Le présent article, ébauche le prolongement d’étude annoncé en conclusion de l’article du n° 28 d’EtincelleS : il s’agit de comprendre la marche au socialisme, c’est-à -dire de comprendre le commencement de la crise révolutionnaire et ses développements, afin qu’ils soient conduits de telle manière que le dernier moment de la crise révolutionnaire consiste dans le premier mouvement socialiste de la société tout entière ; à cette fin, nous devons mieux prendre connaissance de la situation présente du mouvement de revendication populaire et de celui des agents de l’Etat, mieux évaluer notre contribution au mà »rissement des conditions du déclenchement de la crise révolutionnaire, et en même temps, allonger la perspective au-delà du commencement de la Révolution, dans la marche même au socialisme ; c’est la démarche des communistes : avant tout, prendre connaissance de la société dans laquelle le peuple revendique.
Nous rencontrons aujourd’hui un très gros obstacle : ce sont les effets des torrents de propagande haineuse et calomnieuse déversés sur les travailleurs depuis la fin de l’occupation nazie de la France : cette propagande, conduite de manière à cacher toute réalité qui pourrait la démentir, a brossé de nous une image repoussante qu’elle interpose entre nous et les autres membres du peuple, de manière à rompre nos relations et à nous empêcher de nous comprendre les uns des autres ; il nous faut donc d’abord montrer la réalité, rétablir la vérité, dire qui nous sommes, nous, les communistes de ce pays.
Nous sommes des citoyens révolutionnaires ; notre tradition est née des révolutionnaires Cordeliers et Sans-culottes, des députés Montagnards de la Convention, ainsi que de ceux des Jacobins qui s’étaient sincèrement alliés avec les Sans-Culottes : Robespierre, Saint-Just et quelques autres ; les efforts du Sans-culottes Gracchus Babeuf ont apporté à notre tradition une contribution essentielle.
Avant 1789, le prénom de Babeuf était François-Noë l ; il exerçait sa profession de commissaire à terrier (notaire spécialisé dans la propriété nobiliaire) en se faisant médiateur dans les conflits qui opposaient les paysans travailleurs aux propriétaires, nobles ou bourgeois, des domaines terriens : dès que la révolution s’annonce, il s’engage pour les intérêts des travailleurs paysans et prolétaires, et se heurte aux prétentions des notables bourgeois ; il n’a jamais été assez riche pour être candidat à la députation aux assemblées révolutionnaires ; après le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), il est des quelques révolutionnaires qui ne s’avouent pas vaincus et relancent deux revendications populaires, celle contre la misère et celle de promulguer la Constitution de l’an 1 de la République.
Ce coup d’Etat fut un coup d’arrêt porté par la grande bourgeoisie à la Révolution : par ce moyen, elle s’est installée elle-même, sans intermédiaire, au gouvernement de la France, pour placer les campagnes, les ateliers et les manufactures hors du champ concerné par les principes de la vie publique ; désormais, en même temps que les gouvernements bourgeois plongeaient tous les travailleurs et les prolétaires des villes et des campagnes dans une misère qu’ils n’avaient encore jamais connue, même sous l’Ancien régime, ils rejetaient et réprimaient violemment la revendication ouvrière et paysanne de citoyenneté ; la bourgeoisie excluait ainsi pour neuf décennies les travailleurs de toute citoyenneté, et jusqu’à aujourd’hui, elle nie que l’exercice du travail puisse être acte de citoyennes et de citoyens : la grande bourgeoisie a enrayé et arrêté le cours de la Révolution des Droits humains et civiques.
Quant à nous, communistes, la Révolution française a fondé notre base de principes, à savoir :
- les membres du peuple habitant notre pays sont égaux en droits humains et civiques, nous discutons avec tous comme discutent des citoyens égaux en droits ;
- la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen inscrite dans la Constitution de l’an 1 de la République définit toute légitimité en énonçant les droits nécessaires à chacune et à chacun pour vivre ; nous savons la retrouver dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée par les Nations unies en 1946, et nous faisons nôtre la conception du droit définie à cette date par l’Association des Juristes démocrates.
Le coup d’Etat grand-bourgeois du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794) a arrêté la Révolution de la Liberté et de l’Egalité avant qu’elle abolisse les privilèges de la grande bourgeoisie : depuis ce coup contre-révolutionnaire, les propriétaires des plus gros capitaux, dont le nombre diminue toujours, s’enrichissent en exploitant toute force de travail, volant les prolétaires et appauvrissant les pauvres dont le nombre ne cesse de croître : la misère des peuples ne cesse de s’accroître à mesure que s’enrichit une minorité seulement occupée à gérer ses propriétés et à en jouir ; l’inégalité est toujours le principe de l’organisation sociale.
Or, les travaux de divers penseurs et savants du dix-neuvième siècle nous confirment dans notre pensée que cela n’est pas fatal : je tiens pour particulièrement important les travaux de Friedrich Engels, de Karl Marx, de Charles Darwin, de Sigmund Freud, qui, venant après les réflexions des grands voyageurs et des philosophes des Lumières, confirment la preuve que les humains sont naturellement égaux, et que l’élaboration, partout dans le monde, de sociétés d’égalité est tout-à -fait possible : leurs travaux confirment la nécessité de relancer la révolution arrêtée le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794).
Friederich Engels et Karl Marx n’ont pas créé la tradition révolutionnaire, ni même la tradition communiste du mouvement ouvrier : en France, l’une et l’autre procèdent de la Révolution française : la campagne sanglante menée par la grande bourgeoisie française pendant les deux premières années de la République, et dont le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République fut l’accomplissement victorieux, prouvait chaque jour aux travailleurs que les intérêts de la bourgeoisie n’étaient pas les leurs : la tradition révolutionnaire et la tradition communiste du mouvement ouvrier sont nées de la résistance républicaine à cette offensive bourgeoise.
En bons militants, Friederich Engels et Karl Marx ne se contentaient pas de dire la nécessité de relancer la révolution : ils ont démontré la possibilité d’accomplir la révolution de la Liberté et de l’Egalité : la preuve qu’ils ont apportée consiste dans l’analyse des mouvements de l’économie exposée par Karl Marx dans le Capital : cette analyse montre que le prolétariat travailleur doit sans cesse défendre le salaire, qu’il doit pour cela s’attaquer aux prélèvements de profit en quoi consiste l’exploitation capitaliste : en conséquence de cela, le prolétariat travailleur peut relancer la révolution ; il lui faut seulement joindre à la revendication du salaire une revendication active de confisquer le capital, et avec lui tous les objets réels et fiduciaires qui entrent dans sa composition.
Ainsi, la contribution de ces deux militants à la tradition communiste est essentielle, d’une importance telle que de trop nombreux communistes oublient qu’elle est un moment des évolutions qui ont affecté le camp révolutionnaire depuis 1788.
C’est dommage, car l’analyse de ces évolutions, c’est-à -dire l’analyse des contradictions du camp révolutionnaire, est indispensable à qui a besoin d’appréhender l’actualité des travaux scientifiques de ceux qui ont prouvé la possibilité de faire la Révolution : c’est cette analyse qui valide en effet la preuve marxiste dans les conditions qui sont les nôtres.
Qu’est-ce qu’une révolution ? C’est le bouleversement des conditions concrètes dans lesquelles les habitants d’un pays reproduisent et produisent les conditions matérielles de leur existence, réalisé par eux-mêmes à l’échelle du pays.
Le bouleversement révolutionnaire atteint toutes les conditions concrètes de la reproduction et de la production des conditions d’existence de la société humaine, depuis leurs formes jusqu’à leur base : il change le mode même de la production : c’est ainsi que la Révolution française, dans son œuvre d’abolition des prélèvements féodaux, a détruit la souveraineté monarchique et l’organisation féodale du territoire, les baronnies, comtés, duchés, marches (on appelait ainsi les territoires frontaliers, que le roi ne confiait pas à un duc, mais à un marquis) ainsi que le royaume, pour substituer la Nation au souverain monarque, créant ainsi la souveraineté nationale, et pour remplacer l’ordre féodal, qui hiérarchise les territoires, par un ordre qui accorde la même valeur à toute localité dont le territoire est travaillé par les paysans : c’est sur cette base que la Révolution crée la Commune.
Nul ne reste à l’écart de la révolution ; chacun prend parti à chaque moment pour elle ou contre elle, suivant comme il évalue ses intérêts et leur satisfaction par la révolution : après le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), Gracchus (tel était alors son prénom) Babeuf remarquait qu’en 1789, tout le monde sauf le roi était révolutionnaire, alors que lors de l’avènement de la République (septembre 1792), beaucoup de révolutionnaires avaient rejoint le camp de la contre-révolution au fur et à mesure de la satisfaction de leurs revendications, et qu’ il ne restait plus, dans le camp de la révolution, que les véritables amis de l’égalité et l’immense classe des travailleurs .
La Révolution, c’est un mouvement collectif de tous les membres de la société : pour le percevoir, pour le penser, pour le comprendre, penser par catégories figées ne suffit pas : il faut faire appel à la dialectique.
Comme tout mouvement, la révolution est le siège de contradictions ; la contradiction essentielle oppose la révolution à la contre-révolution. Il s’agit de femmes et d’hommes dont les intérêts s’opposent : les uns placent leurs intérêts dans la révolution et forment le parti révolutionnaire, les autres dans la contre-révolution et forment le parti contre-révolutionnaire ou réactionnaire : la révolution consiste dans l’affrontement de ces deux camps.
Mais ces deux camps sont eux-mêmes des mouvements : ils sont donc chacun le siège de contradictions : dans la Révolution française, le parti contre-révolutionnaire était formé de gens aussi divers que des aristocrates de cour, des seigneurs terriens, des grands bourgeois très riches, des gens d’Eglise de haut rang, mais aussi des Sans-Culottes fidèles à leurs maîtres ; quant au parti révolutionnaire, il comprenait des bourgeois avides d’agrandir leurs propriétés, d’autres bourgeois, quelques aristocrates et gens d’Eglise lecteurs des Philosophes et acquis à l’idée de l’égalité en droits de tous les êtres humains, et surtout des artisans, des paysans et des travailleurs Sans-Culottes ; Gracchus Babeuf avait bien observé tout cela !
La révolution est un mouvement de la Nation : la politique nationale consiste dans l’affrontement de la contre-révolution et de la révolution.
Il n’y avait aucun Sans-Culottes dans la Convention nationale qui se réunit au lendemain de la victoire de Valmy pour entreprendre de définir l’institution de la souveraineté nationale, la République : pour y être député, il fallait être propriétaire.
Malgré cette précaution, la bourgeoisie riche et les ci-devant aristocrates étaient inquiets de la contribution des Sans-Culottes à la réunion de la Convention, à la mobilisation des Gardes nationaux volontaires et donc à la victoire de Valmy ; ils étaient inquiets de la formation de la Commune insurrectionnelle de Paris, du cours qu’allaient prendre les délibérations de la nouvelle assemblée révolutionnaire : de nombreux comités révolutionnaires départementaux et locaux leur échappaient ; les gardes nationaux de ces localités et départements ne leur obéïssaient pas, et ils n’étaient pas sà »rs de l’armée de ligne.
La bourgeoisie riche résolut d’arrêter la révolution ; ainsi devenue contre-révolutionnaire, elle se mit à recruter et à former des bandes violentes, sortes de milices bourgeoises (habillées d’un manteau noir et armées d’une lourde canne noueuse), pour les engager dans la guerre civile, tantôt contre les bandes de l’aristocratie, tantôt avec elles, faisant toujours couler le sang du peuple, terrorisant la population et interdisant de plus en plus souvent les réunions des comités révolutionnaires ; cette violence cyniquement terroriste préparait dans la rue le coup d’état qu’elle porta le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), pour reprendre en mains la totalité des leviers du gouvernement du pays : ensuite, la bourgeoisie prit la direction du camp de la contre-révolution, y réalisa l’intégration des partis contre-révolutionnaires bourgeois, aristocratiques et ruraux sous la loi de la propriété bourgeoise ; c’est ainsi qu’elle unit toutes les forces contre-révolutionnaires sous sa direction exclusive dans la répression de la seule force sociale qui restait au camp de la révolution, le mouvement des travailleurs Sans-Culottes.
Désormais, dans l’affrontement révolution contre contre-révolution, la bourgeoisie riche dirige le camp de la contre-révolution en s’efforçant d’accumuler davantage de richesse sans la produire elle-même, et la classe travailleuse, toujours force unique du camp défait de la révolution, revendiquait simplement les droits de vivre de tous ses membres, et c’est encore Gracchus Babeuf qui nous en informe. La guerre civile de la contre-révolution contre la révolution était devenue la guerre de la classe exploiteuse pour réprimer la rendication ouvrière des droits de vivre, dernier mouvement révolutionnaire en activité, et ainsi imposer à la classe travailleuse l’exploitation bourgeoise sans limites, l’exploitation capitaliste : les membres de la classe ouvrière ne jouissent toujours pas du droit de vivre : ils doivent acheter ce droit aux propriétaires des capitaux.
Ainsi, nous observons que l’affrontement de la contre-révolution et de la révolution prenait dès le 10 thermidor an 2 de la République (28 juillet 1794) les caractères de l’affrontement de deux classes sociales, l’une dominante et exploiteuse, la bourgeoisie riche, l’autre dominée et exploitée, l’immense classe des travailleurs, comme le disait Gracchus Babeuf ; l’alliance des véritables amis de l’égalité restait acquise aux travailleurs : elle témoignait de ce que la philosophie humaniste restait attachée au destin révolutionnaire du mouvement populaire, jusque dans la défaite.
Désormais, les grands bourgeois propriétaires des plus gros capitaux terriens, miniers, industriels, commerciaux et financiers, et dont l’existence sociale consiste à prélever le profit sur la force de travail des ouvrières et des ouvriers, ainsi que sur les progrès que d’autres font faire aux sciences et aux techniques, et à l’incorporer aux capitaux qu’ils contrôlent, ces bourgeois riches constituent le noyau actif du camp de la contre-révolution ; cela n’a pas changé depuis ; le principal moyen de leur pouvoir politique consiste à gérer leurs propriétés, à diriger leurs entreprises et à manipuler l’Etat que financent nos impôts. Ils ont créé la profession politique, dont les membres assurent le contrôle exclusif de la bourgeoisie sur la vie publique et sur la législation de notre pays : la profession politique, c’est la négation quotidienne de la démocratie.
Nous observons que le camp de la contre-révolution est peu nombreux : il se réduit aux membres de la bourgeoisie riche qui ont pris la Bourse des Valeurs pour philosophie ; mais il est très fortement structuré par la circulation du profit et des capitaux, et discipliné par les succès et les échecs dans les échanges mercantiles ; il possède de très gros moyens d’action, et s’en sert en permanence pour manipuler l’opinion publique et pour intimider les membres du peuple ; il n’hésite jamais à faire couler le sang du peuple lorsque cela assure le prélèvement des profits : grâce à ces moyens, ce camp minoritaire domine notre pays parmi beaucoup d’autres, exploite sa classe travailleuse, abuse travailleuses et travailleurs et divise le camp de la révolution !
Karl Marx, avec l’aide de son ami Friederich Engels, a donné dans son œuvre « Le Capital » la toute première analyse de la structure et de la discipline du camp de la contre-révolution ; la méthode d’exposition de cet ouvrage nous donne la méthode suivie par son auteur pour faire cette analyse, et chacun peut constater aujourd’hui que cette même méthode, s’il l’applique à la réalité des sociétés d’aujourd’hui, lui permet toujours de connaître la classe exploiteuse, la bourgeoisie capitaliste, et les processus de l’exploitation qui la relient aux membres du peuple, même s’ils sont aujourd’hui beaucoup plus complexes que du vivant de Karl Marx : nous pouvons bien connaître le camp de la contre-révolution si, pour l’étudier, nous suivons la méthode adoptée par Karl Marx pour exposer son analyse de la société bourgeoise dans son ouvrage Le Capital.
La force dominée du camp de la révolution
La description que fait Gracchus Babeuf de ce qu’était devenu le camp de la révolution lors de l’avènement de la République, à la fin du mois de septembre 1792, indique les trois faits qui font jusqu’à aujourd’hui la force de la révolution ; ce sont :
- le grand nombre des femmes et des hommes qui ont intérêt à la faire ;
- leur qualité d’ouvrières et d’ouvriers, grâce à quoi ils peuvent toujours assurer concrètement la production de tous les biens nécessaires à la vie humaine, la création de toutes les bases matérielles nécessaires aux civilisations, ainsi que la production de toute richesse ;
- la participation de femmes et d’hommes d’autres conditions sociales, mais véritablement acquis à la revendication d’égalité en droits de toutes les femmes et de tous les hommes qui habitent le territoire en révolution.
C’est le 9 thermidor an 2 de la République que le camp de la contre-révolution a imposé au camp de la révolution une domination qui a traversé les cahots de notre histoire et dure jusqu’à ce jour : quels sont ses moyens de dominer notre société ?
Ce fut d’abord le massacre des républicains, la terreur appliquée au peuple, la tromperie, le recrutement massif des jeunes pour les guerres de conquête, la division du peuple en factions guerrières mutuellement hostiles, l’obscurantisme, la misère et la terreur.
Depuis le 9 thermidor an 2 de la République, certains de ces moyens ont toujours été actifs : c’est le cas de la tromperie, de l’obscurantisme, de la misère et de la culture de la terreur, qui consiste à mettre tout salarié en situation permanente d’insécurité, mais c’est aussi le cas de l’utilisation des jeunes dans les guerres en terre étrangère (les guerres napoléoniennes, puis coloniales et néo-coloniales).
La mise en œuvre des autres moyens est la mission bourgeoise des forces armées (armée, gendarmerie, police, milices et bandes irrégulières) : le calme revenant, les gouvernements bourgeois n’ont jamais licencié ces forces ; ils les ont toujours maintenues prêtes à servir, même au repos.