Entendons-nous bien : c’est l’Etat tout entier que la bourgeoisie emploie à réprimer la révolution ; la police et l’armée ne sont que les organes de l’Etat chargés de l’emploi des armes.
Les communistes sont, c’est ce qui les distingue, bien déterminés à faire avancer la révolution : cette détermination leur fait obligation d’examiner les problèmes que posent l’armée et la police de leur pays, sans oublier qu’au cours de l’histoire, l’une et l’autre ont eu l’occasion d’échanger leurs missions comme d’agir ensemble à la poursuite du même objectif, et sans oublier non plus que la Révolution française a fait naître, à partir de 1789, un mode d’organisation sociale et politique concurrent de l’Etat, auquel elle a donné un autre nom, avant que la bourgeoisie, en juillet 1794, recouvre l’œuvre de la Révolution de sa grande robe grise !
Il s’agit pour les communistes de prendre pleinement conscience de la réalité présente, afin de fonder dans cette réalité toutes leurs actions et toutes leurs élaborations théoriques ; l’objet du présent texte est d’exposer une démarche excluant toute spéculation sur l’utopie et posant de premiers éléments pour l’indispensable prise de conscience.
Le premier élément, constant pour tous les révolutionnaires, est qu’il est nécessaire de mettre fin au système économique et politique que nous appelons le capitalisme ; nos raisons sont les suivantes :
La nation française est attaquée par les propriétaires des plus gros capitaux de sa terre, de son industrie, de son commerce et de sa finance (banques et assurances), alliés et complices des propriétaires des plus gros capitaux d’Europe, et au-delà , du monde : par leur fait, nous voyons continuer l’augmentation du chômage, la diminution de toutes les parties du salaire que sont le salaire direct, les prestations servies par la Sécurité sociale et par les mutuelles, et les pensions de retraite par répartition, tout cela étant, de plus, grignoté jour après jour par une inflation soigneusement camouflée par la presse écrite, parlée et télévisée au service du capital.
Les propriétaires des plus gros capitaux attaquent encore notre nation sous un autre angle : la diminution et la destruction de nos productions par la concentration des capitaux industriels, conduite de restructuration en délocalisation, ainsi que des capitaux agricoles ; au moyen de la politique de concentration des capitaux agricoles, les capitalistes ont substitué à notre agriculture paysanne une agriculture industrielle : ils ont ainsi supprimé en un demi-siècle plus de 90 % des emplois agricoles, mis en friche une très grande partie de nos terres arables, rétréci outrageusement l’éventail des produits de l’agriculture et beaucoup diminué leur qualité moyenne, gravement pollué les terres, les eaux et l’atmosphère.
Leur troisième angle d’attaque contre la nation française est la « Construction européenne » : elle fut toujours un puissant accélérateur de la concentration des capitaux agricoles ; au fur et à mesure de ce que les capitalistes mettaient en fonction les institutions de leur « Union européenne », ils ont supprimé les cantons (la crise de l’économie capitaliste se généralisant, ils ont supprimé les dernières institutions cantonnales, les tribunaux de paix, qui jugeaient d’une manière coutumière avec les Droits de l’Homme et du Citoyen parmi leurs références juridiques ; ils les ont supprimés parce que dans les conflits du travail, les juges de paix tendaient de plus en plus à rétablir les droits humains et civiques des salariés violés par les patrons : cela rendait les jugements de plus en plus souvent défavorables à la formation du profit) ; dans le même but, ils achèvent le démantèlement des communes, détruisent les départements et dévoient les régions pour les faire servir à l’intégration de nos territoires dans les structures étatiques de leur Union européenne ; nous voyons en même temps le rouleau compresseur du « tout-anglais obligatoire » entreprendre d’écraser les langues nationale, régionales et locales de France, avec la complicité des régionalistes antirépublicains héritiers des thèses menteuses et réactionnaires de Charles Maurras.
Les mêmes propriétaires des plus gros capitaux, ou leurs sosies d’autres pays, attaquent notre nation en développant les trafics et la consommation illicites des drogues, la traite des personnes prostituées et le trafic des armes.
Pour couronner le tout, l’impérialisme asservit notre nation, assignant à l’armée française des missions contraires à l’intérêt national (pour les trentes dernières années, nous citerons les interventions au Tchad, au Zaïre (l’ancien Congo belge), au Congo anciennement français, au Rwanda, en Afghanistan, en Irak, en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, et cette liste n’est pas complète) ; en outre, l’impérialisme télécommande et oriente en France comme partout ailleurs dans le monde le développement du terrorisme.
Pour clore ce noir tableau, nous devons dire encore que les gouvernements de notre pays participent à toutes ces attaques : en réalité, la nation française est attaquée par ses propres gouvernements ! On le voit, toutes ces raisons mettent en cause la survie de la France.
La bourgeoisie et son Etat
L’Etat français est comme tous les Etats, un appareil administratif élaboré, mis en place et en fonction, non par la Nation, mais par les classes dominantes, c’est-à -dire aujourd’hui en France par la bourgeoisie riche, avec pour mission de maintenir la domination de classe, c’est-à -dire d’assurer le prélèvement et la collecte du profit, et son intégration aux capitaux privés : la bourgeoisie riche de la France estime que son Etat ne peut accomplir aujourd’hui cette mission qu’en couvrant les attaques contre la Nation jusqu’à ce qu’elle soit détruite et notre peuple asservi : nous comprenons dès lors que malgré les militaires et les policiers patriotes, ni la police, ni l’armée ne peuvent défendre la nation contre les agressions qu’elle subit : l’une et l’autre en sont détournées par les ordres qu’elles reçoivent de nos gouvernements et par les pressions idéologiques des diverses factions du parti capitaliste ; ces diverses factions ne diffèrent l’une de l’autre que par le cynisme de leur propagande, et par les déguisements qu’elles donnent à la violence antipopulaire de leurs prétentions.
Il est clair, me semble-t-il, que la seule manière que nous ayons de sauver la France est de mettre fin au système capitaliste dans lequel elle est enfermée.
Mettre fin au système capitaliste suppose que le peuple démantèle le moyen du pouvoir qu’est l’Etat bourgeois : de quoi s’agit-il ?
En France, l’Etat bourgeois est composé de trois éléments : l’ensemble des administrations publiques définies par la Constitution et par les lois fondamentales (officiellement désigné sous le nom d’Etat), les chambres consulaires et les structures des entreprises de la bourgeoisie.
Les chambres consulaires procèdent d’une tradition médiévale strictement bourgeoise ; dissoutes par la Révolution, elles ont été rétablies sous la signature de l’empereur Louis-Napoléon Bonaparte, pour prendre en mains les missions de politique économique que la République avait d’abord confiées aux municipalités, aux administrations cantonales et aux conseils généraux. Aujourd’hui, le budget géré par les chambres de commerce et d’industrie de France est au moins égal à celui de l’Etat constitutionnel : le réseau des Chambres consulaires est une division de l’Etat bourgeois réel.
Les structures des entreprises de la bourgeoisie sont le contrat salarial, les réseaux d’achat et de vente, les ententes, les combinaisons résultant des achats et ventes des parts d’actions (filiales, groupes, participations croisées, trusts, etc...).
L’Etat constitutionnel et le réseau des Chambres consulaires sont les tours de défense de l’Etat bourgeois.
La bourgeoisie exerce son pouvoir politique en jouant des structures d’entreprises : dans ce jeu, les propriétaires des plus gros capitaux se servent du contrat salarial pour constituer leur pouvoir politique en confisquant les droits humains et civiques des salariés de toutes les entreprises dont ils possèdent une part de capital, et en se les appropriant : l’ensemble fonctionnel des entreprises est la force de manœuvre de l’Etat bourgeois.
En France donc, un très petit nombre de très riches propriétaires des plus gros capitaux de la terre, de l’industrie, du commerce et de la finance (ils sont moins d’une centaine) exercent un pouvoir politique exorbitant : ils font la loi du réseau des Chambres de Commerce et d’Industrie, ils orientent l’action de nos gouvernements et pèsent très lourdement sur l’activité de toutes les assemblées représentatives de nos collectivités territoriales ; fondé sur le grand nombre des salariés qu’ils exploitent, leur pouvoir est essentiellement contraire à toute démocratie, contraire à tous les principes de la République : ces gens imposent à notre peuple un régime d’inégalités.
Leur richesse et leur pouvoir sont la cause de la pauvreté qui afflige des millions d’habitants de la France, salariés déqualifiés, chômeurs, titulaires de revenus de substitution et de précarité, personnes sans domicile fixe, etc… : dans notre pays seulement, nous comptons par millions les victimes de cette centaine de privilégiés ; c’est ce qui rend nécessaire de mettre fin à leurs privilèges, de mettre fin à leur pouvoir exorbitant, de mettre fin au moins en France au système économique et politique qui est le leur, et qui porte le nom de capitalisme.
La possibilité de le faire résulte simplement de ce que chacune de leurs victimes est capable d’intelligence et de travail, et que toutes sont capables de joindre leurs intelligences en un mouvement collectif d’intelligence, et, conjointement, leurs actions en une action collective : lorsqu’un groupe de femmes et d’hommes s’attachent à résoudre concrètement une difficulté vitale, leurs intelligences individuelles ne cumulent pas leurs effets de manière additive (par simple ajout), mais de manière multiplicative, par intégration des apports de tous aux apports de chacune et de chacun : le potentiel collectif d’intelligence des exploités est, à cause de leur grand nombre, infiniment supérieur à l’intelligence, même collective, du petit nombre des exploiteurs ; la condition nécessaire pour que les victimes de l’exploitation exercent leur intelligence collective est qu’elles comprennent comment exercer leurs droits humains et civiques égaux pour faire valoir leurs intérêts, et qu’elles constatent que le moment est arrivé pour elles d’élaborer et d’instituer une société d’égalité et de liberté pour toutes les femmes et tous les hommes, une société sans exploiteurs.
La question qui se pose aux communistes est donc : comment s’y prendre pour mettre fin à la société capitaliste ?
Le système capitaliste tout entier repose sur un principe : les capitaux appartiennent à des personnes privées, éventuellement regroupées selon le droit privé, qui prélèvent sur les produits du travail fait dans les entreprises placées sous leur propriété le profit dont elles vivent et abondent leurs capitaux, leurs entreprises ou les institutions de l’économie qui les servent : dans les sociétés capitalistes, le pouvoir politique naît des capitaux que l’on possède et du profit que ces capitaux permettent de collecter.
Pour abattre le système capitaliste, il faut donc d’abord abattre la propriété privée des gros capitaux et confisquer les biens où est produit et par où circule le profit que ces propriétaires accumulent ; or dans chaque pays, la légitimité et parfois même la légalité, permet au peuple de confisquer les biens des propriétaires de capitaux.
Confisquer les biens où est produit, où circule et où est accumulé le profit, cela ne demande pas très longtemps : de quelques semaines à quelques mois ; mais cette confiscation n’est que le premier acte de la Révolution : sans délai, sans même attendre que le premier acte soit déclaré terminé, avec pour seul signal le sentiment populaire de la nécessité, il faut que le peuple s’approprie lui-même ces biens, qu’il prenne en main la gestion de toutes les richesses qu’ils représentent et produisent, et qu’il s’en serve de manière à mettre fin à la misère et à tous les drames dont la cause est l’exploitation capitaliste ; en somme, il faut que le peuple prenne collectivement possession des biens servant à l’économie capitaliste, et qu’il bouleverse cette économie de telle manière que plus jamais personne n’ait à en souffrir, de telle manière que chacun des habitants du pays y vive dignement avec sa famille : c’est là le deuxième acte, qui s’achève lorsque les femmes et les hommes constatent que l’économie désormais fondée sur la propriété sociale des moyens de produire et d’échanger fonctionne, c’est-à -dire lorsqu’ils ont accompli l’édification d’une économie socialiste ; ce deuxième acte de la Révolution demande beaucoup plus longtemps.
Les tâches de ce deuxième acte sont de créer un mode social (ou national, c’est la même chose) de propriété, d’élaborer des règles pour gérer les biens soumis à ce nouveau mode, c’est-à -dire des règles selon lesquelles seront conduits la production, les progrès de la production et la répartition des denrées, biens et richesses produits, et de soumettre à la propriété sociale les biens confisqués aux propriétaires capitalistes.
La planification démocratique est certainement l’une des plus importantes de ces règles ; une autre tâche absolument indispensable sous peine d’échec à long terme, est de préparer les nouvelles générations à prendre toutes leurs reponsabilités dans l’élargissement de la liberté individuelle qui en résultera, en ouvrant les enseignements des écoles, collèges et lycées sur les transformations en cours dans la société, sur les contraintes que ces transformations font cesser, et en ouvrant sur l’étude de ces transformations et de tous leurs effets toutes les activités sociales de recherche (il ne s’agit pas seulement des activités universitaires de recherche et d’enseignement en sciences, en technologie, en sciences humaines, en économie, en droit, mais aussi de toutes les activités des cercles populaires d’étude scientifique).
Tel est le temps que demande le deuxième acte de la Révolution :
- du temps pour que le peuple prenne possession de ses nouveaux biens,
- du temps pour qu’il apprenne à exercer collectivement son nouveau droit de propriété, pour qu’il prenne conscience de ses règles, les invente et les formule, et pour les inscrire dans nos lois,
- du temps pour refaire notre industrie et notre agriculture, toutes deux ravagées par l’économie capitaliste,
- du temps pour refaire notre système scolaire, collégien, lycéen et universitaire, démantelé par les réformes des gouvernements au service du capitalisme,
- du temps pour élaborer les nouvelles connaissances dont nos écoles, collèges, lycées et universités devront ouvrir et faciliter l’accès aux femmes et aux hommes de tous âges qui habitent ce pays, afin qu’ils soient demain les maîtres de leur société et en même temps, les maîtres de leur destin.
- du temps pour développer le mouvement associatif populaire, qui est absolument nécessaire au développement de la culture, des sciences, des techniques et des arts, ainsi qu’aux progrès de l’agriculture et de l’industrie.
C’est seulement lorsque toutes ces tâches auront été accomplies que nous pourrons parler de la France comme d’une société socialiste ; le temps de leur accomplissement est le temps de la marche au socialisme.
La marche au socialisme ne doit pas être pensée comme un stade d’une société sortant d’une transformation et attendant la suivante, mais comme un mouvement ; comme tous les mouvements de toutes les sociétés, ce mouvement sera celui d’une contradiction : celle-ci opposera bien évidemment les forces de progrès aux forces de réaction ; les forces de progrès œuvreront à la fin des drames, des guerres et de la misère, c’est-à -dire qu’elles œuvreront au bonheur commun ; les forces de réaction s’efforceront de ramener notre société sous l’oppression du capital, sous l’exploitation capitaliste, ce qui, nous le savons, plongerait la plupart des habitants de cette société dans le malheur.
La bourgeoisie contre la République
La Révolution est, comme tout mouvement de toute société, un nœud de contradictons : la crise révolutionnaire commence lorsque le parti du mouvement s’est rendu plus fort que le parti de l’ordre, et s’achève lorsque le parti de l’ordre, transformé par la révolution, a triomphé du parti du mouvement.
Dans la Révolution française, le parti du mouvement réunit les deux mouvements contradictoires que sont la revendication bourgeoise et la revendication populaire.
Au milieu du dix-septième siècle, la bourgeoisie faisait la loi de deux administrations royales, celle de la justice et celle de la finance, ainsi que de l’industrie manufacturière : tel était son Etat dans l’Etat monarchique ; elle revendiquait pour lui une plus grande place dans l’Etat monarchique. Les Etats constitués après la Révolution, d’abord par la constitution thermidorienne, puis par toutes celles qui ont suivi pendant presqu’un siècle, ne sont que l’Etat bourgeois d’Ancien Régime complété des administrations de la police, de l’armée et de quelques autres, et sur lequel l’autorité de la bourgeoisie est confirmé.
A la veille de la Révolution, la revendication populaire procédait des avancées techniques, scientifiques et philosophiques du siècle des Lumières : le peuple revendiquait la liberté et l’égalité en droits pour tous les habitants du royaume, afin que chacune et chacun vive dignement.
C’est l’intervention du peuple pour ses propres revendications qui a brisé le royaume, le pouvoir de l’aristocratie ; c’est elle qui a institué la Nation, la République et la Démocratie : la Nation ne doit rien à l’Etat et la République ne doit surtout pas être confondue avec lui !
La République et l’Etat bourgeois dans la société capitaliste
Dans les articles qu’il publiait pour réagir au poutch de thermidor an 2 de la République, Gracchus Babeuf notait que lorsque la Convention fut convoquée, les travailleurs, dans leur « immense masse » comme il l’écrivait, restaient les seuls révolutionnaires véritables, tous les autres ayant obtenu satisfaction aux revendications qu’ils avaient formulées contre l’Ancien Régime ; au lendemain du coup d’Etat, Babeuf constatait que les travailleurs, à la ville comme à la campagne, avaient été plongés dans une misère plus terrible encore, et réduits au silence politique ; sa formule soulignait que les travailleurs ont pour eux le nombre : cela l’a conduit à revendiquer que soit mise en vigueur, malgré ses imperfections, la constitution de l’an 1 de la République, et c’est cette revendication formulée alors qui a placé la République dans nos revendications prolétariennes.
Pendant quatre-vingt-quinze ans, la bourgeoisie française a combattu haineusement le nom même de la République ; depuis la huitième décennie du dix-neuvième siècle, où elle a dà » concéder d’habiller son Etat d’oripeaux républicains, elle s’attache à vider la République de toute signification : la raison en est que la République véritable institue la souveraineté du peuple (du peuple tout entier) selon le principe de l’égalité en droits de chaque personne avec n’importe quelle autre, et que ce principe retire à toute classe minoritaire tout pouvoir de gouverner seule, toute possibilité d’usurper la souveraineté nationale comme le fait la bourgeoisie française. Si riches soient-elles en effet, cent personnes ne peuvent en aucun cas imposer leur politique à trente cinq ou quarante millions de personnes majeures, jouissant réellement de tous leurs droits humains et civiques (parmi lesquels il faut citer le droit à l’instruction et le droit à l’information), et dont chacune détient des droits civiques égaux à chacune de ces cent personnes riches.
Les Françaises et les Français qui ont intérêt à mettre fin au système capitaliste sont l’immense majorité des habitants de la France, et beaucoup des agents de l’Etat bourgeois sont dans ce cas ; ceux d’entre eux qui sont conscients de ce que cet intérêt est le leur et qui estiment nécessaire d’agir pour cette fin doivent prendre en compte le sens propre du mot de République, qui est inscrit dans notre histoire, et le mettre en œuvre, dès maintenant et jusqu’à ce que la Révolution commence, pour manifester la volonté majoritaire, puis pendant toute la marche au socialisme, et jusque dans le socialisme lui-même.
En somme, les habitants de la France doivent mettre en œuvre la République véritable pour réduire à néant le pouvoir qu’exerce l’Etat bourgeois de contraindre les travailleurs et tous ceux qui ne pourront pas vivre s’ils ne trouvent ou retrouvent pas de travail ; deux cent vingt ans après la déchéance des Rois de France, la République est toujours une revendication du peuple travailleur.
Les vulnérabilités de l’Etat bourgeois
L’Etat bourgeois est constitué d’êtres humains placés les uns par rapport aux autres dans des rapports déterminés pour assurer l’application des directives émanant de la direction de l’Etat ; cela étant, chaque être humain est toujours capable de juger les rapports auxquels il est soumis et les principes de l’action que les directives lui commandent, de modifier ce jugement, de remettre en cause les principes, et donc de modifier ses engagements personnels, le cas échéant : l’histoire humaine est remplie d’exemples de ces dictateurs qui ont été déchus parce que quelques-uns des serviteurs de leur gouvernement les avaient trahis.
L’aristocratie elle-même a commencé de perdre son pouvoir collectif de dominer le royaume de France lorsqu’aux siècles des Lumières, un certain nombre de ses membres, dont quelques-uns des plus éminents, se sont détournés du service des armes du roi ou de la fidélité au pouvoir politique du haut clergé, préférant la connaissance du monde, la connaissance de la nature et l’ouverture philosophique connexe de cette connaissance : cette préférence a conduit certains d’entre eux à épouser la cause de la Révolution, pour le pire, peut-être, mais aussi pour le meilleur, certainement !
Individuelle ou collective, toute dictature présente cette vulnérabilité, et la dictature de la bourgeoisie riche y est sujette comme les autres : elle n’est assurée de la fidélité que d’un très petit nombre de ses agents, et les bourgeois eux-mêmes ne sont pas tous décidés à défendre la dictature bourgeoise.
La mission des agents de l’Etat les écartèle entre deux directions contraires, antagoniques : l’une est l’assurance fonctionnelle du prélèvement et de la circulation du profit, qui se fait toujours au bénéfice des plus riches propriétaires de capitaux. -L’autre direction est d’assurer l’intérêt général : elle est ce qui reste aujourd’hui de la mission d’assurer le bonheur commun, que les Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de 1793 avaient d’abord assignée à l’action des gouvernements, et qui fut ensuite restreinte par plus de deux siècles de gouvernements bourgeois ; restreinte seulement, car il ne leur a pas (encore) été possible d’effacer de nos consciences que l’action publique doit assurer l’intérêt général, et que les intérêts capitalistes, qui sont tous, si gros soient les capitaux, des intérêts particuliers, doivent céder devant l’intérêt général. Devraient céder.
Par l’effet de son hégémonie, la grande bourgeoisie place aux fonctions de direction de son Etat des personnes pour qui l’intérêt général, au plus haut niveau, n’est rien d’autre que l’intérêt des plus gros propriétaires de capitaux : c’est ainsi qu’elle s’assure que les directives de son Etat tendront à servir les intérêts capitalistes.
Mais les enseignements des Lumières philosophiques et les traditions de notre Révolution ne s’effacent pas si facilement, et leur maintien, par l’étude de l’histoire, des sciences de la nature et de la philosophie, fait que les agents de nos administrations, surtout aux échelons moyens et inférieurs, parviennent à distinguer l’intérêt général des intérêts particuliers, et exigent d’agir dans l’intérêt général ; aux plus bas échelons, la différence que cela représente est d’autant mieux perçue que les agents vivent parmi les membres du peuple et observent plus directement, comme eux, les conséquences des politiques mises en œuvre par les gouvernements.
Il en est de même dans le réseau des chambres consulaires, à la différence que les agents n’ont à connaître professionnellement que des chefs d’entreprise ; cela les écarte des salariés de production (ouvriers ou techniciens) ; cependant, la concentration des capitaux a retiré aux chefs des petites entreprises la quasi-totalité du pouvoir de conduire leurs entreprises, et beaucoup de petites et moyennes entreprises ont disparu ; de grandes parties de notre territoire ont été vidées de toute industrie : cela peut rendre évidente aux yeux des agents des chambres consulaires la divergence entre l’intérêt général et les intérêts des propriétaires des plus gros capitaux.
En France, la vulnérabilité de l’Etat bourgeois résulte de ce que les intérêts des propriétaires de capitaux divergent de l’intérêt général (qui est justement l’intérêt national). La bourgeoisie connaît bien cette divergence : au moment de renverser l’Ancien Régime, elle était très minoritaire dans la population du royaume ; de ce fait, la simple démocratie risquait de tourner les agents de son Etat comme ceux des administrations nouvelles vers la mission d’assurer le bonheur commun, et de les détourner de la mission de défendre les intérêts bourgeois ; c’est pour cette raison que, dès l’été de l’an 1 de la Révolution (1793), aussitôt acquise la défaite de l’aristocratie, elle tournait la violence contre le peuple.
La bourgeoisie riche comptait alors quelques milliers de membres tout au plus : après qu’elle eut balayé la République, elle exerçait le pouvoir au moyen d’un parlement de cinq cent députés choisis parmi ses membres : ce parlement suffisait à la représenter tout entière avec toutes ses nuances.
Depuis lors, la divergence des intérêts capitalistes et de l’intérêt général n’a jamais cessé de s’élargir, au rythme de la concentration des capitaux : entre les deux premières guerres mondiales, deux cent chefs de familles riches surveillant les gouvernements suffisaient à représenter les intérêts capitalistes ; aujourd’hui, les propriétaires des capitaux décisifs dans l’économie française ne sont pas plus d’une petite centaine.
En même temps que se concentraient les capitaux, et parce que les intérêts capitalistes divergeaient toujours davantage de l’intérêt général, la grande bourgeoisie perfectionnait les mécanismes de sa domination : les intérêts capitalistes lui imposent en effet de faire taire toute expression des intérêts de notre peuple, et sa position de force politique minoritaire ne peut obtenir cela que par l’application de la violence dans tous les domaines, et à un niveau suffisant ; c’est ainsi qu’elle s’attache à faire concourir à l’application quotidienne de la violence sur notre peuple :
- l’économie elle-même,
- l’administration judiciaire et toutes les autres administrations de l’Etat (pas seulement l’armée et la police),
- l’idéologie au moyen de toutes les éditions de presse écrite ou télévisée, du livre, du film, de la chanson,
- l’éducation : à cette fin, elle a assigné comme mission principale à chacun des établissements de nos systèmes public et privé des écoles, collèges, lycées, universités et grandes écoles,…, celle de sélectionner les enfants, et fait de l’enseignement une mission subalterne !
En vérité, depuis l’été 1793, la bourgeoisie n’a jamais cessé de mettre en œuvre la violence contre-révolutionnaire pour affaiblir l’autonomie économique, idéologique et d’organisation des membres du peuple.
Depuis lors, à cet effet, tous les moyens administratifs ou publics de la propagande œuvrent pour maintenir les agents de l’Etat dans l’obéissance aux ordres que leur transmettent les gouvernements bourgeois ; le moyen idéologique de ce maintien est l’incessant rappel de la fiction selon laquelle l’intérêt général consisterait dans les intérêts capitalistes, les intérêts des salariés étant censés être garantis et représentés par leur patron, et les autres membres du peuple, chômeurs ou femmes, n’ayant pas d’intérêt propre à faire valoir.
De cette manière, la bourgeoisie occulte la mission d’assurer l’intérêt général : tel est son moyen d’assurer la domination de la mission qu’elle a donnée à son Etat.
La situation où un peu plus de deux siècles de politique bourgeoise ont conduit la France rend évidemment nécessaire de rendre la mission d’intérêt général prioritaire sur toute autre considération dans la conduite, à tous les échelons, de l’action de tous les départements et administrations de l’Etat. Quelle force politique peut-elle le faire ?
Cela fait deux cent vingt ans que la bourgeoisie est reine de toutes nos administrations publiques : la force de sa position est telle que la seule intervention capable de ramener l’intérêt général, c’est-à -dire l’intérêt national, au premier plan des tâches des agents de l’Etat est la seule force capable de s’imposer à la bourgeoisie : c’est la revendication populaire des intérêts ouvriers, la revendication par les prolétaires de leurs droits de travailler humainement et de vivre et faire vivre leurs familles dignement grâce au salaire que leur travail leur rapportera, à condition que cette revendication des droits légitimes des membres du peuple prenne assez de force.
En somme, la lutte idéologique qui oppose au sein de l’Etat bourgeois la mission d’assurer les intérêts capitalistes et celle d’assurer l’intérêt général est un front de la lutte de classes qui oppose la bourgeoisie et le peuple travailleur : c’est à partir de cette réalité que les communistes peuvent déterminer leur politique relative à toutes les administrations de l’Etat, sans excepter l’armée ni la police.