Ami de l’égalité

Georges Huguet

vendredi 18 septembre 2020, par Jean-Pierre Combe

Nos bonnes relations

- Mes études, les débuts de ma vie professionnelle m’avaient placé aussi loin que possible de Georges Huguet ; mes options politiques et syndicales me rapprochaient pourtant beaucoup de lui :

- nous étions tous deux membres du Parti communiste français, et quant àmoi, si j’étais membre du syndicat national de l’enseignement supérieur, j’ai toujours dit mon regret que la scission de la CGT provoquée par la tendance FO en 1948 ait rejeté les syndicats d’enseignants hors de la CGT ; mais en fait, c’est son mariage avec une de mes belles-sœurs qui a fait qu’après 1978 et mon retour en Limousin, nous nous sommes souvent rencontrés, et que ce fut presque toujours hors de toute démarche d’organisation.
- Nous discutions de tout, en mettant tout sur la table, sans retenue. Nous ne discutions pas pour rechercher un accord (un « consensus », selon le mot àprétention savante que les idéologues professionnels sont parvenus àgénéraliser) : nous échangions nos informations, nos connaissances ; j’avais beaucoup plus d’instruction scolaire et universitaire que lui, mais il avait très vite remarqué que contrairement àla morale qu’inculque la bourgeoisie aux enfants qui passent par ses établissements, je ne me servais pas de mon instruction pour prendre le pouvoir sur mes interlocuteurs, mais pour leur ouvrir les accès dont ils pouvaient avoir besoin àtout ce que j’avais pu apprendre au lycée, dans les grandes écoles et les universités, ou dans les livres… Il s’en servait et cela me faisait plaisir, d’autant plus qu’il ne se gênait pas pour me montrer ce que lui connaissait de la vie, et moi-même, j’en ai souvent tiré parti.
- S’il y a un secret dans nos bonnes relations, il est là, et vous ne m’en voudrez pas si j’appelle cela une bonne et saine réalisation au niveau individuel de l’alliance léniniste de la classe ouvrière avec les intellectuels.
- Nous avions l’un et l’autre pris le parti ouvrier dans la lutte des classes, et tous deux, nous étions bien décidés àne jamais cesser de faire tous les efforts que cette prise de parti requérait, requiert de chacun de nous, en fonction de nos personnalités.

Le meilleur salaire et la liberté de l’utiliser

- Georges s’en est souvent expliqué en ma présence : dans les luttes de classes, les intérêts ouvriers, c’est d’abord le meilleur salaire assorti de la liberté d’utiliser son salaire selon son bon vouloir, et il insistait : ni le patron capitaliste, ni ses mandataires àla direction de l’Etat et des administrations n’ont le droit de demander aux ouvriers des comptes sur ce qu’ils font de leur salaire ; l’argent de la Sécurité sociale, y compris la part qu’il est convenu d’appeler « patronale », n’est rien d’autre qu’une partie du salaire, et pour cette raison, c’est par abus de pouvoir que la moitié des administrateurs de la Sécurité sociale sont des représentants du patronat capitaliste : il ne devrait y avoir dans les Conseils d’Administration de la Sécurité sociale que des représentants des salariés, et cela changerait beaucoup de choses ; notamment, des Conseils d’administration composés uniquement d’ouvriers ne permettraient pas aux gros capitalistes de creuser comme ils le font le trou de la Sécurité sociale !

Les Mutuelles de Travailleurs des Bouches du Rhône

- La revendication ouvrière de la liberté d’utiliser son salaire au mieux de ses intérêts est aussi la raison de l’intérêt que portait Jojo aux Mutuelles de Travailleurs qui s’étaient développées àpartir des Bouches du Rhône sous l’impulsion de Louis Calisti.
- Les intérêts ouvriers avaient très fortement influencé le premier développement de ces mutuelles, et il en reste des traces : la première enquête de santé qui a dénoncé le caractère pathogène que le pouvoir dictatorial exercé par le patronat capitaliste sur ses entreprises donne non pas seulement aux conditions du travail, mais au travail lui-même, a été faite par les Mutuelles de Travailleurs des Bouches du Rhône, voici déjàun bon quart de siècle. Pour Jojo, ce caractère pathogène était une évidence, mais moi, j’ai dà» raisonner pour en reconnaître la vérité.
- Et lorsque Louis Calisti a été admis àreprésenter auprès du gouvernement le courant mutualiste dont il était président, il a dénoncé un détournement grave de la loi de Sécurité sociale opéré par la direction réformiste-capitaliste des caisses ; la loi précisait la proportion des sommes collectées qui devait être affectée àla prévention médicale : or, ces sommes ont été détournées vers le financement des laboratoires industriels, lesquels ne nous ont jamais appris comment ne pas tomber malades, ni comment organiser notre habitat et notre travail pour diminuer les risques de maladies et d’accidents !

La création de La Limousine

- J’en témoigne : l’attention que portait Jojo aux intérêts ouvriers les plus larges dans les luttes de classes lui avait fait suivre avec sympathie les luttes des salariés du Central Garage de Limoges, en incluant dans sa sympathie le débouché logique de cette lutte, qui fut la reprise de cette entreprise en SCOP, sous le nom de Diésélec ; c’est bien pour cette raison qu’il nous a si fortement poussés àcréer la mutuelle interprofessionnelle La Limousine, dont il fut secrétaire jusqu’àsa retraite ; la mutuelle La Limousine, avec la Mutuelle jeunes, la CAS-EDF, la mutuelle des employés de la CRAMCO, la Mutuelle Aussédat-Rey, la mutuelle des Forestiers et la Mutuelle interprofessionnelle de Charente-Maritime, ont formé en Haute-Vienne l’Union départementale des Mutuelles de France en juillet 1988.

L’acquisition des méthodes de calcul économique...

- Le fait est qu’aux yeux de Georges Huguet, les ouvriers devaient étendre àtoute l’économie leurs intérêts en jeu dans les luttes de classes, mais cette extension ne pouvait pas se traduire seulement par l’acquisition par les ouvriers des méthodes du calcul économique : il avait parfaite conscience de ce que les résultats des calculs économiques sont sous la dépendance des principes selon lesquels ces calculs sont conduits ; pour lui, c’était sans mystère : ces principes sont de nature politique, et dans la société capitaliste, c’est le propriétaire du capital qui les impose.

...et la création du CLEFAS

- De ce fait, ni lorsqu’a été diffusée la théorie que nous avons connue et pratiquée sous le nom de « nouveaux critères de gestion », ni même lorsqu’elle fut relancée après l’élection d’un président de la République membre de PS (chacun reconnaîtra François Mitterrand), Jojo n’a jamais eu àson sujet la moindre illusion : si les travailleurs pouvaient en tirer quelque progrès de leur condition, ce ne pouvait, ce ne peut être que comme résultat de leur lutte pour leurs intérêts de classe ; donc, afin de préparer ces luttes, il fallait améliorer et renforcer l’organisation de la CGT dans ce domaine aussi : c’est dans cet esprit qu’il a approuvé et soutenu la création du Comité limousin d’Etudes, de Formation, d’Assistance et de Services (CLEFAS) et aidé àsa mise en activité.
- Vers cette époque, sa surdité progressait au point de lui rendre de plus en plus pénible la participation aux réunions : il s’éloignait de celles auxquelles l’affluence était grande. Pourtant, il suivait bien les choses.
- Le CLEFAS organisa un stage pour apporter aux ouvrières licenciées de MAVEST un moment de réflexion approfondie, de progrès de leurs connaissances générales, et si possible, un soutien pour créer un nouvel emploi dans de nouvelles conditions. Ce stage entrait bien dans ses vues concernant le progrès de la revendication ouvrière.

Les leçons de l’expérience...

- En vérité, Jojo ne rejetait pas la création par les travailleurs d’associations, de mutuelles, de coopératives de consommation et de production devant leur servir de moyens pour défendre et faire avancer leurs intérêts dans la lutte des classes : simplement, il avait conscience de la facilité avec laquelle le système économique du capital les absorbe et, en même temps, fait disparaître ou inverse leur valeur politique, dès lors que les créateurs de ces institutions, ou leurs gérants, cessent de prendre en considération la signification politique grâce àlaquelle ils les ont créées et se calent, pour les gérer, dans le confort illusoire et trompeur des méthodes enseignées par la bourgeoisie capitaliste dans les lycées, les écoles et les universités qu’elle contrôle.
- Jojo avait tiré de l’expérience accumulée par les mutuelles des travailleurs, et par l’Union de Limoges jusqu’à1971, la conscience qu’il faut apprendre àgérer du point de vue du salaire les capitaux appartenant aux ouvriers qui les mettent en œuvre, sans jamais sacrifier au capital ni la force de travail, ni plus généralement la force de vie des travailleurs.
- C’est àcet apprentissage que doivent servir les mutuelles et les coopératives créées dans la logique des luttes pour le salaire ; mais cet apprentissage est politique, et ceux qui s’y livrent doivent comprendre que les techniques comptables comme les techniques de gestion dépendent de principes imposés par les propriétaires des capitaux.

...et l’immense espoir

- L’immense espoir de Jojo, c’était de voir le mouvement ouvrier revendicatif, et d’abord son organisation de lutte de classe la CGT, entreprendre dans et par la lutte d’élaborer et de formuler les principes que les travailleurs doivent imposer aux techniques comptables et de gestion des entreprises dont ils possèderont le capital, parce que la mise en œuvre de tels principes est nécessaire àl’invention et àla mise en fonctionnement des techniques comptables et de gestion sans lesquelles aucun mouvement socialiste de l’économie ne peut durer.
- Faut-il attribuer toutes ces idées àla persistance malsaine de l’utopie ? Faut-il déclarer bien vite, comme le font certains, que le tournant du siècle en a tourné la page, àmoins que ce soit l’effondrement de ce qu’il est convenu d’appeler le « camp socialiste » ?

Des idées fondées dans la réalité

- Je dis que non : nous fondions nos idées dans la réalité que nous observions dans le pays où nous vivions, et dans ce pays, un seul constat est possible aujourd’hui : cette même réalité est toujours présente, elle a toujours la dureté de l’inhumaine exploitation que subissent les travailleurs et tous ceux qui voudraient vivre de leur travail ; elle requiert toujours de ceux-ci, simplement pour survivre, des trésors d’intelligence tels que s’ils pouvaient, ou plutôt quand ils pourront, les appliquer àl’abolition de l’exploitation capitaliste, àla confiscation des biens appartenant aux propriétaires des plus gros capitaux terriens, miniers, industriels, commerciaux et financiers, ils trouveront et mettront en œuvre toutes les solutions réelles permettant de réorganiser toute la société pour le bien des travailleurs, pour le bien de l’humanité tout entière : cette mise en œuvre créera le socialisme.

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