certains cénacles politiques, à la définition souvent aussi péremptoire qu’incertaine, et d’autres faiseurs d’opinion nous sommaient de la condamner.
Toutes contradictoires, les raisons des uns se mélangeaient à celles des autres dans une confusion des plus suspectes, d’ailleurs inquiétante pour notre intelligence : il faut faire un peu de lumière.
L’armée française, entrant en guerre contre quelque trois mille combattants aventurés dans un désert fort éloigné de leurs bases (situées dans la péninsule arabique), avait-elle vraiment besoin d’être soutenue par les citoyens que la professionnalisation a séparés d’elle ? Non ! En vérité, le gouvernement ne cherchait pas le soutien populaire à l’action de l’armée, mais l’adhésion inconditionnelle du peuple à sa politique, sans lui permettre de connaître les intérêts en jeu !
Fallait-il soutenir l’ennemi que le gouvernement français a assigné à l’armée française ? Quel est cet ennemi ?
Il n’a pas recruté ses combattants dans une ethnie particulière, mais dans tous les pays dans lesquels les prédicateurs intégristes de l’Islam parvenaient à se faire entendre, France comprise ; il ne consiste ni dans la civilisation targuie (celle des Touareg), ni dans celle des Dogons, ni dans aucune autre : toutes les civilisations d’Afrique sont menacées par le développement de l’intégrisme islamique, en même temps que par la guerre et par ses conséquences.
Cet ennemi s’est rassemblé au moyen de mots d’ordre à prétexte religieux concoctés dans des cénacles lointains (domiciliés dans l’est de la péninsule arabique) et armé à dépense de pétrodollars ; ses combattants se réclament de l’Islam, se prétendent des « combattants de la foi » ; ils ont la même intolérance que les croisés de notre Moyen Âge (vous savez : « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »), celle qui a très longtemps empoisonné la vie politique de tous les pays d’Europe, celle qui, aujourd’hui, empoisonne la vie politique des sociétés où un intégrisme trouve asile.
Leur action est criminelle comme l’était celle des croisés du Moyen Âge ; ce caractère criminel ne fait de doute pour personne, et surtout pas pour les musulmans : ceux-ci reconnaissent le crime dans l’incendie des trésors spirituels de Tombouctou comme ils le reconnaissent dans nombre de leurs exactions précédentes.
La « charia » musulmane consiste dans la recherche de la vérité de la foi : mais ni celui qui inflige un supplice, ni le supplicié ne s’approchent de la vérité de la foi : ni le voleur à qui on coupe la main, ni celui qui la lui coupe, ni l’« hérétique » qui meurt dans les flammes d’un bà »cher, ni celui qui l’allume, ni celui qui le bénit ne s’approchent si peu que ce soit de la vérité de la foi !... Les populations musulmanes pas plus que les autres ne peuvent attendre de telles armées la moindre libération.
Fallait-il intervenir ou non ? Cette question n’était pas dans la réalité !
La réalité, c’était la nécessité d’arrêter les criminels.
Qui pouvait arrêter les criminels ?
Il semble que ces criminels-là , l’armée française les ait arrêtés au Mali ; cela pose une question : le Mali ayant été décolonisé en même temps et de la même manière que les autres colonies françaises (Guinée exceptée), pourquoi n’y avait-il pas une force malienne capable d’arrêter les criminels ?
Les intégrismes sont d’abord des mouvements d’idées : pour quelle raison celui-ci n’a-t-il pas trouvé en face de lui, au Mali, un mouvement d’idées capable de limiter son influence ? Le fait est qu’au temps de la colonie française, depuis au moins un siècle et demi, l’administration coloniale et la bourgeoisie colonialiste veillaient à ce que le mouvement des idées reste cantonné à de vaines incantations : le colonialisme français faisait obstacle au développement de mouvements populaires d’idées humanistes au Mali comme dans toutes les autres colonies françaises.
Après la défaite infligée au colonialisme français par le peuple algérien, maintenir le statut colonial dans les « possessions françaises » n’était plus possible ; la bourgeoisie colonialiste s’est entendue avec la bourgeoisie métropolitaine afin de poursuivre l’exploitation capitaliste des territoires coloniaux : c’est alors que les gouvernements français ont inventé ce qu’ils ont appelé la « décolonisation ».
Il s’agissait de mettre en œuvre de nouveaux concepts : on a séparé l’administration de chaque colonie, mis à sa tête un « gouvernement », baptisé cela « administration nationale » ; on a alors conféré à ces anciennes colonies le statut de « sujet du droit international » en les faisant admettre à l’ONU ; ce fut la décolonisation officielle ; on a passé avec ces gouvernements des « accords d’amitié et de coopération », aux termes desquels l’armée française conservait les bases qu’elle avait aux colonies ; en même temps, l’« armée coloniale » cessait de l’être pour redevenir les « troupes de marine ».
Aux termes d’autres accords, les chefs d’entreprises colonialistes devenaient des coopérants ; mais la collecte du profit continuait, et continuait d’abonder les fortunes des mêmes exploiteurs qui, prudence est mère de sà »reté, domiciliaient leurs capitaux partie en France et dans d’autres pays capitalistes riches, partie dans des pays pauvres aux gouvernements complaisants !
Soucieux de commander avec efficacité, les gouvernements de notre pays ont placé ces diverses administrations « nationales » sous le chapeau d’une administration occulte du néocolonialisme, que nous connaissons (fort mal) sous le nom de « Françafrique ».
Au Mali comme dans les autres néocolonies, la « Françafrique » a simplement continué l’œuvre colonialiste, et pour cela, resserré les censures qui frappent les idées essentielles d’un futur mouvement populaire d’idées humanistes ; cela a permis à l’intégrisme de prendre le masque d’un mouvement de libération, en prenant le relais de la revendication populaire que colonialisme et néocolonialisme bâillonnaient sévèrement ; en même temps, la Françafrique maintenait l’état malien dans le manque d’institutions autonomes de sa sà »reté. Voilà pourquoi le Mali n’a pas pu, et ne peut toujours pas, se défendre efficacement contre les aggressions intégristes, et voilà de quoi est faite la nécessité de l’intervention de l’armée française.
Intervenir était vraiment une nécessité, mais une nécessité indéfendable.
De tout cela procède encore le danger que le vertige de la victoire remportée sur les criminels lave le colonialisme et le néocolonialisme français de toutes leurs fautes et de tous leurs crimes !
Il faut bien comprendre que la nécessité ici décrite est tout à la fois superficielle, opaque et impérieuse : par ces trois caractères, elle cache les véritables intérêts en jeu.
D’où viennent les agressions intégristes que nous observons ? La propagande du gouvernement français ne parle de l’ennemi qu’il a assigné à l’armée française que sous les noms de « terroriste » et de « djihadiste ».
D’abord, comprenons ce deuxième mot : par les règles de sa formation, il désigne un partisan du « djihad » ou un participant au « djihad ». Quant au mot « djihad », les Français savent maintenant que c’est un mot arabe tiré du Coran.
Malheureusement, l’usage veut, depuis les croisades, que nous traduisions toujours « djihad » par « guerre sainte ».
Pour les intégristes chrétiens, c’est commode : cet usage fait passer la croisade, qui est une guerre de conquête, pour une guerre défensive contre l’expansion par les musulmans, à la force des armes, de leur religion.
Mais cet usage est fautif : le mot « djihad » désigne toutes les actions auxquelles les musulmans doivent recourir pour faire de nouveaux adeptes et répandre l’Islam dans le monde. Toutes les actions et pas seulement celles de la force des armes ; traduire le mot arabe « djihad » par « guerre sainte », c’est tenir pour de nul effet la prédication musulmane, qui n’est ni plus souvent intégriste, ni plus généralement accompagnée d’une action de force armée que la prédication chrétienne.
Ensuite, constatons que ceux qui nous gouvernent nous trompent au sujet des sources de l’intégrisme musulman : en attirant notre attention sur ses sources médiévales, ils nous aveuglent sur sa résurrection survenue au cours des trois dernières décennies écoulées, en même temps qu’ils activent la légende de la fatalité de l’intégrisme musulman, et plus généralement, des intégrismes religieux. Ce sont en effet les propriétaires des plus gros capitaux du monde qui ont délibéré au sein de leurs trusts et pris la décision de relancer l’intégrisme musulman :
- Ces dirigeants mondiaux du capitalisme se sont toujours, depuis 1917, tenus informés de la vie politique et des affaires du pays des Soviets (Russie soviétique, puis URSS) ; sans attendre la mort de Staline, ils prenaient connaissance des personnalités qui allaient lui survivre, de leurs sensiblités politiques ; cela leur a permis de suivre pas à pas les changements du gouvernement de l’URSS ; et surtout les changements de son orientation ; dès le milieu du vingtième siècle, ils ont pris connaissance de la dérive qui commençait d’entrainer et de dissoudre l’activité philosophique du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) dérive avait d’abord été marquée par la pétition de principe que « dans le socialisme, il ne peut y avoir de contradiction ; l’URSS étant devenue socialiste, elle ne connaissait plus de contradiction, et donc, la lutte des classes y était terminée » ; les capitalistes membres des principaux trusts mondiaux ont soigneusement analysé cette pétition de principe et pesé ses conséquences probables.
- Le lien entre la lutte des classes et la cohésion fédérale de la Russie des Soviets, puis de l’Union soviétique ne leur avait jamais échappé : la proclamation par la direction du PCUS de la fin de la lutte des classes en URSS ne pouvait que leur annoncer un affaiblissement essentiel de la cohésion fédérale de ce pays.
- Bientôt après, les réformes Libermann ont privé les ouvriers soviétiques des pouvoirs politiques dont la révolution bolchévique les avait dotés sur les entreprises où ils travaillaient ; transférant ces pouvoirs à l’administration, ces réformes transformaient les directions administratives en propriétaires des entreprises : les ouvriers redevenant des prolétaires, c’était maintenant la cohésion sociale du pays qui était atteinte.
- Il ne restait plus aux propriétaires des plus gros capitaux du monde qu’à attendre les signes qui montreraient que l’URSS était devenue assez faible pour céder à une action destructrice judicieusement pensée.
En observant l’armée soviétique déployée en Afghanistan, les capitalistes dirigeants constataient la sensibilité croissante des soldats soviétiques à la drogue : ils connaissaient bien ce processus, qui avait longuement affecté les soldats états-uniens guerroyant au Viet-Nam ; ils y ont reconnu le signe évident d’un effondrement des forces morales de l’armée soviétique ; rapprochant ce signe d’autres informations concernant l’URSS, que leurs « observateurs » rapportaient d’autres sources, les dirigeants du capitalisme mondial comprenaient que les forces de leur ennemi, celui qu’ils combattaient sans trève depuis 1917, fondaient, et que déjà la fédération soviétique se fissurait en tous sens : pour eux, l’heure était venue d’élever le niveau de leur intervention.
Il leur fallait mobiliser une force de violence capable de s’infiltrer le long des réseaux dont dépendait l’armée soviétique déployée en Afghanistan, de se développer au sein même de la fédération, de multiplier et d’élargir les fissures qu’elle présentait déjà en recherchant sa ruine : l’intégrisme musulman leur a semblé être le bon vecteur pour ce projet.
Notons bien qu’une telle délibération ne pouvait avoir lieu au sein d’un gouvernement ; elle dépasse la compétence des gouvernements de tous les pays du monde, si puissants soient-ils : les participants de cette délibération devaient être assez riches et puissants pour contrôler réellement un ou plusieurs Etats capitalistes, et en même temps, pour mettre sur pied et en œuvre, en tant que de besoin, leur propres milices privées ; en même temps, il fallait que leur délibération couvre tous les compartiments de l’activité économique conduite dans le cadre du capitalisme, et pour cela, la diplomatie ne devait pas y interférer avant que des positions communes aux plus riches capitalistes soient arrêtées et imposées aux gouvernements sous leur contrôle : les participants de ces délibérations n’étaient ni chefs d’Etat, ni ministres.
Une telle délibération ne pouvait avoir que les trusts mondiaux pour cadre.
Que sont ces trusts ?
En vue de leurs affaires, les propriétaires de grandes masses de capitaux se rencontrent, font connaissance les uns avec les autres : des liens de confiance se nouent des uns aux autres au rytme et par le moyen des affaires qu’ils traitent et concluent au niveau international.
En vue de ces affaires, ces propriétaires établissent et maintiennent leurs relations par-dessus les frontières et au-dessus des compétences gouvernementales : ces processus ont commencé à l’occasion de la guerre franco-prussienne de 1870 et n’ont jamais cessé depuis.
Les réseaux de ces affaires peuvent faire l’objet de contrats écrits, mais ce n’est pas le cas général : en leur sein, les affaires se font d’abord ; ensuite, la confiance vient ou ne vient pas selon les résultats des affaires, et la conhérence en est la conséquence.
Les trusts, ce sont ces réseaux d’affaires et de confiance.
Dans les trusts mondiaux délibèrent les propriétaires que leurs capitaux rendent capables de manipuler les procédures électorales et de contrôler les démocraties formelles ; chacun de leurs membres peut tenir un passeport de l’état de n’importe quel pays capitaliste riche ou moins riche, mais aujourd’hui, leurs dirigeants sont des Etats-uniens riches en dollars et des Arabes riches en pétro-dollars.
Aujourd’hui, l’intégrisme musulman continue alors que l’URSS n’est plus : il ne faut pas croire qu’il ait échappé à ceux qui l’avaient relancé ; au contraire, ces capitalistes agissant en maîtres du monde ont soigneusement observé l’expérience et conçu de la renouveler en tant que de besoin pour assurer leur contrôle sur les autres richesses du monde ; ils ont fait du terrorisme un des moyens de leur politique, et des groupes intégristes armés autant d’instruments de cette politique.
Car les groupes intégristes armés ne se forment pas au hasard et n’agissent pas par hasard ; ils ne sont pas le produit de la fatalité ; il suffit à un trust, à un groupe de ces gens très riches, de financer l’un des intégrismes pour nourrir une vague de terrorisme et l’orienter dans le sens qu’il a délibéré : en jouant ainsi de plusieurs intégrismes contraires, les trusts mondiaux peuvent se maintenir capables de détruire n’importe quelle civilisation humaine dans laquelle ils trouveront un obstacle au prélèvement du profit qu’ils escomptent : nous avons l’exemple tragique de la guerre de trois intégrismes, l’un catholique, l’autre chrétien orthodoxe et le troisième, islamique, qui vient de détruire la Yougoslavie.
En vérité, toutes les religions se sont montrées capables en maintes occasions historiques de développer quelque intégrisme jusqu’au terrorisme ; dans le même temps, nous avons pu observer que les plus hauts dignitaires de n’importe quel pays peuvent s’assurer les services de prêtres intégristes.
Nous pouvons donc considérer que dans leur diversité potentielle, les groupes intégristes armés participent d’une institution vouée à exercer la violence terroriste et guerrière au service des intérêts des propriétaires des plus gros capitaux du monde ; les chefs de cette institution sont des commis des trusts que ces propriétaires de capitaux ont constitués au niveau mondial.
Cela doit inquiéter toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté : si les peuples laissent faire ces Messieurs des trusts, ils feront de notre vie publique une incessante guerre de religions : aucun peuple ne peut espérer qu’un intégrisme lui apporte quelque libération que ce soit.
Le danger qui menace le monde est le développement de guerres entre intégrismes religieux divers, tous téléguidés par les trusts d’importance mondiale ; ces guerres serviront à détruire de fond en comble toute civilisation représentant un obstacle, si infime soit-il, au prélèvement du profit et à la circulation mondiale des capitaux. Les peuples ne peuvent pas attendre des gouvernements capitalistes qu’ils les protègent contre le terrorisme.
- 2 - Est-ce la foi religieuse qui a bâti l’être humain ?
Presque toutes les civilisations cultivent les inégalités entre les humains : elles procèdent de sociétés instituées de longue date en systèmes inégalitaires : leur caractéristique commune est que les travailleurs prolétaires, celles et ceux qui ne possèdent rien qui vaille mais dont le travail et l’intelligence produisent toutes les denrées, tous les biens et toutes les richesses nécessaires à la vie et à la survie de tous les membres de la société, de la société elle-même, ainsi qu’au progrès de la civilisation, sont toujours dans les plus bas échelons de la hiérarchie institutionnelle, pendant que les échelons les plus élevés sont occupés par les privilégiés, ceux qui ne sont pas nourris par leur propre travail : dirigeants, chefs, rois et empereurs, propriétaires des plus grandes quantités de biens, de richesses, et surtout propriétaires des plus importants et plus nombreux moyens nécessaires à la production des conditions assurant la continuation de la société, parmi lesquelles les conditions de survie et de vie de ses membres.
Les travailleurs portent toute la civilisation, non seulement parce qu’ils produisent tout ce qui est nécessaire à sa continuation, mais aussi parce que le premier mouvement de chaque civilisation n’est rien d’autre que le mouvement d’ensemble des vies individuelles et collectives des travailleurs attachés à la production matérielle, et parce que le progrès des techniques et des sciences procède entièrement du travail lui-même ; en somme, parce que le travail est l’essence de la civilisation.
Lorsqu’une civilisation est détruite, la vie des prolétaires est réduite à presque rien, quand ils ne l’ont pas perdue : les prolétaires n’ont aucun intérêt à la destruction des civilisations ; leur intérêt est d’en devenir les maîtres.
Les moments les plus profonds de la civilisation sont les gestes mêmes du travail ; ses productions premières sont les conditions matérielles et culturelles nécessaires au travail lui-même ; au-delà de ces moments premiers, l’humanité ne fait qu’arranger et réarranger les productions matérielles et culturelles du travail, notamment en les empilant par étages successifs : les privilégiés et possédants ne sont pas les porteurs de la civilisation ; ils logent dans ses étages supérieurs, ils en sont le produit. L’histoire nous enseigne par de nombreux exemples que lorsque leur civilisation est détruite, ils conservent souvent assez de biens matériels pour survivre au désastre et redevenir des privilégiés et possédants de la civilisation qui lui succède.
Dans l’histoire, nous ne trouvons ni civilisation dépourvue de religion, ni civilisation durablement monoreligieuse ; nous trouvons le plus souvent des civilisations habitées de religions diverses ; les religions s’opposent entre elles par l’interprétation que chacune donne du monde réel : leurs théologies sont incompatibles ; l’incompatibilité théologique est un facteur de conflits au sein des sociétés où elles cohabitent.
La base culturelle de l’humanité, qui constitue en quelque sorte le rez-de-chaussée de la civilisation, est le produit de la première reproduction des travaux humains : c’est tout ensemble la structure d’élevage des enfants et le langage ; les étages viennent ensuite : ils faut le langage pour les définir et pour conduire le travail nécessaire à leur établissement.
L’information que véhicule le langage parmi les êtres humains est donc, depuis toujours, particulièrement complexe ; je ne peux pas imaginer que cette fonction véhiculaire repose sur les seules propriétés structurelles des langues humaines : je dois formuler l’hypothèse que le développement premier de la fonction véhiculaire du langage humain est le résultat d’une synergie qui a relié les échanges de signaux vocaux d’une part et l’action humaine sur les objets de la nature d’autre part.
Cette synergie devait avoir pour support dans le langage le rapport contradictoire de l’ambigüité et de la contradiction ; son support dans l’activité humaine était le corpus des gestes et de leurs effets sur les objets.
L’ambigüité est universelle dans les discours humains ; tous les mots, même les plus simples, ont plusieurs sens, et leurs ambigà »ités multiplient les sens de toute phrase que l’on forme avec eux, ainsi que ceux de toute combinaison logique de phrases ; de sorte que lorsque le discours ou l’échange de répliques s’allongent sans autre apport d’information, leur ambigüité croît jusqu’à ce que le discours dise tout ensemble une chose et son contraire ; or, le sens d’un tel discours est impensable ; la philosophie enseigne que l’on ne peut pas dire à la fois une chose et son contraire, et appelle cette impossibilité le principe de non-contradiction ; lorsqu’il en est ainsi l’échange discursif s’arrête parce qu’il a perdu tout objet ; cet arrêt est nécessaire à la transmission des connaissances ; il contraint en effet les locuteurs à observer le contexte de leur discussion, c’est-à -dire la situation concrète dans laquelle ils se trouvent et celle dont ils parlent (qui n’est pas nécessairement la même) : c’est le résultat de cette observation qui leur permet de rendre du sens à leurs discours, c’est-à -dire de résoudre la contradiction et de continuer leur échange.
L’hypothèse que les actions humaines sur les objets de la nature et leurs effets forment un système qui a constitué la quasi-totalité du support relié par synergie à celui des échanges de signes vocaux me semble hautement vraisemblable : dans cette hypothèse, cette synergie a transformé en travail l’action de chaque individu de l’espèce de grands primates préhumains sur les objets naturels, en même temps que les signaux vocaux échangés entre les individus devenaient un langage ; la synergie s’est nécessairement formée au sein de chaque groupe préhumain, chacun réalisant le langage en une langue particulière : la langue du groupe.
L’ambigüité évidente des signaux vocaux conditionnait la création des langues : deux groupes préhumains séparés et échangeant peu ou pas du tout produisaient chacun sa réalisation du langage, et rien ne permet de penser que ces deux réalisations aient pu être identiques ; la variation dialectale procède de l’ambigüité, et nous devons la considérer comme un mouvement essentiel propre au langage humain.
Ce que nous savons des primates doit nous conduire à considérer que les groupes préhumains étaient composés d’individus masculins et féminins vivant ensemble, tous âges mêlés : dans ces conditions, pour chaque membre du groupe, la situation dans laquelle les échanges de signaux vocaux accompagnaient et « commentaient » les actions sur les objets de la nature se répétait sans fin ; la répétition de cette situation sollicitait la mémoire de chacun des membres du groupe : nous devons considérer cette situation sans cesse répétée comme la situation d’apprentissage par les petits de cette espèce, et la continuation des répétitions comme la situation d’apprentissage par les enfants : se répétant de jour en jour, d’année en année et de génération en génération, cette situation s’est instituée, assurant la transformation de l’espèce des primates pré-humains en l’espèce humaine, puis la durée des groupes humains ; cette institution est le noyau de la culture ; elle continue la synergie qui avait d’abord relié deux corpus pré-humains, celui des actions sur les objets naturels et celui des signaux vocaux ; son rôle est de maintenir présentes dans notre mémoire d’utilisation immédiate les connaissances nécessaires au travail et à la vie sociale : ces connaissances représentent les solutions précédemment apportées aux difficultés de la vie et du travail ; ce noyau est indispensable à la reproduction du travail de génération en génération, ainsi qu’à son élargissement, lui aussi relié par la même synergie à l’élargissement des connaissances maintenues actives par le noyau de la culture.
L’institution des sociétés, celle des religions, toutes les formes de la production des étages de la civilisation ne sont que la continuation de la reproduction élargie du travail et des connaissances : l’ambigüité essentielle du langage humain, multipliant sans cesse les significations que produit le langage, produit la variété des formes de civilisation, la variété des sociétés et celle des religions.
C’est plus tard, au bout de l’évolution multi-millénaire qui sépare Homo habilis de la haute antiquité mésopotamienne, que sont apparues les religions que nous connaissons aujourd’hui ; elles ont été définies par les humains au moyen de leur langage dans le courant de l’évolution de leurs sociétés : leur éloignement de la réalité du monde naturel n’est pas étonnant, non plus que l’incompatibilité que présentent leurs théologies deux à deux ; l’ambigüité essentielle du langage humain est tout-à -fait de nature à expliquer ces deux caractères, l’incompatibilité des théologies pouvant être vue comme un cas relevant du principe de non-contradiction : elle nous montrerait alors qu’il est grand temps de réintroduire la réalité que nous décrit la connaisssance scientifique du monde dans les représentations que les humains se font du monde ; c’est ce qu’a entrepris la Révolution française en plaçant hors des religions la République et toutes ses institutions.
L’ambigüité essentielle du langage humain conduit chaque civilisation à s’instituer différemment en des lieux différents, dans des conditions qui peuvent donner des formes différentes aux mouvements de la pensée collective nécessaires à la transmission des connaissances, et produire plusieurs sociétés différentes réalisant et portant une même civilisation ; je conçois ainsi qu’une même religion peut habiter plusieurs sociétés différentes, et que plusieurs religions peuvent habiter une société donnée.
Tout cela résulte de l’essence même du langage humain ; ce qui reste commun à l’humanité, c’est son essence, qui unit le travail à la nécessité mère de toutes les langues humaines, de parler pour reproduire et conduire le travail.
Donc, la cohabitation de diverses religions au sein d’une civilisation et au sein d’une société est dans l’ordre des choses : ce qui la rend possible, c’est que dans le travail ou dans la vie courante, les membres du peuple travailleur n’ont aucun besoin des interprétations de niveau théologique : depuis que l’humain est l’humain, et dans toutes les civilisations, la réalité du travail est laïque, donc aussi les institutions du travail et la vie des travailleuses et travailleurs.
Les religions se gardent de diffuser leur théologie parmi les travailleurs : elles mettent à leur portée, pour leur vie quotidienne, des schémas simplifiés d’interprétation du monde ; ces schémas simples permettent aux ouvriers de faire leur travail en observant les mouvements de la matière et sans se poser les questions métaphysiques de la pensée religieuse. Toutes les religions font cela, et c’est ce qui permet aux ouvrières et ouvriers de religions différentes de travailler ensemble à la même œuvre ; la religion qui ne le ferait pas sera bientôt balayée.
Il faut observer que pour définir une civilisation, la religion que l’on juge dominante ne saurait suffire : cette religion est celle de la caste détentrice du sommet de la hiérarchie sociale, et qui exerce le pouvoir ; représenter une civilisation par la religion dominante, ou par ses principales religions, rejette ou maintient dans l’oubli les institutions du travail ainsi que la vie des travailleuses et travailleurs, pour qui la foi religieuse la plus profonde et la plus sincère est un accessoire de leur existence.
Plusieurs religions cohabitant dans une société, il y a un rapport entre la place de chacune d’elles dans la vie religieuse du pays et la position de leurs dignitaires dans l’économie ; ce qui assure la position d’un privilégié dans une société est l’étendue de ses biens et le nombre des travailleuses et travailleurs occupés à produire au moyen de ces biens : tous les privilégiés ont tendance à se servir de leur religion pour s’assurer la fidélité et l’obéïssance des travailleuses et travailleurs employés à mettre leurs biens en valeur ; c’est la raison de la division religieuse de l’activité économique ; notons que les fondateurs de sectes s’efforcent de faire exactement le même appel à l’obéïssance religieuse pour se faire une place confortable dans la société.
Nous devons comprendre que les conflits interreligieux ne sont jamais essentiellement des conflits de dogme ; ce sont bien plutôt des conflits de concurrence économique entre groupes de propriétaires dont chacun contrôle à l’aide de sa religion une branche d’activité, et dont ceux d’au moins une de ces religions jugent pertinent, lorsque l’intensité du conflit en arrive à l’épanchement du sang, de mobiliser leur religion pour le combat au service de leurs intérêts politiques et économiques ; le conflit des religions n’est que l’expression idéologique du conflit d’intérêts économiques, et ne peut être résolu sans que soient réarrangées les institutions politiques ; il en fut ainsi des guerres de religions dans le royaume de France.
Pour réussir cette mobilisation, il leur faut obtenir que leurs corréligionnaires identifient la défense de leur foi avec celle des intérêts économiques du groupe des propriétaires ; les croyants opèrent cette identification lorsqu’ils perdent de vue le caractère accessoire de leur foi dans leur vie au point d’être effrayés par une éventuelle séparation d’avec les dignitaires de leur religion ; les chefs religieux s’activent alors à faire de leur position un fortin idéologique en développant et en faisant prêcher une interprétation particulière, totalitaire et réductrice de leur religion : cette interprétation doit nier tout ce qui, dans le monde, n’est pas cette religion, justifier les croyants quand ils terrorisent, torturent ou tuent ceux qui ne suivent pas avec assez d’obéïssance, ou qui refusent de suivre ; c’est cette interprétation que l’on appelle un intégrisme religieux ; ici encore, nous reconnaissons la très proche ressemblance avec la démarche sectaire et avec les effets qu’elle produit sur les fidèles de la secte.
La crainte religieuse est entièrement enfermée dans le système d’idées religieuses censé représenter le monde ; c’est une crainte réelle, mais que le croyant éprouve devant un ensemble d’illusions ; le croyant peut lui échapper s’il prend conscience de l’illusion, et s’il fonde son existence, sa vie, dans la réalité ; cela consiste à reprendre conscience de ce que la foi religieuse la plus profonde et la plus sincère est un accessoire participant à la sphère privée de sa vie de travailleur.
En vérité, les prédications intégriste et sectaire ne font jamais que développer la crainte religieuse devant une religion outrancièrement simplifiée et donc illusoire au-delà de toute mesure : elles ne sont rien d’autre que des impostures, et n’obtiennent en guise d’obéïssance que du fanatisme.
Nous pouvons alors comprendre un processus important des guerres dites de religion : ceux qui entreprennent ces guerres ont besoin de faire combattre les membres du peuple travailleur ; afin de les entraîner à leurs ordres, ils déversent des torrents d’illusions grâce auxquelles ils font monter l’intensité du conflit jusqu’à rendre inévitable l’épanchement du sang : ils se servent alors de la religion pour assurer l’engagement, la fidélité et l’obéïssance des combattants.
Nous connaissons depuis des millénaires les méfaits du fanatisme que la religion cimente : il peut étendre sans limite le théâtre de la guerre, multiplier le nombre des combattants de chaque camp, aggraver jusqu’au génocide l’épanchement du sang et compliquer à l’excès la résolution du conflit.
Anatole France écrivait que « la guerre, ce sont des millions d’hommes qui ne se connaissent pas et qui s’entretuent pour les intérêts de quelques-uns qui se connaissent très bien et qui ne s’entretuent pas ! »
Les guerres des religions détruisent et ruinent la civilisation qu’elles habitent ; mais cette civilisation est le dernier bien des travailleurs de toutes religions : quelle que soit leur religion, les travailleurs n’ont aucun intérêt aux guerres de religions ; l’exemple récent de la Yougoslavie le prouve définitivement.
Intégrismes criminels ou sectes, c’est la même démarche : faut-il permettre que cela continue ? Quelle force peut-elle résister aux intégrismes religieux ?
Les intégrismes sont des mouvements d’idées : lorsqu’un chef intégriste recrute des troupes, il le fait en obtenant des adhésions individuelles aux idées qu’il propage ; ces idées sont nées de la capacité de quelques dignitaires de passer pour indispensables à la foi des croyants, et de leur volonté de modifier en leur faveur la circulation des profits ; ces idées sont donc des illusions, et souvent même des impostures, tout comme le sont les idées des sectes.
La force capable de résister aux intégrismes religieux, ainsi qu’aux sectes, est donc un mouvement d’idées dont la recherche de vérité met en œuvre un critère qui s’impose aux illusions et démasque les impostures ; un tel critère de vérité existe : ne dépendant pas de l’être humain, il procède nécessairement du mouvement universel de la matière, et sa première formulation par l’être humain est celle qu’élaborent et pratiquent les ouvrières et les ouvriers lorsqu’ils travaillent et lorsqu’ils enseignent le travail aux apprentis.
De longues guerres dites de religion ont ravagé la France ; les rois de France les ont étouffées sans en résoudre les conflits ; nous appelons Renaissance la période de calme qui en est résultée ; elle fut favorable aux progrès des arts, des sciences puis de la philosophie ; nous appelons Lumières philosophiques les avancées connues ensuite par la philosophie du seizième au dix-huitième siècles.
L’intégrisme catholique restait dangereux, comme en atteste la condamnation à mort de Jean Calas ; Voltaire sut mettre en mouvement un corps d’idées nouvelles, contraires aux intégrismes, et faire que sa veuve obtienne réparation.
Bientôt, l’activité de Diderot et des Encyclopédistes («  Hâtons-nous de rendre populaire la philosophie !  ») contribua puissamment à l’avancée parmi les travailleurs des progrès techniques, du mouvement scientifique de la connaissance, ainsi que des Lumières philosophiques : tout cela réduisait de beaucoup l’influence des intégrismes et des sectes.
Tous ces progrès des techniques, des sciences ainsi que les Lumières philosophiques inspiraient le peuple lorsqu’il s’est mis en mouvement contre les affameurs, contre la propriété nobiliaire, en revendiquant l’égalité en droits, la liberté personnelle et l’exercice populaire de la souveraineté ; ce mouvement commencé en 1788 consistait en des initiatives populaires irrépressibles, dépassant les lois du royaume, échappant à toute autorité et qui détruisaient la propriété nobiliaire : ces initiatives commençaient la Révolution française, que nous datons de 1789 à 1794.
La Révolution française créait la Nation, inventait la République et formait le sens charnel que la Patrie possède depuis lors ; elle résolvait le conflit des religions du royaume de France : la force de résistance aux intégrismes et aux sectes que nous recherchons fut donc une composante essentielle de la Révolution française : elle participe de l’essence de la nation.
Relisons nos déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen : celle de juin 1789 et celle de l’an 1 de la République (1793) : elles mettaient les Lumières philosophiques essentielles à l’ordre du jour de la nation naissante.
Les Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de 1793 fondent en droit la légitimité de la revendication populaire de vivre du travail de ses mains et de l’application de son intelligence à égalité de droits avec les bourgeois qui vivent de la rente de leur capital, et interdisent aux religions de mettre ce principe en défaut.
Au sein des assemblées de députés, les révolutionnaires autour notamment de Saint-Just, de Lepelletier de Saint-Fargeau, de Robespierre, suivaient cet ordre du jour : ils ont notamment élaboré un plan complet pour les institutions de l’instruction publique, fondé sur le principe que la République doit l’instruction aux indigents, parce que le principe d’égalité donne à ceux-ci le droit à une compensation du handicap que constitue leur indigence (c’est Robespierre qui dut lire ce rapport devant la Convention, parce que le rapporteur, Lepelletier de Saint-Fargeau, fut assassiné la veille du jour où sa lecture était appelée).
Les citoyennes et les citoyens aussi suivaient dans leur vie quotidienne cet ordre du jour véritablement innovant : ils réfutaient la direction des consciences dont l’église romaine prétendait avoir reçu la mission divine, ils mettaient la liberté de conscience en pratique ; ils tâchaient d’intégrer les Lumières philosophiques à leur culture et à l’éducation de leurs enfants ; la chanson était un des moyens de ces luttes et de cette intégration, parmi les plus populaires ; voici par exemple quelques vers d’un très beau chant révolutionnaire, chanté en l’an 1 de notre République (et que le coup d’Etat de Thermidor a jeté dans une oubliette) :
- Liberté, devant toi
La raison chasse l’imposture
L’erreur s’enfuit
Le fanatisme est abattu
L’ode pour l’inauguration d’un temple à la liberté, dont ce quatrain est extrait, témoigne de l’effort de nombreux citoyens conscients de l’importance que revêt la démarche éducative pour l’égalité en droits et pour la liberté de chacune et de chacun : ces citoyens se sont faits instituteurs, afin d’élargir le public bénéficiant de cet éclairage, et d’approfondir l’intégration des Lumières philosophiques dans la culture nationale ; leur effort contribuait à instituer la société hors de toute religion et en renvoyant les religions dans la sphère privée de l’individu d’où nulle contrainte sur autrui ne peut émaner ; il s’agissait de laïcité, même si ce mot n’était pas employé dans les textes révolutionnaires.
Ces instituteurs des Lumières philosophiques, de l’égalité en droits et de la liberté ont fait de la liberté de penser et de la pensée rationelle des objets culturels de la revendication populaire.
En vérité, la Révolution française a élevé considérablement la conscience populaire et libéré le raisonnement critique des membres du peuple : la force morale populaire de résistance aux agressions intégristes ou sectaires en est résultée ; cette force n’est pas distincte des autres forces progressistes qui ont fait la Révolution.
Seulement voilà : en 2013, ce ne sont pas les forces de progrès, mais les intérêts capitalistes et néocolonialistes, c’est-à -dire impérialistes, qui inspirent les gouvernements de la France.
-3- L’indispensable laïcité
Les travailleuses et travailleurs revendiquent de vivre du travail de leurs mains et de l’application de leur intelligence avec pour chacun d’eux des droits égaux à ceux dont jouissent les bourgeois qui, eux, vivent des profits que les capitaux dont ils sont propriétaires leur permettent de prélever.
Cette revendication du peuple contre l’exploitation que lui fait subir la bourgeoisie capitaliste prolonge dans la société bourgeoise les luttes qu’il devait mener aux temps féodaux, puis au temps du royaume, pour survivre dans les conditions complexes de l’exploitation que lui imposaient la grande bourgeoisie, l’aristocratie (la « noblesse » terrienne) et le haut clergé.
Mais satisfaire cette revendication mettrait fin à la domination bourgeoise : cette fin obligerait les bourgeois à cesser de prélever le profit ; ils devraient alors produire eux-mêmes, de leurs propres mains, les conditions de leur vie, c’est-à -dire cesser d’être des bourgeois ; mais la bourgeoisie est collectivement incapable d’imaginer cette transformation de l’être bourgeois : cela l’oblige à protéger sa domination contre la revendication populaire (telle est la cause profonde du coup d’Etat qu’elle a commis le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), et au moyen duquel elle a pris en mains la totalité du pouvoir politique et économique de l’ancien royaume).
Tant que les membres d’une classe ou caste sociale exploitent le travail d’autrui, la revendication du peuple continue, et continue d’être légitime : c’est qu’elle est fondée dans la partie de la société dont nulle société ne peut se passer, parce que sans elle, il n’y a pas de production matérielle : en outre, l’essence de cette partie de la société ne dépend pas des représentations idéelles : par cette raison, elle est laïque ; or, cette partie de la société avec son mouvement essentiel, le travail qui est lui-même, évidemment, laïc, est la base réelle de la revendication populaire de liberté et d’égalité en droits.
On le voit : la résistance populaire aux intégrismes et aux sectes se fonde dans la réalité du mouvement social et économique laïc sans lequel il n’y a pas de production matérielle, donc pas de société.
Ce qu’est la base réelle
Le travail consiste dans l’action individuelle ou collective de femmes et d’hommes par laquelle des objets naturels sont modifiés : aux premiers âges de l’humanité, le travail comprend la chasse, la pêche, la cueillette, l’élaboration des aliments, des habits, l’aménagement des lieux de vie, l’élaboration des outils, des armes et des engins de pêche ; le travail possède donc, de très bonne heure, une réalité matérielle ; celle-ci comprend aujourd’hui notamment :
- les matières premières que le travail transforme (minéraux, végétaux ou animaux),
- les corps des ouvrières et des ouvriers (pas seulement leurs mains, mais leurs corps entiers, des pieds à la tête !!!),
- les gestes du travail,
- les outils dont se servent les ouvrières et les ouvriers (épieux de bois, pierres taillées, outils manuels de métal ou de bois, outils motorisés, à commande numérique, robotisés...),
- tout ce que les ouvrières et ouvriers produisent de matériel (objets et denrées, outils, nourriture, abris, habitations, chaussées, machines, ouvrages d’art,...),
- les échanges d’informations nécessaires au travail,
- les rapports de coopération par lesquels les ouvriers transforment la somme de leurs travaux individuels en un travail collectif.
En se mettant au travail, les femmes et les hommes entrent dans des rapports sociaux particuliers, dont le fonctionnement conditionne le processus du travail lui-même et ses résultats : leur fonctionnement est bon ou mauvais selon que le travail se poursuit ou s’arrête, selon que le travail fait est bon ou mauvais, selon que ses produits sont bons ou mauvais, étant entendu que la santé des ouvrières et des ouvriers est aussi un produit de leur travail ; parmi ces rapports sociaux particuliers, il faut citer ceux qui assurent au travail un caractère collectif : ce sont les rapports de coopération à l’œuvre.
C’est dans le travail en train de se faire que l’on peut observer ces rapports sociaux particuliers ; ils n’ont pas d’autre matérialité que la réalité matérielle du travail, mais on les observe dans les mouvements que prend cette réalité matérielle lorsque le travail se fait, ainsi que dans les échanges d’information nécessaires au travail, qui sont un moment de leur matérialisation ; je crois devoir les considérer comme un nouveau niveau de réalité dans le groupe (dans la société) : c’est la réalité matériellement conditionnée du travail : elle existe dans toutes les sociétés, même quand les religions qui habitent ces sociétés la nient.
Tous les éléments de la réalité matériellement conditionnée du travail sont des rapports entre humains qui ont pour objet un élément matériel du travail ; ces femmes et ces hommes peuvent être au travail, ou consommateurs ou utilisateurs des objets produits par le travail. La réalité matériellement conditionnée contient un corps de connaissances permettant de conduire le travail ; ce corps de connaissances reçoit sa dynamique de deux sources, le travail et la langue du groupe, de cette essence procèdent plusieurs fonctions, dont je citerai ici trois :
- informer en permanence sur le travail, ou, si l’on préfère, maintenir à jour (minute par minute) la représentation du travail (fonction d’observation),
- conduire le travail,
- étendre encore la réalité matériellement conditionnée du travail au sein de la société.
Cette troisième fonction procède de ce que le mouvement de la langue du groupe se modèle sur le mouvement interne de la réalité matériellement conditionnée du travail : cela donne aux membres du groupe la possibilité de convenir de rapports définis au moyen de leur langue et qui seront évalués selon des critères procédant de la matérialité du travail : de telles conventions permettent aux humains de définir et de démontrer les éléments convenus et leurs mouvements au moyen exclusif de critères prolongeant logiquement ceux qu’ils mettent en œuvre au sein de la réalité matérielle du travail ; les prolongements de ces critères sont convenus pour assurer que leur fonctionnement est indépendant des représentations rituelles du monde qui habitent la société : tout comme le fait la réalité matériellement conditionnée du travail, les rapports définis par de telles conventions et leurs mouvements échappent aux évaluations et jugements des religions : ces rapports et mouvements constituent la réalité du travail étendue à la vie sociale ; cette extension conventionnelle des rapports de travail constitue une composante laïque de la société ; elle existe nécessairement en présence de n’importe quelle religion ; les religions ne peuvent que la masquer, ou la récupérer partiellement.
La dynamique spirituelle
Ce dont il est question ci-dessus est une contradiction du processus par lequel l’humanité (l’être humain collectif) prend connaissance de ce qu’est le monde et se le représente durablement. Les crises d’évolution de cette contradiction ont jalonné le développement de l’humanité ; nous ne connaissons son histoire que partiellement ; pour la demi-douzaine des derniers millénaires écoulés, nous la connaissons par les restes des monuments dressés soit pour observer les mouvements des astres, soit pour intégrer cette observation dans les rites religieux, soit pour maintenir le peuple à distance respectueuse de cette connaissance et réserver à quelques-uns l’observation et l’interprétation des mouvements de l’univers.
Nous en avons une connaissance moins incomplète pour les trois derniers millénaires, grâce aux traces graphiques et aux documents écrits qui nous en restent.
De nombreux processus composent le processus général de la connaissance humaine (celui que compose l’humanité en se rassemblant entièrement) : nombre d’entre eux représentent le monde par un corps d’idées dont ils font procéder la vérité de leurs enseignements ; ils sont essentiellement semblables et forment une famille, mais diffèrent par la représentation du monde que chacun d’eux contient ; en fait, ils sont incompatibles deux à deux, mais leur contradiction ne participe pas à l’essence du processus de la connaissance humaine : elle n’a d’activité que pour diviser l’humanité.
La philosophie appelle idéalisme cette famille de processus.
Au contraire de l’idéalisme existe un processus de connaissance qui représente le monde à partir de ce qu’il est : les femmes et les hommes qui y participent observent au moyen de toutes leurs activités, parmi lesquelles le travail tient la place essentielle, la nature dans laquelle ils vivent et travaillent, et décrivent ce qu’ils observent ; ils élaborent la représentation du monde en cumulant, en vue de la durée, les observations qu’ils en font ; mais l’accumulation ne dure pas si elle consiste seulement à mémoriser l’une après l’autre chaque observation ; la durée de l’accumulation des observations ne prend quelque importance que lorsqu’une synthèse soulage la mémoire ; de ce besoin de synthèse procède l’émergence de la fonction critique essentielle à la représentation idéelle du monde ; l’élaboration de la fonction critique de notre esprit commence donc très tôt dans la préhistoire de l’humanité ; c’est elle qui élabore le mouvement de la vérité de ce contraire en le fondant dans les lois auxquelles obéïssent les objets et mouvements observés.
C’est le seul processus de connaissance contraire à l’idéalisme : la raison en est que les objets naturels et leurs mouvements obéïssent aux mêmes lois d’un bout de l’Univers à l’autre, et que tout travail leur obéït aussi.
La philosophie reconnaît l’unicité et l’unité de ce processus de connaissance de l’être humain collectif, et l’appelle matérialisme.
Il est à mes yeux important de bien comprendre que l’idéalisme n’est pas le premier mouvement de la connaissance humaine : le matérialisme animait l’esprit des femmes et des hommes dès qu’ils ont commencé d’observer ce qu’ils faisaient et de façonner leurs premiers outils.
Cela étant, il est vrai, matérialisme et idéalisme n’ont été reconnus et nommés par la philosophie que lorsque la philosophie est devenue une discipline autonome de la culture humaine, au cours du deuxième avant-dernier millénaire écoulé...
Les évolutions des trois derniers siècles écoulés
Au cours de la Renaissance, les outils du travail ont été perfectionnés, et de nouveaux outils inventés et diffusés, notamment des outils d’observation (tels le télescope et la lunette de Galilée) et de positionnement dans le temps (l’horloge à balancier, le chronomètre) et dans l’espace (la boussole) ; grâce à ces outils nouveaux, la réalité matérielle du travail, puis sa réalité matériellement conditionnée (mentionnons ici les voyages au long cours, mais aussi les progrès des transports par voie d’eau apportés par le creusement de nouveaux canaux) ont été élargies ; ces évolutions ont engendré de notables progrès de toutes les sciences, puis les avancées de la philosophie que nous appelons les lumières philosophiques.
En vérité, cet événement consistait en ce que la composante laïque de la société se libérait en rejetant ses principaux masques et en s’élargissant beaucoup ; cette libération s’accompagnait logiquement d’une prise de conscience du caractère impérieux que revêt pour l’être humain tout mouvement logique procédant seulement des mouvements de la matière ; la prise de conscience de ce que les lois de la nature s’imposent à l’être humain sur tous les plans, individuel et collectif, et dans tous les domaines, conduisait beaucoup de femmes et d’hommes, lorsqu’ils avaient besoin de lever quelque doute, à s’éloigner des « autorités morales » et à fonder non pas toujours, mais plus souvent et plus fortement les mouvements de leur conscience, leurs raisonnements, dans leur propre connaissance du monde, de la nature et des évènements concrets de leur propre vie : ce qui progressait alors dans leur conscience, c’est un mouvement laïc, c’est-à -dire ne prenant pas en compte les critères de la foi religieuse : nous nommons ce mouvement la conscience laïque ; les progrès de la conscience laïque ne conduisaient pas ces femmes et les hommes à perdre leur foi religieuse, mais à mettre en doute la légitimité de l’autorité politique des chefs religieux (en France, il s’agit de l’autorité du pape et des évêques), puis cette autorité elle-même : l’intégrisme consistant dans la prétention de chefs religieux à exercer une autorité politique, les progrès de la conscience laïque engendrent toujours un recul des intégrismes religieux : cela étant, quatre siècles se sont écoulés depuis la libération de la conscience laïque, et l’histoire ne montre pas de cas où ses progrès aient fait reculer la foi religieuse : c’est donc bien la confusion entretenue par l’intégrisme entre l’autorité politique et l’autorité pastorale qui est mise en cause par la conscience laïque : la force élémentaire de résistance aux intégrismes siège dans l’esprit de l’individu ; cette force élémentaire est la conscience laïque individuelle .
Sur le plan de la connaissance, les progrès de la conscience laïque tant individuelle que collective accomplis lors de la Renaissance et depuis ont renouvelé la validation du matérialisme comme processus permettant de connaître le monde réel ; c’était la fin de la longue éclipse policière infligée au matérialisme depuis l’antiquité par les religions impériales, la fin de la toute-puissance de l’Eglise romaine et le crépuscule de sa domination sur le royaume de France ; mais ce n’était pas la fin de la religion.
La conscience laïque s’est plus ou moins libérée dans les peuples d’Europe : dans le royaume de France, elle a joué un grand rôle au cours de la Révolution de 1789 à 1794, qui a détruit ce royaume : les députés révolutionnaires qui s’étaient chargés de rédiger une constitution pour la France concevaient précisément les institutions à définir comme autant d’extensions à la vie sociale de la réalité matérielle du travail ; je citerai deux textes que, de ce point de vue, je considère comme deux réussites : la constitution civile du clergé et la constitution de l’an 1 de la République.
Voir dans la constitution civile du clergé la définition d’une extension de la réalité matérielle du travail, c’est lire dans ce texte la définition d’une composante laïque du clergé ; cela peut aujourd’hui apparaître comme un paradoxe ; j’invite pourtant tous mes concitoyens à réfléchir à la vérité que contient ce paradoxe : ce texte en effet ne prend aucune position en matière de dogme ou de rite, qui appartiennent au domaine de la foi ; la Révolution française n’était pas antireligieuse ; par contre, la constitution civile du clergé abolit les anciens rapports de sujétion entre membres du clergé et redéfinit ces rapports à partir de la reconnaissance à chacun d’eux de droits d’hommes et de citoyens égaux à ceux de tous les autres citoyens, donc égaux entre eux ; dans l’application de la constitution civile du clergé, l’autorité des évêques et celle du pape auraient cessé d’être politiques pour devenir pastorales, et tous les curés de paroisse seraient devenus des citoyens aux droits égaux à ceux de chacun de leurs paroissiens ; le gouvernement du pape, de Rome ou du Vatican, a toujours refusé une telle évolution.
La bourgeoisie prend tous les pouvoirs et institue son Etat
Le coup d’état du 9 thermidor an deux de la République mettait fin à la république ; il initiait la répression de toutes les avancées révolutionnaires qui risquaient de faire obstacle à la loi bourgeoise ; criminelle, terroriste, paradoxalement clandestine, la vague de répression lancée par ce coup d’Etat est entrée dans l’histoire sous le nom de Terreur blanche : elle visait tous les instituteurs des Lumières philosophiques et tous les militants révolutionnaires, dont les plus nombreux n’avaient pas versé le sang ; elle a fait au bas mot dix fois autant de victimes que la Terreur révolutionnaire, qui, elle, n’avait pas été clandestine ; la première constitution républicaine de la France, dite de l’an 1 de la République, et que la consultation populaire de l’été 1793 avait approuvée sans ambiguïté, fut mise aux oubliettes, de même que le projet d’une éducation nationale rédigé par Lepelletier de Saint Fargeau et lu devant la Convention par Robespierre ; il n’était plus question ni que la loi soit délibérée d’abord dans les assemblées primaires où siègeraient tous les citoyens d’un canton, chacun disposant d’une voix, ni qu’une institution publique donne l’instruction au peuple : à la République, la bourgeoisie substituait l’Etat dont elle avait longuement élaboré les départements financier et judiciaire sous l’Ancien Régime (oui, en servant les rois !), et qu’elle avait maintenu dans l’ombre pendant les cinq années de la Révolution ; elle le mettait à sa tâche essentielle : réprimer la revendication populaire que les citoyennes et les citoyens soient égaux en droits !
Les poutchistes réduisaient le peuple à l’impuissance politique et faisaient place nette pour que les gouvernements bourgeois complètent les institutions de leur état ; on les vit bientôt :
- instaurer le suffrage censitaire, devant lequel les citoyens sont classés selon leur richesse en trois catégories aux droits inégaux ;
- interdire le divorce ;
- imposer à chaque ouvrier le livret ouvrier pour contrôler sa circulation sur le territoire national ;
- confier à Napoléon Bonaparte, premier consul, le soin
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- de passer avec le pape un concordat pour rendre à l’église catholique romaine le rôle officiel dont l’avènement de la République l’avait écartée ;
-
- de rétablir l’esclavage selon les lois d’avant 1789 ;
-
- de créer des lycées d’enseignement secondaire inaccessibles aux prolétaires et fortement inspirés des collèges de jésuites de l’Ancien Régime ;
- plus tard, confier à un roi du royaume restauré le soin de créer la Légion étrangère, qui sera avec la marine de guerre le principal moyen des conquêtes coloniales…
C’est donc après que le peuple instituant la République eut accompli la déchéance de l’aristocratie, que la grande bourgeoisie française a détruit, le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1789), le chantier républicain que le peuple avait ouvert presque deux ans plus tôt : c’est par cette destruction qu’elle est devenue la classe qui domine et exploite la société de notre territoire.
Mais ni l’abolition de l’égalité en droits, ni la répression de sa revendication n’ont pu faire oublier la légitimité des droits humains et civiques votés par le peuple entre la fin du printemps et le début de l’été de l’an 1 de la République (1793) : la conscience collective du peuple n’a pas cessé de couver les Lumières philosophiques : sous leur influence, la revendication d’égalité en droits ne produisait pas seulement des mouvements de rues de diverses importances : elle produisait aussi la formation, d’abord clandestine, d’institutions culturelles, syndicales et politique propres au mouvement ouvrier ; ces institutions cultivaient la revendication révolutionnaire d’égalité en droits, notamment en ouvrant aux ouvriers les accès à la connaissance qu’il leur était possible d’ouvrir ; en retour, ces institutions maintenaient et renforçaient la conscience laïque du peuple, et prenaient part au combat contre l’intégrisme papiste et conre les sectes.
A l’approche du milieu du dix-neuvième siècle, la voie multiple et diverse des discussions des militants maintenue par ces institutions apportait aux militants ouvriers les influences contradictoires des socialistes utopistes, de Karl Marx et de Friedrich Engels ; après la révolution de février 1848, les discussions des militants furent abondées par les influences de Jules Guesde, puis de Jean Jaurès ; ne renonçant pas à la laïcité de leur démarche et ne cessant pas de combattre la prétention papiste de la haute Eglise romaine à exercer un pouvoir politique, les institutions du mouvement populaire, toujours clandestines, cultivaient la conscience laïque collective du peuple et devenaient le foyer principal où se fédérait la force morale populaire de résistance aux intégrismes et aux sectes.
Cette force morale populaire montrait déjà sa vigueur politique dans la révolution de février 1848, et de nouveau dans la Commune de Paris ; nous lui devons aussi le ralliement des militants ouvriers à la lutte de Jaurès pour la cause du capitaine Dreyfus, puis l’échec final de l’agression intégriste catholique dont il avait été victime, et qui avait été lancée par les membres de l’Etat-Major les plus liés aux traditions d’Ancien régime qu’avaient reprises les empires des Bonaparte ; nous lui devons encore le grand progrès de la civilisation que furent en France, en 1901, le vote et la mise en vigueur de la loi sur les associations, et en 1905, le vote et la mise en vigueur de la loi de séparation des églises et de l’état.
A la fin du dix-neuvième siècle, cette force morale populaire imposait aux gouvernements de la « Troisième République » que cesse la répression des institutions syndicales et politiques de la classe ouvrière ; pendant toute la première moitié du vingtième siècle, le barrage actif que ces institutions opposaient aux intégrismes religieux et aux sectes s’est avérée précieux dans toutes les luttes antifascistes comme dans les luttes de classes.
Au cours des troisième et quatrième décennies, la force morale populaire elle-même fut active dans la lutte contre la guerre impérialiste que les capitalistes français, états-uniens et anglais s’efforçaient de lancer contre l’URSS ; elle n’a été abattue, ni par la « drôle de guerre » déclenchée contre elle en septembre 1939 par le gouvernement français, ni par l’invasion de la France, en juin et juillet 1940, par l’armée de l’empire nazi-fasciste, ni par l’occupation du territoire français qui en fut la conséquence.
La défaite de juin 1940 portait au pouvoir l’équipe raciste que le maréchal Philippe Pétain avait rassemblée autour de lui ; au milieu du mois de juillet, ce gouvernement abolissait la République, instaurait l’« Etat Français », nous imposait la politique de kollaboration avec l’Allemagne raciste d’Adolf Hitler et tentait, lui aussi, de nous entraîner dans la guerre imminente contre l’URSS.
Grâce à leurs institutions syndicales et politiques, les travailleuses et les travailleurs observaient de leur propre point de vue la marche à la guerre, la guerre et la défaite : leur réflexion critique procédait de la force morale héritée de la Révolution et des Lumières philosophiques ; la tendance révolutionnaire du syndicalisme et le parti communiste français portaient la réflexion jusqu’à l’action qu’il était nécessaire d’opposer à la politique antinationale de l’« Etat français » ; ils s’efforçaient d’unir dans cette opposition tous les membres du peuple français ; cet effort fut un facteur important de la formation des divers mouvements de la Résistance, de ceux qui ne procédaient pas du mouvement ouvrier comme de ceux qui en procédaient ; c’est encore la force morale de résistance aux intégrismes et aux sectes qui a maintenu ouverte la possibilité de leur fédération, finalement réalisée dans le Conseil national de la Résistance : nous devons donc encore à la force morale populaire, et aux Lumières philosophiques dont cette force procède, d’avoir libéré la France de l’odieuse dictature raciste de l’« Etat français » kollaborateur.
Les Lumières philosophiques éclairaient puissamment le programme du Conseil national de la Résistance publié le 15 mars 1944 sous le titre les Jours heureux ; cet éclairage est pour beaucoup dans le fait que, le 21 octobre 1945, un référendum populaire déssaisissait la bourgeoisie de son pouvoir dictatorial de gouverner la France en conférant à l’Assemblée nationale élue le même jour le mandat de rédiger une nouvelle constitution.
Les Lumières philosophiques éclairaient aussi le projet de constitution rédigé et voté le 19 avril 1946 par cette assemblée ; mais l’éclaircie fut brève : l’intense propagande réactionnaire déclenchée au moment même de la Libération et appuyée principalement par les bourgeoisies capitalistes anglaise et surtout états-unienne a refermé les nuages, ramenant l’obscurité : le 5 mai suivant, un nouveau vote référendaire rejeta ce projet ; ce qui conduisit à élire une nouvelle Assemblée, pour qu’elle rédige le texte de compromis devenu constitution par le vote du 13 octobre 1946.
Ces circonstances ont permis à la grande bourgeoisie de reprendre en mains, en juin 1947, la totalité du pouvoir de gouverner la France ; elle contrôle depuis lors toutes les institutions de l’Etat aussi étroitement qu’elle le faisait avant-guerre : elle masque les Lumières philosophiques derrière l’écran des lois et règlements de son Etat ; elle renforce cet écran d’une propagande tonitruante ; l’une après l’autre, toutes les réformes appliquées depuis 1948 à nos écoles, collèges et lycées ont sapé les fondements mêmes de la transmission des Lumières philosophiques aux élèves, et réduit au minimum leur accès à la pensée rationelle, tout comme si nos gouvernements bourgeois voulaient ouvrir la France aux sectes et aux intégrismes ! Et de fait, l’activité des sectes et des intégrismes s’est renforcée depuis le milieu du vingtième siècle en France comme jamais elle ne l’avait fait depuis la Révolution.
Aujourd’hui pourtant, l’éclairage des Lumières philosophiques reste important en France métropolitaine : il protège encore de la totale obsolescence la loi de 1905 ; il dissipe encore l’obscurantisme des sectes et des intégrismes religieux ; mais il faut pour cela que les citoyens le remettent en activité, le rallument, sans attendre un quelconque soutien de l’état, ni de ses gouvernements ; la bourgeoisie, qui les commande, a tourné le dos aux Lumières philosophiques. Et depuis des lustres, elle s’attache à les éteindre !...
– 4 – L’impérialisme, légataire universel de tous les colonialismes
Il faut regarder la réalité sans se voiler la face : l’exploitation coloniale consiste à intégrer la violence des armes dans la panoplie des moyens de l’exploitation économique ; il n’y a rien de noble dans la conquête coloniale, ni dans l’exploitation des colonies.
En vérité, dans l’économie des sociétés d’inégalité, la violence est une des fonctions banales, ordinaires, de l’entreprise ; pour atteindre ses objectifs, le chef d’entreprise l’utilise quotidiennement, concurremment avec l’échange marchand.
Dès le moyen âge, l’économie mercantile (le mercantilisme) était généralisée à toute l’Europe, par le fait d’entrepreneurs avides d’expansion qui ne reconnaissaient aucune limite à leur commerce, et se considéraient comme les propriétaires des ressources recélées par les territoires qu’ils prospectaient ; ces entrepreneurs sont toujours allés prospecter de nouveaux marchés au-delà des limites de la souveraineté de leurs rois, de leurs princes ou de leurs empereurs ; toutes sortes d’entreprises de conquête territoriale en sont résultées, jusqu’aux conquêtes coloniales.
L’idéologie de l’évangélisation a fait quelquefois de certains ordres religieux eux-mêmes les entrepreneurs de la conquête des marchés ; quand les entrepreneurs n’étaient pas gens d’église, cette idéologie leur assurait la complicité active des églises chrétiennes, efficace pour recruter des membres du peuple quand ils sont crédules ; de plus, les entrepreneurs d’expansion, même roturiers, pouvaient sans grande peine mobiliser à leurs côtés des aristocrates, et obtenir de leurs souverains de fort opportunes lettres de missions, annonçant par anticipation la mainmise du souverain sur les territoires convoités. Sur le plan social, l’idéologie de l’évangélisation n’a jamais conduit à reconnaître aux membres des peuples colonisés des droits égaux à ceux des colons, mais à les placer sous un statut d’infériorité : dans les colonies françaises, ce fut le statut de l’indigénat, que les mouvements de libération nationale durent combattre pour en finir avec le régime colonial proprement dit.
L’expansion coloniale a certes donné des sous-produits importants, tels que les progrès de la géographie et les premières connaissances en ethnographie, mais ces progrès de la connaissance ne sauraient apporter la moindre justification à l’entreprise d’asservissement du monde que fut le colonialisme : l’asservissement des peuples indigènes n’a contribué en rien aux progrès de la géographie, de l’ethnographie, de la géologie ni de n’importe quelle autre science : au contraire, toutes les variantes des idéologies du colonialisme et de celles qui en procèdent dans les conditions très favorables que leur fait l’impérialisme, toutes ces variantes d’idéologie inégalitaire font obstacle à tout progrès de l’anthropologie en lui interdisant le développement critique de sa démarche scientifique : le tabou haineux jeté sur l’œuvre de Charles Darwin aussitôt qu’elle a été rendue publique participe essentiellement de cet obstacle, essentiellement et de manière exemplaire. Aucun progrès scientifique ne peut servir de bonne conscience à l’entreprise coloniale.
Nous voyons aujourd’hui les intégrismes exploiter des tensions interethniques ou religieuses devenues observables après la défaite du colonialisme ; nous voyons en même temps les propagandistes du colonialisme faire argument de l’ancienneté, voire de l’antiquité des références auxquelles se rattachent les groupes qu’opposent ces tensions ; ne nous y laissons pas tromper : les tensions actuelles doivent beaucoup moins aux rapports de force précoloniaux qu’au joug colonial que ces pays ont subi pendant si longtemps :
- Afin de prendre possession des territoires qu’ils convoitaient, les chefs des expéditions envoyées conquérir des marchés coloniaux ont toujours tiré bénéfice des guerres interethniques, et ne se sont jamais fait faute d’en provoquer.
- La conquête consommée, les colonisateurs maintenaient la violence au niveau qu’ils estimaient nécessaire pour faire leur profit et pour assurer la durée de l’exploitation : bien servis par la police et l’armée mises à leur service par le souverain métropolitain, ils intégraient les tensions interethniques au système des contraintes coloniales, s’attachant à les maintenir, à en créer là où il n’y en avait pas, à les exploiter comme autant de sources fatales de violences ; c’est pourquoi les administrations coloniales n’ont jamais tenté de réduire ces tensions : au contraire, elles se sont rendues expertes dans leur exploitation pour déclencher localement des violences qu’elles faisaient cesser en exerçant une violence supérieure ; les colonialistes prétendaient « justifier » le régime colonial en présentant toutes ces violences aux habitants des métropoles comme « interethniques et fatales ».
En vérité, le vieux principe « diviser pour régner » enseigné par la Rome antique n’a jamais été oublié des castes et classes dominantes : les administrations coloniales en ont toujours fait une modalité de leur action ordinaire.
Nulle part, la colonisation n’a apporté la paix au pays colonisé : dans les comptes-rendus et récits adressés aux autorités de leurs métropoles, les bourgeois colonialistes et les administrateurs coloniaux parlaient sans doute de paix, mais en réalité, il s’agissait de la « paix romaine », c’est-à -dire de la tranquillité que les légions romaines assuraient à l’administration impériale et aux patriciens de Rome en faisant aux peuples inclus dans l’empire une guerre incessante ; les prêtres évangélisateurs accompagnaient tout cela de leur esprit totalitaire.
Le colonialisme, c’est la continuation de l’empire romain.
Tout en étant aussi violent que les autres colonialismes dans l’exploitation des colonies, le colonialisme français s’en distingue par une particularité non essentielle, mais importante : au dix-neuvième siècle, la bourgeoisie française a eu l’imprudence d’admettre, ou d’inclure, dans le personnel chargé d’encadrer économiquement et politiquement les colonies, quelques véritables militants de la république, c’est-à -dire des personnes acquises aux Lumières philosophiques : la plupart ont eu la vue brouillée par la violence colonialiste, par le racisme essentiel de ce système d’exploitation ; mais quelques uns ont bravé la répression de l’administration coloniale et se sont faites institutrices et instituteurs de l’humanité reconnue aux indigènes, de la liberté et de l’égalité en droits de tous les êtres humains, des Lumières philosophiques : leur propagande, tout comme celle d’autres sources progressistes, a toujours été d’une modestie extrême, limitée qu’elle était par la répression ; les revendications de liberté, d’égalité en droits de tous les êtres humains et l’éclairage des Lumières philosophiques se sont pourtant diffusées parmi les indigènes au point qu’au milieu du vingtième siècle, les mouvements de libération nationale en étaient imprégnés, notamment dans les colonies françaises.
C’est peut-être aussi à cette modeste particularité historique du colonialisme français que nous devons l’apparente contradiction des attitudes que prend aujourd’hui le gouvernement français, aidant les islamistes à détruire la Syrie, que ses fondateurs avaient voulue laïque, et les combattant au Mali !
Au cours de la période coloniale, les seuls mouvements qui aient commencé de résoudre, ou du moins atténué un moment, les tensions interethniques ou religieuses, sont les mouvements de libération nationale : mais d’abord, les colonialismes combattaient la libération des nations au moyen des tensions interethniques, et ensuite, le colonialisme vaincu, l’impérialisme a pris le relais de l’exploitation et repris à son compte l’expertise des polices et des armées coloniales ; il reprenait en fait l’ensemble du système d’exploitation violente hérité du colonialisme, et pour cela, il lui fallait détruire aussitôt que possible le contenu démocratique de la libération nationale et pervertir totalement le sens même du mot « nation » : l’impérialisme, ce sont les colonialismes unis et mondialisés !
L’impérialisme est animé par la même essence que les colonialismes : ce n’est donc pas un hasard si les trusts qui déterminent sa politique mondiale excitent contre la laïcité et contre les lumières philosophiques les intégrismes qu’ils soutiennent, financent et arment.
Toutes les guerres que mènent les Etats-unis d’Amérique et leurs alliés-vassaux les plus fidèles, tels que notamment l’Etat d’Israë l et les Emirats du golfe arabo-persique, le confirment, et mettent en évidence une constante de l’action impérialiste au niveau du monde : l’impérialisme ne dialogue qu’en terme de confessions et de communautés ethniques. Depuis un demi-siècle, le déroulement de ces guerres nous apporte chaque jour au moins une preuve que les états capitalistes se soucient davantage de spéculer sur l’intégrisme qui les servirait le mieux (quitte à en changer deux mois plus tard) que de combattre les intégrismes.
Qu’en est-il de leur prétendue « guerre antiterroriste » ? Le président des Etats-unis d’Amérique l’a déclarée voici plus de dix ans, et depuis, les gouvernements des pays d’Europe occidentale font chorus avec lui : ils « font la guerre antiterroriste » !
De quoi s’agit-il ? Voici, en résumé :
- Tout est prétexte à restreindre les libertés des hommes et des femmes, à diminuer leurs droits, à augmenter les contraintes que nous subissons ; la seule limite de cette action est le danger de provoquer un mouvement populaire trop puissant, qui romprait les chaînes, et leur marge de manœuvre n’est pas grande !...
- L’armée française, qui devrait avoir pour seule mission de défendre notre territoire national contre toute invasion, coà »te de plus en plus cher, est réduite, retirée de nos frontières et envoyée à l’étranger (Irak, Congo, Togo, Libye, Mali,...) accomplir des missions de guerre impérialiste, contraires aux intérêts du peuple français.
Pour quels résultats ?
- Les droits humains et civiques sont profondément lésés dans nos pays, et la démocratie n’y fonctionne pas !...
- L’Afghanistan, L’Irak, la Libye sont détruits, la Syrie et le Liban à feu et à sang, le Mali sous la botte, l’Iran sous la menace...
- Les actions terroristes n’ont pas diminué, au contraire.
La preuve est faite que les moyens militaires sont impuissants à combattre le terrorisme, surtout s’il exprime une prétention intégriste !
On ne lutte pas contre le terrorisme avec des moyens militaires, mais en déployant toutes les ressources de la démocratie : la liberté de citoyennes et de citoyens jouissant pleinement de droits humains et civiques égaux et réfutant toute tentative de restreindre ces droits quel qu’en soit le prétexte, voilà de quoi est faite une force morale populaire de résistance : nul intégrisme ne triomphera jamais d’une telle force morale, simplement parce que l’offensive intégriste a pour moyen essentiel la délégation par les citoyens d’une part de leurs droits aux cadres intégristes de l’une ou l’autre religion ; lorsque les citoyens refusent cette délégation, ils réduisent l’intégrisme au petit groupe de ses membres, et le montrent minoritaire, même parmi les fidèles de la religion qu’il prétend servir ; il ne peut poursuivre sa tentative de prendre le pouvoir politique que par la violence terroriste, qui est alors son seul moyen de faire taire la majorité des citoyens : s’il s’y risque, une police bien encadrée et démocratiquement contrôlée en viendra à bout, sans qu’il soit besoin d’état d’urgence ou de lois spéciales.
Mais comment déployer les ressources de la démocratie dans les conditions de la « guerre antiterroriste » ? La guerre antiterroriste est au contraire un sà »r moyen d’enfermer toute la société dans une spirale infernale de violence guerrière dans laquelle toute démocratie, tous les droits humains et civiques sont détruits.
Opposer un intégrisme à l’autre, est-ce combattre le terrorisme ?
Opposer un intégrisme à l’autre, ce serait continuer la logique de la violence coloniale : c’est comme cela que l’on s’enferme dans la spirale guerrière fatale !
Aujourd’hui en France, une forte faction réactionnaire prétend combattre l’intégrisme islamique en tentant de rallier les habitants de notre pays à l’intégrisme papiste déjà présent dans l’état bourgeois ; mais ces gens nous trompent : l’histoire pluriséculaire de l’Europe et du monde montre en effet que l’affrontement des intégrismes n’a pas de solution, sauf l’épanchement collectif du sang, c’est-à -dire la guerre ; or, de telles guerres s’achèvent sur la plus désastreuse de toutes les victoires, celle qui permet au vainqueur de liquider non seulement les intégrismes qui se sont opposés à lui, mais aussi toute institution laïque, et de censurer toute expression laïque du pays qu’ils conquièrent ; il faut déjà citer comme exemple le déroulement des guerres qui ont ravagé la Yougoslavie pendant le dernier quart du vingtième siècle ; c’est aussi, précisément, ce qui s’est passé en Afghanistan en conséquence de la victoire des « Talibans » ; ce qui se passe en Irak en conséquence de la victoire des armées réunies par l’impérialisme ; ce qui se passe en Libye en conséquence de l’intervention française ; et vraiment, le Mali semble subir le même sort !...
Opposer un intégrisme à l’autre, cette violence coloniale est une méthode de la « guerre antiterroriste » de l’impérialisme ; allons-nous contribuer à la mise en œuvre par l’impérialisme du système méthodique de violence hérité des colonialismes ?
Le seul résultat qu’obtiendrait la réaction papiste en France, si elle réussissait à rallier les Français à elle, serait de détruire notre tradition laïque, notre conscience laïque, de mettre au bà »cher notre part de l’héritage des Lumières philosophiques, et de faire de notre pays le théâtre d’une nouvelle croisade.
L’impérialisme est incompatible avec les Lumières philosophiques et avec toutes les revendications qu’elles ont fait naître, notamment avec la liberté et l’égalité en droits de tous les êtres humains : il a besoin d’encadrer son empire dans une mosaïque d’intégrismes, et de maintenir constante leur hostilité réciproque ; en conséquence, tous les pays dotés d’un état laïc, France comprise, sont sous la menace d’une ou plusieurs agressions intégristes, s’ils ne les subissent pas déjà !
L’impérialisme ne combat ni les intégrismes religieux, ni le terrorisme : il s’en sert ; par contre, il combat toute laïcité ; en vérité, la prétendue guerre antiterroriste est antilaïque.
Comment combattre les intégrismes ?
Un état ne combat pas réellement les intégrismes, sauf s’il est le siège d’un puissant mouvement de ses citoyens défendant et assurant leur liberté et l’égalité de leurs droits : nous en avons aujourd’hui plusieurs exemples en Amérique latine et caraïbe : dans plusieurs pays de cette région, les citoyens se sont rendus ou sont en train de se rendre capables d’imposer la loi du mouvement démocratique à l’Etat et de tenir tête à l’impérialisme !...
Le peuple en mouvement pour ses droits de vivre : tous les exemples que l’histoire nous en donne terrifient les membres des castes et classes supérieures des sociétés d’inégalité : un tel mouvement en effet ne résulte pas d’une mobilisation décidée par quelque autorité supérieure ou extérieure au peuple ; le peuple s’est lui-même mobilisé, indépendamment des commandements divins et des ordres impériaux : le processus de cette mobilisation est laïc.
Laïque la constatation de ce que trop de membres du peuple sont privés de leurs droits de vivre ; laïc le plus essentiel, le premier de ces droits, l’accès à la nourriture, à l’habillement et à l’habitat ; laïque, la revendication d’un tel mouvement de citoyens que cet accès ne dépende ni des religions, ni du gouvernement !...
Et donc, le mouvement du peuple travailleur qui défend ses droits de vivre est d’essence laïque, même si, comme c’est souvent le cas, ses participants se réclament d’une foi religieuse. Il prouve en tous cas l’existence d’un mouvement laïc dans l’esprit collectif des membres du peuple, même lorsque les religions le dominent.
Il faut donc comprendre ce qu’est le mouvement laïc de l’esprit humain, et ce qu’est la conscience laïque.