire afin d’accumuler assez de puissance pour entreprendre la troisième étape, la destruction de l’URSS, avec d’assez bonnes chances de succès.
Aussitôt le NSDAP, son parti, créé, Hitler l’avait renforcé d’une milice privée, les SA (Schütz Abteilungen), avec pour mission d’étendre la chasse à mort aux communistes en une terreur appliquée au peuple allemand tout entier.
La cohérence des projets hitlériens jointe à l’efficacité dont faisaient preuve le parti nazi (NSDAP) et ses SA dans la tuerie des communistes et d’autres révolutionnaires, valut à Hitler dès avant 1929 un soutien financier, politique, administratif pratiquement illimité de la part des grands industriels de la sidérurgie, de la chimie et d’autres branches de l’industrie allemande, ainsi que de la part de certains milieux de la haute administration et de l’armée professionnelle, dont son complice Ludendorf était un représentant du plus haut rang. C’est seulement grâce à ce soutien que le NSDAP obtint la victoire aux élections de 1933, puis que le président de la République, le maréchal Hindenburg, appela Hitler au poste de chancelier du Reich (Reichskanzler).
Devenu chancelier, Hitler disposait d’un état et d’une industrie puissante : il s’attela à la construction de l’empire ; il lui fallait cet intrument pour atteindre son objectif : détruire l’URSS ; proposant à l’Italie et au Japon un "pacte anti-kommintern" et le signant avec eux au nom de l’Allemagne, Hitler a bientôt confirmé au monde que cet objectif était pour lui l’essentiel et qu’il ne l’avait pas oublié.
Tout empire existe par une guerre incessante faite aux peuples des territoires qu’il contrôle ou qu’il convoite, pour soumettre les uns et maintenir les autres dans la soumission, et s’effondre dès qu’il cesse de faire cette guerre.
C’est bien pour établir l’empire nazi que dès leur création, les SA (Schütz Abteilungen), appliquaient la terreur au peuple allemand ; à partir de 1933, l’empire nazi put s’étendre grâce à deux moyens supplémentaires : d’une part, les propriétaires des plus gros capitaux allemands établissaient des relations d’affaires avec les bourgeois des pays convoités, et d’autre part, le commandement de l’empire s’efforçait d’ouvrir ces pays à l’action terroriste, visible ou masquée, des SS. Lorsqu’il était possible de recruter dans les pays convoités assez de volontaires de la violence, les SS formaient des unités ethniquement homogènes : cela contribuait grandement à l’extension de l’empire ; tel fut le cas en Belgique, en France, dans les pays baltes, en fait dans toute l’Europe. Ces unités étaient intégrées aux SS du point de vue de leur équipement, de leur financement et de leur commandement : elles ont toujours exécuté sans aucune restriction et jusqu’au bout les ordres du Führer, et elles furent le dernier carré de sa protection, fidèles jusqu’au bout.
Les bourgeoisies locales manifestaient leur alliance avec l’empire nazi non seulement en acceptant que les SS recrutent, mais bien plus, en coopérant avec les forces que l’empire avait chargées d’appliquer la terreur ; grâce à cette coopération, les unités SS n’assuraient pas elles-mêmes leur éclairage ; lors de leurs déplacements, ce sont les formations fascistes locales qui les éclairaient, qui les aidaient à déterminer leurs objectifs terroristes, et qui les guidaient jusqu’à eux : en France, ce rôle était assumé par la Milice française.
Tout cela se faisait en application stricte des ordres de l’état-major du Führer : durant toute leur existence, les SS, où qu’ils aient été recrutés, ont toujours défendu l’empire nazi contre toutes les nations que cet empire encadrait ou tentait de soumettre ; les intérêts qu’ils défendaient étaient ceux d’une puissante bourgeoisie dont la définition ethnique s’avérait assez souple et peu précise, qui se proposait de mettre la main sur l’URSS pour en exploiter au maximum la force de travail : aucune unité SS n’a jamais défendu les intérêts d’une nation, même lorsqu’elle était entièrement recrutée parmi les membres de cette nation.
Pour acquérir la force nécessaire à la conquête de l’URSS, l’empire nazi s’est d’abord annexé l’Autriche, puis s’est approprié la Tchécoslovaquie : il lui fallait sa puissante industrie d’armements. Il a ensuite soumis la Pologne : il lui fallait une frontière commune avec l’ennemi qu’il avait mission d’abattre. Mais ses forces industrielles restaient insuffisantes pour s’attaquer à l’URSS : l’empire nazi conquit donc la Hollande, la Belgique, la France et les états balkaniques.
Afin de porter les nouvelles forces industrielles à leur plus haut niveau, la bourgeoisie dont l’empire nazi servait les intérêts a stimulé toutes les bourgeoisies locales pour qu’elles portent au plus haut niveau l’exploitation des ouvriers de leurs villes et de leurs champs ; la bourgeoisie française y a fort bien répondu, puisqu’elle a fourni 40% des livraisons de guerre des forces armées allemandes ; telle est la réalité de l’oppression que nous avons subie de la part de l’empire nazi et de ses barons organisés dans l’"Etat français" de Philippe Pétain.
Contre cette oppression, Monsieur Edmond Michelet le 17 juin 1940, le général De Gaulle le 18, le parti communiste français le 10 juillet, et d’autres, ont entrepris de faire la guerre à l’empire nazi, car c’était le seul moyen de lui résister.
Au début, les résistants étaient peu nombreux, et parmi eux, la seule organisation politique était le parti communiste français :
celui-ci avait été actif dès avant 1936 contre les ligues factieuses ; il était entré dans la guerre directe contre l’empire nazi en soutenant l’organisation et la formation des Brigades internationales qui combattaient pour la République espagnole ; cette guerre a duré jusqu’à la chute de l’empire nazi sans la moindre trève.
Peu à peu, ces résistants à l’empire nazi sont parvenus à convaincre d’entrer dans la guerre antifasciste tous ceux qui ne supportaient pas l’oppression, à les rassembler, à s’unir, à s’organiser... De tels mouvements ont existé dans tous les pays d’Europe, Allemagne comprise ; ils présentaient entre eux d’importantes différences dues aux conditions locales, la répression réduisant certains à ne laisser presque rien de visible.
En France, la Résistance s’organisait, combattait et, progressivement, grandissait : en 1944, elle était devenue capable de contribuer à la libération de notre territoire avec une efficacité que deux généraux US, commandant les troupes débarquées le 6 juin 1944, tinrent à saluer.
Lorsque Hitler lança ses armées à l’assaut de l’URSS, nos résistants ont estimé que désormais, un allié puissant combattait le même ennemi qu’eux : la victoire devenait possible, beaucoup plus proche que ce que l’on osait précédemment espérer. C’est pourquoi ils suivaient attentivement chaque évènement du front de l’est : chaque victoire de l’Armée rouge, représentant un coup porté à l’ennemi, rapprochait la date de leur propre victoire.
C’est pour toutes ces raisons que François Mauriac a écrit que lorsque l’Armée rouge remportait une victoire, c’est la liberté qui avançait avec elle. Cet écrivain catholique avait raison ; Monsieur S. L., au lieu de se scandaliser que François Mauriac ait écrit cela, ferait mieux de se demander ce qui manque à sa représentation du monde, et qui fait qu’il ne comprend pas François Mauriac !
La marchandise de contrebande de Monsieur S. L. est profondément réactionnaire et totalement fausse : ce n’est pas une autre lecture légitime des évènements réels, c’est une relation fausse de ces évènements. Il n’est pas légitime de substituer ainsi le mensonge à l’histoire !
Il est vrai que la quête de la vérité peut être une souffrance, que la vérité se dérobe souvent, qu’elle-même peut être douloureuse ; pourtant Jaurès avait raison : chercher la vérité et la dire, voilà le vrai courage, voilà la vie !